L.L. De MARS
Dix paroles

Cet ensemble de dix poèmes a été rédigé pour la plus grande partie en 2001. Certains d'entre eux sont toutefois de vieilles membranes rechappées (Chanson, Adultère). Ce sont plus ou moins des commentaires de la Loi. Plus pour Loi, moins pour commentaires.
Remaniés en 2004, ils constituent une série de chants parlés qui a fait l'objet d'un travail sonore avec le trio BoDoM (Olivier Mellano : guitare, Régïs Boulard : batterie, L.L. de Mars : voix) et que j'ai décidé, pendant quelques années d'enterrer. Mais ils sont toujours là, dans un tiroir, et je n'ai aucune envie de chercher un éditeur pour eux ; d'une part, je n'ai pas la moindre idée de ce que valent ces textes. D'autre part, je n'ai aucune envie d'avoir une conversation avec un éditeur de poésie. Alors les voilà dans le Terrier, c'est-à dire nulle part.

 

I. - Origine II - Quatre morts
III - en vain son Nom IV - L'arbre de Shabbat
V - Chanson VI - Le sac
VII - Le vol VIII - adultère
IX - Faux témoignage X - Des anges


II - (en vain son nom)

Moshé fait paître les moutons de son beau-père près de l’Horeb (l’autre nom du Sinaï)

traduction: tob
L’ange du SEIGNEUR lui apparut dans une flamme de feu, du milieu du buisson. Il regarda : le buisson était en feu et le buisson n’était pas dévoré. Moïse dit : « Je vais faire un détour pour voir cette grande vision : pourquoi le buisson ne brûle-t-il pas?» Le SEIGNEUR vit qu’il avait fait un détour pour voir, et Dieu l’appela du milieu du buisson : « Moïse! Moïse!»

Comment lire ça?
Toute parole est un buisson ardent?..
C’est, disons, brutal, rapide, mais on touche
à l’image. Une image réduite
en faits,
en un assemblage de faits,
n’est plus une image.
Touchez le composant, distinguez les opérateurs et perdez à jamais le système.
Pourquoi toute parole? Toute.. On va le dire autrement. Je procède de ma parole.

traduction: Segond
L’ange de l’Éternel lui apparut dans une flamme de feu, au milieu d’un buisson. Moïse regarda; et voici, le buisson était tout en feu, et le buisson ne se consumait point. Moïse dit: Je veux me détourner pour voir quelle est cette grande vision, et pourquoi le buisson ne se consume point.
L’Éternel vit qu’il se détournait pour voir; et Dieu l’appela du milieu du buisson, et dit: Moïse! Moïse!

Non, pas de ma parole, étendons-ça au silence : le buisson brûle avant que la voix ne jaillisse. On peut supposer qu’il brûlera encore après elle. Mais Dieu dispose d’une infinie variété de manifestations (disons dix, pour faire court; après, est-ce encore la peine de compter?) et moi d’une seule.
Est-ce si sûr? Votre entendement n’est-il pas une de mes manifestations? Je procède de la possibilité de la parole,
merde pourquoi autant de pudeur à dire: je procède du langage? Du langage?
Ok. Je procède du langage. Autre chose dans ce buisson?
Brûle sans se consumer...

Traduction: Jerusalem
L’Ange de Yavhé se manifesta à lui sous la forme d’une flamme de feu jaillissant du milieu d’un buisson. Moïse regarde: le buisson était embrasé mais ne se consumait pas. Il se dit alors «Je vais m’avancer pour considérer cet étrange spectacle, et voir pourquoi le buisson ne se consume pas». Yahvé le vit s’avancer pour mieux voir, et Dieu l’appela du milieu du buisson: «Moïse! Moïse!»

Celui qui l’énonce est l’aliment de ce foyer, la vie même, il en est la source vivante, il est aussi brûlé par elle (mais pas consumé). Ouverture et fermeture. Gain et perte simultanés. Peut-être un peu de «l’expérience de l’éternité» de Spinoza,
peut-être. Il y a là-dedans un subtil mélange de pathétique - une parole me donne ET me réduit - à l’oeuvre dans le discours,
et le continu du sujet au monde qui se propage à la société des hommes...

