Oolong
Hôtel In Pace - I -

Ce roman est feuilletonné à l'occasion de sa publication dans Le Terrier.
Voici la première partie, présentée aux lecteurs le lundi 28 aout 2006.

Vous pouvez en télécharger une version imprimable (pdf) ICI.


 

 

« Quand l'arbre pousse, ce n'est pas pour fournir une habitation aux oiseaux. L'oiseau est le parasite de l'arbre, comme les humains sont les parasites de la maison. L'édifice que je crée a son sens en lui-même ».

René Daumal, La Grande Beuverie

pas encore – pas complètement – parvenu en haut des – ils – un pied – l'autre – une marche – ils – les escaliers sous mes pieds – je leur marchais dessus – me mettaient en demeure – me sembla-t-il en demeure – d'en finir – rien que cette fois – une fois de plus – finir de les gravir – à leur façon – me provoquant – à leur – ou alors moi – c'était moi qui –

j'avais – il y avait eu tout cet avant – c'était sa faute – je n'y étais pour rien – coupable autant qu'on veut – mais je n'avais rien voulu du tout – devenu moins que rien et c'était – c'était déjà bien plus que moi –

je n'avais pas peur – de ces marches à franchir – de nouvelles marches encore – c'était un moment où je n'avais plus peur – auparavant oui – des causes de peur – il y en avait eu – me poursuivant jusqu'ici – mes Erynies – Tisiphone en tête – dont on ne parle jamais – dont on ne prononce le nom – à croire que non – qu'elle n'a jamais – que tout le monde s'en moque – peurs – je n'en avais pas vu la fin – nombreuses – si nombreuses – peur de qui peur de moi – qu'avais-je fait – qu'allais-je faire – ? – mais en outre – une multitude – des généralités de peur – tout ce qui tremblait – par exemple – capable de me faire trembler moi-même – par sympathie & identification – minéral végétal animal tremblant me suffisait – pour la peur – mais – ces escaliers ne – tremblaient pas – j'étais – dans certaines limites – étroites – forcément étroites – rassuré par ces escaliers – bienfaisants fixes de béton gris – solides – pas de peur devant leur massive indifférence – morne – morose – morne matière des escaliers –

je n’avais cessé de ressentir à chaque pas les plus grandes peurs – y compris lorsque rien – objectivement rien – ne menaçait – durant mon voyage – dont ces escaliers formaient une étape – le but non – une étape – pas plus qu'une – étape – durant tout ce temps j’avais – eu encore plus peur – que ma peur elle-même – c’était là toute mon humanité – une grande partie de celle-ci – du moins – que l’homme ait peur – me disais-je – et en cela j’étais homme – oui – l’animal aussi a peur – et en cela moi et l’animal partageons la peur – et je suis de ce fait – sans cesse – partisan de mon animalité – mais l'animal fuit devant ce qui cause sa peur – il fuit – moi non – contrairement à l'animal qui a peur et qui fuit – contrairement à l’animal que je ne cesse d’aspirer à être – comme toute l'humanité ne cesse d'aspirer à une existence animale capable de fuir devant ce qui la menace sans jamais y parvenir totalement – je suppose – je ne cède pas à cette peur – je m’y soumets – je n'y cède pas – car ce sont deux choses – différentes ce me semble – et celui qui se soumet – celui là est encore libre – à mon avis – totalement libre de céder en plus – et que celui qui cède – celui qui cède – de celui-là je ne sais rien –

c'est ainsi que je – pensais – comme ce serait bien de se guider sur la peur pour fuir toujours dans le sens inverse de la peur pour atteindre le plus lointain de la peur – mais non jamais je n'y vais – comme jamais nous tous – jamais nous ne nous fuyons – mais nous résidons dans la proximité de la peur – jamais nous ne nous reposons – nous n’avons pas ou le quotidien ou la peur – mais tout à la fois la peur et le quotidien – la vie constante dans la peur – je l'ai accepté – comme nous le faisons tous – l’acceptons – je crois – pour ce que j’en sais – j’y ai pas mal réfléchi – tout de même – à la peur –

je joue avec – la peur je ne l'abandonne pas – pas plus qu'elle ne m'abandonne – tout en la prenant très au sérieux je joue avec – je la prends avec moi et la porte sur mon dos – et c'est jouer – l'abrite tout en continuant à avancer et à me diriger vers ce qui cause la peur – c'est encore jouer – comme mes semblables – je le suppose – jouent – avec leur peur – je n’en sais guère plus à leur sujet – et en me soumettant dans ce jeu – je n’échappe pas à son emprise – mais – au contraire – je m’enfonce en elle – volontairement – je m'en revêts – je me jette dans ce qui me menace – comme nous le faisons – tous – de telle façon que la peur devient le compagnon le plus proche – et le plus fiable – le compagnon sur lequel compter sans réserve – peur amie ma peur – ma peur mon amie – ma peur qui m’évite – une plus grande peur – ou alors la mort – la mort tout court peut-être – la mort qui serait au bout de la peur – ou seulement une peur plus grande que la mienne – il n'y a pas l'absence de la peur ou sa présence – mais des peurs – rien que des – peurs – plus ou moins fortes – voilà –

et tandis qu’encore j’y réfléchissais – que je montais ces escaliers de béton – que je me tenais encore au milieu de cette volée d’escaliers que je montais laborieusement – souffle court jambes raides pluie fondue de tout son poids dedans mon manteau portant avec lui ces restes de ciel – dernier avatar d’une lutte – dernier au sens de plus récent – pas du tout au sens de ce qui viendrait finir la série – de cette série je n‘espérais pas la fin – comme nous tous n'espérons – jamais la fin d‘une telle série – l'idée même de cette fin étant ce qui nous terrorise le plus – l'insupportable – plus récent avatar de la lutte entre moi et le chemin – lutte menée depuis plusieurs jours – pour avancer – pour commettre l’un après l’autre les pas – avancer – pour concevoir et exécuter ces pas – ensuite pour ranger ces pas dans les étagères correspondantes de ma conscience – n’en oublier aucun – je ne veux jamais rien oublier – ni de la peur ni des pas ni des escaliers – sans gaieté de cœur – mais comme je crois l'avoir dit dans la peur – lui aussi – le chemin – moi aussi – la peur – suspendue et retenue sur les marches de ces escaliers – tandis que je n'avais pas encore eu le temps de reprendre mon souffle – pas encore eu la moindre occasion de me remettre de ce froid – mortel – qui m’avait transi durant les heures et les jours où il avait pesé sur moi si bien que je n’avais d’autre choix que d’avancer – alors que je me tenais ainsi entre le haut et le bas de cette volée d’escalier – d’un coup – sans même me saluer – de la plus cavalière façon – comme le font toujours ces individus – le réceptionniste prit la parole –

