Numéro 12 (1980)

L’acteur

ouvrez vos orœils !

enquête La circulaire ci-dessous a été envoyée à un certain nombre d’artiste et d’écrivain : L’ŒIL qui lit n’entend rien de ce que boxe la voix au sac de sons. L’OREILLE qui ouit ne voit rien des incidents écrits, des trous faits au bloc gris, du déporté typo. L’écrit n’est pas à l’œil. Pas non plus à l’oreille. Musiques, marches, gestes, traces du corps secoué, actions des machines (dactylo, ciseaux, magnéto) compliquent encore la scène. Pourtant, l’écrit tient, sur cette incohérence ; son idiome est (…)
par TXT

Denis ROCHE

VOUS AVEZ DIT « ORGANE » ? Une question, tout ça ? Mon œil ! Quoi ? Oui, je dis bien : « mon œil » que tout ça est une question ! C’est pourtant une question qu’on vous pose, bon sang ! Ouais… Et même 4 questions… N’empêche ! Mais pourquoi prenez-vous la mouche ? Je ne la prends pas ! C’est vous qui le dites ! Non, c’est vous qui l’avez dit ! … … Si on reprenait calmement ? Pourquoi pas. Mais aussi, pourquoi posez-vous des questions pareilles ? C’est déjà (…)

Christian DELACAMPAGNE

1) Passionné de marche comme je le suis, et donc fort amoureux de l’organe qui me procure tant d’indicibles satisfactions, j’aurais toujours voulu écrire avec mes pieds. Mais, en un sens, c’est déjà fait. 2) Si je pouvais, un jour, être délivré de la corvée de lire l’écrit des autres, ce serait vraiment (cf. plus haut) le pied… 3) Là, j’avoue que la question est un peu trop maligne pour moi. Mais c’est sans doute parce que je dors à poing(t)s fermés. 4) Commediante, tragediante : nous jouons (…)

André CLAVEL

1) Au fond ? Tout au fond, je rêve d’écrire avec l’orteil : ça trempe dans le réel. C’est l’éperon du scandale (les Grecs en savaient quelque chose, qui appelaient scandalon le caillou contre lequel trébuchait l’orteil). C’est bassement matériel, érectif, cadavérique, hilarant et ordurier : tout ce qui faut, puisqu’il le faut, pour écrire caca-pipi-popo. Ne pas oublier que les premiers tracés furent pédiques. Au noir de l’inconscient encore trop élevé, trop bien élevé, préférer le noir de la boue. Le (…)

Jean-Marie LE SIDANER

1) Je rêve d’écrire avec des organes qui n’existent pas, un peu comme le pourrait imaginer un Lamarckein au très scrupuleux délire : avec donc une tête-à-peur, un œil-à-croire, une oreille-à-rire, un bras-de-mort… 2) Ce que je ne parviens pas à saisir c’est par où je tombe de l’écrit. Qu’est-ce qui brusquement dans le texte m’exclut, me force à jouer perdant ma lecture (quant au « commentaire » dont le rôle est, comme le note Foucault de « dire enfin ce qui était articulé silencieusement là-bas. » - (…)

Christian DESCAMPS

1) Avec un œil qui écoute à l’état sauvage, qui ne soit pas tant un organe que leur démultiplication, qui sache survoler, griffer, glisser sur les surfaces. Rêver de mettre en branle une logique de tous les sens, de tous petits dispositifs de narration qui déplacent et condensent. Surtout, ne pas gérer un territoire, même organique, mais nomadiser sur d’infimes parties de corps. Ce corps là n’est pas une totalité, mais dissemblance et dissimilation. L’instanciation ne pourrait être alors que celle (…)

Gianni TOTI

1) Sur cette prothèse sensorielle, je m’interroge au moment même où je me pro-tends, me mets-en-avant, me mets-en-scène, c’est-à-dire en page, m’écris, m’écorce. Scriblerus, j’écris avec l’organe total : œil-avec-oreille-et-doigts-palatal-nariné, phallopsophiques et caecal, loin voyant et télévisuel (dans le possible impoétenté des télunettes aveuglées). La voix a été tuée par l’écriture, l’écriture par le geste, le geste par le théâtre, le théâtre par le cinéma, le cinéma par la télévision, la télévision par (…)

