Numéro 12 (1980))

Chantal THOMAS

par Chantal Thomas

1) L’organe de barbarie. Celui d’avant savoir lire écrire.

Je joue dehors. Dans les rues dans les cours. Avec prédilection sur ce qui fait rebord et est légèrement en pente. C’est parfait à la nuit tombante et d’autant plus grave si toutes les fenêtres restent fermées.

2) Je ne me connais aucun trou (et pas davantage de plein). Et, l’écrit ne m’est jamais tombé dessus ; ou comme je tombais avec je ne m’en suis pas aperçu.

3) Dans la pénombre et protégée par mon organe, je regarde les fenêtres s’allumer. Des gens marchent ou restent assis, ils font des gestes, se touchent, touchent les choses – avec les mêmes mains mais des visages différents. Ils sont seuls ou plusieurs dans la pièce. Je ne sais pas ce qu’ils disent. Je ne comprends pas ce qu’ils font. Mais je les observe avec passion tout en jouant de mon instrument. Même s’ils ouvrent leurs fenêtres (ce qui est rare : ils ont horreur de jeter leur argent par la fenêtre) le son de ma musique brouille le sens de leurs paroles. A supposer qu’elles en aient.

4) Ça me fait peur très normalement, à longueur d’heures. Une sorte d’éreintement progressif – non dénué des charmes de toute occupation régulière – jusqu’à l’instant imprévisible.