le réceptionniste que je n'avais pas encore – différencié des escaliers – pourtant planté là – par-dessus eux – mais mon âme – les tenant pour une seule et même chose – l’escalier le réceptionniste le même – et cette chose – provoquait l’essoufflement oui – la peur non – et cette chose parlant par la bouche du réceptionniste – pour aussitôt – cette mise en garde – je n’avais certes rien – non rien – demandé –

ils mentent tous – de quoi qu'ils vous parlent et dès qu'ils vous parlent – vous ne devrez jamais les croire – leurs affirmations – la moindre de leurs affirmations – méfiance – ce que vous devez faire vous – méfier – les écouter attentivement vous le pouvez – les écouter avec beaucoup de concentration même vous le devez – vous n’avez pas le choix – les entendre – car votre vie en dépendra – de les avoir entendu – mais contentez vous d'exécuter leurs ordres – réagissez-y – sans réfléchir ni hésiter un instant – jetez-vous aussitôt dans l'exécution de l’ordre – toute vie – chacune des vies auxquelles on peut penser – en dépend – mais retenez vous de jamais écouter plus au-delà ce qu'ils disent – ce qu'ils vous disent à vous d'une part – ce qu‘ils disent en général d‘autre part – jamais – d'en croire un mot jamais – comprenez-vous cela – ce que je vous dis – le comprenez-vous – ? –

je ne sais si je compris – avançant plus lentement – pour réfléchir – à ce qui venait d’être proféré par ce – ce réceptionniste – semble-t-il – s’adressant à moi – teint pâle – visage sans rien – que pâle – autant que le mien – en face de lui – deux pâleurs – de plus en plus près l'une de l'autre – pâles – m’arrêtant en face de lui devant lui titubant face fixe – me parlant – sa mise en garde – moi pas – pas encore – me taisant – pas assez de souffle – pas assez de force pour le frapper – un grand coup – cette tête pâle – et puis recommencer –

j’aurais aimé ça – un grand coup – et qu'il se taise – qu'il n'ait jamais parlé – recommencer – que d’abord il me salue – comme un visiteur – comme ce que j’étais – pas seulement le quidam sur les marches – qu'on interpelle – mais encore – le visiteur – et qu'ensuite ensuite seulement nous deux pâles –

mais non en face moi l’écoutant et – secouant ma tête – de ce geste de ceux qui secouent leur tête pour ramener en arrière de longs cheveux – ce geste que je trouve si beau – mais moi pas – ce geste ridicule – complètement ridicule – avec mon crâne rasé – mon crâne aux cheveux courts tondus – depuis si longtemps que ce geste – le geste de secouer la tête – n’avait plus de sens – mais en même temps ce geste – me déséquilibrant – menaçant le peu d’équilibre que déjà – que toujoursdéjà – le manque d’équilibre que la marche – n’avait pas arrangé – la marche – et tendant alors au devant de moi – une main – une poignée de doigts roses – une poignée molle de mous doigts – roses – plutôt rose-sale – devrais-je dire – plutôt dégueulasses en fait – ou alors c’était – ou alors seulement de la faute à la lumière – je ne sais pas – avec cette pluie – toute – cette pluie – ma main tendue pour – explorer le monde – au hasard tendue – pas pour saisir d’abord mais – pour sentir – sentir le monde à bout de doigts – aussi loin que mes doigts – autant que possible depuis mes bras – grands gestes – faibles – je nageais – appui ténu sur l'air – puis saisissant – puis attrapant – avec assez de fermeté – avec plus de fermeté que je ne m’y serais attendu à ce moment – tant la fermeté ne nous dit pas – ne nous indique pas ce qu’elle est – où elle est lorsqu’elle – lorsqu’elle est ferme – lorsqu’elle se referme – sur nous – et là la fermeté – dans le bout de mes doigts – dans mon bras – la fermeté – pour attraper l’autre main – la seule autre main présente à ce moment – la main du réceptionniste – qui lui aussi – qui de la même façon – saisit ma main – que je lui ne lui avais pas tendue – mais – que j'avais seulement portée au devant de moi – qui avait rencontré la sienne – ma main – il la prit – et avec elle me retira – mon envie – mon désir de le frapper – et ma capacité à la frapper – ceci expliquant cela – ceci expliquant toujours – peu ou prou – cela – bien triste – mais – la main prise et plus moyen – de lui administrer une correction – ou alors avec le pied – dangereux – mon peu d'équilibre – interdit le high-kick – dommage – plus moyen le coup – qu'un instant à peine auparavant – je lui destinais – la seule chose à laquelle j'avais pensé – en pensant à lui – le frapper – j'y avais peu pensé – tout de même cela – le coup – et puis non – la main – sa main prenant la mienne qui passait au devant de lui – et lui de sa main serre – la mienne – sans la serrer vraiment – j’exagère – je ne dis pas qu’il n’en avait pas l’intention – mais il faut bien reconnaître que non – il ne l’a pas serrée en vérité – il l'a maintenue dans la sienne – maintenue – maintenant – bloquée – rien que ça – sans plus – sans refuser – ce contact – physique – le premier entre nous – le premier depuis déjà – depuis longtemps pour moi – depuis – la pluie – mais la pluie pas comme – pas de la même façon qu’une main – non –