Charles JULIET

1) Avec l’œil. L’œil-burin. L’œil-ciseau (je songe bien sûr au ciseau du sculpteur). Cet œil qui interroge, fouille, fore, palpe, dévore – puis ne retient que la quintessence de ce qu’il a absorbé. Cet œil qui s’emploie à sonder l’invisible (mais pas n’importe quel invisible), et qui, armé de sa vision, entreprend de l’inscrire dans la pierre du langage(…). Mais l’œil ne saurait sculpter sans qu’interviennent la voix et l’oreille. (Ne seraient-ils pas tous trois un seul et même organe ?) Ecrire, (…)

Hubert JUIN

1) Avec tous les organes. Dans la mesure où ce sont mes organes qui rêvent mes rêves. Mon sexe bande ; mes yeux s’aveuglent ; mes oreilles bruissent ; mes mots s’effacent. C’est peut-être parce que je vieillis ? 2) Je n’ai pas envie de « lire » les autres, au sens logique et fermé du terme. J’éprouve (parce que… cf. plus haut, et peut-être) l’envie folle de les « parcourir », de les toucher, de les étreindre, de forcer leurs bouches multiples, – ces bouches à partir de quoi m’éclabousse le texte. (…)

Françoise COLLIN

J’ai l’impression d’écrire avec un corps « sans organes ». Du moins dans mon écriture de fiction. L’autre écriture (théorique) monte plutôt à la tête, passe par les yeux. J’écris toujours, tout de suite, à la machine, qui mesure mon rythme. Je ne rêve pas d’écrire, ou de lire, avec un organe, puisque l’écriture abolit leur division. D’ailleurs je ne rêve pas de : j’écris, et je lis, comme je peux. Je n’ai pas d’oreils, mais seulement des oreilles : (…)

Olivier KAEPPELIN

1) Je ne rêve pas à propos d’écrire. Il y a des temps où vient la nécessité de le faire. J’écris. Cela se passe entre la boîte crânienne, les lèvres, la bouche, la cage d’os, le ventre. Les jambes, les pieds n’existent pas, la main non plus. La main m’intéresse peu ou plus exactement je m’en méfie. Je n’aime pas la rapidité qu’elle peut avoir. Le corps devient une figure qui éprouve. Figure plutôt monstre. Sac de viande. Paquets de mouvements et d’organes. J’écris et le corps tente de faire obstacle (…)

Victoria THÉRAME

1) Avec la matière molle et soi-disant grise de la tête, pour garder les mains libres. 2) Avec les mains, par osmose, pour garder la tête libre. Des pores. C’est comme une grande passoire, ça pleut. 3) J’espère bien ! Il manquerait plus que ça que d’être seulement témoin ! L’action, ça fait sentir la vie ! Demandez aux militaires !

Kathy ACKER

1) With my mind. Then, behind that. Therefore, with everything. Sometimes, I go the other way. 1 want everything that is most surface : all my moods, every feeling, every sensuality. There’s no différence belween the world and what’s in the writing se thé act of writing disappears. These two ways are the same. 2) Interest. My main interest is that which can the most split open my thoughts. Then I drop down, as if into a hole, into personal tastes, drama. I call this SENTIMENTALITY. I love (…)

René LOURAU

1) Je rêve (au sens de : j’imagine, et non de : je voudrais que…) que l’écriture est produite par un organe-prothèse, que tout le monde, dans la culture du moins, depuis Carrouges, connaît sous le nom de machine célibataire. L’archibras qui tient le stylo ou sert à taper à la machine à écrire (ce qui est mon cas) jaillit comme un tentacule d’un appareil dont les composantes banales sont, outre cet instrument pointu ou frappeur ou marqueur, d’une part le refus des relations sociales pendant tout (…)

Brion GYSIN

1) Voici mon organe, à vous je me déboutonne. Phallocrate impénitent, j’ai toujours prétendu qu’il ne peut exister de femme-peintres parce qu’il leur manque le membre. Corrigé par une colostomie, je ne suis plus fier du mien. Je ne mâche pas mes mots pour ne pas les avaler. Digérez bien mes mots et vous saurez de quel trou ils tombent. C’est pas mon cas. Je les vois, pas vous. Lecteur, je vous lis, lisez-moi. Parti en trombe d’un parti-pris, je ne marche pas avec ces langues archaïsantes où les (…)

