Naufrage, Wittgenstein et Leon III
ou comment l'intervention d'un abruti nous conduisit
à l'iconoclasme après avoir traqué l'image partout où elle n'était pas


Subject: [le terrier] Raphaël Edelman - trois nouveaux textes
From: lldemars Date: Sun, 06 Nov 2005

Chers tous,

trois nouveaux textes viennent de rejoindre l'index de Raphaël Edelman (dont certains d'entre vous connaissent déjà le travail pour les colloques «De l'humour libéral» et «un artiste peut-il travailler avec l'institution?»), et je vous invite à les découvrir ici: http://www.le-terrier.net/lestextes/indexraphael.htm
vous pouvez évidemment y accéder également par la page d'accueil, par la page des nouveautés, par l'index des essais et par l'index général des oeuvres.

Les trois textes («Le comique et son rapport à la liberté d'expression», «Le rire et la colère» et «L'espérance scientifique») sont également téléchargeables en pdf, petit gâtés.

bonnes lectures L.L.d.M.


Subject: [le terrier] Du naufrage moderne avec l'institution

From: "benoit\.quersin" Date: Sun, 6 Nov 2005 18:57:37

trois nouveaux textes viennent de rejoindre l'index de Raphaël Edelman (dont certains d'entre vous connaissent déjà le travail pour les colloques «De l'humour libéral» et «un artiste peut-il travailler avec l'institution?»), et je vous invite à les découvrir ici: http://www.le-terrier.net/lestextes/indexraphael.htm
vous pouvez évidemment y accéder également par la page d'accueil, par la apge des nouveautés, par l'index des essais et par l'index général des oeuvres.

"essais" ? de si grands mots ? "naufrage" m'était mieux apparu, lorsque de 12, notre cher Laurent simulacrait une crise d'abandonnisme à la peur de passer à 10 (de public). c'est là, sur ses yeux, que j'avais senti le naufrage, lors d' "un artiste ... ?".

Pour tout dire, j'ai un peu de mal à croire que vous croyiez ce que vous (certains) vehiculez. enfin ... : pourquoi cette manie de rendre si compliquées des idées on ne peut plus banales ? (au-delà de la simple plainte, j'entends) en quoi "naufrage personnel" me semble-t-il autant, sinon se conjuguer, se sublimer dans une arrogance (au moins esthétique) à laquelle je ne vois guère d'issue (ne serait-ce que socialement).

ce serait éventuellement à suivre, mais ... je ne comprends rien à l''implicite qui préside à cette ette liste, manifestement. pourtant, j'aimerais comprendre.

B


Subject: Re: [le terrier] Du naufrage moderne avec l'institution
From: lldemars Date: Sun, 06 Nov 2005 20:00:05

"essais" ? de si grands mots ?

Comprends pas. Le grand mot, c'est « essai »?

"naufrage" m'était mieux apparu, lorsque de 12, notre cher Laurent simulacrait une crise d'abandonnisme à la peur de passer à 10 (de public). c'est là, sur ses yeux, que j'avais senti le naufrage, lors d' "un artiste ... ?".

Comprends toujours pas. Possible de rédiger ce courrier en français? Moins saupoudré, moins allusif, moins chichiteux, moins tacite, bref : moins Homais.

Merci. vous (certains) vehiculez. enfin ... : pourquoi cette manie de rendre si compliquées des idées on ne peut plus banales ?

De la part du rédacteur de ce courrier cette remarque est assez comique. La distance est de cet ordre, et la confusion de même : imaginons une peinture profonde, exigeante, et, autour, un cadre inutilement compliqué, doré à outrance, lourd, bricolé par un menuisier vaniteux. À votre avis, qu'est que notre correspondant va trouver compliqué? Si cette réflexion visait les textes de Raphaël, ça peut difficilement être moins bien adapté ; je me demande ce que notre correspondant a pu lire dans sa vie pour trouver Raphaël compliqué : les Inrockuptibles? Mickey? Dantec? Bellemare?


Subject: Re: [le terrier] Du naufrage moderne avec l'institution

From: bausson joachim Date: Mon, 7 Nov 2005 00:51:20

Pour tout dire, j'ai un peu de mal à croire que vous croyiez ce que vous (certains) vehiculez. enfin ... : pourquoi cette manie de rendre si compliquées des idées on ne peut plus banales ? (au-delà de la simple plainte, j'entends) en quoi "naufrage personnel" me semble-t-il autant, sinon se conjuguer, se sublimer dans une arrogance (au moins esthétique) à laquelle je ne vois guère d'issue (ne serait-ce que socialement).

Battu. Me voilà battu. Moi qui me pensais le mollusque le plus affreusement nébuleux, complaisant, impardonnablement hermétique de cette liste, je m'avoue battu. Des phrases pareilles, c'est combien d'heures passées à réécouter Georges Marchais ?

Joachim


Subject: Re: [le terrier] Du naufrage moderne avec l'institution
From: lldemars Date: Mon, 07 Nov 2005 11:15:18

Battu. Me voilà battu. Moi qui me pensais le mollusque le plus affreusement nébuleux, complaisant, impardonnablement hermétique de cette liste, je m'avoue battu. Des phrases pareilles, c'est combien d'heures passées à réécouter Georges Marchais ?

je n'ai pas le souvenir que Georges Marchais se complût dans l'hypercorrection dont souffre ce tourneur de phrases à ampoules. Mais l'animal a, croit-il, un coup à porter, et il aimerait bien que ça soit «joliment écrit», parce que c'est vrai, quoi, on est sur une liste d'artistes, non? On a sa fierté d'apprenti lettré et, surtout, sa couardise ornementale.
C'est pas la bonne liste, Machin, parce que si ici on appelle effectivement Cratyle Cratyle et l'ontique l'ontique, on y appelle également un trou-du-cul un trou-du-cul. Étonnant, non?

L.L.d.M.


Subject: Re: [le terrier] Du naufrage moderne avec l'institution
From: "Philippe De Jonckheere" Date: Mon, 7 Nov 2005 11:27:34

je n'ai pas le souvenir que Georges Marchais se complût dans l'hypercorrection dont souffre ce tourneur de phrases à ampoules. Mais l'animal a, croit-il, un coup à porter, et il aimerait bien que ça soit «joliment écrit», parce que c'est vrai, quoi, on est sur une liste d'artistes, non? On a sa fierté d'apprenti lettré et, surtout, sa couardise ornementale. C'est pas la bonne liste, Machin, parce que si ici on appelle effectivement Cratyle Cratyle et l'ontique l'ontique, on y appelle également un trou-du-cul un trou-du-cul. Étonnant, non?

Laurent c'est quoi un trou-du-cul, cratyle et ontique je vous suis parfaitement mais trou-du-cul, là je suis plus. Ca m'embête.

Amicalement

Phil


Subject: Re: [le terrier] Du naufrage moderne avec l'institution
From: bausson joachim Date: Mon, 7 Nov 2005 13:39:08

lldemars a écrit :
je n'ai pas le souvenir que Georges Marchais se complût dans l'hypercorrection dont souffre ce tourneur de phrases à ampoules.

Bon, bon... Oui... (pour Georges Marchais je pensais à une certaine capacité à faire se tordre la syntaxe la plus élémentaire)... Mais surtout ce qui m'intrigue, là, et ce qui m'a fait, encore une fois, mettre les mains où on ne me le demandait pas, c'est : quelles raisons au juste a ce Mossieu d'envoyer un courrier d'une telle agressivité ? Pourquoi les textes de Raphaël, qui me semble être un garçon tout à fait doux et peu braillard, dont l'écriture au demeurant ne passe ni par l'arrogance ni par l'emphase auto-nourricière, sucitent-ils soudainement une telle coulée morveuse ? Comprends pas. C'est quoi l'histoire ? Pourquoi ce type qui, semble-t-il, n'écrit jamais ici, trouve d'un coup nécessaire de venir frapper (-ce qui ne fait pas du bien, n'est-ce pas?-) sur des gens avec lesquels il n'entretient aucun dialogue ? Encore une fois : c'est quoi l'histoire ?

Joachim


Subject: Re: [le terrier] Du naufrage moderne avec l'institution
From: "raphael\.edelman" Date: Mon, 7 Nov 2005 14:10:24

pourquoi cette manie de rendre si compliquées des idées on ne peut plus banales ? (au-delà de la simple plainte, j'entends) en quoi "naufrage personnel" me semble-t-il autant, sinon se conjuguer, se sublimer dans une arrogance (au moins esthétique) à laquelle je ne vois guère d'issue (ne serait-ce que socialement).

- je m'attendais pas à ça. Ca commence mal l'aventure. Personne n'oblige personne à lire quoi que ce soit. je pensais à des critiques constructives sur des points précis et pas à des réactions poujadistes. alors petit rappel pour apprenti lecteur : quand ça semble compliqué, se demander si on a bien compris avant d'attaquer l'auteur. quand ça sembe banal, se demander si on a pas loupé quelque chose. sinon, on change de bouquin

- Pourquoi ce type qui, semble-t-il, n'écrit jamais ici, trouve d'un coup nécessaire de venir frapper (-ce qui ne fait pas du bien, n'est-ce pas?-) sur des gens avec lesquels il n'entretient aucun dialogue ? Encore une fois : c'est quoi l'histoire ?

- c'est parce que je suis paranoïaque


Subject: Re: [le terrier] Du naufrage moderne avec l'institution
From: lldemars Date: Mon, 07 Nov 2005 19:57:32

ou madame. agressivité ? Pourquoi les textes de Raphaël, qui me semble être un garçon tout à fait doux et peu braillard, dont l'écriture au demeurant ne passe ni par l'arrogance ni par l'emphase auto-nourricière, sucitent-ils soudainement une telle coulée morveuse

Le colistier lui-même nous éclaire à sa manière: y comprends pas.

semble-t-il, n'écrit jamais ici, trouve d'un coup nécessaire de venir frapper sur des gens avec lesquels il n'entretient aucun dialogue ?

faudrait les moyens. ils manquent, apparemment.

L.L.d.M.


Subject: Re: [le terrier] Du naufrage moderne avec l'institution
From: lldemars Date: Mon, 07 Nov 2005 20:07:10

je m'attendais pas à ça. Ca commence mal l'aventure. Personne n'oblige personne à lire quoi que ce soit.

Moui, m'enfin tu proposes des textes, faut pas non plus déconner, c'est tout-à fait normal - c'est l'usage - qu'on t'en cause. Le fait même qu'on t'en cause n'est pas criticable du tout, le "personne n'est obligé de me lire" me parait un peu faiblard.

je pensais à des critiques constructives sur des points précis et pas à des réactions poujadistes.

Excuse-moi d'insister, mais décidément, ta façon de te défendre m'étonne : je t'ai connu plus rigoureux (en fait, c'est même ce que je te reproche en général le plus dans tes textes, ce côté terriblement posé dans le choix de tes termes etc., ton côté prof, chemise et soupe), alors pour le coup, je me demande ce que Poujade vient foutre ici. que notre interlocuteur du jour soit lourd, un tantinet réactionnaire (quoique: la bonne vieille haine de l'intello n'a pas vraiment de couleur politique) et particulièrement maniéré, oui, c'est assez indéniable; mais poujadiste?

alors petit rappel pour apprenti lecteur : quand ça semble compliqué, se demander si on a bien compris avant d'attaquer l'auteur.

autant attaquer le texte (hé oui, c'est comme ça, ce soir, j'ai décidé de chipoter sur tout).

quand ça sembe banal, se demander si on a pas loupé quelque chose.

