Detroit, in les Américains.

Les Américains.

"Mars 1947, j'arrive à New York. Une nouvelle vie commence. Je pensais : J'ai de la chance."





Robert Frank est Suisse. De ses débuts photographiques et de sa vie en Suisse, avant son départ pour l'Amérique, il faut retenir qu'il a appris la photographie aux côtés d'un retoucheur du nom de Sesseger ; de cet apprentissage, il gardera surtout sa passion pour les cartes postales. Robert Frank ironise aussi beaucoup à propos de son éducation suisse. Lorsqu'il est arrêté en Arkansas par une patrouille de police, alors qu'il photographie pour son projet les Américains, ou lorsque plus récemment, découragé par son manque d'entrain pour une commande de photographies reçue de la ville de Birmingham, Géorgie, il est à la limite dans les deux cas, d'abandonner ces projets en cours, il dira de ces deux situations "C'est là que je me suis rendu compte que j'étais plus Suisse que je ne le croyais : le travail que 1'on a commencé, tout Suisse sait cela, il faut le terminer," Ce trait ironique est cependant la dernière chose qui unit encore Robert Frank avec la Suisse lorsqu'il arrive à New York en 1947, c'est bel et bien pour fuir une Suisse trop étriquée, trop allemande.


Son arrivée à New York occasionne trois rencontres : la première, celle d'Alexy Brodovitch, directeur artistique de la revue Harper's Bazaar pour lequel il travaillera à la commande jusqu'à ce qu'il réalise assez promptement que le caractère soumis de la photographie de commande n'était pas à proprement parler la liberté qu'il était venu chercher dans le Nouveau Monde. Il part d'ailleurs en 1948 pour le Pérou et la Colombie, un temps, voyage dont les photographies seront d'abord publiées chez Life, puis pour le livre Indiens pas morts édité par Robert Delpire, plus tard en 1956. Lorsqu'il revient à New-York, il rencontre Mary Lockpeiser et se marie ; les deux époux vont habiter dans le quartier de la dixième rue, la troisième rencontre new-yorkaise de Robert Frank : le monde agité de la dixième rue. De fait, c'est dans cette lumineuse vie de quartier que Robert Frank va rencontrer Franz Kline, Willem De Kooning, Alfred Leslie, Larry Rivers, Claes Oldenburg, Allen Kaprow, Allen Ginsberg, Jack Kerouac et d'autres moins connus. Cette rencontre concorde avec la lassitude que Robert Frank éprouve maintenant à l'égard des travaux de commande qui pourtant le font vivre. De ses amis peintres et de son admiration pour le mouvement expressionniste abstrait, Robert Frank va beaucoup hériter ; il est d'abord fasciné par l'immense conviction qui anime ces artistes, pour la plupart boudant la renommée faite de concessions, ils vivent un peu dans l'absence de tout souci matériel. "Ce qui m'influença fortement, c'était la façon dont vivaient ces peintres dans les années 50 - un combat. Ce n'était pas tant ce qu'ils faisaient, mais c'étaient des gens qui croyaient vraiment en ce qu'ils faisaient et recevaient assez peu en retour, Cela m'impressionnait beaucoup de voir combien ils croyaient en ce qu'ils faisaient." Robert Frank suit l'exemple, ses rapports avec les magazines qui l’emploient se faisant de plus en plus houleux. C'est déjà l'époque des célèbres joutes entre Eugene Smith et Life. Eugene Smith se battait pour préserver à ses images __ telles qu’il les avait sélectionnées, tirées et assemblées __ leur identité dans leur forme imprimée, c’est à dire qu’il entendait que les choix du photographe prévalent sur ceux de l’éditeur: vaste besogne, surtout dans les années cinquante, qui plus est au sein d’un magazine comme Life! Robert Frank ne refuse pas simplement cet avatar de destruction des images, ce qu'il remet en question pour lui-même, c'est l'intérêt qu'il porte à son propre travail à l'intérieur des périmètres imposés par les magazines ; en d'autres termes, il entend maintenant travailler sans contrainte, la motivation essentielle de sa demande de bourse à la Fondation Guggenheim. Cette liberté, dégagée des limites de la commande, qu'il revendique maintenant, est un de ses premiers engagements hérités de la communauté de la dixième rue. C'est une prise de position de fond elle conditionnera dorénavant son travail.


