Jean-François SAVANG
Les annales pénitenciaires de Möebius
un chapitre de john LTD

Ce texte a été publié pour la première fois dans La Parole Vaine N°11. C'est le deuxième chapitre de John LTD.


'ai été votre cerveau.
Je n'ai rien contre le corps. Rien contre, ni contre. Ne touchez à rien, nous contrôlons votre corps. Ils disent cela de la télévision du troisième type. Contre le corps c'est peut-être allongé, peut-être debout. C'est du troisième type. Allongé, guettant l'animal, près à vous envoyer du corps vous faire pendre aux anneaux, pour un oui pour un non. Il y a quelque chose de monstrueux dans ce corps creusé d'un intérieur qui est le Vôtre. Il y a du caca, du pipi et des sales maladies.
        (Annales pénitencières de Moëbius p. 27) Ça bouge et ça l'ouvre sémantique, sans qu'on n'y puisse rien. C'est contre-nature et plus fort qu'un désarroi premier. C'est une vieille panne de courant à l'avant-dernier sous-stade anal, au moment où le corps s'entoure de sa conscience pour couper dans son jus (cf. Gasiorowski).
        C'est l'âge des premiers découpages d'où sortent les pantomimes digestives et autres roulements et autres conceptions du corps et autre criquets du chapeau et autre capteurs et autres maladies... du genre les étrennes de la pie-mère jaune pisseux en-dedans... le porte-mental de la firme à l'appel de la masse du corps plongé et qui flotte dans l'atmosphère... puis l'évacuation, quand tout désespéré encore, il faut couper plus encore pour découvrir contre-soi le fameux poisson-pilote du silence intérieur.
Gargouillement de la voix subliminale en langue étrangère, gargouillis de votre conscience-calcul dilatatoire des contre-mesures... le col tendu dans un siphonage rapide. Tout en résistance... Urbi et Orbi des cortex temporaires, et autres z'Urbi avec des conduits comme il y en a dans notre corps. Allez, parlez, parlez, envoyez les contre-mesures! Envoyez les courgettes!
Voilà qui ne saurait plus nous satisfaire d'un corps ; voilà ce à quoi nous avons à faire ;machine à explorer le temps, vaseline d'un continuum dans lequel l'histoire est engorgée tel un vaisseau fantôme de paroles dans le monde et au sujet desquelles des sujets dans
la vitesse...                                                                                      qui disparaissent et rendent
la question épineuse.                                                                   Ou bien nous n'y sommes plus.
        Ce qui nous emporte est bien plus rapide que tous les flux accumulés dans notre corps. Lorsque nous y allons par le corps... jusqu'à la garde... et c'est bien ça... lorsqu'il charrie son durcissement dans un dernier coup de pelle... forcer en dernier lieu... tout garder intérieurement, ravaler, centrage, jusqu'à disparition-intestin-vecteur-Shandranakar, masse limite d'un corps s'effondre sur lui-même, Plouf! Plus rien. Plouf! Plouf! Nulle part ni dans le blanc, ni largué dans le colimateur. Plouf! dans le puits d'un noir dense, noir ici où la pression silencieuse broie avec délice les particule de moindre corps.

                                        (Ce qui suit des Annales renvoie aux conditions dans lesquelles John LTD s'en enfui de la Terre. La datation imprécise du texte, relatif à ces événements, laisse supposer qu'il fut rédigé bien avant l'incarcération de John sur Moëbius ; il fut, semble-t-il, recopié plus tard du carnet de bord tenu par John et mis au compte des Annales de Moëbius, en prenant soin d'effacer toutes traces de pillage, avec toutes les manipulations qu'autorise la mémoire atrophiée par ses nombreux aller-retours dans le temps.
On notera principalement les premiers signes de folie furieuse qui s'emparèrent de John, son obsession du complot, laissant dans chaque pas derrière lui, gravats humains, planches carbonisées, surfers sans âme... ceci ne permet pas, bien sûr, de corroborer le diagnostic officiel établi par le Comélectral, qui n'était peut-être qu'un bureau factice. D'autant qu'à cette époque les boucles blondes et la mièvrerie doxaient fiévreusement la planète mensurée à 90/60/90 pour tout terminal nerveux.
Naturellement le cerveau de John ne put supporter un tel mensonge, et tel Attila, violant des tonnes de cartes postales signées par David Hamilton, il déchira le fin rideau de la combine, avortant enfin le spasme et la breloque... le surfage universel (révoquer tous les John LTD du courant Miami Beach...) le lieu Moëbius... recto-verso, coefficient rectum-versal de la mémoire de John, à ce qui suit)

