Numéro 12 (1980))

Christian DESCAMPS

par Christian Descamps

1) Avec un œil qui écoute à l’état sauvage, qui ne soit pas tant un organe que leur démultiplication, qui sache survoler, griffer, glisser sur les surfaces. Rêver de mettre en branle une logique de tous les sens, de tous petits dispositifs de narration qui déplacent et condensent. Surtout, ne pas gérer un territoire, même organique, mais nomadiser sur d’infimes parties de corps. Ce corps là n’est pas une totalité, mais dissemblance et dissimilation. L’instanciation ne pourrait être alors que celle d’un moment. Pas de grosse vérité, ce régime de toutes les terreurs mais des parcours capables de fluidifier (…).

2) Besoin réel ? Oh ! le gros mot naturaliste. Et les aveugles ? Diderot raconte que Saunderson voyait par la peau : « Cette enveloppe était donc en lui d’une sensibilité si exquise, qu’on peut assurer qu’avec un peu d’habitude, il serait parvenu à reconnaître un de ses amis dont un dessinateur lui aurait tracé le portrait sur la main… Il y a donc aussi une peinture pour les aveugles, celle à qui leur propre peau servirait de toile. » Pas de besoin donc mais une attention flottante, celle des petites perceptions de Leibniz dans lesquelles Freud voyait l’amorce de l’inconscient (…)

3) Dormir, disait Saint Just, quelques heures avant sa fin… Desnos dormait, lui, 20 heures par jour pour écouter les flux du rêve. D’un côté, la trace de l’œil, de l’autre, la trace de l’oreille ? Pas sûr, si la pellicule éphémère des bandes moebiennes textuelles produit des petits échangeurs qui brouillent les rhétoriques. Pas de boules Quiès contre la paralogie.

4) Être acteur, c’est encore supposer une philosophie du sujet, un vieux truc phénoménologique, un peu « macho ». Maître et conquérant de l’écriture. Spectateur ne vaut pas mieux. Actons, actons, dit l’autre. Ce qui agit traverse les formes, les fantasmes. Seule la forme est aveugle, tout seul le fantasme est incommunicable ou plus souvent sans aucun intérêt (…). Écrire c’est vivre dans le patchwork très conflictuel de milliers de scenari prospectifs. Là, une page, un mot, une cadence, un rythme qui démontent une position de discours. « Une rose est une rose est une rose » dit Gertrude Stein. Comment passer à travers ce qui paraissait hier infranchissable. Expérimenter l’écriture, non pas avec l’écriture.