Du point de vue des formes, l'interrelation entre les artistes de la dixième rue et Robert Frank est plus intéressante encore. Influencé par les peintres expressionnistes abstraits, Robert Frank va se débarrasser définitivement des asservissements de la technique. Ce premier geste libertaire se fait au détriment du lourd instrument photographique; plus tard utilisant le medium cinématographique, Robert Frank adoptera la même attitude désinvolte résolument tournée vers le dénuement. Clement Greenberg, historien d'art, fait observer que la peinture expressionniste abstraite est caractérisée par une facture décontractée, hâtive, ou du moins qui en a l'apparence, des masses empâtées qui s'amalgament au lieu de rester distinctes, des rythmes larges et bien marqués, des saturations irrégulières ou des épaisseurs de peinture, des traces visibles de brosse, de couteau, de doigt ou de chiffon. Cette définition pourrait s'étendre à Robert Frank ; comme le fait remarquer Stuart Alexander dans le N° 12/13 des Cahiers de la photographie ( Robert Frank, la photographie, enfin ), du fait de ses méthodes insouciantes, il est fréquent qu'un tirage de Robert Frank montre toutes les imperfections et erreurs possibles gravées dans un négatif. Ainsi rayures et bulles d'air, poussières et perforations des films décalés ne sont pas gommées ou retouchées, laissant apparaître une ligne irrégulière à la surface de l'image, établissant un plan frontal. De fait, si tout dans une toile de Franz Kline, de Jackson Pollock ou de Willem De Kooning, donne à voir l'acte même de la peinture, il en va de même pour Robert Frank qui rend clairement visible - à cette époque, par le traité propre aux émulsions rapides du 24 x 36, plus tard grâce aux imperfections de traitement au sulfite de sodium des négatifs Polaroid __ la nature même du matériau photographique.


Le grain. Véritable signature des films rapides de petit format, Robert Frank l'utilise au-delà de ce qu’il était courant de faire à l’époque. De fait les photographes dans les années cinquante n’avaient recours à des films rapides ( tels que la TriX de Kodak ) que lorsqu’ils faisaient face à des situations à l’éclairage exécrable. Le grain, associé par sa grosseur à la densité d'un tirage aux accents sombres, présente un grand potentiel expressif, expressionniste. Mais là n'est pas aux yeux de Robert Frank, sa seule force ; cette diffraction des cristaux d'argent de l'émulsion __ le grain __ lui permet de réussir parmi ses plus belles images de lumière. Son cliché de la porte de Clignancourt à Paris en 1949, est un exemple de cette utilisation exacerbée du grain. Peu de photographes se seraient risqués à une prise de vue dans les mêmes circonstances. Beaucoup auraient sans aucun doute trouvé franchement antipathiques les conditions lumineuses et le paysage en lui-même déprimant et ennuyeux. Ce jour-là, il convient de dire que Robert Frank est à la limite du possible techniquement. Il doit fixer une scène, avec un léger mouvement dans des concrétions de lumière qui l'obligent vraisemblablement à une obturation lente aux environs du 1/15 ème ou du 1/8ème de seconde, et à l'utilisation d'un film rapide, donc assez granuleux. La probabilité de réussir techniquement ce défi est alors proche de zéro mais Robert Frank n'en a cure. Bien au contraire, c'est en amplifiant les paramètres adverses de cette prise de vue qu'il tire le meilleur parti d’une lumière difficile. L'obturation lente permet à Robert Frank de fondre les trois personnages de gauche dans la grisaille du paysage. Quant au cheval et à l'enfant qui se tient en face de ce dernier, leur immobilité seule les rend maintenant plus clairement identifiables en comparaison du reste de l'image. Le temps gris, au ciel bas et son effet de halo ont tôt fait de donner aux bâtiments à l'arrière-plan, à l'aspect pourtant si commun __ la typique arhitecture des boulevards de la petite ceinture à Paris __ des allures inquiétantes comme fantasmées. Enfin, la très faible profondeur de champ, le léger effet de vignettage dû à la pleine ouverture du diaphragme, et surtout le grain éclaté de cette image rendent le premier plan particulièrement expressif et boueux, une partie de l'image, qu'il serait par ailleurs facile de qualifier d’expressionniste abstraite.