ça, j'en reviendrai à ce que Nietzsche en dit dans Ecce Homo (à propos d'une totalité neuve, formelle, linguistique, poétique, pour annoncer des idées neuves), «là où l'on ne voit rien, on a l'illusion de croire qu'il n'y a rien». Oui, je sais, je me répète en matière de citations.


Subject: Re: [le terrier] Du naufrage moderne avec l'institution
From: Thierry Bouche <Thierry . Bouche (a) ujf-grenoble . fr> Date: Mon, 7 Nov 2005 21:03:05

> «là où l'on ne voit rien, on a l'illusion de croire l> qu'il n'y a rien». Oui, je sais, je me répète en matière de citations.

surtout qu'à citer des aphorismes, on pourrait finir par faire croire qu'on les goûte...

Mr DoDo


Subject: Re: [le terrier] Du naufrage moderne avec l'institution
From: Cédric CHAIGNEAU Date: Tue, 8 Nov 2005 02:33

> «là où l'on ne voit rien, on a l'illusion de croire l> qu'il n'y a rien». Oui, je sais, je me répète en matière de citations.

surtout qu'à citer des aphorismes, on pourrait finir par faire croire qu'on les goûte... Mr DoDo

Ah oui mais là c'est une citation approximative, pas un aphorisme. Dans Ecce Homo, il n'y a aucun aphorisme, même en comptant les lignes.

La citation exacte, dans son contexte, est : " -- Finalement, personne ne peut trouver dans les choses, sans en excepter les livres, plus qu'il n'en sait déjà. On ne saurait entendre exactement ce à quoi des expériences antérieures ne vous donnent point accès. Imaginons seulement un cas extrème: qu'un livre ne parle que d'expériences qui se trouvent complètement en dehors des possibilités qui se présentent fréquemment, ou même rarement seulement, dans la vie de quelqu'un ; que c'est la première fois que le livre en question parle un langage destiné à une nouvelle série de possibilités. Dans ce cas, il se produit un phénomène extrèmement simple: on n'entend rien de ce qui est dit et on a l'illusion de croire que là où on n'entend rien il n'y a rien... C'est l'expérience que j'ai faites dans la plupart des cas et c'est, si l'on veut, ce que mon expérience personnelle présente d'original. Celui qui croyait avoir compris quelque chose dans mon oeuvre s'en était fait une idée à sa propre image, une idée qui, le plus souvent, est en contradiction absolue avec moi -même. On fait de moi, par exemple, un « idéaliste ». Quand on avait rien compris du tout, on se contentait de dire que je n'avais pas d'importance." (traduction par Henri Albert révisée par Jean Lacoste, p.1146 volume II des oeuvres de Nieztsche dans la collection bouquins Robert Laffont).

Dr C.


Subject: Re: [le terrier] Du naufrage moderne avec l'institution
From: lldemars Date: Tue, 08 Nov 2005 10:11:08illa Thunderbird 1.0 (Windows/20041206
)

La citation exacte, dans son contexte, est :

merci docteur, je citai de mémoire, et on a donc pu voir ici combien elle était approximative,

L.L.d.M.


Subject: Re: [le terrier] Du naufrage moderne avec l'institution
From: "raphael\.edelman" Date: Tue, 8 Nov 2005 10:27:17

> Moui, m'enfin tu proposes des textes, faut pas non plus déconner, c'est tout-à fait normal - c'est l'usage - qu'on t'en cause. Le fait même qu'on t'en cause n'est pas criticable du tout, le "personne n'est obligé de me lire" me parait un peu faiblard.

Non mais d'accord mais quand même, j'appelle pas ça causer d'un texte. D'ailleurs on ne sais même pas de quoi y cause en particulier. C'est juste une crise de nerf devant la difficulté. D'ailleurs, je me demande si, paradoxalement, c'est pas parce que mon texte est assez scolaire qu'on se permet de passer à l'attaque.

alors pour le coup, je me demande ce que Poujade vient foutre ici. que notre interlocuteur du jour soit lourd, un tantinet réactionnaire > (quoique: la bonne vieille haine de l'intello n'a pas vraiment de > couleur politique) et particulièrement maniéré, oui, c'est assez indéniable; mais poujadiste?

c'est la petite réflexion sur l'utilité sociale qui m'a fait utiliser ce gros mot

ça, j'en reviendrai à ce que Nietzsche en dit dans Ecce Homo (à propos d'une totalité neuve, formelle, linguistique, poétique, pour annoncer > des idées neuves), «là où l'on ne voit rien, on a l'illusion de croire > qu'il n'y a rien». Oui, je sais, je me répète en matière de citations.

c'est fascinant d'ailleurs de voir que l'invention des formes suscite à la fois le problème de la complexité et de la banalité (je dis pas ça pour moi, tu sais bien que moi je suis conventionnel). Sinon félicitation pour les travaux plastiques que j'ai découverts ou redécouverts pour certains. Pourquoi le motif du panneau signalétique ? une ironie contre le mythe de la communication ?

raf


Subject: Re: [le terrier] Du naufrage moderne avec l'institution
From: "raphael\.edelman" Date: Tue, 8 Nov 2005 11:10:11

" -- Finalement, personne ne peut trouver dans les choses, sans en excepter les livres, plus qu'il n'en sait déjà. On ne saurait entendre exactement ce à quoi des expériences antérieures ne vous donnent point accès. Imaginons seulement un cas extrème: qu'un livre ne parle que d'expériences qui se trouvent complètement en dehors des possibilités qui se présentent fréquemment, ou même rarement seulement, dans la vie de quelqu'un ; que c'est la première fois que le livre en question parle un langage destiné à une nouvelle série de possibilités. Dans ce cas, il se produit un phénomène extrèmement simple: on n'entend rien de ce qui est dit et on a l'illusion de croire que là où on n'entend rien il n'y a rien... C'est l'expérience que j'ai faites dans la plupart des cas et c'est, si l'on veut, ce que mon expérience personnelle présente d'original. Celui qui croyait avoir compris quelque chose dans mon oeuvre s'en était fait une idée à sa propre image, une idée qui, le plus souvent, est en contradiction absolue avec moi -même. On fait de moi, par exemple, un « idéaliste ». Quand on avait rien compris du tout, on se contentait de dire que je n'avais pas d'importance." (traduction par Henri Albert révisée par Jean Lacoste, p.1146 volume II des oeuvres de Nieztsche dans la collection bouquins Robert Laffont).

je ne résiste pas à la tentation de livrer là, sans avoir le temps de bien mesurer l'impact de cette rencontre : "le changement scientifique, en passant d'un mode d'_expression_(présentation) à un autre, rend souvent inconcevable ce qui était concevable auparavant (et inversement), et produit ainsi une transformation fondamentale dans la cosmologie : nous entrons dans un nouveau monde, contenant de nouvelles entités, aux rapports nouveaux et surprenants"

(Paul Feyerabend, Contre la méthode,p255, seuil, 1979).

raf


Subject: Re: [le terrier] Du naufrage moderne avec l'institution
From: Thierry Bouche <thierry . bouche (a) ujf-grenoble . fr> Date: Tue, 8 Nov 2005 11:57:17

je ne résiste pas à la tentation de livrer là, sans avoir le temps de bien mesurer l'impact de cette rencontre :

à ce petit jeu : « Toute langue est étrangère » (Prigent).

« Écrire, former dans l'informel un sens absent » (Blanchot).

on voit cette dernière un peu comme la définition de l'écriture littéraire (graver son style, sa manière, renoncer soi-même à l'illusion du sens et s'en tenir à la satisfaction tragique d'une forme bien agencée).

Marrant de voir qu'après les tonnes de pessimisme du siècle passé sur l'impossibilité d'échanger du sens, de Nietzsche donc, à Wittgenstein, on soit encore là, à discuter ?

Thierry


Subject: Re: [le terrier] Du naufrage moderne avec l'institution
From: Cédric CHAIGNEAU Date: Tue, 8 Nov 2005 13:00:22

Marrant de voir qu'après les tonnes de pessimisme du siècle passé sur l'impossibilité d'échanger du sens, de Nietzsche donc, à Wittgenstein, on soit encore là, à discuter ?

Oh et encore cette liste se fait surtout l'écho des sceptiques et des pessimistes. Il faut savoir qu'il y a d'indécrottables optimistes, les « cognitivistes », d'ailleurs je me fais violence pour lire Morale et Communication de Jurgen Habermas (mon dieu, ce titre!) qui prétend fonder une éthique de la communication.

Ceci est très sérieux. Même si on a pû rattacher Habermas à la « théorie critique », ça fait longtemps qu'il a tracé sa voie propre dans cette refondation de la communication, ses premiers livres sur le sujet datent des années 80.

"A ce stade, le jugement moral se libère des conventions locales et de la tonalité historique d'une forme de" "vie particulière ; il ne peut plus en appeler à l'autorité du contexte du mondé vécu. Et les réponses morales" "ne recèlent désormais plus que la force rationnelement motivante d'actes de compréhension ; avec les " "évidences indubitables issues de l'arrière-plan du monde vécu, elles perdent la force motrice des mobiles " "empiriquement efficaces. Toute morale universaliste doit, pour devenir efficace, compenser cette perte de " "moralité sociale concrète, même si, en un premier temps, elle s'en accommode à cause de l'avantage " "cognitif que représente cette perte. Les morales universalistes dépendent de formes de vie qui, de leur côté" "sont à ce point « rationalisées » qu'elles rendent possibles l'application intelligente des actes compréhension" "moraux universels et exigent des motivations pour transformer ces actes de compréhension en action " "morale. Seules les formes de vie qui, en ce sens, vont au devant des morales universalistes remplissent " "les conditions nécessaires pour que les opérations abstractives de décontextualisation et de démotivation " "ne soient jamais définitives. "

On sait ce que Deleuze, par exemple, pensait de ce panier de crabes des philosophes des « universaux ».

Dr C.


Subject: Re: [le terrier] Du naufrage moderne avec l'institution
From: lldemars Date: Tue, 08 Nov 2005 15:37:52

> c'est la petite réflexion sur l'utilité sociale qui m'a fait utiliser ce gros mot

bof; il était plus question d'un mode de pensée référendaire - y'a pas naufrage quand 8000 personnes lisent la même connerie, y'a naufrage quand ils sont 3 à lire quelque chose d'intelligent - qui pense l'échec avec les instruments de mesure du statisticien sans jamais se soucier de l'objet mis en coupe statistique. Bref, une pensée connarde, jobarde, télévisuelle et, c'est quand même le plus marrant, terriblement méprisante pour qui prétend pourtant se poser du côté de l'humilité (celle des braves gars qui causent simplement).

félicitation pour les travaux plastiques que j'ai découverts ou redécouverts pour certains. Pourquoi le motif du panneau signalétique ? une ironie contre le mythe de la communication ?

quel panneau signalétique?

L.L.d.M.


Subject: Re: [le terrier] Du naufrage moderne avec l'institution
From: lldemars Date: Tue, 08 Nov 2005 15:45:00

bien mesurer l'impact de cette rencontre : "le changement scientifique, en passant d'un mode d'expression(présentation) à un autre, rend souvent inconcevable ce qui était concevable auparavant (et inversement), et produit ainsi une transformation fondamentale dans la cosmologie : nous entrons dans un nouveau monde, contenant de nouvelles entités, aux rapports nouveaux et surprenants"

oui, enfin, ça excède largement le seul cadre des formulations scientifiques; dit autrement, c'est l'agrandissement du monde accompagnant les oeuvres humaines qui, par là même, étend le laboratoire pour les oeuvres à venir. Une des conséquences de notre isolement loin de toute nature est que nous portons également notre espace et la possibilité de l'accroître infiniment par sa formulation.

