Numéro 12 (1980))

André CLAVEL

par André Clavel

1) Au fond ? Tout au fond, je rêve d’écrire avec l’orteil : ça trempe dans le réel. C’est l’éperon du scandale (les Grecs en savaient quelque chose, qui appelaient scandalon le caillou contre lequel trébuchait l’orteil). C’est bassement matériel, érectif, cadavérique, hilarant et ordurier : tout ce qui faut, puisqu’il le faut, pour écrire caca-pipi-popo. Ne pas oublier que les premiers tracés furent pédiques. Au noir de l’inconscient encore trop élevé, trop bien élevé, préférer le noir de la boue.

Le durillon est la déformation professionnelle de l’écrivain matérialiste.

2) Je rêve de lire les textes des autres avec l’orteil, qui est, avec le nez, le promontoire le plus vigilant du corps : une hyper-scopie. Lire du gros orteil, bonne prévention contre les vertiges. C’est avec ça aussi qu’on écrase les cafards. Un seul ennui : pas facile de tourner les pages.

De quels trous ? Forcément, les trous de chaussettes.

3) Je dors en lotus, sur mes deux ortœils (Clavel).

4) a) Quand j’écris, je ne peux pas me sentir.

b) Si je le pouvais : je me sentirais surtout responsable de mes écrits : engagé à corps perdu. Je revendique une éthique de l’écriture. A se sentir trop acteur, donc trop agi, on finit par écrire n’importe quoi, ce qui est presque rien.