je voudrais – (moi) – et je m’y repris de nouveau – avant tout – comprenez-moi bien – faites l’effort pour bien l’entendre – je ne voudrais que – seulement – dormir – une chambre pour – dormir – ces problèmes – ceux-là – vous les avez agité devant moi – ces problèmes ne me concernent pas – ils ne m’ont jamais concerné – et ne me concerneront – ne me toucheront jamais – jamais autant que votre main – je vous remercie de me prodiguer – de m’ensevelir – car une telle prodigalité est toujours comparable à un ensevelissement – et on ne dit jamais – ce que vous venez de me dire – des choses telles – on ne les dit jamais que dans l’espoir – dans une tentative – d’ensevelir l’autre – en dessous – de l'en recouvrir – je le sais bien – je vous remercie de me prodiguer dans l’ensevelissement – vos conseils – qui ne me regardent pas – je comprends – même si je ne veux pas en entendre plus – je comprends au plus haut point – leur importance – je les comprends si bien que vous n’avez sans doute jamais – sans doute jamais même en rêve – rencontré personne qui les comprenne mieux que moi – je suis pour vos paroles – pour vos conseils abrutissants – l'oreille la plus qualifiée qui soit – l'oreille la plus haute – la plus ouverte – mais ils ne me concernent pas – et plus m’apparaît leur importance – plus m’apparaît aussi qu’ils ne me concernent pas – et ne me – ne me concerneront – à vrai dire jamais – au point qu’il n’aurait pas fallu – que vous n’auriez pas – jamais – même dû me les adresser – ce qui est fait – ce qui – je vous – remercie – une nouvelle fois – ce qui est fait – je suis – il vous faut l’entendre – clairement – disant ceci – je titubais – et titubais de plus belle – moutonnais – ruisselais – fatigué – uniquement cela – à l’écart de tout conseil – de toute menace – de toute parole – que vous puissiez prononcer – la fatigue me protège – de ces choses – seulement – mais totalement – de la façon la plus complète – fatigué – et c'est – c’est la raison – de ma venue ici – sans cette fatigue – et sans moi avec cette fatigue – sans cet accompagnement devenu trop grand par la fatigue – je ne me serais pas – jamais – encore moins – vous ne m’auriez pas vu – je ne serais pas venu jusqu’ici – c’est pour cela – le pur hasard – lié à la fatigue – que vous me voyez – que je n’ai pas besoin de vos conseils – je suis arrivé – lentement – jusqu’ici – dans le seul espoir – insensé – inconcevable – dans le seul espoir qu’on sera à même – dans cet édifice – de me loger – de me trouver – je ne demande rien – rien d’autre et rien de plus – un lit – pas un beau lit – un mauvais lit – le lit que l’on voudra – le lit le plus étroit – celui-là – le plus défoncé – s'il le faut – celui-là – et pas un autre – un – un simple grabat – s’il n’y a pas mieux – mais cela que je veux – c’est ce que je veux – c'est – ce lit – c'est mon espoir – en venant ici – ce qui m'a conduit – poursuite du seul – lit – l'entendez-vous ? – mon seul – unique – qu'on me loge – qu'on me laisse – me conduise – dormir – est-ce trop ? – est-ce ? – dormir – fou ? – trop demander – seulement cela – seulement – un lit – ou dois-je – ou alors m’allonger – ici – pour votre plaisir – votre réjouissance – m'allonger là tout de suite – même si votre main – votre main me dit que – non – ce n’est pas le cas – que ce n’est – plutôt qu’ici aller – aller me coucher – aller m’effondrer plutôt – seule chose dont je sois capable – promesse de délectation – vrai plaisir – comme on rentre chez soi – épuisé – et puis aller – sur le sable – sur le – le sable de la plage ? –

je disais cela – je grelottais cela – plutôt – ce qui sortait de mes lèvres – ne ressemblait qu’à un tremblement – et plus le moins du monde – plus d’aucune façon – à une parole – je disais cela en agitant les mains – en agitant mollement ces mains avec au bout ces doigts encore – tellement – encore toujours aussi tentaculaires roses & sales – en direction d’une hypothétique plage – car je savais que de plage – pas – que de plage il n’y en avait – à vrai dire pas – de plage où s’allonger – mais rien que ce – rien qu’ici – ce bâtiment – et ce portier – ici – lui le – réceptionniste – celui qui m’avait – celui avec lequel l’histoire des mains – celui là qui un instant auparavant – tout cela avec les mains – comme il se doit –

il me – dévisagea – lentement – attentivement – me fixa d'abord bien au dessus de moi – là où je n'étais pas et – descendit – toute la hauteur – toute la distance – qui séparait cet au-dessus de moi – de mes yeux qu’il regarda – de mes pieds – de mes chaussures souillées – qu’il regarda – et jusque en-dessous de moi – le sol qui me soutenait – il l'explora – m'explora comme cela une fois – une première fois de haut en bas – puis en – rebondissant sur le sol – la nuque élastique – caoutchouteuse – son regard en retour du bas vers – vers le haut – comme il se doit – et peut-être – allez savoir – satisfait – de ce regard lent – qui avait coulé – de haut en bas – et retour –

son air – je vis son air changé – il y eut une modification dans son air – un air différent se colla – rejoint – fusionna – avec son visage – qui n’avait jusque là rien – qui ressemblât à un air – à peine un visage – si on y pense – et du moins le pensais-je alors – un air nouveau qui n’était plus l’air – que jusque là – l’air qu’il avait – qu'il n'avait pas – qu’il avait arboré comme absence d'air – planté sur lui par le milieu – mais un tout autre air – nouvel air – dans lequel je voulus voir – dans lequel je me mis à deviner – mais peut-être seulement à projeter – je dis deviner – mais ce que nous croyons deviner – nous ne faisons rien d’autre que de le – projeter – là où nous aimerions le plus – deviner – ce n’est que de la projection – ce n’est que de l’envie collée – clouée – qu’on force et pose – sur les choses – les chose qui elles rien – qui elles ne non – ne pas – ne plus – ne jamais – mais qui se tiennent – mais au lieu de cela en lui – je crus deviner – je voulus voir et je vis – exactement comme cela – de la compréhension – je ne dirais pas une grande compréhension – mais enfin – une sorte – d’entente – un peu – narquoise – franchement ironique – même – mais enfin – mais que celui qui me comprend – prenne cet air narquois – que celui qui parvient à me comprendre puisse – prendre cet air narquois – surtout s'il est en mesure de me donner une chambre où dormir pour la nuit – ce n’est pas mal – ce n’est pas – une chose – ce n’est – une chose – dont je pourrais lui en vouloir – d’un air qui en tout cas – et c’était bien la première fois depuis – depuis je ne sais pas – avant la pluie – en tout cas bien avant la pluie – la première fois qu’un tel regard – qu’on me comprenait en tout cas – oui – dans la fatigue –

