QUELLE HEURE ÉTAIT-IL?
ou quand le district de Rennes se donne des frissons d'esthète

Cette pièce fut présentée dans le cadre de "À vos arts", vaste opération publicitaire destinée à redorer le blason terni d'un district ayant depuis toujours méprisé l'art contemporain et voulant se faire à très peu de frais une réputation de dynamisme culturel.
Un programme alléchant parvint sans peine à rassembler assez de jeunes artistes trop heureux de pouvoir montrer leurs travaux dans ce no man's land artistique...
Vue générale de la pièce "Quelle heure était-il?"
C'est en révassant naïvement sur les 15000 frs d'aide à la création mis en jeu dans le concours dont cette manifestation était prétenduement le but, que j'ai décidé de participer à l'aventure. Je me propose dans ces pages de vous parler simultanément de cette pièce et des circonstances curieuses dans lesquelles elle a pu voir le jour. Pour commencer, je vous invite à lire le texte ci-dessous qui en accompagnait la présentation.

carton réalisé pour accompagner la visite de cette piècea) La déchirure épistémologique raccordée par Leonardo entre les Arts s'est reformée dans nos musées: le musée de la Specola où sont conservées les magnifiques céroplasties anatomiques de Zumbo est séparé par un fleuve, l'Arno, des grands musées où s'observe l'invention du corps par les maitres de la Renaissance Florentine ; Il faut le temps de l'histoire pour réparer ses fautes: nous sommes condamnés, comme les enfants de Saturne, à être avalés par le mensonge nécessaire de notre origine.

b) Si la pratique de l'art invente pour l'artiste les organes par lesquels il fera l'expérience du monde, il faut accepter l'idée que cette liberté est par la même offerte au spectateur: il ne peut donc se concevoir de subjectivation dans l'expérience esthétique sans la consomation d'un crime, celui de l'autre subjectivation qui s'abime dans le regard. On ne regarde au fond que l'oeuvre d'un mort.

c) L'idée qu'une oeuvre ne s'éleve qu'au moment où, quittant l'anecdote contingente qui la fit naître, elle l'engloutit pour se donner au questionnement éternel et aux généralités métaphysiques, est pour beaucoup dans le fait que nous visitons les expositions de nos artistes vivants comme des musées. Elle explique aussi que notre goût pour les commémorations dépasse de loin notre bienveillance à l'égard de ceux que nos descendants devront à leur tour commémorer.

d) La première invention d'une oeuvre d'art fut l'utopie la plus serrée du sujet, le corps de l'artiste, et c'est ce qui rend possible la même territorialisation pour le spectateur et qui invalide du même coup la tentation biographique ou l'enracinement historique. Dans la consommation de ce rendez-vous éternellement manqué, il est bon de s'arrêter un peu pour se demander en quelle compagnie nous regardons les images (car il n'y a que des images). De quoi les faisons-nous précéder pour les voir, quels organes avons-nous le courage d'inventer pour elles?