L.L.d.M.


Subject: Re: [le terrier] Du naufrage moderne avec l'institution
From: lldemars Date: Tue, 08 Nov 2005 15:47:37

Marrant de voir qu'après les tonnes de pessimisme du siècle passé sur l'impossibilité d'échanger du sens, de Nietzsche donc, à Wittgenstein, on soit encore là, à discuter ?

parce que le pessimisme - même et surtout sur l'impossible du discours - est encore une des formes de la discussion, non? Nous ne l'enterrons pas, nous le prolongeons. Pour que l'on sache bien que la communication, hé bien ça ne marche pas, il va falloir que nous en informions le plus de monde possible...


Subject: Re: [le terrier] Du naufrage moderne avec l'institution
From: Thierry Bouche <thierry . bouche (a) ujf-grenoble . fr> Date: Tue, 8 Nov 2005 15:52:20

Pour que l'on sache bien que la communication, hé bien ça ne marche pas, l> il va falloir que nous en informions le plus de monde possible...

et s'ils ne comprenaient pas ce que nous leur dirions ?

Mais n'est-il pas marrant de voir qu'alors qu'« il n'y a pas de rapport sexuel », on soit encore là, à forniquer gaiement ?

T


Subject: Re: [le terrier] Du naufrage moderne avec l'institution
From: lldemars Date: Tue, 08 Nov 2005 15:54:48

Mais n'est-il pas marrant de voir qu'alors qu'« il n'y a pas de rapport sexuel », on soit encore là, à forniquer gaiement ?

tu l'as dit toi-même, on fornique, on a pas de rapports sexuels.


Subject: Re: [le terrier] Du naufrage moderne avec l'institution
From: "raphael\.edelman" Date: Wed, 9 Nov 2005 13:14:08

Marrant de voir qu'après les tonnes de pessimisme du siècle passé sur l'impossibilité d'échanger du sens, de Nietzsche donc, à Wittgenstein, > on soit encore là, à discuter ?

C'est que nous échangeons tout de même DES sens plutôt que DU sens. Le pessimisme en matière de science (le sens) ne recoupe pas nécessairemt un pessimisme en matière d'art (les sens).

raf


Subject: Re: [le terrier] Du naufrage moderne avec l'institution
From: "raphael\.edelman" Date: Wed, 9 Nov 2005 13:25:02

quel panneau signalétique?

Je pensais à "peinture sèche"


Subject: Re: [le terrier] Du naufrage moderne avec l'institution
From: "raphael\.edelman" Date: Wed, 9 Nov 2005 13:33:04

oui, enfin, ça excède largement le seul cadre des formulations scientifiques; dit autrement, c'est l'agrandissement du monde accompagnant les oeuvres humaines qui, par là même, étend le laboratoire pour les oeuvres à venir. Une des conséquences de notre isolement loin de toute nature est que nous portons également notre espace et la possibilité de l'accroître infiniment par sa formulation

bien d'accord. Feyerabend parle ici et majoritairement dans son livre des sciences de la nature en tant que philosophe des science. Cependant sa thèse est que les sciences de la nature, comme la philosophie des sciences, ne sont que des régions du vaste continent mythologique issu de notre poésie (oooh)

raf


Subject: Re: [le terrier] Du naufrage moderne avec l'institution
From: "raphael\.edelman" Date: Wed, 9 Nov 2005 13:39:27

Pour que l'on sache bien que la communication, hé bien ça ne marche pas, > il va falloir que nous en informions le plus de monde possible...

oui, mais supposons que quelqu'un d'un peu obtus te demande comment tu parviens à informer par un moyen qui ne marche pas, tu lui réponds quoi à ce type, à part bien entendu quelques jurons bien sentis ?


Subject: Re: [le terrier] Du naufrage moderne avec l'institution
From: lldemars Date: Wed, 09 Nov 2005 18:29:09

oui, mais supposons que quelqu'un d'un peu obtus te demande comment tu parviens à informer par un moyen qui ne marche pas, tu lui réponds quoi à ce type, à part bien entendu quelques jurons bien sentis ?

Hm. Raphaël, c'était une boutade, comment dire? C'était ça, le gag, le truc rigolo. C'était, tu sais, ce truc sur lequel tu écris des longs textes trop compliqués, de, de, de l'humour.


Subject: Re: [le terrier] Du naufrage moderne avec l'institution
From: "raphael\.edelman" Date: Thu, 10 Nov 2005 15:08:29

Raphaël, c'était une boutade, comment dire? C'était ça, le gag, le truc rigolo. C'était, tu sais, ce truc sur lequel tu écris des longs textes trop compliqués, de, de, de l'humour.

ah oui oui d'accord, chui con. surtout je suis resté trop sérieux malgré mon travail sur le comique. M'enfin si les médecins devaient attraper les choses qu'ils étudient... bien que ce soit une bonne maladie, l'humour. Au delà de ça, et sans vouloir me justifier, je cherche des réponses à la question comment parler de l'echec du langage sans se contredire. Montrer comment ça marche pas, comme diogène montra le mouvement en marchant ? C'est un coup à s'en prendre à l'artisan plus qu'à l'outil. Dire qu'il y a des sens et non un sens, c'est mieux. Ou encore que ça marche à moitié.

Bon sinon, tu nous parles du concert d'hier ? Pour le panneau signalétique j'ai du dire une connerie si j'entends bien ton silence. Ca sera pas la dernière


Subject: Re: [le terrier] Du naufrage moderne avec l'institution
From: lldemars Date: Thu, 10 Nov 2005 15:46:16

ah oui oui d'accord, chui con. surtout je suis resté trop sérieux malgré mon travail sur le comique.

Dis pas ça maheureux, pense à tous les colistiers qui ne te connaissant pas te prenaient pour un vrai bout-en-train, chouette, un philosophe rigolo.

langage sans se contredire. Montrer comment ça marche pas, comme diogène montra le mouvement en marchant ?

Bin s'il fallait trouver un équivalent à ton exemple, ce serait de fermer sa gueule. Est-ce suffisant pour signifier l'échec de toute communication?

un sens, c'est mieux. Ou encore que ça marche à moitié. Bon sinon, tu nous parles du concert d'hier ?

C'était vraiment très bien; je suis revenu avec un disque de ce Anla Courtis qui est vraiment un musicien étonnant; chez de nombreux musiciens expérimentaux, ce qui à tendance à me gonfler est cette inaptitude complète à intégrer le silence à leurs compositions (en fait, une grosse partie des musiciens expérimentaux font sans le savoir de la musique de cirque: formes compositionnelles académiques mais instrumentations incongrues ou bruitistes, l'invention de l'outil se substituant à celle de l'écriture musicale); chez Courtis, le continuum sonore crée une étrange abolition du temps (le concert aurait pu durer trois heures de plus nous aurions été incapables de nous situer dans le temps), un couloir paradoxalement aérien et clair, mais engorgé de vrombissements qui semblent avaler toutes les harmoniques du monde. Il abuse un peu de l'effet de transes par une sorte de scénographie pendulaire et une prolifération des fréquences extrêmes aux oscillations obstinées, mais je ne vais pas chipoter, c'était vraiment un grand plaisir et une expérience physique autant qu'acoustique fascinante. "La terre tremble" s'est avérée aussi chouette à entendre sur scène que l'avait été ma découverte sur disque, bien qu'ils aient forcé l'effet pop de cette session, créant une malencontreuse distance ironique qui n'existait pas dans l'enregistrement. Bref, une excellente soirée, quels que soient mes chipotages.

> Pour le panneau signalétique j'ai du dire une connerie si j'entends bien ton silence. Ca sera pas la dernière

je voulais juste dire quelque chose de précis, mais j'ai pas trouver le courage, le temps, dieu sait quoi (l'envie? Ces travaux sont assez loin de moi aujourd'hui, et j'en ai beaucoup causé au moment de leur production). Il va falloir se satisfaire de cet éclairage rapide: c'est un «retour sur le signe» (le ramener à sa présence par un simple petit changement de cadre, de matériologie etc.). Parano: ne surtout pas surinterpréter les silences sur cette liste, cher nouvel abonné, tu risques bien des déconvenues (depuis sa création, c'est 80% des colistiers qui sont muets); on est pas toujours obligé d'embrayer, et pour beaucoup pas même de causer.

L.L.d.M.


Subject: Re: [le terrier] Du naufrage moderne avec l'institution
From: r Date: Thu, 10 Nov 2005 17:05:13

Le 10/11/2005, "raphael.edelman" a écrit:
Au delà de ça, et sans vouloir me justifier, je cherche des réponses à la question comment parler de l'echec du langage sans se contredire. Montrer comment ça marche pas, comme diogène montra le mouvement en marchant ? C'est un coup à s'en prendre à l'artisan plus qu'à l'outil. Dire qu'il y a des sens et non un sens, c'est mieux. Ou encore que ça marche à moitié.

Je reviens là-dessus un peu tardivement (et je me goure peut être à 1000 %), parce que le nom de Wittgenstein a été cité en passant autour de ces questions compliquées "d'échec du langage" ou de la "communication".

Je ne pense pas du tout qu'il y ait chez LW de constat d'échec du langage, du moins après le Tractatus. Et encore, même dans ce texte y-a-t'il a moins échec que recherche d'une méthode et de délimitations dans ce qui peut être dit avec sens, le sens s'appuyant sur une logique particulière (atomisme logique si mes souvenirs sont bons) et s'entendant d'une façon que le texte lui-même tente de définir au travers de différentes structures dont le dire/montrer. Au-delà il pose l'élément mystique et l'éthique, qui ne sont pas à strictement parler isolables dans le TLP même s'ils ne se recouvrent pas totalement.

« 6.52. Nous sentons que même si toutes les possibles questions scientifiques ont trouvé leur réponse, nos problèmes de vie n'ont pas même été effleurés. Assurément, il ne subsiste plus alors de question; et cela même constitue la réponse. 6.521. La solution du problème de la vie se remarque à la disparition de ce problème. (N'est-ce pas là la raison pour laquelle des hommes pour qui le sens de la vie est devenu clair au terme d'un doute prolongé n'ont pu dire ensuite en quoi consistait ce sens ? 6.522. Il y a assurément de l'inexprimable. Celui-ci se montre, il est l'élément mystique»

Mais par la suite pas du tout, au contraire, LW, passe le reste de sa vie à montrer entre autres comment le langage fonctionne tout à fait, et le plus souvent en donnant satisfaction, dès lors qu'on n'entre pas dans une illusion philosophique du langage (LW dans mon souvenir ne traite pas beaucoup de « communication », mais je peux me tromper). Et c'est cela qu'il dénonce avec les jeux de langage, une série de non-sens philosophiques (dont le plus proéminent, le langage privé, comme par exemple dans notes sur l'expérience privée et les sense data) qui en viennent à affirmer un défaut du langage pour maintenir l'illusion philosophique d'un rapport langage-pensée vicié qui serait responsable d'un échec diffus et permanent.

oolong


Subject: Re: [le terrier] Du naufrage moderne avec l'institution
From: "raphael\.edelman" Date: Fri, 11 Nov 2005 12:57:34

Bin s'il fallait trouver un équivalent à ton exemple, ce serait de fermer sa gueule. Est-ce suffisant pour signifier l'échec de toute communication?