Traduction: Osty
L’ange de Yahvé lui apparut dans une flamme de feu, du milieu du buisson. [Moïse] regarda, et voici que le buisson était brûlé par le feu, mais le buisson n’était pas dévoré. Moïse se dit: «Je vais faire un détour pour voir ce grand spectacle, pourquoi le buisson ne brûle pas.» Yahvé vit qu’il avait fait un détour pour voir, et Dieu l’appela du milieu du buisson; Il dit: «Moïse! Moïse!»

Un peu de l’héroïsme aussi à se donner à elle, juste là-dedans,
le buisson ardent.
Peut-être une certaine inconscience, dans le sens: suicidaire. Je referme le Livre. La traduction Osty fait une brique de plus à la pile des Bibles sur le bureau, et que reste-t-il de l’image? Une fois entamée, qu’est-ce qui pourrait rompre l’exégèse? Brûler la bibliothèque?
Je pourrais aussi sous-estimer l’image, me soupçonner de lui en ajouter d’autres, je le pourrais,
oui: mais quoique je dise, elle les a suscitées. Je n’attendais qu’elle, il ne manquait plus qu’elle pour que les miennes apparaissent. Les contenait-elle plus précisément qu’une autre image?

Traduction: François Bon/Walter Vogels (pour la Bayard)
Le messager de yhwh se fait voir à lui dans une flamme de feu au milieu du buisson. Il voit, et voici: le buisson brûle de feu, mais le buisson n’est pas consumé. Moïse dit: Que maintenant je fasse un détour pour voir cette grande vision: pourquoi ce buisson ne brûle pas? Yhwh voit qu’il fait un détour pour voir, Dieu l’appelle du milieu du buisson, il dit: Moïse! Moïse!

Ce n’est pas la source de la parole que je vois: fixer les contours des flammes
et les perdre sans cesse. La parole enveloppe qui l’émet, le rend indistinct, fait voir à travers son chatoiement en quoi l’un et l’autre sont insaisissables.
Le sentiment d’irréparabilité va croissant
à mesure que j’essaie de substituer au buisson ardent d’autres images.
La littéralité de Dûrer m’avait choqué, et fait marrer un peu même : une colonne dorique surmontée d’une flamme rigide pour la colonne de feu.... Bon sang, quand même... Mais tout bien réfléchi, seule la littéralité peut rendre de l’image le mystère qui y travaille; intactement, la littéralité redonne le mystère, voilà tout.
Dieu procède-t-il de sa parole? Dieu est-il insaisissable à lui-même?

Traduction: Chouraqui
Le messager de Adonaï se fait voir à lui dans une flamme de feu au milieu du roncier. Il voit et voici: le roncier brûle au feu mais le roncier n’est pas mangé! Moshè dit:«Je m’écarterai donc, que je voie cette grande vision. Pourquoi le roncier ne brûle-t-il pas?» Adonaï voit qu’il s’est écarté pour voir. Elohîm crie vers lui du milieu du roncier: il dit: «Moshè! Moshè!»

 

 

 

 

Prenant pour seuls artistes les dociles brouteurs de pistil
qui font vert dans ces jardins-là - car il en est pas mal dans
tous les châteaux de cartes
qui broutaient moins les jours de paye
plus dans l’avant-veille d’expos rallyes sonores ou brouettes vidéo,
elle croyait avoir été trompée sur la came poétique quand elle avait tout peint
à la main et seule à la palette. Rien dehors
puisqu’elle avait pas dessiné, dehors.

À mesure que se dissolvaient les images de l’album,
sa peau voletait en esquilles plates, pellucides,
tourbillon moelleux balayé le lendemain, comme tous les mardis
par Simone, dans son appartement.

Ravage, oh ravage et banderoles
hé ma-ma les images
faudrait pas entasser