e vecteur scintillant nous arrachait à l'apesanteur.
Nous avions disparu des écrans. Le scintillement d'origine s'estompait dans le carnet de bord, au fur d'un vertigineux flottement dans l'espace. Le Comélectral semblait avoir abandonné les recherches. Nous étions coupés du temps.
        Un terminal placé sur la passerelle de la navette permettait de surveiller l'enregistrement des faits. Mais les textes n'étaient pas encore réunis. Rien n'était réglé, pas encore. Nous filions droit vers l'alliage temporel, à l'écart des surfers.
        Une rampe lumineuse engorgeait l'horizon sans vitesse. Légers balancements d'une fraction de seconde atteignant parfois douloureuses vibrations tel un homme-canon propulsé cap système Gordien dans l'épaisseur immatérielle lancé à la poursuite sans contrôle-sens effondré dans l'alliage à venir 643. C'est un fait incompréhensible qui nous rattrape de temps en temps comme l'écho d'une agitation lointaine. Nous filions dans sa météorite.
        Nous étions embarqués depuis peu, et j'en parlais comme si je pouvais encore prendre le monde à témoin. Rêver n'est guère fiable comme moyen de transport. Et ce milieu dans lequel nous prenons goût pour les transformations était très prisé des surfers -ils passaient le plus clair de leur temps à faire des sillages, le cerveau ramolli par l'eau de mer, le cerveau aqueux, le cerveau noyé dans la mer plus intelligente de tous ces cerveaux de surfers absorbés, zaériens, folllcanik!
        C'est un milieu contre. Le déguisement d'une brusque embardée de myéline. La superposition de plans renfloués drainait la mémoire dans les tuyaux sauts de puce des noeuds de Ranvier. La donnée 643 précisait les modalités de l'opération. Mais avant cela, filer le plus loin possible du Contrôle Exécut. Envoyez les contre-mesures!

        Il y avait dans chaque cabine un sélecteur de décor vidéo-cortical. Je pris place dans l'une d'elles afin d'essayer d'oublier la furie des combats récents auxquels je venais tout juste d'échapper. Je revoyais ces escadrons de surfers armés jusqu'aux dents, arrosant l'horizon. Rectifiant dans leurs faisceaux à grabuge erectum l'opposition massive qui s'était soulevée de sa zone pour renverser le contrôle exécut. La fatigue faisait rejaillir les surfers dont j'avais à de multiples reprises enregistré la vague. J'enclenchai la reprogrammation. Clock!
Je n'avais pas sélectionné d'événement particulier. J'avais juste orienté la machine à la recherche d'une intensité intérieure dont les détails ne se réalisaient plus naturellement dans ma mémoire. Cette nouvelle intersection qui remontait d'un passé lointain à aujourd'hui me remplissait déjà d'extase. J'allais pouvoir reclasser l'engrammation traumatique des derniers jours dans une gaine temporelle désactivée. Enfin... paupières lourdes assis central scrutinizer... capturé... surf condition... converse répertorié bien avant 108039 Limite, 4 Prométhée...