Non, car il faudrait pour montrer l'échec utiliser quelque chose qui marche habituellement. Si tout le monde fermait sa gueule, ce qui est malheureusement un peu trop le cas, ça n'aurait plus aucune force démonstrative

C'était vraiment très bien; je suis revenu avec un disque de ce Anla Courtis qui est vraiment un musicien étonnant

merci pour la description, ça donne envie d'entendre ce disque de Courtis

Il va falloir se satisfaire de cet éclairage rapide: c'est un «retour sur le signe» (le ramener à sa présence par un simple petit changement de cadre, de matériologie etc.).

C'est à peu près ce qu'il m'avait semblé. Je ferai davantage confiance au silence à l'avenir. Tu vois, fermer sa gueule ça n'est toujours pas une perte de sens. C'est juste un peu trop polysémique. Si les mots sont polysémiques, le silence est ultra polysémique


Subject: Re: [le terrier] Du naufrage moderne avec l'institution
From: lldemars Date: Sun, 13 Nov 2005 18:47:39

Je ne pense pas du tout qu'il y ait chez LW de constat d'échec du langage,

je ne crois pas qu'il y ait eu ici, de toute façon, autre chose que l'évocation d'un échec du langage EN TANT qu'on lui supposait d'emblée une fonction instrumentale, c'est-à-dire dans la créance même en la communication humaine; sinon, que pourait bien signifier un «échec du langage»? Pour l'envisager comme échec, il faut donc avoir déjà posé illusoiremment en problématique sa réussite dans une sphère à laquelle il ne ressortit pas.

Mais par la suite pas du tout, au contraire, LW, passe le reste de sa vie à montrer entre autres comment le langage fonctionne tout à fait, et le plus souvent en donnant satisfaction, dès lors qu'on n'entre pas dans une illusion philosophique du langage (LW dans mon souvenir ne traite pas beaucoup de « communication », mais je peux me tromper)

je n'ai pas non plus le souvenir qu'il en soit question dans le Tractatus ni ailleurs (mais tout ça est bien loin de moi aujourd'hui, et je peux me gourrer)

sense data) qui en viennent à affirmer un défaut du langage pour maintenir l'illusion philosophique d'un rapport langage-pensée vicié qui serait responsable d'un échec diffus et permanent.

Ce rapport n'est vicié que si on considère le langage comme soumis à des objets (en gros, un antériorité conceptuelle à signifier, à formuler) et non comme le processus même par lequel s'énonce le sujet qui parle.

L.L.d.M.


Subject: Re: [le terrier] Du naufrage moderne avec l'institution
From: lldemars Date: Sun, 13 Nov 2005 19:08:01

Les non sens philosophiques, pour un philosophe positiviste, sont tout de même des acquis poétiques - et philosophiques pour des philosophes spéculatifs.

j'aimerais assez que vous dévelopiez ça, tous les deux. La notion même de non-sens philosophique est très floue pour moi (dans quel modalité se situe le non-sens par rapport à un projet philosophique? est-ce un problème moral, conceptuel, ergologique? Est-il «absolument» un non-sens pour toute philosophie, ou, comme le laisse entendre Raphaël, devient-il autre chose dès lors que le projet philosophique se déplace ou qu'il s'inscirt dans une autre école?)

L.L.d.M.


Subject: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: r Date: Sun, 13 Nov 2005 22:12:18

j'aimerais assez que vous dévelopiez ça, tous les deux. La notion même de non-sens philosophique est très floue pour moi (dans quel modalité se situe le non-sens par rapport à un projet philosophique? est-ce un problème moral, conceptuel, ergologique? Est-il «absolument» un non-sens pour toute philosophie, ou, comme le laisse entendre Raphaël, devient-il autre chose dès lors que le projet philosophique se déplace ou qu'il > s'inscirt dans une autre école?)

Ce sont les autrichiens qui se sont principalement intéressé à cette expression (Brentano, Mach, Bolzano, Wittgenstein, le Cercle de Vienne, mais aussi Musil ou Kraus) sur laquelle ils sont arrivés au fil des élaborations sur le doublet exactitude/bavardage. Dans le premier LW, celui du tractatus, un non-sens philosophique est une proposition philosophique qui ne représente rien, comme « personne ne peut avoir ma pensée », car le dépliement de cette phrase par analyse logique met en évidence qu'elle est contradictoire, l'état de chose qu'elle décrit n'est pas viable. "Le sens de la proposition est son accord ou son désaccord avec les possibilités de subsistance ou de non-subsistance des états de choses." (TLP 4.2) Ce non-sens n'est pas grandement différent d'une proposition dépourvue de sens comme « cet objet est à la fois entièrement bleu et entièrement jaune » ou « la classe de tous les lions est un lion » (Russel). D'une certaine façon le projet de LW à cette époque est de critiquer le discours métaphysique en en mettant en évidence les non-sens, et finalement non-sens philosophique et non-sens métaphysique sont superposables. Pour répondre à ta question, c'est plutôt un problème conceptuel et logique à comprendre dans une démarche méthodologique, et dans le projet philosophique particulier de LW dont on sait qu'il est inséparable d'un projet éthique qui ne peut s'inscrire qu'en creux, mais qui découle aussi de cette opération de "purification" logique.

"la plupart des propositions et des questions qui ont été écrites touchant les matières philosophiques ne sont pas fausses, mais sont dépourvues de sens. Nous ne pouvons donc en aucune façon répondre à telles questions, mais seulement établir leur non-sens." (4.003)

Le but de la philosophie est de parvenir non pas à une doctrine mais au point de vue philosophique correct, ce qui suppose la critique des non-sens philosophiques.

Des entités classiques telles que l'être ou la pensée sont soit fictives et créent de la confusion lors de leur mise en proposition, soit employées au sein de propositions incompatibles avec la combinatoire logique qui leur est propre selon les règles de la syntaxe logique (ou de la grammaire philosophique plus tard)

On reconnaît là une grande proximité avec le Kant qui dans la première critique décrit un certain nombre d'apories de la raison pure. Je ne me souviens plus du titre exact de ce passage, mais il montre par exemple que la question de l'origine du temps est aporétique et comme telle la rejette du domaine de la connaissance. (tout cela bien entendu est très schématique, il faudrait faire une lecture serrée du texte pour voir comment le projet logique et le non-sens s'articulent, et quelle place occupe le non-sens philosophique là-dedans).

Un non-sens philosophique est-il absolument un non-sens pour toute philosophie ? Je n'ai pas de réponse à cette question. Un LW plus tardif, mais en continuité étroite avec le premier « reconnaît alors que de nouvelles expériences sont souvent exprimées par des phrases apparemment insensées » (HJ Glock dans le Dictionnaire Wittgenstein). Mais il le fait dans certaines limites, et en particulier réfute qu'un simple usage nouveau des mots qui ne soit pas accompagné d'une nouvelle définition de leur usage produise autre chose que des non-sens philosophiques. On ne peut pas altérer les frontières du sens uniquement en jouant avec les mots (bien entendu, une telle proposition posera quelques problèmes au lecteur de Lacan de base, et je dis bien de base).

Je ne suis pas d'accord avec la formule de Raphael parce que je la trouve lapidaire (d'une certaine façon j'ai donc peur de ne pas la comprendre), mais comme je n'ai pas non plus un penchant absolu pour les philosophies de la clarté qui risquent de devenir diaphanes, je dirais qu'un non sens-philosophique peut servir de base à de nouveaux développements philosophiques. Un exemple intéressant est le récent bouquin de Frédéric Nef, Qu'est-ce que la métaphysique ? (Folio) Qui montre assez bien que le frottement entre la métaphysique et les sciences dures (logique, physique fondamentale, méthématiques) a été producteur de sens philosophique dans tout le vingtième siècle. Mais sûrement pas en se contentant de rhabiller de vieilles formules.

En fait, pour ceux que ça intéresse, la lecture de Bouveresse, par exemple le philosophe chez les autophages sera bien plus éclairante que mes médiocres commentaires.

oolong


Subject: Re: [le terrier] Du naufrage moderne avec l'institution
From: "raphael\.edelman" Date: Mon, 14 Nov 2005 14:32:22

j'aimerais assez que vous dévelopiez ça, tous les deux. La notion même de non-sens philosophique est très floue pour moi (dans quel modalité se situe le non-sens par rapport à un projet philosophique? est-ce un problème moral, conceptuel, ergologique? Est-il «absolument» un non-sens pour toute philosophie, ou, comme le laisse entendre Raphaël, devient-il autre chose dès lors que le projet philosophique se déplace ou qu'il > s'inscirt dans une autre école?)

ce que je peux dire c'est qu'un courant philosophique positiviste, l'école de Vienne, entend partir à la chasse des énoncés absurdes, considérant que la métaphysique s'est longtemps fourvoyée en posant de mauvaises questions. Au lieu donc de continuer à tenter de résoudre des problèmes sans solutions, on s'attachera à dissoudre les questions idiotes en montrant qu'elles enfreignent la grammaire correcte. Ce faisant, elles inventent des entités telles que le néant, le cogito etc. sur lesquels on ne peut rien dire. C'est tout juste bon pour la poésie. A cela, ce que j'appelle un philosophe spéculatif répondra que, primo, c'est une entreprise castratrice que de vouloir enfermer la langue dans un cadre grammatical trop strict et que, secundo, la licence poétique dans le domaine philosophique permet de parler de ce qui habituellement reste inaperçu.


Subject: Re:[le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Mon, 14 Nov 2005 14:53:28

Je ne suis pas d'accord avec la formule de Raphael parce que je la trouve lapidaire (d'une certaine façon j'ai donc peur de ne pas la comprendre), mais comme je n'ai pas non plus un penchant absolu pour les philosophies de la clarté qui risquent de devenir diaphanes, C'est vrai que je pourrais me fouler un peu plus et j'apprécie la précision de tes interventions.

Cependant, je ne sais pas bien avec quoi tu n'es pas d'accord. Un exemple intéressant est le récent bouquin de Frédéric Nef, Qu'est-ce que la métaphysique ? (Folio) Qui montre assez bien que le frottement entre la métaphysique et les sciences dures (logique, physique fondamentale, mathématiques) a été producteur de sens philosophique dans tout le vingtième siècle. Mais sûrement pas en se contentant de rhabiller de vieilles formules. En effet, je suis sur ce bouquin ces temps-ci et la position de nef est intéressante. Car il réhabilite la métaphysique au non d'une certaine rigueur grammaticale contre ceux (heideggeriens) qui annoncèrent sa mort à travers au contraire un usage débridé, voire incohérent de la langue (cF. le passage amusant sur la mort de dieu).


Subject: Re:[le terrier] non sens[était : du naufrgemoderne avec l'insitution]
From: r Date: Mon, 14 Nov 2005 15:54:58

Dialectique transcendantale, raisonnement dialectique, première antinomie

merci ,-) "antinomies" pas apories, comme je l'écrivais.

Cependant, je ne sais pas bien avec quoi tu n'es pas d'accord.

dans ton mail tu écrivais

" Les non sens philosophiques, pour un philosophe positiviste, sont tout de même des acquis poétiques - et philosophiques pour des philosophes spéculatifs."

C'est un peu court pour moi.

