Entre-temps, Philippe De Jonckheere, 1998.





J'épiais les gens dans la rue abrités attendant le bus. L'arrêt de bus se trouvait presque en face de chez moi. Epier était un verbe mal choisi, bien qu'il fut celui auquel je pensai en le faisant, tant je sentais que nos regards pouvaient être échangés: je les regardais par la fenêtre de ma cuisine et eux devaient regarder soit devant eux, c'est à dire là même où l'on regarde lorsque l'on est plus tout a fait conscient de regarder, soit en amont dans la rue espérant l'arrivée prochaine du bus. Entre ces deux points de mire se trouvait ma maison et la fenêtre de laquelle je les regardais attendant le bus, et qui sait?, me regardant.


Je finis par penser que nos regards étaient réciproques mais qu'a aucun moment ces gens ne pouvaient voir ce que je voyais, c'est à dire eux mêmes attendant le bus qui les reconduirait à leur domicile duquel il n’était pas exclu qu'ils aient vue sur un autre arrêt de bus, celui-là même duquel ils seraient descendus du bus - tandis que je ne pouvais pas voir, ce que eux voyaient, c'est à dire moi même regardant par la large fenêtre de ma cuisine.


Pis, je m’aperçus, en y pensant, que je n'avais jamais vu les fenêtres de ma maison allumées de l'extérieur: vivant seul, ma maison n’était jamais occupée que par moi-même qui systématiquement éteignait les différentes lumières avant de quitter les lieux le soir, avant de prendre le travail de nuit par exemple.


Je décidai donc de descendre toutes affaires cessantes, et du trottoir d'en face à droite de l'arrêt de bus et de son abri je regardais ma maison toutes fenêtres allumées et je pus enfin voir ce dont avait l'air cette maison le soir lorsque je l'occupais. Je fus surpris que du trottoir d'en face on n'en pût voir que des murs blancs déserts de toutes les images que j'y avais accrochées. De toute cette lumière inutile je fis une photographie. Et puis à la réflexion je réalisai que je n'avais pas davantage d'image de ces mêmes fenêtres éteintes. Je remontai, éteignai toutes les lumières, comme je l'aurais fait avant une absence et redescendai regarder ce qui était somme toute normal, c'est à dire toutes les fenêtres de ma maison éteintes en mon absence, chose que je n'avais jusque là jamais pris le temps de regarder, spectacle auquel je n'aurais jamais pensé si je n'avais précisément pas envisagé l'impossibilité théorique de son contraire.


Les deux photographies furent tout à fait ratées au développement. Par souci d’équité le laboratoire fautif de ce ratage m’offrit de me dédommager en remplaçant la pellicule dont le développment avait échoué par une autre pellicule vierge. Je me promis d’utiliser ce nouveau film pour refaire les photographies perdues mais je finis par oublier de le faire et déménageais peu de temps après.


« Entre-temps... »


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