le message entre nous était passé – comme on dit – avec cette remarquable économie de mots – si on y songe – et de gestes aussi – quoique de l’un comme de l’autre – de l’un comme de l’autre je ne serais guère parvenu à donner plus – de gestes ou de mots – le message était tout à fait bien – complètement bien – passé – cela avec fluidité – comme j’aime ce mot – même après la pluie – ce qu’il exprime liquide coulant – cela avait – parcouru un bon bout de chemin – entre nous – qui étions si proches par – par la distance – mais qu’on se tienne le nez contre quelqu’un d’autre – tout contre – n’a jamais garanti – qu’on se comprenne – se tenir collés à s’en gêner – véritablement entassés – n’est pas – n’est jamais – la garantie qu’une telle chose – une chose si formidable – et en même temps si déprimante – que de la compréhension – peut se glisser entre nous – non pas pour nous séparer – comme le font ordinairement les choses qui se glissent entre nous – mais pour – nous rapprocher –

par cela – cette compréhension – cette chose – fluide – fluidité – je le répète – il m'était sympathique en dépit de son attitude cavalière – de ces conseils qu’il avait cru bon de me prodiguer – cru bon ? – prodigués sans doute – conseils que je ne cessais de me ressasser – je ressassais toujours toutes choses – ne pouvant m’empêcher de les ressasser – telle ma nature que de tout – de chaque chose – devant moi dite – aussitôt s’emparait mon esprit pour la – ressasser – ce que je voulais le plus tenir à l’écart en particulier – comme ces conseils – me faisant à vrai dire horreur – cela justement sans fin le plus difficile – de l’écarter – et le plus souvent totalement – impossible – de ne le pas ressasser – de ne pas –

malgré son attitude – somme toute – à bien y repenser – grossière – il se permettait – s'était permis – en dépit de sa médiocre qualité de – de portier – réceptionniste – lui qui n’était que portier – s'était permis – il – comment avait-il pu – ? – avec ses conseils – sans doute à cause de ma mise – de ma mine – de cette loque de visage que je lui – présentais – moi aussi – ma mine – défaite bien sûr – il ne pouvait rien savoir – et mes soulier crottés – mais de moi – rien – il ne pouvait et n’avait le droit de conclure rien – de tirer aucune conclusion – il m’avait mis avec ses conseils – ses conseils dont je ne voulais pas – dans une situation pénible – que je lui pardonnais pourtant – et ceci même si lui – petit réceptionniste – portier de rien du tout – et pas moi – même si il ne m’avait pas – pas du tout au fond – accueilli de façon – pas du tout – convenable – ce dont je ne lui voulais pas – pouvant considérer – pouvant m’imaginer qu’il n’y avait là que – fausse rudesse – et au fond pudeur – et au fond signe de timidité de sa part – dont je ne lui voulais pas –

à moins que ce ne fut – comme cela m’est arrivé – m’arrivera encore – que ce ne fut qu’un stratagème – son sourire encore – son air entendu – stratagèmes – mais il n’en était pas – d’une certaine façon pas question – je ne voulais pas de stratagème – ni comprendre ni deviner – des mots en arrière des mots – des sens derrière – rien – seulement dormir – seulement espérer du repos – pour cela prêt – prêt au plus haut point – de toute mon âme à croire en – sa bienveillance – à mon égard – sa franchise – là – sur le haut désormais – sur le haut de la dernière marche de l’escalier – sur le haut de l’escalier que j’avais finalement atteint – et son air alors franchement devant moi – si près qu’un très bref bond – mais pourquoi se risquer à un tel bond – nous aurait projeté au contact – peut-être même pas un bond mais rien qu’un – seulement une petite toux aurait suffit à nous précipiter l’un contre l’autre – je n’en osais plus trembler – de cette menace de se – toucher –

son air après tout – à la suite de ce dialogue qui définitivement déjà nous liait – son air me parut alors assez humble – finalement assez humble – avec un certain débord d’humilité – tout à fait l'air qu’on imagine aux réceptionnistes dans les – bons hôtels – qu’on imagine lorsque comme moi jamais on ne les a vus – les réceptionnistes des bons hôtels – que de loin – qu'on s'en fait une vague idée – air de celui qui s’apprête – à remercier à s’excuser – l'un dans la même expression que l'autre – l'un recouvrant et pénétrant l'autre – les deux se poursuivant – ne pouvant se détacher – l'air de celui que possède une – pas forcément – pas très sincère – mais aimablement jouée – politesse – qui ne se départit pas dans le même temps – à peine l'un esquissé de la politesse – ne se départit pas d’une certaine rouerie –