Tu as commencé à répondre dans ton dernier message sur le fil d'origine

"A cela, ce que j'appelle un philosophe spéculatif répondra que, primo, c'est une entreprise castratrice que de vouloir enfermer la langue dans un cadre grammatical trop strict et que, secundo, la licence poétique dans le domaine philosophique permet de parler de ce qui habituellement reste inaperçu. "

ça recoupe en partie ce que j'évoquais de la position tardive de LW. Mais la "licence poétique dans le domaine philosophique" c'est quand même souvent l'occasion de raconter n'importe quoi, non ? Sokal et Bricmont ou Bouveresse (prodiges et vertiges de l'analogie) l'ont assez mis en évidence. Donc je me demandais si tu pouvais être plus précis là-dessus, et poser un peu plus étroitement le rapport entre non-sens philosophique et licence poétique par exemple, comment l'un se transforme en l'autre ?

oolong


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Mon, 14 Nov 2005 20:42:04

Vienne, mais aussi Musil ou Kraus) sur laquelle ils sont arrivés au fil des élaborations sur le doublet exactitude/bavardage.

Je me demande si ce doublet ne trahit pas un doux rêve qui vaut bien celui d'une adéquation des idées à la parole, à savoir celui non moins frelaté d'une adéquation de la logique à celle-ci, supposant une sorte de "naturalité" de la logique... Il faudrait, par un quadrillage serré du langage, le débarrasser d'impuretés dont la nature m'échappe toujours, malgré ton éclaircissement (je t'en remercie au passage); difficile de dire s'il s'agit d'une considération sur le caractère dysfonctionnel des propositions, sur leur caractère aporétique ou sur leur caratère absurde. Dans tous les cas, c'est, il me semble, une conception «arrêtée» du discours, qui n'en mesure pas la production continue (production des sujets qui s'y énoncent, production du monde où ils s'énoncent), mais le supposent au service d'une antériorité conceptuelle à formuler. proposition philosophique qui ne représente rien, comme « personne ne peut avoir ma pensée », car le dépliement de cette phrase par analyse logique met en évidence qu'elle est contradictoire, l'état de chose qu'elle décrit n'est pas viable.

ce qui ne la ferme pas pour autant à la mise en lumière de la vérité, en tant que dite elle s'inscrira dans les discours même les plus contradictoires (elle seule les aura autorisé par la question qu'elle impose désormais) qui, analytiquement, la diront à leur tour. En bref, le processus le plus à même de produire du sens ne précède pas l'énoncé (le quadrillage que je suppose dans les propositions Wittgensteinienne: il n'y a rien à proprement parler à quadriller parce que, tout simplement, le territoire n'est pas encore tracé) mais c'est l'énonciation même. Pour répondre à ta question, c'est plutôt un problème conceptuel et logique à comprendre dans une démarche méthodologique, et dans le projet philosophique particulier de LW dont on sait qu'il est inséparable d'un projet éthique qui ne peut s'inscrire qu'en creux, mais qui découle aussi de cette opération de "purification" logique.

Décidemment, voilà qui met complètement à l'écart l'énonciation et, du coup, fait beaucoup se poser de question sur le rapport de Wittgenstein à sa propre pensée: n'est-il pas tout surpris d'être contredit dans sa matière même, par le seul fait que ses énoncés aient une valeur première (qu'il en crée les conditions d'apparitions) et croyait-il avoir touché à un «zéro rhétorique»? en d'autres termes, si un philosophe logique ne fait que formuler de l'antériorité, de quelle matière était constitué le corps de cette antériorité? Plus simplement: s'il ne fait qu'être linguistiquement adéquat à une idée, quelle était la forme inadéquate qui l'a précédée? Et comment pourrait-elle trouver une adéquation quelconque? "la plupart des propositions et des questions qui ont été écrites touchant les matières philosophiques ne sont pas fausses, mais sont dépourvues de sens. Nous ne pouvons donc en aucune façon répondre à telles questions, mais seulement établir leur non-sens."

C'est du sens peut-être, mais du sens «local», et c'est là qu'il y a à mon avis un affaiblissement du projet philosophique, ça étrique considérablement la notion de sens elle-même; quand un énoncé fait sens pour moi, ce n'est pas au moment où je l'ai compris, mais au moment où je l'ai intériorisé. Cette intériorisation ne ressortit pas au domaine minuscule du sens logique, mais à celui de l'incarnation, que seule l'expression illogique «faire corps avec une idée» peut éclairer, donner du sens. Je ne vais pas me priver du plaisir d'expédier ici la déclaration de Von Humboldt que je t'ai expédiée en privé: « La dépendance mutuelle et complémentaire de la pensée et du mot a pour conséquence évidente que les langues sont moins des moyens destinés à représenter la vérité déjà connue que des moyens promis à la découverte de la vérité jusque là insoupçonnée »; je dirais plutôt: jusque là innée (au sens de l'innéité, bien entendu).

En fait, pour ceux que ça intéresse, la lecture de Bouveresse, par exemple le philosophe chez les autophages sera bien plus éclairante que mes médiocres commentaires.

merci,

L.L.d.M.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Mon, 14 Nov 2005 20:48:59

ça recoupe en partie ce que j'évoquais de la position tardive de LW. Mais la "licence poétique dans le domaine philosophique" c'est quand même souvent l'occasion de raconter n'importe quoi, non ? Sokal et Bricmont ou Bouveresse (prodiges et vertiges de l'analogie) l'ont assez mis en évidence.

Je ne crois pas que les pauvres Sokal et Bricmont, quoiqu'ils aient cru faire, aient mis à mal autre chose que la bêtise éditoriale de gogos prêts à imprimer n'importe quoi (je parle juste de ceux qui ont publié leur salmigondis farceur, pas des éditeurs qui ont publiés les penseurs auxquels ils s'attaquaient). Tombaient à pic pour alimenter la haine de la complexité, de la polysémie, de l'ambiguïté, de l'invention, bref, la bonne vieille haine de l'intello à peine camouflée.


Subject: Re:[le terrier] non sens[Ãtait : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "François Coquet" <le . coqs (a) wanadoo . fr> Date: Mon, 14 Nov 2005

>(cF. le passage amusant sur la mort de dieu).

C'est sournois de glisser en fin de message une incidente juste pour vérifier que Laurent suit toujours !

F.


Subject: Re:[le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Tue, 15 Nov 2005 12:09:42

" Les non sens philosophiques, pour un philosophe positiviste, sont tout de même des acquis poétiques - et philosophiques pour des philosophes spéculatifs."C'est un peu court pour moi.

je veux dire que, pour un positiviste, ce qui n'est pas philosophiquement (et scientifiquement) recevable est relégué au rang de pythologie poétique. Ce n'est "que" de la littérature (Comte, Carnap, Ryle, les behavioristes...). Tandis qu'un philosophe qui considère la science et la philosophie comme des pratiques poétiques et littéraires parmi d'autres aura tendance à accepter les innovations conceptuelles et à reconnaître leur fécondité (Nietzshe, Heidegger, Feyerabend, Deleuze...)

ça recoupe en partie ce que j'évoquais de la position tardive de LW. Mais la "licence poétique dans le domaine philosophique" c'est quand même souvent l'occasion de raconter n'importe quoi, non ? Sokal et > Bricmont ou Bouveresse (prodiges et vertiges de l'analogie) l'ont assez mis en évidence. Donc je me demandais si tu pouvais être plus > précis là-dessus, et poser un peu plus étroitement le rapport entre non-sens philosophique et licence poétique par exemple, comment l'un se transforme en l'autre ?

Question difficile et il faudrait être rudement positiviste pour dresser une frontière nette entre les deux. Je pense tout de même que le philosophe, quand il remanie les mots, explique sa démarche et définit le sens de sa nouvelle terminologie. Ainsi Spinoza recycle-t-il le vocabulaire scolastique en en reforgeant les définitions à l'intérieur du système. Kant fait de même avec un terme comme "transcendantal" ou une expresion comme "finalité sans fin". Par contre, Heidegger ne s'explique jamais ou rarement sur les distortions qu'il fait subir au langage. Ce qui laisse soupçonner plein de choses (dont une introduction cryptée du nazisme en philosophie, selon E. Faye). D'une façon générale, le poète (qui n'a pas nécessairement un objectif philosophique) se passe de définir sa pratique linguistique. Si Eluard commençait à justifier "voyage du silence/de mes mains à tes yeux", alors il entamerait une nouvelle carrière.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Tue, 15 Nov 2005 13:29:02

de définir sa pratique linguistique. Si Eluard commençait à justifier "voyage du silence/de mes mains à tes yeux", alors il entamerait une nouvelle carrière.

S'il avait justifié effectivement un jour l'absolue nullité de sa poésie de garde-champêtre et de son pathétique lyrisme appliqué, j'aurais été ravi de l'entendre; peut-être aurait-il enfin commencé une carrière de pas-poète? Mais ne connaissons-nous pas au fond tout ce qui justifie cette mascarade, ne savons-nous pas ce qui nous débarasse rapidement d'Éluard, sinon, justement, qu'il ne s'y agit pas d'invention linguistique mais de credo méthodique? Sa pratique de l'écriture a une origine calibrée et une méthode aussi que stérile qu'elle est «quantifiée», pondérée etc., tout entière au service d'un ABC de l'idéalisme bachotier. Ne pouvais-tu pas choisir un exemple de transformation de la langue et, donc, d'invention de situation, de «lieux», plus adaptée, ou est-ce juste de la provocation?

L.L.d.M.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: r Date: Tue, 15 Nov 2005 22:17:18

lldemars a écrit : Je me demande si ce doublet ne trahit pas un doux rêve qui vaut bien celui d'une adéquation des idées à la parole, à savoir celui non moins frelaté d'une adéquation de la logique à celle-ci, supposant une sorte de "naturalité" de la logique...

Non, pas une naturalité de la logique mais une présence inévitable de la logique, d'une logique a-minima, dans nos représentations du monde dans des tableaux. "2.1514 La relation de représentation est constitué par la façon dont les éléments du tableau se coordonnent avec les choses" "2.2 le tableau a de commun avec l'objet représenté la forme logique de la représentation"

Il faudrait, par un quadrillage serré du langage, le débarrasser d'impuretés dont la nature m'échappe toujours, malgré ton éclaircissement (je t'en remercie au passage); difficile de dire s'il s'agit d'une considération sur le caractère dysfonctionnel des propositions, sur leur caractère aporétique ou sur leur caratère absurde. Dans tous les cas, c'est, il me semble, une conception «arrêtée» du discours, qui n'en mesure pas la production continue (production des sujets qui s'y énoncent, production du monde où ils s'énoncent), mais le supposent au service d'une antériorité conceptuelle à formuler.

Dans le Tractatus, oui, il s'agit de ça, mais aussi de faire la part des vérités qui n'entrent pas dans une telle méthode. Plus tard c'est moins vrai, il ne s'agit plus de réformer le langage ( "le langage s'occupe de lui-même, occupe toi de toi"). Et ce n'est pas contradictoire avec le fait qu'il y a production continue du monde. Il n'y a pas d'antériorité conceptuelle, il y a existence de certaines structures de la représentation.

En bref, le processus le plus à même de produire du sens ne précède pas l'énoncé mais c'est l'énonciation même.

"La vérité, moi je parle". Mais ça ne marche pas à tout coup. Le processus le plus à même de produire du sens ? Je ne sais pas ...