avez vous d'où vient le trou dans le cuir de cette reliure? Non? Ça vient du mouton. Le dessiner? Pas question, y a déjà un autre connard qui s'en est chargé... sans compter tous les p'tits trouduculs qui font ça en cours élémentaire... pas étonnant qu'quand ils commencent à pourrir ils vont voir le psychanal'os. D'ailleurs les instituteurs sont comme les institutions, ils sont institués ; c'est les instituts morts de l'inconscient, le tuteur de la migraine à vie. Vous voulez dire que la vie serait générée par une migraine originelle que les instituteurs implantent aux jeunes enfants? Oui c'est ça, instruction civique et tout et tout. Vous voulez dire que vous avez une migraine? Oui c'est ça aussi.
        Mais vous savez d'où vient le trou dans le cuir de cette reliure d'il y a deux siècles, un peu bouffée par le temps et l'acidité? Vous savez? Non, mais je ne sais pas si c'est à mon tour de parler. On n'aurait pas passé un tour par hasard? C'est à mon tour? Oui? Alors je ne sais pas.
        Ben, y'avait un trou dans le mouton. Enfin c'est pas tout-à fait ça... pour être plus précis... le mouton avait un bouton. Le M du mouton mutait en B suivant les principes d'un acné juvénile normale qui voit un temps se multiplier les B jusqu'à ce qu'un M victorieux comme un V remplace l'ancienne peau puis continue sa moisissure en M, mais parfois conservant des stigmates de B. Mais comme le mouton était foutu avant d'avoir éradiqué tous ses B, et qu'il en restait un quand on l'a tanné, et que le pareur l'a paré quand même, alors il y a eu un B caché dans le M. Finalement le B était un trou, alors qu'il en a deux, et le temps a permis de bien constater que le B était bien un vide, comme une faille spatio-temporelle de M.
        Hum... Donc le trou dans le cuir de cette reliure c'était bien un bouton. C'est bien ça. Un B... erreur de contre-mesure en acquisition erreur de contre-mesure en acquisition erreur de contre-mesure en acquisition programme annulé hurlait l'ordinateur, par tous les pores synthétiques de sa voix calée sur la fréquence de la vois humaine et dans de nombreuses gammes.

ais qu'est-ce que c'est! Bordel de reprogrammation merdouillante! saleté de machine piégée par mille milliards de surfers. Alors ils étaient venus jusque là! ils s'étaient introduits! et tout ça dans mon dos avant le départ! je hais les surfers (je n'oublie pas)!
Ainsi avaient-ils deviné mes actions avant que moi-même ne les engage. Ils m'avaient piégé vérolé et l'ordinateur central était à leur solde. Je comprenais tout... combien l'avaient-ils payé pour me trahir? Peu importe. Mais maintenant je devais agir. J'aurais pu expulser l'ordinateur dans l'espace comme un vulgaire alien, mais le temps me manquait pour le léviter jusqu'au sas.
Deux solutions s'imposaient : le débrancher ou le reprogrammer avant de me déprogrammer pour me reprogrammer. Mais le danger guettait même au fond de l'univers... le plus désertique pouvait exploser ou vous engloutir, en moins de temps qu'il n'en faut à l'ombre de votre ennemi.
        Je devais être prudent et agir sans que l'ordinateur ne soupçonne ce que je savais. Je quittais donc la cabine bien en peine de pouvoir me reprogrammer et l'ancienne psychostase guerrière qui m'avait obturé l'esprit pendant les affreux combats contre la troisième division des panzer-surfers me rerobotisa sur mon instinct de conservation. J'engageai avec l'ordinateur une guerre des signes sans merci, bloquant toute infiltration de ses rayons dans mon cerveau. Car il devait sans doute communiquer tous mes faits et gestes au QG des surfers... et eux c'étaient pas des Klingons. Au moindre doute ils devaient sûrement m'expédier dans un cosmos tellement létal que j'm'y voyais dans le jugement dernier. Je me dirigeai donc vers la passerelle, bien décidé à en finir...
        - brouillage des ondes alpha
        - neurotransmissions protégées
        - évacuation des paroles résiduelles hors des gaines de liaison
        - participation musculaire tendue à 39 %
        - érection nerveuse en microsubtonie
        - sphincters coefficient espace-temps point 5
        - foliation capillaire du sang estimée à 12.8
        - les poings serrés comme du napalm GI matricule 643 Johnson assis dessus
        - mélange gazeux adrénil en suspension à un taux anormal d'activité
        Bref la java. Avec ça les surfers n'avaient qu'à bien s'tenir.
        L'ordinateur m'accueillit sur la passerelle avec la froideur coutumière qui le distinguait. Le moniteur de visualisation affichait complet, et celui à sa droite qui donnait l'occupation des orgosmies vivantes dans l'univers aussi. Je tentais d'établir le contact : "Tu prends un verre, tête de Pentium orgonique, ou tes circuits ne t'autorisent peut-être pas à t'mouiller?"
Extraordinairement pas de réponse. Je ne comprenais plus rien à cette salade de composants électroniques, autrefois programmé pour répondre à tous les fantasmes, même les plus lacaniens. Il semblait refuser la matérialisation holotronique de son corps. Quel jour somme-nous aujourd'hui? Est-ce un jour pair ou un jour impair? Je ne veux pas dire que cette merveille de technologie ne fonctionne qu'un jour sur deux, non. Ce n'est pas ça... mais concernant la matérialisation holotronique de tête de Pentium, il arrive que certaines programmations alternent les enclenchements de corps entre babord et tribord ; comme le stationnement alterné en quelque sorte.
Et donc, si sur terre la journée commencée sous le méridien de Greenwich annonce un jour impair, je dois du premier au quinze programmer l'holotronie à babord. Dans l'autre cas c'est l'inverse.
 