j’avais donc – c’était cela – à faire à un roué – à un réceptionniste roué – et cela me fit – cela me fit le plus grand bien de me le dire – et de savoir que cet homme – cet homme-réceptionniste – ce portier-homme – cet individu chez qui la fonction – le titre venait nuancer – voiler cacher – l'humanité – tous plus ou moins voilés par une fonction – une profession – un métier – dès lors plus pleinement indéterminés – et alors forcément un peu moins – moins hommes – peut-être même dès lors totalement détruits en tant qu'hommes – de par cette simple détermination – de par cette réduction de ce qui nous faisait complètement possibles – comme je l’ai souvent remarqué – avec dépit – ce qui m’a incité à titre personnel – à titre reconnaissons le bien strictement personnel – à ne pas me décider pour un métier – pour persister dans ma – faible – humanité – le plus longtemps – possible – ce en quoi j'ai probablement échoué – entré dans cette autre détermination – tout aussi odieuse – de devenir celui – celui qui n'est rien de précis – celui qui est déterminé par l'absence de détermination – là – moi l'homme indéterminé – et lui l'homme-portier – ou l'homme-réceptionniste – comme on voudra – dont j’avais touché la main – n’était finalement rien de plus qu'un roué – un roué dont je dépendais – placé entre ses mains – sur la dernière marche – son pouvoir – de me conduire ou de – ne pas me conduire – vers une chambre – là où – la chambre –

oscillant – son ventre de roué contre – mon ventre de fatigué – toujours autant – plus – lui se remettant à – s'exclamant – néanmoins doucement – doucement – on ne m'avait pas prévenu – votre arrivée – on ne me l’avait pas annoncé – et son ventre – plus encore – son seul ventre contre mon ventre – à n'en avoir plus qu'un – à nous deux – siamois par le – ventre – normalement – mais quelle normalité – était encore possible – ici ? – nous n'acceptons que les voyageurs – m’avait-il mis dans cette case qui faisait de moi l’homme-indéterminé – l’homme-voyageur – ? – faisant peser sur moi une telle qualité – voyageur – alors que j'étais si pleinement indéterminé – ma vraie qualité – indéterminé – comment donc les deux qualités pouvaient-elles – cohabiter à la fine surface de la – de la maigre substance – il faut bien en convenir – que je représente – substance sur laquelle – les qualités – ont toujours un mal fou – à adhérer – et encore plus – même une seule qualité à la fois – alors plusieurs – d’où mon indétermination – elle aussi au fond par absence de qualité – elle aussi une qualité – à mes heures je m’en enorgueillis – comme il se doit – comme il nous arrive tous de nous – enorgueillir – de ce qui est le plus ridicule – le plus inévitable – au lieu d’en avoir honte – comme il se devrait – mais des fois si – des fois quand même –

homme-voyageur – voyageur – je me trouvais coincé – par ce voyageur – la vache – pas annoncé – et quoi encore ? – non seulement la qualité – collée à ma substance – de force – voyageur – mais de plus l’annonce – comme si une telle chose – était souhaitable – non – rien que des voyageurs – et moi non – en silence non – pour moi tout seul mais aussi – que les voyageurs qui – pour le lui faire entendre – contre toutes – les déterminations – que les voyageurs qui ont réservé –

et vous n’êtes pas – non je ne suis pas – un voyageur – qui réserve – non – du tout – réservation – non -

il me regarda – son regard se coula – avec un glissement assez – serpentin – reptilien – une de ces choses sans dynamisme – mais pas sans force non plus – vers un lourd – un appareil – une machine clignotante – et dépourvue – de – énorme – elle occupait l'espace – tellement – beaucoup de machine – que très peu d'espace – pour nous très peu d'espace – restant dans ce hall – la regarda – comme si elle allait – naturellement – parler – confirmer ou infirmer que je suis bien à la fois cela – un voyageur – et non seulement – mais en plus ce voyageur – précis – celui-là – qui ne réserve pas – qui se permet de ne pas réserver – cette machine derrière lui- tellement présente – autour de nous – avec nous – réduits à peu d'existence – devant une telle machine – rien presque – rien à voir d'autre en tout cas – que la machine – que la machine – cachés – rien qu’elle – avec ses – clignotements – et peut-être n'est-elle là que comme un remède – à nous – me dis-je – capable de se jouer – électroniquement – de l'existence – de la question de la – qualité – ne pas réserver – et de la substance – le voyageur – c'est-à-dire – moi – c'est à dire non – car je ne suis pas – voyageur – le tout formant ce mélange du voyageur qui ne – moi – réserve pas – et n'est doublement pas moi – peut-être que la machine les aide – dans ce type de problèmes – épineux – mais je n’en sais – pas plus – que je la regarde ou pas – je n’en sais pas plus – et elle – clignote – ce que je peux trouver – à l’extrême limite – alors joli – oui joli –

mais cela – (le réceptionniste) – cela n’a pas d’importance – il en rit – Cela n’a aucune sorte d’importance – que vous ayez réservé – ou pas – que vous soyez le voyageur qui a réservé – ou pas – aujourd’hui cela nous est complètement indifférent – je dois même dire que – d’une certaine façon – et sans vouloir paraître vous flatter – d’une certaine façon sans ne faire que ça – cependant – je vous – attendais – entendez-vous cela – j’étais là dans l’intention de vous attendre – et même avec un vague espoir – de vous voir arriver – et le croiriez vous – je ne suis pas le seul non plus – dans ce bâtiment – à vous attendre – ce qui explique – ce qui devrait pouvoir expliquer – ce qui devrait pouvoir vous faire comprendre – ma précipitation – que vous avez pu prendre – à tort – pour de la brusquerie – alors que non – alors que rien de brusque – oui – non – pas brusque – pas violent – juste – précipité – dans votre attente – aspiré par votre attente – précipitation qui ne vise qu’à – qui n’a d’autre sens que de – vous guider – vous conduire – vous – recevoir – si vous voulez bien – si vous daignez – le comprendre – et je vous promets que cela – ne se reproduira plus – que vous n’aurez plus l’occasion – de vous en plaindre – et même pas – de le remarquer – cet hôtel – ...