Toutes les données techniques de cette image ressemblent en fait à une véritable accumulation d’erreurs. Autant d'erreurs, cependant qui font de cette photographie une image très émouvante ; or autant d’erreurs n'ont été possibles qu'avec une assez grande liberté de Robert Frank envers les plus connus des rudiments de la photographie.


Cette négligence, cette liberté et cette intuition sont également à la source d'une nouvelle manière de prendre des photos que Robert Frank va construire peu à peu. En effet, le rendu final d'une image ne sera plus l'unique lien de proximité entre Robert Frank et les peintres expressionnistes abstraits, communion par la forme de media pourtant éloignés. Comme de jeter son appareil en l'air, le retardateur armé, Robert Frank va aussi se jeter dans ses images, faire corps avec ses captations, par le biais d'une apparente désinvolture : il va jusqu'à se moquer d'un dernier rempart non encore franchi, la visée. Il était encore concevable de faire des photos à la va vite, ne se préoccupant que de manière approximative du réglage, de la mise au point et du couple ouverture/ vitesse d'obturation, une visée rapide et puis Robert Frank déclenchait, advienne que pourra. Il restait donc la visée : river au viseur son oeil et juger aussi vite que possible de la composition du cadre, de la mise en place des éléments déterminants. Cette dernière, enfin, va être éludée. Pendant son voyage dans les 48 Etats continentaux, Robert Frank rencontrera souvent des situations où la fonction même de photographe est un péril, l'acte de photographier, une course délibérée aux ennuis. C'est ainsi qu'il apprendra à se servir de son appareil d'une seule main, à la hanche. Cette technique de prise de vue apporte plusieurs nouveaux éléments :

  • L'appareil tenu à la hanche se situe dorénavant bien en dessous du niveau habituel, ayant pour résultat de montrer personnages et décors, d’un point de vue abaissé, ce qui généralement les grandit, effet attendu de la contre-plongée.

  • Le plus souvent, l'appareil, d'une seule main, est tenu de manière verticale. Cet effet conjugué au précédent donne souvent aux personnages debout, une présence imposante. Fréquemment Robert Frank s'est servi de cet effet de manière très formelle, jouant des effets de silhouettes agrandies pour statufier ses personnages et tout particulièrement ceux situés à l'avant-plan.

  • Sans visée, le photographe ne peut déterminer avec précision, d'une part, la composition générale de son cadre, d'autre part, les limites de ce dernier.


De cette technique de prise de vue très incontrôlée vont naître de nombreux éléments du vocabulaire plastique de Robert Frank: des compositions à la limite du déséquilibre, des horizons penchés, des sous- ou des surexpositions notoires, des hors-champs audacieux, mais aussi la présence d'images de situations délicates à photographier, enterrements, bars glauques dans le Nouveau Mexique, ou scène de jeu à Las Vegas, Névada. En effet, c'est là que le point de vue des expressionnistes abstraits et celui de Robert Frank diffèrent. Jamais Robert Frank ne se départira du sujet photographié, véritable point de rupture d'avec ses amis peintres. Du même coup, c'est de la génération des écrivains tels Jack Kerouac et Allen Ginsberg qu'il se rapproche, Jack Kerouac donnant au style d'image de Robert Frank le nom de moody picture (image d'humeur). A moody picture succédera bientôt l'appellation de in between (entre deux, ce qui est en marge) pour ce qui caractérise désormais le travail de Robert Frank.