                                                        (Annales pénitencières de Moëbius p.117) Estampille de fabrication Microsurft Par Bill Gates du futur... déprogrammation protégée par l'État connections Surfing-Jack de la sécurité intérieure... contre-mesures inexistantes, (voir manuel)

ffectivement c'était l'inverse. «Mouiller t'a pas être-peut autorisent t'ne circuits tes ou, orgonique Pentium de tête verre un prends tu» Ça y est, c'était parti... l'holotronie se réalisait déjà à 10%... 20%... 35%... 55%... 82%... 134%... 247%... 398%... 643%... holotronie terminée.
        C'était sans nul doute aussi exponentiel que le Et Dieu cria au plafond ciel! de Chouraqui ; mais le corps électronique se matérialisait, il était là :
        -À votre service John.
        -Dis-moi, c'est quoi cette histoire de trou dans le mouton?
-        Le mouton c'est la peau avec laquelle on relie les esclaves au Comélectral. C'est leur survie et leur sécurité temporelle. Pas de reliure, pas de microfilm, c'est logique John.
        -Mais dis-moi, tête de Pentium, pourquoi cette métaphore programmatique plutôt qu'un recouvrement habituel de l'engrammation traumatique? N'étais-je pas en état de porno-fantastico-partouze? Pourquoi ce hic entre mes engrammes et la reprogrammation?
        -Il n'y a pas de hic, John. Vous commandez, j'obéis, je suis à votre service, c'est logique. La procédure est logique, John. Je prends mes ordres dans votre cerveau.
        -Alors pourquoi n'ai-je pas été reprogrammé sur une gaine intemporelle désactivée, selon les codes de procédure habituels?
        -John, je prends mes ordres dans votre cerveau...
        -Alors dis-moi qui est John LTD?
        -Je prends mes ordres dans votre cerveau.
        -Y'a t-il plusieurs John LTD dans ta programmation?
        -Accès information non autorisé.
        -À qui obéis-tu?
        -C'est à vous que j'obéis, John.
        -Est-ce moi John LTD?
        -Pas tout-à fait John.
        -Désactivation holotronie... SSSWWWWIIICHOFF»

es craintes étaient fondées... merde... j'étais vérolé. Les surfers m'épiaient de l'intérieur et pouvaient me faire perdre à tout moment le contact. Pour ça il fallait que je vide entièrement ma mémoire, sans être sûr après l'opération que je la recouvrerais encore. Il fallait que je puisse déposer les fragments intacts de mon MOI-Système... quelque part. Là où les écrans du Comélectral n''exerceraient pas le château panoptique entre les sales gueules de surfers et Prométhée en caleçon de bain, string-popotin, nichons par-dessus bord et cela jusqu'à ce qu'enfin je puisse nettoyer mes circuits.
        La réponse était peut-être dans la RAM.
        Envoyez les contre-mesures!