est-il donc – je parle à mon tour – je ne veux pas lui abandonner – aussi cela – qu’il parle – et pas moi – aussi tranquille que – ma parole – pas seulement la sienne – on me l’a dit – essayai-je – ? – alors – alors que je dois bien l’avouer – je n’en savais rien – je disais cela – hôtel tranquille – cela venait de m’effleurer – que ce puisse être aussi réellement – ainsi – tandis que la lumière devenait – en provenance de la machine – devenait moins franche – incertaine – inopportune en fait – une lumière sans rapport avec rien – ici – étrangère – dans laquelle je mimais – je posais sur mon visage un air de – sévérité – qui ne voulait rien dire – un air qui tout simplement – m’arrangeait bien – comme il m’arrive assez souvent – et même lorsque je suis tout seul – de prendre – pour me faire croire à moi-même – à mon seul usage – que je suis ce sérieux – que je suis cet homme – dont on pourrait dire – parmi d’autres choses – qu’il est sérieux – alors que je comprenais bien que je n’étais déjà plus qu’un – voyageur – irrémédiablement – un voyageur – c’est à dire moins qu’une ombre – c’est à dire rien d’autre qu’un homme qui passe – et qu’on ne souciera plus de voir – dès le lendemain – un homme auquel on ne peut faire confiance – que pour un temps limité – que pour le temps le plus limité – car il ne reste pas – dans l’esprit ni dans la présence – même dans ce contact ventre contre ventre – si embarrassant pour moi alors – plus qu’une nuit – un homme voué à l’oubli et au passage – ce qui le rend suspect de n’exister – pas tout à fait – partiellement seulement – un homme sans continuité – menaçant de se dissoudre – à tout instant –

tranquille certainement – tranquille oui – sans doute – ne vous inquiétez pas – de la tranquillité – il y en aura – pour vous – comme pour nous tous – trop tranquille – comme toujours tout ici – trop tranquille – comme s’il ne pouvait arriver rien d’autre que de la – tranquillité – qui donc a pu vous – qui donc a pu vous dire – tranquille – qui donc a pu en particulier – vous le dire à vous – car si nous savons nous que – la tranquillité est notre lot – notre fléau – car nous aimons ce qui est tranquille et en même temps – c’est ce que nous détestons le plus – cette tranquillité – que nous n’avons pas choisie – à quoi nous sommes condamnés – qui donc alors – si ce n’est l’un d’entre nous – a pu vous le dire – ? –

il se reculait en parlant – tout de même il se reculait – méfiant – son ventre cessa – le contact avec le mien – ce fut bon – je m'étais lassé – je – respirais – enfin – je n’avais pas pu respirer tout ce temps qu’il était – contre moi – et maintenant voilà que – de nouveau – je respirais – je parvenais à l'oxygène – je parvenais à revivre – littéralement – à revivre – alors que dans le contact avec ce – réceptionniste – ce genre d’homme – je n’avais – pas vécu – je n’avais été que soumis – à sa présence – déformé par sa présence – alourdi – sa question – m'installait dans le malaise – sa question seule – mon ventre lui – allait mieux – beaucoup mieux et moi avec –

un ami – un ami voyageur – de commerce – comme moi – mentis-je –

je savais que je mentais – j’espérais que tout à fait clairement – tout à fait nettement – que ce mensonge était – audible – autant que je puisse le demander à un mensonge – un mensonge parmi tous les autres – tous ceux que j'ai proférés – ceux avec lesquels je ne pouvais même pas entretenir l'espoir que j’entretenais pour celui-là – car mentir – mentir – souvent j’avais menti – menti et rementi – sans fin – sans repentir – avec moins de délices que d’obligations – mais avec tout de même – nombreuses – et fréquentes – des délices – oui tout de même – mais d’une certaine façon cette fois ci – devant ce réceptionniste – et la faiblesse – la nullité de ce mensonge – j’espérais qu’il entendrait – qu'il saurait percevoir dans ma voix que ce ne – que ce ne pouvait être autre chose qu’un mensonge – et que je le lui donnais comme tel – comme mensonge – pour qu’il en entende la vérité – la vérité de ce que je mentais – et pas – la vérité de ce que je disais lorsque je mentais –

il ne sembla s’apercevoir de rien – ou alors était-ce son ventre – ce ventre qui s’était éloigné de moi et qui faisait que – je ne comprenais plus rien de lui – et la perte des ventres comme – perte totale – du même coup – perte de communication – nos ventres ne se parlant plus – et nous ne nous comprenant plus – comme une faillite amoureuse – comme – quand on ne ne se – touche plus – dans un couple – je crois – je ne sais pas – mais je persistais –

cet ami – persistais-je – de la même voix de mensonge – éloquente – un voyageur – voyageur de commerce comme moi – et il me regarda – avec dans sa rouerie – avec sa si monstrueuse et envahissante rouerie – contre laquelle je ne – je ne plus rien – il me regarda avec poussant sur sa rouerie – comme sur sa terre – la plus propre – et la plus originelle – à la fois un air sévère – de colère – et par dessus – et au milieu – de l’air de colère – une peu de – je pense que c’était de la – surprise – comme si à côté du mensonge – il était passé à côté – et pourtant quelque chose d’autre l’attirait – dans le mensonge – voyageur – son air sévère – de commerce – sa surprise & son – interrogation – qui fait souvent – qui fait parfois – quelques fois – halte – souvent – ici – vous devez – vous ne pouvez pas manquer de – il est certain que vous – le connaître – le connaissez – ce voyageur – qui est tellement – qui est complètement – comme moi – et qui est aussi – par voie de conséquence – mon ami –

