L.L. De MARS
Dix paroles

Cet ensemble de dix poèmes a été rédigé pour la plus grande partie en 2001. Certains d'entre eux sont toutefois de vieilles membranes rechappées (Chanson, Adultère). Ce sont plus ou moins des commentaires de la Loi. Plus pour Loi, moins pour commentaires.
Remaniés en 2004, ils constituent une série de chants parlés qui a fait l'objet d'un travail sonore avec le trio BoDoM (Olivier Mellano : guitare, Régïs Boulard : batterie, L.L. de Mars : voix) et que j'ai décidé, pendant quelques années d'enterrer. Mais ils sont toujours là, dans un tiroir, et je n'ai aucune envie de chercher un éditeur pour eux ; d'une part, je n'ai pas la moindre idée de ce que valent ces textes. D'autre part, je n'ai aucune envie d'avoir une conversation avec un éditeur de poésie. Alors les voilà dans le Terrier, c'est-à dire nulle part.

 

I. - Origine II - Quatre morts
III - en vain son Nom IV - L'arbre de Shabbat
V - Chanson VI - Le sac
VII - Le vol VIII - adultère
IX - Faux témoignage X - Des anges


IV - L’arbre de Shabbat



Je n’ai plus peur. Plus
c’est le dos moulé à l’herbe dure tondue
(un dessin de jardin, superposable à tous,
film sur film, allées, bosquets
vague mobilité des transats, ballons, nématocères s’il y a de l’eau,
cétoines, punaises, pièces usinées poussées du doigt sur la carte du parc)
je me laisse écraser par
l’ombre bleue, chargée, d’un arbre
extrait d’une encyclopédie, planche numérotée ployée que font siffler
des coulées d’air chaud
sous l’influence des inégalités d’absorption de l’énergie provenant du rayonnement solaire apparaissent des différences de température qui modèlent le champ de pression et le vent fait tourner la page,
que je retourne,
c’est la vitesse du déplacement de l’air merde ma vue se brouille sous le soleil plombé qui blanchit page et rétine.
Je saute une ligne, puis deux cent
pages,

et c’est à V encore,
Ville essaimée des parcs semblables à celui-ci.

On se plombe pour pas dire là et c’est le vent encore,
arbres insectes mouvements des balles etc.
L’abandon du poème ici,
je vais camper
jusqu’à la fin du jour,
fleurir une anthologie,
me recueillir devant une grammaire, on va
pouvoir s’entendre Bill Bee, il y a aussi un P
pour Poème et des tas de trucs du genre.
Allons me perdre avant la tasse
et comme on est lâches, on finira debouts,
fin du livre et début de la cantine,
plantés, tous les cent mètres un poète,
borne décorée du parc d’attraction sans limite;
lâches on imaginera
pas limites, pas dehors, pas extérieur,
jouera les mouches engluées
et irresponsables, les parasols du parc.
Nous y voilà.

Si vous êtes deux à m’écouter,
ça fera une plus une plus une autre encore bouillie interprétative
et il n’y aura pas de poème, tenez-vous à la rampe mon vieux,
qu’est-ce que je disais? Il n’y aura pas de poème, hé non, juste trois couillons à la recherche du sens.
Si vous êtes dix à m’écouter
nous serons un
plus un
plus un
plus un
plus un
plus un
plus un
plus un
plus un
plus un
plus un autre à porter le deuil du poème et nous bénirons la salle, hosanna!, où s’étouffe l’oraison.
(ouais ouais, ça sera pas si mal que ça au fond, on sera dans le bain, on aura chaud)
Le poème en famille, le cirque et la roue, le tricot lexical dans le bouillon de culture ou
le poème en selle, ça oui pour du spectacle c’est de la bombe mon colon,
ça vous fixe une dérive à
Hollywood,
Cinecitta ou le Père Lachaise mais entre gens du monde, non?
On va tellement s’aimer. Tellement m’aimer. Vous allez s’aimer?

D’aussi loin,
je me souviens plus où ça a commencé, moins encore quand a fondu
le désir que tout s’arrête,
c’est parti.

Je me suis enfilé dans le psautier communal,
et Il jugea que c’était bon.
Rock pas assez thesaurus encore quoique, ou poème pas assez swing on a le public
et la dignité de sa fonction. Moi je campe.
Toutes les laisses sont parfumées, Kiki ignore la longueur de la sienne.
Je sens déjà dans ma bouche le goût mouillé
de fruit qu’aura celle pour me pendre.
Une paire de chaussures de marque «essentiel»
Un parfum dont le nom est «unique»
Un froc épinglé «absolu»
Une belle tête de con derrière mille fois le concept et trois poètes qui tricotent
en public les nouvelles manchettes métaphysiques:

a) la motte. Un vrai filet de vrai, oui, pas des pins parasols d’encyclopédie, lui,
des verts,
avec les petites aiguilles dans le cou et tout
ça, Bretagne ou Provence
ventriloque à fourguer de quoi vous donner du contour (agiter la langue des morts)
dans les élans empingouinés pour patronesses du peuple ému

b) L’organe. Du solide, du choc, du bingo dans la pâtée, des convulsions assurées
pour le divan comme pour la scène pour nous booster l’empathie à peau de balle
l’entrée en salle, ligne droite
de Maldoror à la charcutaille, on frisse

c) Boum boum. Chemise et couture. Tech.
Le fil. L’étiquette. Neutre la voix, neutre, c’est là l’effet, sans autre cause. Tech te dis-je, donc.
La manche, plus loin. Dans la main, la cigarette. Neutre bordel. Winston. Le papier. Machin. Le tabac. Machin. Le cendrier. Truc. C’est l’hypnose, il en faut bien pour la jeunesse aussi du poème, on va pas décorer que les pissoirs gériatriques! Du sujet? Bah! Pas, a pus, fini, tout, est lissé, pour la piste, sans regret.

Fuyez le poème qui vous est lu,
courez dans les bibliothèques, ensevelissez-vous
et si je vous dis que je m’en sors pas si mal,
me croyez pas, lapidez-moi et chiez sur le tas de pierre.
Je fatigue même plus. Quand on commence à bander à vide, tout se creuse, l’horreur vous arrête pas, ni l’ennui, ni la paresse, ni le crime partagé.
Je me laisse remplir de merde par tous les trous de l’agonie sucrée. Car tout, tôt ou tard, est appelé à devenir chansonnette.

 

J’adore, j’adore tous les métiers. Oui. J’adore; maîtres et ouvriers, tous artisans admirables. La main à plume vaut la main à charrue. - Quel siècle à mains ! - Elles sont toutes, oui, toutes. Adorables. Après, la cordialité mène loin, j’adore. L’honnêteté de la mendicité me tire des putains de larmes. Les solitaires dépriment la convivialité : moi, je suis ouvert, et ça m’est favorable.