Décidemment, voilà qui met complètement à l'écart l'énonciation et, du coup, fait beaucoup se poser de question sur le rapport de Wittgenstein à sa propre pensée: n'est-il pas tout surpris d'être contredit dans sa matière même, par le seul fait que ses énoncés aient une valeur première (qu'il en crée les conditions d'apparitions) et croyait-il avoir touché à un «zéro rhétorique»? en d'autres termes, si un philosophe logique ne fait que formuler de l'antériorité, de quelle matière était constitué le corps de cette antériorité? Plus simplement: s'il ne fait qu'être linguistiquement adéquat à une idée, quelle était la forme inadéquate qui l'a précédée? Et comment pourrait-elle trouver une adéquation quelconque?

Là, tu tombe pile sur quelque chose qui l'a bien emmerdé avec le Tractatus. Dans la préface, la première phrase est "Il se peut que ce livre ne soit compris que par celui qui aura lui-même déjà pensé les pensées qui y sont exprimées". C'est aussi pour ça qu'il abandonne tout de suite après l'idée qu'il y aurait un moyen de résoudre les problèmes en passant par une réforme du langage, et même qu'une telle réforme entreprise dans le but de résoudre les problèmes de sens soit autre chose qu'une absurdité.

On est assez loin du non-sens de départ en fait. oo


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Wed, 16 Nov 2005 11:32:19

Ne pouvais-tu pas choisir un exemple de transformation de la langue et, donc, d'invention de situation, de «lieux», plus adaptée, ou est-ce juste de la provocation?

C'est vrai que c'est un exemple peu représentatif du vrai travail poétique. Ca m'est tombé sous la main par hasard. Mais si j'avais pris du Rimbaud ou du Mallarmé, j'aurais eu davantage de scrupules à les utiliser pour exemplifier la question de l'infraction grammaticale. Je sais, c'est facile.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Wed, 16 Nov 2005 13:46:32

Non, pas une naturalité de la logique mais une présence inévitable de la logique, d'une logique a-minima, dans nos représentations du monde dans des tableaux. "2.1514 La relation de représentation est constitué par la façon dont les éléments du tableau se coordonnent avec les choses""2.2 le tableau a de commun avec l'objet représenté la forme logique de la représentation"

La logique comme condition formelle de la compréhension : je ne sais si la grammaire est un reflet de l'ontolgie, comme le prétendait Russel (pour lui la logique est moins la norme DE la pensée que celle des choses DANS la pensée qui abstrait ces règles). Reste que cette grammaire est un arrière fond implicite et impersonnel du langage que les logiciens s'efforcent de rendre explicite. Ce qui est intéressant à penser alors, c'est ce mélange d'impersonnel et de personnel, de langage et de parole, qui permet l'apparition de l'inédit sur un fond commun préétabli susceptible de de le rendre intelligible.

Là, tu tombe pile sur quelque chose qui l'a bien emmerdé avec le Tractatus. Dans la préface, la première phrase est "Il se peut que ce livre ne soit compris que par celui qui aura lui-même déjà pensé les pensées qui y sont exprimées". C'est aussi pour ça qu'il abandonne tout de suite après l'idée qu'il y aurait un moyen de résoudre les problèmes en passant par une réforme du langage, et même qu'une telle réforme entreprise dans le but de résoudre les problèmes de sens soit autre chose qu'une absurdité.

Il me semble cependant que Les Investigations, ou du moins l'utilisation qui en est faite par certains philosophes analytiques pragmatiques, consiste encore à traquer le non sens à la racine. S'il n'est plus question d'exhumer des catégories logiques universelles a priori, on cherche un fondement empirique dans la façon primitive dont le langage fonctionne pour effectuer des actes communicationnels. Le critère de la recevabilité des propositions deviendra alors celui de savoir si on ne triche pas avec l'usage initial des termes.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Wed, 16 Nov 2005 22:15:54

"2.1514 La relation de représentation est constitué par la façon dont les éléments du tableau se coordonnent avec les choses" "2.2 le tableau a de commun avec l'objet représenté la forme logique de la représentation"

la forme logique de toute représentation est-elle spatiale? Que sont les phrases pour Wittgenstein, du temps ou de la structure? Du côté de l'énonciation, impossible de se satisfaire d'un système tabulaire.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: Thierry Bouche <thierry . bouche (a) ujf-grenoble . fr> Date: Thu, 17 Nov 2005 12:40:28

Le mardi 15 novembre 2005 vers 12:09:42, raphael.edelman écrivait :

re> D'une façon générale, le poète (qui n'a pas nécessairement un re> objectif philosophique)

c'est diinnngue, ça !

re> se passe de définir sa pratique linguistique.

z'ont des « art poétique », tout d'même !

Derrida = poète, donc ?

Thierry


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Thu, 17 Nov 2005 15:08:56

la forme logique de toute représentation est-elle spatiale? Que sont les phrases pour Wittgenstein, du temps ou de la structure? Du côté de l'énonciation, impossible de se satisfaire d'un système tabulaire.

J'imagine Bergson lisant Wittgenstein. Il aurait sans doute eu la même réflexion. Ce pendant statique de la parole lui aurait semblé une chose morte.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Thu, 17 Nov 2005 15:15:00

Derrida = poète, donc ?

Je ne pense pas que Derrida désavoue la chose, en effet. Maintenant j'aimerais avoir plus d'explication sur ce qui vous semble chocant. Je crois que vous supposez qu'avoir un "art poétique" (ce dont j'aurais besoin d'une définition selon vous) c'est avoir une philosophie. C'est ça ?


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: Thierry Bouche <thierry . bouche (a) ujf-grenoble . fr> Date: Thu, 17 Nov 2005 15:38:18

Maintenant j'aimerais avoir plus d'explication sur ce qui vous semble chocant.

crocant, ce choquolat !

Je crois que vous supposez qu'avoir un "art poétique" (ce dont j'aurais besoin d'une définition selon vous)

conventionnellement, l'art poétique est une oeuvre que le poète produit lorsqu'il atteint au faîte de son art. Il réunit en quelques vers soigneusement assaisonnés ce qui devra être lu par la postérité à la fois comme son chef d'oeuvre et comme l'analyse achevée de ses moyens.

Ce faisant, il n'est pas considéré par la tradition comme ayant changé de métier, mais au contraire comme en réalisant l'ultime achèvement.

c'est avoir une philosophie. C'est ça ?

Nan !

Mais, résumons-nous. Étant entendu que le philosophe pour se faire comprendre rédige des textes, que la plupart de ces textes concluent qu'un texte est un texte et ne saurait être autre chose, qu'en particulier, l'objet texte ne nous parlant que de son êtreté textuelle, il ne saurait nous dire autre chose que « je suis un texte », et cela en utilisant sa syntaxe propre de texte qui, non maîtrisée par le philosophe (qui n'est lui-même, à son grand dam, pas un texte), échappe totalement à la fois au philosophe (qui, faut-il le rappeler, n'étant pas un texte, n'a pas les moyens de se mettre en rapport avec le concept de textualité, même libérée) et reste totalement étrangère au putatif lecteur (qui, oserai-je le souligner, n'étant pas un texte, ne saurait avoir de commerce d'entendement avec la catégorie des objets textuels). cela étant entendu : que faire de notre entendement ?

Thierry


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: Thierry Bouche <thierry . bouche (a) ujf-grenoble . fr> Date: Thu, 17 Nov 2005 15:44:36

Le mercredi 16 novembre 2005 vers 22:15:54, lldemars écrivait :
la forme logique de toute représentation est-elle spatiale?

ggh ?

Que sont les phrases pour Wittgenstein, du temps ou de la structure? Du l> côté de l'énonciation, impossible de se satisfaire d'un système tabulaire.

j'ai toujours lu le mot « tableau » chez Wittgenstein comme le concept abstrait de *forme* d'expression, que la forme soit picturale ou textuelle ou quoi ne change au fond rien à l'affaire (si ce n'est que le limites de ce qu'elle peut « dire », sa rationalité interne, etc., dépendent du medium).

Thierry


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Thu, 17 Nov 2005 16:03:24

J'imagine Bergson lisant Wittgenstein. Il aurait sans doute eu la même réflexion. Ce pendant statique de la parole lui aurait semblé une chose morte.

de même Benveniste, qui ne voyait guère que le dictionnaire dans cet état de rigidité cadavérique (il en parlait comme d'un ossuaire de la langue)


Subject: Re: [le terrier] non sens [était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Thu, 17 Nov 2005 16:05:18

Je ne pense pas que Derrida désavoue la chose, en effet. Maintenant j'aimerais avoir plus d'explication sur ce qui vous semble chocant. Je crois que vous supposez qu'avoir un "art poétique" (ce dont j'aurais besoin d'une définition selon vous) c'est avoir une philosophie. C'est ça ?

c'est avoir une antériorité, qui réduit la part de l'inconnue essentielle au poème (cf: J.F. Savang dans tous ses états, dans le colloque sur l'institution)


Subject: Re: [le terrier] non sens [était : du naufrgemoderne avec l'insitution]
From: r Date: Thu, 17 Nov 2005 16:11:19 +0100 >

>la forme logique de toute représentation est-elle spatiale?

ggh ?

Pas sûr de comprendre non plus la question. Là, comme ça, je dirais non.

>Que sont les phrases pour Wittgenstein, du temps ou de la structure? Du côté de l'énonciation, impossible de se satisfaire d'un système tabulaire.

j'ai toujours lu le mot « tableau » chez Wittgenstein comme le concept abstrait de *forme* d'expression, que la forme soit picturale ou textuelle ou quoi ne change au fond rien à l'affaire (si ce n'est que le limites de ce qu'elle peut « dire », sa rationalité interne, etc., dépendent du medium).

De la forme d'expression, de représentation aussi. Sinon pas mieux. Que sont les phrases pour wittgenstein ? des propositions, des ensembles de propositions ... du temps ? de la structure ? je ne sais pas.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Thu, 17 Nov 2005 16:28:37

j'ai toujours lu le mot « tableau » chez Wittgenstein comme le concept abstrait de *forme* d'expression, que la forme soit picturale ou textuelle ou quoi ne change au fond rien à l'affaire (si ce n'est que le limites de ce qu'elle peut « dire », sa rationalité interne, etc., dépendent du medium).

il me semble au contraire que ça change tout; un espace tabulaire accueille et présente dans le même état, la même temporalité, la même proximité des opérateurs entre eux, les éléments dont il est la surface testimoniale (dans le cadre pictural, par exemple, témoin de ensembles d'opérations ayant précédé sa réalisation), arrêtée, «immédiate». Un tableau est toujours, en quelque sorte, dans «l'après» du sens (je ne sais pas si je suis très clair). On est assez loin de l'énonciation, de la parole, et même du texte.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: Thierry Bouche <thierry . bouche (a) ujf-grenoble . fr> Date: Thu, 17 Nov 2005 17:40:16

il me semble au contraire que ça change tout; un espace tabulaire accueille et présente dans le même état, la même temporalité, la même proximité des opérateurs entre eux, les éléments dont il est la surface testimoniale (dans le cadre pictural, par exemple, témoin de ensembles d'opérations ayant précédé sa réalisation), arrêtée, «immédiate». Un tableau est toujours, en quelque sorte, dans «l'après» du sens (je ne sais pas si je suis très clair). On est assez loin de l'énonciation, de la parole, et même du texte.

d'accord, d'accord, mais je crois qu'au moins le Wittgenstein du tractacus croit qu'un texte est un tout dont la lecture a permis l'accumulation et qui, in fine, n'est pas autre chose qu'un « tableau ».