Chantal THOMAS

1) L’organe de barbarie. Celui d’avant savoir lire écrire. Je joue dehors. Dans les rues dans les cours. Avec prédilection sur ce qui fait rebord et est légèrement en pente. C’est parfait à la nuit tombante et d’autant plus grave si toutes les fenêtres restent fermées. 2) Je ne me connais aucun trou (et pas davantage de plein). Et, l’écrit ne m’est jamais tombé dessus ; ou comme je tombais avec je ne m’en suis pas aperçu. 3) Dans la pénombre et protégée par mon organe, je regarde les fenêtres (…)

Jean TODRANI

(…) orœil, soit. Dans oreille, il y a bouche, orifice (ou alors écrire aureille) et puis l’œil, c’est avec paupières, soit lèvre d’où déguster et encore déguster. Nous voilà à somatiser vers des organes qui se protègent si bien avec leurs sécrétions. Avec quel organe écrire ? est-il demandé ? Mais le museau issu du rhinencéphale, la gueule, au plus profond de la face, en quelque sorte derrière les affligeants camouflages de l’expression, derrière le visage damasquiné. Avec, en écoute la molle (…)

Claude MOUCHARD

1) Difficile de me figurer - quant aux moments d’écrire ou de lire - des localisations en « organes ». Bien sûr, vos mots (et vous les nouez, bifides, les invaginez : « orœil », etc.) me provoquent, frôlent… quoi ? Mais je ne pourrais pas, à l’égard de mes propres tentatives, les poser en registre de plus grande réalité, en un langage second qui, pour vérifier l’écrit, l’arrimerait à un « corps ». Avec quoi lire, écrire ? Je ne peux que désigner ce qui, d’un moment d’écriture (ou de lecture ?) à (…)

Gérard ARSEGUEL

Du peu que je perçois encore d’un acte, plutôt que d’une activité, dont la monstruosité caricaturale me fait vomir – les mains agrippées à la table, le corps vanné par les secousses – (maintenant, je n’en doute pas, que mon jour de glaire est arrivé) puisque c’est les yeux fermés ou plus exactement scotchés par un ruban de sparadrap dont les trous minuscules simulent les bouches aérées des chaussures adidas que je cède à ses maléfices ; in extremis comme toujours, le fond du cul rongé longtemps par le (…)

Jean-Claude HAUC

l’oreille m’ensaigne quand l’œil m’épleure et le risque du corps sans orgasme repéré, classé, littérentouré. Je ne marche bien qu’à reculons écrevisse dans le discours biblique, les classiques latins, Jimi Hendrix, l’underground, l’interlope, la préciosité d’antan et la débilité de notre temps. Ou sur le côté crabe en rut. Alors oui, arde le groin au musée des orœils. Les ronrons longs, l’odeur du con. Donc, en blason : un derviche, une main ouverte vers le ciel et l’autre vers la terre, tournant sans fin (…)

Alain ROBINET

Gérard DE CORTANZE

(…) Territorios palùdicos de parálisis infantil puisque l’organum ne rêve pas mais chie sa mort. D’abord il y avait le silence. Le silence des doigts et de la langue (ser animadizo que se cuelga) puis comme son trou d’intestins et d’œil. La distance. Oui. la distance du d’abord le silence au silences des doigts et de la langue. Un déclencheur. Le déclenchement ou plutôt sa nécessité organisée de parole et d’eau, de silence de parole et d’eau cherchant l’instant de la maladie. Bien sûr l’anus, (…)

Charles GRIVEL

la dure-mère Blanc. Gris. Surface intérieure et résistance. C’est également une coupole surmontée à travers le feuillage, rue Pierre Loti, à Istamboul, par-dessus le Divan yolu. C’est également le fracas des tracteurs en train de retourner les miettes. (Des effets lointains d’une émission télévisée sur les réalisations encourageantes de la République Socialiste Soviétique de Mongolie extérieure : ils sourient tous, à Gobi). Comment j’écris ? Oh ! ce n’est guère qu’une fraction de seconde ; aucune constance (…)

Marc ROMBAUT

(…) j’écris ce qui ne s’écrit pas je provoque de terribles rencontres entre les mots chut excepté le samedi je reçois Vénus et Junon Hölderlin en fuite Berlin c’est mercredi avec François j’écris à l’ère des ruptures de sens avant/après une promenade sans but & j’écris entre les restes de Marinus et Marina j’écris que je fume l’opium des lettres évidemments Alain Robbe Grillet en fuyant filmant « Glissements, etc… » n’oublie pas la sensualité ce 2 octobre 1979 enfin l’été bonne (…)