CONTRE L'IMPÉRIALISME DU RÉELISME EN LITTÉRATURE
par Justine BAADER
a tendance actuelle d'une certaine littérature à s'engouffrer dans le référentiel produit un marais culturel de plus en plus profond. La soupe que l'on nous y sert devient de plus en plus épaisse et émétique. L'auteur devient superstar, sexy, iconique en diable. Marie Darrieusecq, Michel Houellebecq, Christine Angot… Autant d'auteurs prisonniers de la non-fiction. La vacuité des productions commercialo-littéraires actuelles égale celle des discours politiciens. La fiction devient une agora de pacotille où l'auteur est censé étaler ses grandes idées sur le monde.
Ce que l'on demande à la littérature, c'est de basculer du côté du réel. Les "opinions" dispensées au long des "livres marquants de la rentrée" doivent être le reflet fidèle de la pensée d'un auteur qui devient alors le philosophe du coin pour quelques jours et deux-trois émissions télévisées. Que l'on pense aux "positions" de Houellebecq sur l'eugénisme, où à ce rôle qu'il s'arroge à grand coup de muzakkk dégoulinante, celui de grand défenseur de la poésie. Tout le monde se fout totalement de l'auteur Houellebecq, seules les chansonnettes font sens, et cette image vulgo-sexy dispensée par "l'écrivain pop" de cette fin de siècle.
Retour alors à une critique ressuscitant Sainte-Beuve, chercher dans " la vie " de l'auteur ce qui peut " éclairer l'œuvre ".
Impérialisme de " l'effet de réel ".
De quel réel se moque-t-on ?
Ce qu'un journal a pu reprocher au texte de Stéphane Batsal, ce sont deux choses qui finalement s'interpénètrent :
- Stéphane Batsal dans son texte est trop référentiel : il utilise le nom d'une personne réelle, Mademoiselle Sophie, pour en faire un personnage de fiction. Sauf que le nom Mademoiselle Sophie est déjà la marque d'un personnage, et non celle d'une personne, ce que n'ont pas compris les rédacteurs d'Edgar : ils n'ont d'ailleurs pas communiqué le texte à Mademoiselle Sophie, estimant sans doute connaître assez bien la-personne-derrière-le-personnage pour anticiper ses réactions.

- Stéphane Batsal dans son texte n'est pas assez référentiel : il bascule dans la fiction ; c'est peut-être finalement ce qui est le plus insupportable à Edgar : pas de "texte de bistrot", pas de dérive bluesy sur le mal de vivre. Stéphane Batsal en tant que personne réelle n'est pas dans son texte. C'est l'écrivain (donc le personnage) Batsal qui s'y trouve, dans l'écriture.
Mais qui a encore quelque chose à foutre de l'écriture ?

Le paravent utilisé par Edgar en est une preuve. L'argument "économique" (auto-censure à cause des annonceurs) indique bien la peur du trop/trop peu référentiel. L'interview d'une actrice porno fait moins peur que la fiction et l'écriture. De même les collages plastiques de Stéphane Batsal sont plus "acceptables" que ses collages écrits.
Edgar voudrait publier des extraits d'un autre texte de Stéphane Batsal, Ce qu'on annonce, Louis le Poulpe, constitué de réponses à des petites annonces de rencontre : un narrateur y prend en charge le je, ce qui facilite le raccourci narrateur = auteur. Pourtant la personne Stéphane Batsal n'a pas écrit la plupart de ces lettres. L'écrivain Stéphane Batsal les a, lui, toutes produites. Ce qu'Edgar refuse de voir.
Il n'est pas question ici de lapider Edgar. L'attitude de ses rédacteurs n'est que le reflet fidèle de ce non-lire matraqué depuis plus de vingt ans. Il faut cependant refuser cet état de fait pour que la fiction retrouve ses droits. Ici, à proprement parler, il n'y a pas de grand scandale, uniquement une somme de petits événements révélateurs d'une attitude à tenir face aux dérives référentielles. La fiction a bel et bien été chassée de la Cité, la guérilla urbano-littéraire ne fait que commencer.

 

Justine Baader - Septembre 2000

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