D'une certaine façon, la forme du tractacus lui-même exhibe ce pauvre rapport au texte dans sa linéarité, cette méfiance vis-à-vis du style.

Il me semble que le cas où le « tableau » excède par ses dimensions ou son niveau de détail toute possibilité d'embrassement global n'est même pas envisagé. Cela dit, si le cas des grands textes « illisibles » vient tout de suite à l'esprit, il existe pas mal d'oeuvres picturales qu'on ne pourrait pas sereinement considérer comme « un tableau » non plus... qu'il faut, d'une façon ou d'une autre, « lire » ?


Thierry Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Fri, 18 Nov 2005 01:07:29

La logique comme condition formelle de la compréhension : je ne sais si la grammaire est un reflet de l'ontolgie, comme le prétendait Russel (pour lui la logique est moins la norme DE la pensée que celle des choses DANS la pensée qui abstrait ces règles). Reste que cette grammaire est un arrière fond implicite et impersonnel du langage que les logiciens s'efforcent de rendre explicite

implicite, la réponse est dans la formulation de la question : l'implicite suppose encore une naturalité qui exclue que des sujets aient lentement - et sans logique - contribué pas à pas à son élaboration, au moins constitué les conditions de son apparition. Ça exclue du monde (puisqu'il s'agit bien de ça, d'adéquation du monde à la logique) tout ce qui y est impensé, illogique, aphasique, fou, joueur, et pourtant manifeste dans le langage. Au jeu de l'ontologie, où se situe alors la grammaire? Que faire, par exemple de cette déclaration de Denys le Thrace, philosophe antique, «C'est de la philosophie qu'est venu le branle de la partition de la phrase en différentes espèces de mots, de la théorie des cas minimaux et des temps verbaux, de la description des relations logiques entre les propositions simples composant une phrase complexe; c'est de la philosophie que relève une foule de concepts utilisés dans les définitions et les descriptions grammaticales»; qui absorbe qui et situe le point d'origine de l'objet que l'on pense, voilà sommairement ce que demande Meschonnic (dans «Des mots et des mondes») devant Denys...

consiste encore à traquer le non sens à la racine. S'il n'est plus question d'exhumer des catégories logiques universelles a priori, on cherche un fondement empirique dans la façon primitive dont le langage fonctionne pour effectuer des actes communicationnels. Le critère de la recevabilité des propositions deviendra alors celui de savoir si on ne triche pas avec l'usage initial des termes.

un rêve d'origine pure, et on est déjà dans le politique, que les logiciens ont toujours cru hors d'eux; mais je le répète, le "zéro rhérotique" c'est encore de la rhétorique, c'est le politique de la clarté, c'est la politique de la transparence (selon Surya, c'est d'ailleurs celle de la domination, cf. «Théorie de la domination»). Ce que me disait Joachim, avec qui nous poursuivons cette conversation un peu en privé, c'est que tout ça pose la question de l'extrême violence faite à une grande partie du monde qui n'en finit pas d'apparaître et de le constituer, le non-sens évidemment y compris, mais dont la déclaration d'ouverture de Wittgenstein qui subsume le monde "aux faits dans l'espace logique" nie qu'il y apaprtiennent; alors, où sont-ils? S'ils ne sont pas dans le monde, me dit Joachim, oui, alors, où sont-ils?


L.L.d.M. Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Fri, 18 Nov 2005 01:17:01

Ce faisant, il n'est pas considéré par la tradition comme ayant changé de métier, mais au contraire comme en réalisant l'ultime achèvement.

ce n'est évidemment pas contre cette considération artisanale plutôt sympathique (un peu nunuche tout de même) que je braillais, mais contre une formule située à l'autre bout de l'histoire, de la petite vie du poète, une méthode.

totalement étrangère au putatif lecteur (qui, oserai-je le souligner, n'étant pas un texte, ne saurait avoir de commerce d'entendement avec la catégorie des objets textuels). cela étant entendu : que faire de notre entendement ?

un doute raisonnable sur les prétentions logiciennes à toucher à l'adéquation. Et surtout, un doute raisonnable sur l'intérêt de tout ça: que faire de ce fatras logicien, en dehors d'une version plus ou moins supérieure de jeux pour occuper les dimanche après-midi? Jusqu'où les logiciens nous proposent-ils de penser avec eux? Pas plus loin que le jardinage, et moins nourrissant. Sont-ils philosophes? Franchement, on peut se le demander.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Fri, 18 Nov 2005 01:17:59 +0100

tout de suite à l'esprit, il existe pas mal d'oeuvres picturales qu'on ne pourrait pas sereinement considérer comme « un tableau » non plus... qu'il faut, d'une façon ou d'une autre, « lire » ?

ce serait, tu en conviendras, de bien pauvres tableaux...


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Fri, 18 Nov 2005 14:02:46

Que sont les phrases pour wittgenstein ? des propositions, des ensembles de propositions ... du temps ? de la structure ?

Je ne sais pas. En logique, les propositions sont susceptibles d'être vraies ou fausses, alors que les phrases échappent à cette question, il me semble


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Fri, 18 Nov 2005 14:06:52

Il me semble au contraire que ça change tout; un espace tabulaire accueille et présente dans le même état, la même temporalité, la même proximité des opérateurs entre eux, les éléments dont il est la surface testimoniale (dans le cadre pictural, par exemple, témoin de ensembles d'opérations ayant précédé sa réalisation), arrêtée, «immédiate». Un tableau est toujours, en quelque sorte, dans «l'après» du sens (je ne sais pas si je suis très clair). On est assez loin de l'énonciation, de la parole, et même du texte.

oui, mais justement ce que vise le logicien c'est une mathématisation de la parole, quelque chose de fixe, d'où l'assimilation de la parole ou du texte à un tableau. Cela donne je crois ce que Foucault appelle le discours.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Fri, 18 Nov 2005 14:16:30

Il me semble que le cas où le « tableau » excède par ses dimensions ou son niveau de détail toute possibilité d'embrassement global n'est même pas envisagé. Cela dit, si le cas des grands textes « illisibles » vient tout de suite à l'esprit, il existe pas mal d'oeuvres picturales qu'on ne pourrait pas sereinement considérer comme « un tableau » non plus... qu'il faut, d'une façon ou d'une autre, « lire » ?

Cela me rappelle ma lecture d'un texte de Bodin dans les six livres de la république (XVI). Le sens m'échappait vraiment, comme s'il obéissait à d'autres règles de grammaire. Il me fallait des outils pour traduire. Mais la logique formelle n'aurait pas suffit. C'était une question d'usage, d'habitudes d'écriture. Il fallait traduire. D'ailleurs la question de la traduction est liée à celle de la logique. On suppose qu'une logique commune à toutes les langues sert de point d'appui pour la traduction


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Fri, 18 Nov 2005 14:33:45

un rêve d'origine pure, et on est déjà dans le politique, que les logiciens ont toujours cru hors d'eux; mais je le répète, le "zéro rhérotique" c'est encore de la rhétorique, c'est le politique de la clarté, c'est la politique de la transparence (selon Surya, c'est d'ailleurs celle de la domination, cf. «Théorie de la domination»).

La logique vise en effet à donner les lois (terme aussi politique) du discours ou de la pensée en vue de la vérité (dont l'usage politique de totalisation n'est plus à prouver). Finallement, nous avons là la revanche des Sophistes contre Platon : on vous l'avait dit, il n'y a de vérité que de convention, il n 'y a que rapport de force avec la parole (cf. aussi Marx et Niezsche). Platon s'est cru bon, il voulait libérer les hommes de ces rapports de force, ouvrir à un monde de justice. Ce faisant il inventa le totalitarisme (je simplifie, c'est une image). Les logiciens sont sans doute dans la même situation. Ils veulent endiguer la domination par le discours nébuleux, mais ce faisant inventent le discours de la science, bien plus puissant encore. D'ailleurs l'alliance du limpide et du nébuleux qui en résulte en fait est ce qui a de plus explosif.

Ce que me disait Joachim, avec qui nous poursuivons cette conversation un peu en privé, c'est que tout ça pose la question de l'extrême violence faite à une grande partie du monde qui n'en finit pas d'apparaître et de le constituer, le non-sens évidemment y compris, mais dont la déclaration d'ouverture de Wittgenstein qui subsume le monde "aux faits dans l'espace logique" nie qu'il y appartienne; alors, où sont-ils? S'ils ne sont pas dans le monde, me dit Joachim, oui, alors, où sont-ils?

On vous répondrait sans doute qu'ils sont dans le langage où dans notre tête, qu'ils ne sont pas. Ce qui, si je comprend bien le sens de la discussion, consisterait à les exterminer à priori. Ca me paraît en effet très violent.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Fri, 18 Nov 2005 14:45:02

un doute raisonnable sur les prétentions logiciennes à toucher à l'adéquation. Et surtout, un doute raisonnable sur l'intérêt de tout ça: que faire de ce fatras logicien, en dehors d'une version plus ou moins supérieure de jeux pour occuper les dimanche après-midi? Jusqu'où les logiciens nous proposent-ils de penser avec eux? Pas plus loin que le jardinage, et moins nourrissant. Sont-ils philosophes? Franchement, on peut se le demander.

Ce sont peut-être des scientifiques sans objets


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Fri, 18 Nov 2005 15:01:12

> Maintenant j'aimerais avoir plus d'explication sur ce qui vous semble choquant. Je crois que vous supposez qu'avoir un "art poétique" (ce dont j'aurais besoin d'une définition selon vous) c'est avoir une philosophie. C'est ça ?

c'est avoir une antériorité, qui réduit la part de l'inconnue essentielle au poème (cf: J.F. Savang dans tous ses états, dans le colloque sur l'institution)

Bon déjà que je comprend que dalle aux réponse de Thierry Bouche, si tu te mets à parler en allusions, pfff

 


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrgemoderne avec l'insitution]
From: r Date: Fri, 18 Nov 2005 16:11:39

Que sont les phrases pour wittgenstein ? des propositions, des ensembles de propositions ... du temps ? de la structure ? je ne sais pas. En logique, les propositions sont susceptibles d'être vraies ou fausses, alors que les phrases écappent à cette question, il me semble

Ah bon ? les phrases ne sont pas susceptibles d'être vraies ou fausses ? Caramba, je me disais bien que j'étais un peu largué, mais alors là ...

bien entendu, trouver la proposition derrière une phrase du genre "Aïe, putain !" suppose un peu de gymnastique.

oo


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: Cédric CHAIGNEAU Date: Fri, 18 Nov 2005 16:19:09

>oui, mais justement ce que vise le logicien c'est une mathématisation de la parole, quelque chose de fixe, d'où l'assimilation de la parole ou du texte à un tableau. Cela donne je crois ce que Foucault appelle le discours.

Non non on ne peut pas dire ça pour Foucault - enfin un penseur qui m'est familier

Le tableau, c'est l'épistémé du savoir à l'âge classique, c'est l'ordonnancement durant une période donnée du discours scientifique occidental: on ordonne les objets de savoir de par leurs ressemblances et dissemblances ("les mots et les choses") dans une grille, un tableau .

Le discours, chez Foucault, peut en effet se définir comme la forme d'expression sociale d'un savoir scientifique, ou quelque chose comme ça. Mais seulement jusque dans les années 80, car lorsqu'il commence à s'intéresser à l'éthique dans l'antiquité greco-romaine, il se refère surtout au discours vrai comme technique de soi, du soucis de soi, et notamment la parrhesia (" l'histoire de la sexualité III", et surtout ses "cours au collège de France en 1982/1984" ).