Il est encore – L’ami – Le voyageur – que je venais d’inventer – que je créais à mesure que je – parlais – auquel je m'identifiais déjà – comme seulement nous pouvons nous identifier – brièvement – à ceux que nous créons – lorsque nous mentons – d’une identification qui ne parvient pas – à nous convaincre – mais cependant nous étourdit – un instant nous étourdit – à la limite d’y croire – à la limite de m’en convaincre – comme lui – le réceptionniste – peut-être – que je parvenais aussi fugacement – à le convaincre – il est encore passé – il s’est encore arrêté – ici – la semaine dernière – celle-là – qui a précédé – et je citais – je poussais l’impudence – et d’une certaine façon – la rouerie – car moi aussi – sous l’influence de la présence – de la seule présence de ce roué de portier – je devenais un roué – sans bien savoir – ce que cela voulait – dire – ce que je pouvais entendre par là – un nom – le nom de celui-là que – quelques instants avant – de celui que j’avais doucement inventé – et puis développé – et auquel j’avais cru – brièvement – et m’étais identifié – bien que cela ne dure pas – ne puisse pas – durer plus – que ce qu’avait duré – la surprise – la surprise – dans les yeux – dans la colère en fait – du réceptionniste – je poussais – jusqu’à citer un nom – jusqu’à donner – à ma créature de mensonge – qui était pourtant – tellement à moi – un nom –

ce nom était – bien entendu – le nom que je lui donnais – le mien – le seul qui me parût alors – à ce moment là – idoine – conséquent avec cette situation – le seul nom qui me parût entrer comme il fallait – dans le mensonge – nom taillé pour prendre place – dans ce mensonge – abîmé de vérité – dans ce mensonge qui mentait – de moins en moins – hélas – hélas – et c’était aussi – je le pense à présent – j’ai eu depuis tellement de temps pour y penser – une façon – une certaine façon – de m’arranger avec la vérité – non – avec la réalité – car c’était un mensonge – la vérité n’avait rien à y faire – mais la réalité elle – s'y était mise – y était entré – ce qui n'était pas véridique – et n’était même que pur mensonge – était pourtant conforme – à travers un chemin tortueux – à la réalité – c’était un mensonge tout entier calqué – tout entier posé dessus et épousant les courbes de – la réalité – mais un mensonge – c’était en fait – un bon tour – que je jouais à tous – et d’abord à mon nom – et au voyage – ? – que j’avais entrepris – si peu – pour venir ici – tellement pas – et pour faire comme si – au lieu d’y venir – je me trouvais déjà – y – revenir – rien d’autre qui revenir – alors que je n’y étais en fait – jamais – jamais – venu – seulement qui d’autre que moi – qui d’autre aurait – pu – le savoir ? – et je constatais que oui – je constatais qu’une place existait bien – entre la réalité et mon mensonge – sans vérité – pas sans réalité – je m’y tenais – je le vis de mes yeux – j’en eus la preuve – lorsque le réceptionniste – de mes yeux – opina – avec pourtant – encore – je crois – un air contrarié – un air contrarié de ce qu’il y en avait trop – à la fois la réalité et le mensonge – et en même temps pas de vérité – et cela le contrariait – visiblement – il avait l’air – malheureux – maladroit sans ses pensées – comme – moi – souvent – aussi – je me souviens – dans sa contrariété les mots – dans sa contrariété tout entiers – les mots – souviens de lui – c’est assez précis – c’est même très clair –

maintenant que vous – son nom – que vous prononcez son nom – il y a ce souvenir – associé à son nom – c’est ainsi que je – que je me souviens – de lui – lui un homme pourtant – si discret – si incroyablement discret – il est resté là – la première fois – plusieurs heures là où vous êtes – des jours là où vous êtes – avant que derrière sa discrétion – personne parvienne à le voir – des heures immobile et discret – ou encore – s’agitant et discret- des heures et des jours durant avant que – avant que derrière sa discrétion – il – surgisse – et que nous – et que je – le voyons – magistrale discrétion – leçon de discrétion pour nous tous – dès lors que – dès après que – nous l’avons remarqué – ce qui n’a pas été de soi – tant sa discrétion le rendait – le cachait – inobservable – pas invisible – mais de côté – mais marginal – pas le genre d’homme voyez-vous – à coller son ventre contre – contre celui du réceptionniste – non – de la discrétion – rien que de – la discrétion – tellement – poussée à un tel niveau – que son passage – nous a marqué – et nous gardons – tous – le plus précis souvenir – un souvenir parfaitement aigu – de ce qui nous a fait le remarquer – et qui était justement sa – sa discrétion tellement forte – ne trouvez-vous pas ça – drôle ? – tout ceci – sans rire – sans la moindre intention de rire – avec une absence – totale – de la moindre prémisse – de rire – je dois bien l’avouer – avec même – une certaine inquiétude dans le ton- et presque plus de – rouerie – elle avait été – la rouerie absorbée – mise en pièces par – l'inquiétude – ou alors – la discrétion – l’évocation de cette discrétion – tellement énorme –

pourtant c’est impossible – encore le réceptionniste – totalement impossible – cela ne se peut pas – vraiment pas – qu’il vous ait – cet homme si discret- qui nous a tous – tant marqués – qu’il vous ait recommandé – à vous – l'homme si discret vous parlant pour vous dire – de venir ici – cela est – impossible – il n’a pas pu le faire – à moins qu’il n’ait – à moins qu’il ne vous ait – menti – pourquoi pas – ce serait – ce serait pourtant – n’est-ce pas – étrange – votre ami – dites-vous – l’homme discret – dis-je – le même homme – sous ces deux formes – l’ami – & – le discret – vous l’un – moi et nous – l’autre – et il vous aurait – et il faudrait l’appeler – menti le menteur – en plus de ces autres noms – discret & ami – le menteur car il vous – il vous aurait en même temps – menti – ou bien – ou alors – nous en sommes réduits – aux hypothèses – nous en sommes réduits – au plus incertain – ou alors c’est de votre – votre faute – votre ami – le discret – le menteur – n’y est – n’y serait pour rien – ce serait – tout de votre faute – vous ne l’auriez pas – mal – compris – rien compris –

cela se pourrait – (moi) – il m’est déjà arrivé – il m’est même déjà arrivé – souvent – de ne pas – pas bien – comprendre –