Le in between est l'ultime étape dans ce parcours qui consistait à se permettre chaque fois un peu plus de liberté. D'une certaine manière, Les Américains représente enfin la maîtrise d'un genre nouveau, inventé de toutes pièces. On peut cependant prêter des antécédents à cette méthode: les Surréalistes. Robert Frank reconnaît avoir toujours été fasciné par les Surréalistes. De fait, on peut raisonnablement interpréter la moody picture comme une tentative d'écriture photographique automatique, tentative d'adaptation des principes d'André Breton, certainement plus pertinente que nombreuses de celles réalisées en matière de peinture (Salvador Dali, Max Ernst, René Magritte) qui relèvent, elles, davantage du domaine de la représentation préméditée. Le medium photographique y est pour beaucoup. En effet, dans le Manifeste du surréalisme, André Breton souligne dans sa méthode, la nécessité d'automatisme. De cet automatisme, il faut retenir la volonté d'immédiateté du processus. La méthode de l'écriture automatique consiste en une écriture très rapide, la plus débridée possible, pouvant, si le cas se présente, faire l'économie de la grammaire. Rien ne saurait être fait pour l'embellir, la canaliser, la modifier et tout serait fait pour lui garantir fluidité dans le sens du laisser-aller, abrupteté faite de surprises et une complète relâche y sont vivement encouragées. Les poètes surréalistes se servent à ce propos des récentes découvertes de Sigmund Freud pour justifier tous leurs écarts à la bonne conduite littéraire, Freud en retour méjugera ce petit monde d’excités et l’apparentera à un groupe de guignols dangereux, tant ces derniers encourageaient des comportements pathologiques que lui s’efforçait par ailleurs de guérir, et donc d’en libérer les individus qui en souffraient. L'écriture, de laquelle est née le Surréalisme, se prête remarquablement au principe automatique surréaliste qui suppose la rapidité d'exécution, si tant est que son auteur voudrait faire preuve d'honnêteté à l'égard dudit principe. L'écriture automatique présuppose également que la grammaire et la syntaxe étant des données suffisamment acquises et automatiques par leur pratique courante, ne peuvent constituer, en principe, d'obstacle majeur au flot automatique. Bien entendu, si l'on prête à la photographie une conception proche de celle d'Anselm Adams ou de celle d'un autre adepte de la prévisualisation comme Minor White, photographie et principes d'écriture automatique ne sont pas compatibles. Cependant, Robert Frank, par sa manière intuitive et délibérément débarrassée de toute préoccupation technique, mais aussi par cette obligation qu'il se fait de se jeter dans son sujet - de s'en rapprocher beaucoup à cause de l'usage du grand angulaire, objectif ayant, entre autres, la propriété d'éloigner les objets photographiés - et la rapidité avec laquelle il opère, tend vers une forme d'écriture automatique photographique. Quand les poètes surréalistes se retranchaient derrière les premières théories de la psychanalyse, faisant de l'acte manqué un potentiel de trouvailles, comment qualifier la collection impressionnante des imperfections des images de Robert Frank ?


Dans la photographie intitulée Bar à Gallup, New Mexico (in Les Américains), le sujet principal de l’image est à moitié masqué de part et d'autre par les grandes figures d'ombres qui l'enserrent. Robert Frank pensant peut-être sincèrement en montrer davantage dans son cadre. Mais cette image, il l'accepte telle qu'elle est, chaloupée, aux contours mal définis, à la lumière affreuse : c’est une image ratée en ce qu'elle ne satisfait pas complètement toutes les exigences et les espoirs du photographe au moment de la prise de vue - mais terriblement réussie, pour ce qu'elle montre de peur et de crainte, l'angoisse d'être photographe en pareille situation et de fantasmer une prise de vue, tout en mesurant les dangers et la probabilité d'une rixe qui s'en suivrait si les hommes photographiés venaient à s'apercevoir de la supercherie.


De l'idée d'écriture automatique photographique, ou plus exactement de celles de moody picture et de in between, découle le problème de la subjectivité, le noeud des Américains.


Tout d'abord, dans sa déclaration d'intention en 1955, dans laquelle il fait sa demande de bourse à la Fondation Guggenheim, puis en 1957 dans le numéro U.S. Camera Annual 1958, Robert Frank entend régir son projet se fiant à son intuition, en toute liberté et ayant pleine conscience que sa vision est subjective. Cette déclaration à l'époque est d'autant plus surprenante qu'il lui fait suivre : "Je désire réaliser un document contemporain authentique, dont l'impact visuel soit tel qu'il se passe d'un quelconque commentaire." Lorsqu'il décrit ses intentions de la sorte, Robert Frank met côte à côte les notions de document et de subjectivité, apparemment contradictoires, ce qui lui vaudra une pléthore de critiques qui trouveront là le signe latent de sa malhonnêteté. Il serait plus juste de dire que ces même critiques ulcérés de sa vision pessimiste des Etats-Unis au milieu des années 50, trouvaient dans cette gaucherie d'écriture une brèche confortable. De même, parmi ses sources d'inspiration, il cite Bill Brandt et Walker Evans, deux photographes aux antipodes l'un de l'autre, ce qui ne va pas pour éclaircir sa conception de document authentique contemporain.


