Numéro 9 (1977))

Il n’y a d’avant-garde qu’en revues, l’expérience de TXT le prouve.

par Christian Prigent

TXT

Dès 1969, TXT fait de la fiction son objet. Il s’agit d’en finir, dans l’écriture, avec la « poésie », considérée comme refuge de l’intériorité idéaliste. Ensuite : printemps 71, TXT-« Ponge » (l’édito affirme l’enjeu politique du travail littéraire) ; automne 71, phase de radicalisation politique : TXT N° 5 (critique de l’idéologie « carnavalesque » ), publication de bulletins d’agitation ronéotés (TXT-Rennes, TXT-Belgique) intervenant politiquement sur les questions culturelles locales (universités, Maisons de la Culture), articles sur l’avant-garde (Guyotat, Roche, Sollers) dans la presse d’extrême-gauche (Politique-Hebdo). Rapports avec les maos à Caen, Rennes, Bruxelles. Les difficultés surviennent vite. Premier temps : éclatement du groupe, suspension de la revue, adhésion à des groupes maos sur la base du principe : « Il n’est d’avant-garde que politique ». Deuxième temps : la poursuite d’une activité littéraire et/ou picturale (Support/Surface et ses suites) entraîne des conflits avec les maos : divergences de fond et heurts violents (nous en ferons état dans un prochain numéro) sur la lutte idéologique et culturelle, la question sexuelle, le freudisme, Staline, etc. Nous quittons un à un ces groupes. La revue repart en 74 (numéro sur l’« écriture qui tue » de Denis Roche [1]). Objectif : étudier ce qu’il en est du rapport d’accord/écart entre une littérature et une peinture dites d’avant-garde et les processus révolutionnaires actuels dans leur nouveauté et leur diversité.
Le groupe se reforme sur ces bases, avec des écrivains (Verheggen, Novarina - « le Babil des Classes dangereuses » dans TXT-8 , le Falstafe joué à Marseille par Maréchal), des peintres qui sont aussi des écrivains (Boutibonnes - Long Os, dans la collection Génération -, Busto - Les Progrès de la Mécanique, chez Oswald, dont Roland Barthes saluait, dans Art Press N° 2, le travail de graveur) et la collaboration de peintres comme Arnal, Dezeuze, Meurice, Viallat, etc.


La fiction et comment

Sur le fond d’une question politique, la fiction a une place centrale. Pour nous, le choix n’est pas entre une (apparente) radicalisation pulvérisée de Finnegans Wake, un cut-up parkinsonien dissolvant toute fonction symbolique, et la fixation « réaliste » sur des stéréotypes archaïques ou des vignettes exotiques (chinoises ?) sous prétexte d’exigence militante. Nous disons que toute langue est étrangère et que la question c’est : quelle langue parler, quelle régulation symbolique défaire et refaire autrement dans la vaste déconfiture de ce qu’on appelle pudiquement les « valeurs » de l’Occident bourgeois ?

Il faut une langue qui fasse sens, qui véhicule du sens critique, militant, trouant les antiennes humanistes, le lyrisme mouillé, la répétition gâteuse d’énoncés ecclésiastiques (fussent-ils « marxistes »). Mais, sauf à bloquer toute jouissance, il ne faut pas que ce sens se paie d’une exclusion du corps, de la pulsion et de ses rythmes, de l’inconscient, - soit de ce qui, distendant tout lien social, pousse à la production du « nouveau », reflet actif de ce qui travaille le corps social tout entier. L’écriture d’avant-garde, c’est cette pratique de la langue telle qu’en elle-même enfin le corps la change, bouleversé qu’il est par les crises sexuelles, idéologiques, politiques qu’il traverse. Ce qui se publie à TXT veut être la caisse de résonance de ça, son reflet bousculé et en même temps l’indice d’une résistance aux retours ossifiants (thèses, académismes, réactions morales ou esthétiques) qui tâchent à rétablir un consensus fondé sur le refus brutal de toute transformation des données politiques et symboliques (ce refus, on le sait, fait le lit du fascisme).

Christian Prigent, "Les Nouvelles Littéraires", (Dossier Avant-garde) - 22.10.76.




[1] ici , ndr