ou alors – (lui) – ou alors encore – c’était – d'un autre – d'un tout autre – lieu – qu'il était question – absolument pas d'ici – impossible – tout mais pas – ici – des possibilités sans fin – sauf précisément – celle-là – que ce soit d’ici – d'ici qu’il soit question – cela serait – le plus impossible – quoi que cet homme – discret ami – vous ait dit – quoi que vous ayez compris – et en vérité pas compris – ce n’était pas – car ce ne pouvait pas être – ce lieu-ci dont il parlait – car pour celui-ci – cet hôtel – il n’est ouvert que depuis – comprenez-moi bien – il va falloir faire avec cette – vérité à présent – pas votre ami – ce n’est pas possible – vous oui – votre ami non – il n’est ouvert – tel que vous le voyez – par opposition à ce qu’il était – avant – que depuis – quelques jours – avant – avant que ce soit cette – ouverture – qui s’impose – qui soit – contre l’absence d’ouverture – qui prévalait – depuis toujours – avant il n’y avait rien – il n’y avait – pas d’hôtel – et d’une certaine façon – il n’y avait rien – pour ceux comme vous – rien – personne ne pouvait – il était interdit de – sous peine de – s’arrêter ici – sanctions – pas d’hôtel – sévères – pas de – rien – pas d’arrêt – pas de voyageurs – d’aucune sorte – ni des comme vous – ni des comme lui – le discret – dont tous nous nous – pourtant – souvenons – c'est bizarre – mais c'est une chose – qu'il vous faut comprendre – mais – tout de suite – fermé avant – ouvert désormais – oui – ainsi – faites – un effort – pour vous y – mettre – pour – le comprendre – me disait-il – sans parvenir à formuler – je crois – exactement rien de – précis – rien que du flou – dans ses propos – et – pensai-je – une menace – à mon encontre – une menace sans dire son nom – la menace pas appelée menace encore pire que la menace sur laquelle il est écrit menace – mais quand même – menace – volonté de me – de me tenir à l’écart – de ne pas me laisser accéder – au lieu – à l’hôtel – comme s’il – avait voulu – pour lui – rien que pour lui – se le garder – rien que pour lui et pour moi – pour moi rien – ou alors – quoi ? – il me – je crois bien qu'il me – défiait – avec son histoire à ne pas tenir debout – avec cette histoire totalement incroyable – d’hôtel qui était – qui n’était pas – ouvert – fermé – et de – d’étrangers – qu’on ne laissait pas – arriver – pas passer – un mensonge – par son énormité même un mensonge – un énorme mensonge – défi – infantile – à ma raison –

j’en étais – déçu – je l'aurais cru – je l'aurais aimé – un peu plus intelligent que de me – mentir de cette façon grossière – mais les réceptionnistes – souvent – parfois – sont ainsi – aigris par leur travail – alors ils se mettent à – à raconter ce genre d’histoires – comme nous devons tous raconter des – histoires de ce genre – pour ne pas trop afficher – dans l'espoir de masquer – la médiocrité de notre existence – qui vaut bien celle de ce – réceptionniste – comme nous sommes tous un peu à notre façon – des réceptionnistes – des portiers – qui refusons à des voyageurs – que nous appelons des étrangers – et ce de façon systématique – le confort d’une chambre – non pas par malignité – mais par peur et par – malaise – mais ceci que je comprenais si bien – je m’abstins – je m’abstins totalement – de lui en faire part – voir même de lui en laisser paraître – le moindre signe – car qui étais-je – qui aurais-je été au juste – pour prétendre – pour pousser l’orgueil jusqu’à – le comprendre – et le lui faire savoir – je préférais – je préférais ne pas – et cependant – et insistant –

pourtant les locaux – ne sont pas – ne sont plus depuis longtemps – à se demander s’ils l’ont été un jour – neufs – ? – ! – je me lançais – de fait me lançais – j'allais jusqu'à le contester – j'allais loin – ou alors je me trompe – encore je me trompe – et –

et ma remarque était comme une évidence qui lui tombait dessus – et cette évidence était aussi comme – une pluie – une pluie froide – qui ne laissait rien passer entre ses gouttes de pluie – rien passer d’autre qu'elle-même – de telle manière qu’elle occupait – tout l’espace dans lequel – il aurait pu – répondre – et cette pluie – dans ma remarque – et avec elle – cette pluie dura – ce qu’il faut – et cette remarque n’avait pas été – ne voulait pas voir été – proférée avec trop de – déception dans la voix – alors que justement la déception – ma déception – et avec elle cette pluie de ma remarque – était tout de même – était bien certainement – une grande déception – d’un format – tout à fait supérieur – et par là aussi – inhabituel – de ces déceptions dont on ne peut – prendre la totalité – prendre qu'un petit bout – avec soi – ce qui oblige à en laisser – la plus grande partie – sur le côté de l'endroit où on se trouve – pour ne pas en encombrer – le passage – quand une telle déception nous saisit – mais cela ne consiste pas à l'abandonner – la laisser sur le côté – cela ne se résume jamais à simplement – l'abandonner – mais plutôt à en faire un obstacle – un monument et un obstacle qui ne se dérobe pas parce qu'il est simplement – placé sur le côté – mais un obstacle qui reste là – et avec lequel reste – une partie de nous – préposée à sa garde – ainsi à chaque fois qu'un tel obstacle se trouve semé par nous – et une telle déception – un peu de notre propre substance – est semée – jusqu'à ne plus savoir – ce qui reste de nous – avec nous – comme si la plus importante partie – de nous – en était resté ainsi – sous forme d’obstacles – et de monuments – posés sur le côté – du chemin parcouru – de déceptions advenues – sur le bord de – alors que soi on se – vide progressivement – la matière pleine dans les obstacles – les déceptions – ces monuments – et pour nous – avançant encore – tirés en arrière par ce poids – de nous-même – posé sur le côté – rien que la matière – la plus vide – et toujours – encore plus vide – au fur et à mesure – qu'on avance –

ma déception – je la lui laissais sentir – quand même – celle des marches – pas très d’aplomb – complètement branlantes – littéralement massacrées soit que cela remonte – à leur construction – ou alors – à leur utilisation – durant trop longtemps – qui avait transformé des marches d'abord droites – en marches branlantes – et massacrées – et leur revêtement usé – dégueulasse – à vrai dire – complètement dégueulasse – jamais personne – ne s’en étant – ici – soucié – je le sentais bien – je le devinais – et la couleur –

si loin que cela aille – tellement loin déçu – tellement loin ce n'est pas – non plus la mort – non plus – pas cette fois encore –