Robert Frank ne croit pas à la possibilité d'une quelconque objectivité en matière de photographie, quand bien même cette photographie se voudrait documentaire. En cela il s'oppose violemment à la tradition documentariste ambiante, ayant pourtant pour père Walker Evans, qu'il cite pourtant comme source d'inspiration. Ce que Robert Frank trouve comparable entre Walker Evans et lui-même, c’est leur égale non-attente que le spectateur épouse le point de vue du photographe. Il reconnaît à Walker Evans le pouvoir de faire prendre conscience, plus modestement, pour lui-même, il déclare : "que le spectateur garde en lui le souvenir d'une de mes images et j'ai le sentiment d'avoir réussi quelque chose."


Robert Frank va se battre pour que l'édition des Américains sorte selon son impérieux désir, que les photographies soient publiées seules à l'exclusion d'aucun texte les accompagnant ou les légendant c'est pour lui un véritable enjeu. Bien qu'il ait acquis de Robert Delpire, avant même l'existence des images, la publication de son projet, Robert Frank se débat pour obtenir les images seules. En 1958, la première édition contient des passages de textes d'Alain Bosquet. En 1959, seulement, Robert Frank réussit à convaincre son éditeur américain de publier les images seules, transigeant pour une courte introduction dont il laisse le soin à son ami Jack Kerouac, il obtient gain de cause. Robert Frank a tant insisté, car pour lui, le tout que forme sa séquence des 83 images, est inaltérable. C'est une séquence non narrative, non démonstrative mais qu'il entend faire s'écouler. L'absence de narration ou de fil conducteur logique est une grande nouveauté en matière de photographie ; elle résulte pour Robert Frank d'une préoccupation déjà ancienne, notamment manifestée dans le livre Indiens pas morts. La séquence des Américains ne fait pas l'effet d'une démonstration, bien au contraire, les images se succèdent dans un flot poétique, Dans son introduction, Jack Kerouac écrit : Robert Frank, Suisse, discret, avec ce petit appareil qu'il manie d'une seule main, a tiré de l'Amérique un poème triste qu'il a coulé dans la pellicule. De fait, l'agencement des images dans la page est le plus simple possible et leur cheminement voulu sans accroc notoire à quelques exceptions, lesquelles sont en général pour Robert Frank, l'occasion de dénoncer des inégalités sociales - une photo de réception mondaine est immédiatement suivie d'une photo d'un vraisemblable camionneur attablé devant son médiocre dîner dans un restaurant de routiers. La plupart des associations ou successions se font par transitions de formes ou d'éléments similaires : ces transitions peuvent occasionner tour à tour le sourire - une photographie de Noirs lors d'une cérémonie funéraire, un homme au premier plan se gratte la joue, page suivante, le même geste reproduit par un véritable cow-boy du Sud profond, humour typique de Robert Frank; il est en effet peu probable que les deux personnages eussent aimé se voir ainsi rapprochés - ou encore l'émotion une voiture est recouverte d'une bâche qui la protège du soleil californien, page suivante, sur le bord d'une route quatre personnages sont prostrés devant des formes humaines allongées recouvertes d'une ample couverture.


Que les rapprochements soient de type formel ou associatif d'idées - elles-mêmes pouvant être politiques, sociales, économiques, sentimentales ou philosophiques, derrière chaque saut de page, préside Robert Frank, usant de sa très grande subjectivité pour tendre vers son but : rassembler ses 83 images en un tout, disparate dans ce qu'il offre de regards et de perspectives différentes, cohérent dans ce qu'il énonce son opinion, sa vision, et pour finir, pour ce qu'il expose sa propre existence.


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