transcription : Marie-Valentine Martin
Relecture : C. de Trogoff & L.L. de Mars

©Marie Léonore Vachey

L'ensemble que nous avons appelé Ensemble orange comporte une série de nouvelles, poèmes, essais, groupés par M.V. dans une même pochette, sans titre, liés par le même motif coloré, de façon plus ou moins explicite. Si la couleur est un élément crucial du processus d'écriture comme des éléments d'articulation plastique, narratif et sensible de ses textes d'une manière générale, c'est dans la série des textes de 1980 à 1982, essentiellement des nouvelles, que cet aspect de son travail est le plus sensible et évident. Cet Ensemble orange en donne un aperçu.

  1. Orange
  2. Pour Kim et non-Kim
  3. Sud 2
  4. Vers l'orange noire

Orange
(tapuscrit inédit, 30/08/83)

les hôtesses d'Air-Inter sont en danger

le carmin lisse le sang sec vers des pétales s'écrase le lavabo du crime flamboie maintenant doucement aux rideaux cramoisis

le rose n'appartient qu'aux roses

pourquoi l'orange nous irrite, nous révulse, nous retourne le cœur et l'estomac jusqu'au désespoir d'une fureur mate et matée?

couleur qui désormais symbolise, le plus la chimie, qui est la réalité plastique de la vie moderne par-delà toute considération philosophique et politique, la marque familière obsédante de l'industrie réductible à sont émergence dépourvue d'art, au côté «pratique» et à la vente

quelle personne, sans ridicule, sans encourir le mépris des idéologies d'urgence, aurait pu dénoncer comme terrible cette invasion orange, l'obscénité objective d'une expansion?

orange, tout le surgissement pur d'une techno-chimie, le consentement pur au pur produit, la terreur qui ne terrorise plus, la mort tiède dans ses formes ustensilaires et ses enduits publics, l'homogénéisation licite des regards

pourtant des fleurs, des animaux magnifiques sont orange, mais leur beauté vivante et totale ne se décompose pas

même avant l'oppression orange moderne, ici l'homme ne portait pas couramment l'orange

est-il des couleurs qui se transfèrent difficilement, s'accueillent mal ?

oui, selon le lieu et les gens, l'époque

il faut aussi pour certaines couleurs, beaucoup plus qu'avec d'autres, une manière de les porter (indépendamment des rituels qui ont leur grâce, ou un formalisme qui transforme tout)

violet amoureux, ecclésial, si laid ou kitsch lorsqu'il peint la façade d'un magasin, quand il pare l'inélégance, si fade ou triste en habits de la vieillesse féminine

violet, mauve, voue réussissez à faire peur aux peintres

entre le rouge sombre et l'orange, le vermillon, un rouge-jaune intermédiaire (on pense moins au jaune qu'à la proximité nauséeuse de l'orange), un rouge effectivement rouge, réel et vraisemblable, sans splendeur, visible comme serait visible n'importe quoi, la vie qui repousse ailleurs l'abomination et la joie

le vermillon est là, sans preuve ni épreuve, tombé des fleurs et du feu, au bord de l'orange, comme une irritation à vaincre, un glissement à empêcher, le contraire de la tentation, en somme

ici, orange désigne l'aspect chromatique du meurtre « en commun », l'absence de la communauté, sa présence brute, son indifférence la plus pâteuse, l'une de ces négligences fondamentales qui n'ont pas de nom, ni d'intérêt politique malheureusement heureusement.

L'Incendiaire des Méharis.