Dr C.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrgemoderne avec l'insitution]
From: r Date: Fri, 18 Nov 2005 16:46:33

Le 18/11/2005, raphael.edelman a écrit: oui, mais justement ce que vise le logicien c'est une mathématisation de la parole, quelque chose de fixe, d'où l'assimilation de la parole ou du texte à un tableau. Cela donne je crois ce que Foucault appelle le discours. Comme je ne sais pas si ma réponse est passée, je recommence, pardon si ça bégaye.

Donc: dans les mots et les choses, Foucault parle bien de tableau mais comme organisation du savoir basé sur la méthode des identités et des différences. Et il parle de cette méthode comme Mathésis, qu'il différencie nettement d'une mathématisation.

Pour en revenir à la remarque de Laurent, je pense aussi que dans le TLP, l'énonciation et la parole ne sont pas prises en compte comme telles. Le tableau fonctionne comme un toujours-après le moment perceptif ou énonciatif. Dans ce sens on peut dire que c'est arrêté, que la tableau est constitué à la suite de, dans un temps qui n'est plus celui de la parole.

oo


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Fri, 18 Nov 2005 19:02:56

> logiciens nous proposent-ils de penser avec eux? Pas plus loin que le jardinage, et moins nourrissant. Sont-ils philosophes? Franchement, on peut se le demander. Ce sont peut-être des scientifiques sans objets

Putain les mecs!, une pierre blanche, vite: Raphaël fait de l'humour! En tout cas, j'adopte la définition.

L.L.d.M.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Fri, 18 Nov 2005 19:06:52

Bon déjà que je comprend que dale aux réponse de Thierry Bouche, si tu te mets à parler en allusions, pfff

il ne me semble pas que Thierry fût obscur sur ce coup-là (pourtant, il sait!); pour une fois que ce n'est pas toi qui nous ramenais à une définition classique des termes un peu bordéliquement en usage dans un fil de la liste (ici l'art poétique), voilà que tu fais ton malcomprenant?

Quand aux allusions, c'est pas vraiment ça: mais comme je renvoie souvent à ce qui s'est dit dans le site ou même sur cette liste (la question de l'inconnue au travail dans l'art est souvent évoquée), hé bien je fais de plus en plus court, c'est tout.

 


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Fri, 18 Nov 2005 19:07:37

Bon déjà que je comprend que dale aux réponse de Thierry Bouche, si tu te mets à parler en allusions, pfff

tout ce que je voulais dire c'est: «Lisez Savang, c'est bon pour la santé, Savang, c'est bon pour ce que vous avez»


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Fri, 18 Nov 2005 19:12:13

Ah bon ? les phrases ne sont pas susceptibles d'être vraies ou fausses ? Caramba, je me disais bien que j'étais un peu largué, mais alors là ...

disons qu'une phrase, si je comprends bien ce que dit Raphaël, a peu de chances d'être autre choses que "vraie", en tant que phrase; elle peut être grammaticalement fautive, elle peut être tordue, allusive, elliptique, idiote, mais «fausse», non, effectivement, ce n'est tout simplement pas le domaine de ses modalités; je me trompe?

bien entendu, trouver la proposition derrière une phrase du genre "Aïe, putain !" suppose un peu de gymnastique.

La proposition est «Les clous doivent être rangés dans la boîte à clous»


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Fri, 18 Nov 2005 19:15:03

Le discours, chez Foucault, peut en effet se définir comme la forme d'expression sociale d'un savoir scientifique, ou quelque chose comme ça.

c'est déjà une surdéfiniton, sociale, hiérarchique, fonctionnalisante. Et donc limitative. Il me semble que Meschonnic ramène plus justement le discours à la notion large de son adéquation au sujet dans le cadre linguistique (il dit: «Langage où s'inscrit celui qui s'y énonce». désolé de me répéter, mais j'apprécie la grande clarté de ce non logicien)

L.L.d.M.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Fri, 18 Nov 2005 19:22:36

Donc: dans les mots et les choses, Foucault parle bien de tableau mais comme organisation du savoir basé sur la méthode des identités et des différences. Et il parle de cette méthode comme Mathésis, qu'il différencie nettement d'une mathématisation.

on est bien loin d'une organisation consubstantielle à la pensée (car au départ il était bien question d'elle) et du discours, celle qui apparait au fond si brutalement dans les quelques éclaircissements qui émaillent ce fil à propos de la conception logicienne du tableau.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Sat, 19 Nov 2005 14:21:27

Donc: dans les mots et les choses, Foucault parle bien de tableau mais comme organisation du savoir basé sur la méthode des identités et des différences. Et il parle de cette méthode comme Mathésis, qu'il différencie nettement d'une mathématisation.

En quoi consiste la différence entre Mathésis et mathématisation ? Cela recoupe-t-il la différence chez Kant entre connaissance par concept et connaissance par construction de concepts ?

Pour en revenir à la remarque de Laurent, je pense aussi que dans le TLP, l'énonciation et la parole ne sont pas prises en compte comme telles. Le tableau fonctionne comme un toujours-après le moment perceptif ou énonciatif. Dans ce sens on peut dire que c'est arrêté, que la tableau est constitué à la suite de, dans un temps qui n'est plus celui de la parole.

Même si le tableau est donné au terme de sa découverte après coup, il est en même temps sensé se trouver naturellement à l'origine du discours. C'est pourquoi il est découvert et non inventé. Il devient difficile de saisir ce qui différencie le discours qui découvre et celui qui invente.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Sat, 19 Nov 2005 14:36:54

il ne me semble pas que Thierry fût obscur sur ce coup-là (pourtant, il sait!); pour une fois que ce n'est pas toi qui nous ramenais à une définition classique des termes un peu bordéliquement en usage dans un fil de la liste (ici l'art poétique), voilà que tu fais ton malcomprenant?

Ouai, c'est un bon correcteur orthographique mais un mauvais dictionnaire "L'art poétique est la conception que se font une personne ou un groupe de personnes de l'écriture de la poésie, à une époque donnée. Dans une même culture, cette conception varie en fonction de l'évolution historique et sociale. Un art poétique est en général un ensemble de règles dont la finalité serait de produire la beauté". Dans ce cas, constituer un ensemble de règles c'est tout de même jouer aux définitions, ce qui ne me semble pas si loin de la philosophie.

 


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Sat, 19 Nov 2005 14:37:48

Même si le tableau est donné au terme de sa découverte après coup, il est en même temps sensé se trouver naturellement à l'origine du discours. C'est pourquoi il est découvert et non inventé. Il devient difficile de saisir ce qui différencie le discours qui découvre et celui qui invente.

note bien que c'est toi qui le pose en termes de découvertes... pas très honnête; il ne recouvre que la réalité de la méthode d'analyse et les moyens qu'elle se donne, pas la réalité de l'objet qu'il prétend se donner. Cette superposition n'a pas tellement de sens; les formes que prennent les dispositifs analytiques ne sont pas superposables à celles des champs de leur analyse; on finirait par accepter la machine dans l'organisme au nom des représentations machiniques, et prendre à perpétuité l'effet pour la cause. Faire violence (à un système, une personne) est toujours accompagné de ce type de défense: j'y ai été conduit par ce à quoi je fais violence, «c'est dedans». Des clous.

L.L.d.M.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Sat, 19 Nov 2005 14:40:39

Le discours, chez Foucault, peut en effet se définir comme la forme d'_expression_ sociale d'un savoir scientifique, ou quelque chose comme ça. Mais seulement jusque dans les années 80, car lorsqu'il commence à s'intéresser à l'éthique dans l'antiquité greco-romaine, il se refère surtout au discours vrai comme technique de soi, du soucis de soi, et notamment la parrhesia (" l'histoire de la sexualité III", et surtout ses "cours au collège de France en 1982_1984" ).

Dans ce cas là ne peut-on pas dire que le tableau est une sorte de discours ?


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Sat, 19 Nov 2005 14:46:35

modalités; je me trompe? bien entendu, trouver la proposition derrière une phrase du genre "Aïe, putain !" suppose un peu de gymnastique.
La proposition est «Les clous doivent être rangés dans la boîte à clous»

bon, ça délire sec ici. La proposition est vérifiable si on peut la confirmer empiriquement : "les clous sont dans la boite à clou". Oui en effet, ils y sont. Dans "les clous doivent être rangés dans la boite à clou", ça ne décrit pas, ça prescrit. C'est ni vrai ni faux. Dans "aïe putain", c'EST tout court, y a pas à vérifier. Non mais.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Sat, 19 Nov 2005 14:49:14

c'est déjà une surdéfiniton, sociale, hiérarchique, fonctionnalisante. Et donc limitative. Il me semble que Meschonnic ramène plus justement le discours à la notion large de son adéquation au sujet dans le cadre linguistique

Non mais t'as raison. On ne connais pas assez Meschonnic (on c'est moi, bien sûr).


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Sat, 19 Nov 2005 15:01:48

Cette superposition n'a pas tellement de sens; les formes que prennent les dispositifs analytiques ne sont pas superposables à celles des champs de leur analyse; on finirait par accepter la machine dans l'organisme au nom des représentations machiniques, et prendre à perpétuité l'effet pour la cause. Faire violence (à un système, une personne) est toujours accompagné de ce type de défense: j'y ai été conduit par ce à quoi je fais violence, «c'est dedans». Des clous.

D'accord avec l'image. Moins avec ce qu'elle illustre. Si le langage se retourne comme un gant dans la mise en évidence de la logique, peut être qu'il n'invente pas pour autant cette logique.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Sat, 19 Nov 2005 15:10:24

bon, ça délire sec ici. La proposition est vérifiable si on peut la confirmer empiriquement : "les clous sont dans la boite à clou". Oui en effet, ils y sont. Dans "les clous doivent être rangés dans la boite à clou", ça ne décrit pas, ça prescrit.

C'est un exemple de proposition à sens conjoncturel (histoire de rendre plus flous encore les bords du tableau imaginaire des logiciens); le «Aïe putain» ouvre la voie à la proposition implicite - sans quoi, contrairement à ce que tu dis plus bas, la question de savoir quelle est la nature de cette proposition est ouverte à l'infini, et y'a à vérifier si au moins le loup est là, parce que comme tu sais, on peut crier pour jouer - , il est moins question de savoir si elle est vraie ou fausse que de voir où elle puise à l'instant son sens ; à savoir que c'est encore la vieille question de la vérité devant le vrai (il me semble qu'entre le vrai, qui n'est, si jeune Mabuse, qu'un dispositif factuel, et la vérité, il y a un écart au moins égal à celui qui sépare la fausseté du mensonge). Si Martine avait suivit la prescription, Oolong n'aurait pas foutu le pied sur ce clou de merde, et aujourd'hui, il ne boîterait pas partout dans l'appartement en se tenant le pied comme un sapajou épileptique. La proposition déborde de son cadre (du tableau?) Bref, l'implicite, c'est aussi où se joue le moment d'énonciation, c'est-à dire le sens. Non, le tableau n'est pas un discours pour répondre à ton courriel précédent: le discours est mobile, et les mêmes éléments morphologiques - pour peu qu'on s'amuse à y découper - peuvent y changer dix fois de sens en son cours, et pas seulement en tant qu'opérateurs entre eux dans le discours (comme, au fond, dans un tableau) mais en tant qu'ils reportent indéfiniment la clôture du discours et son sens.

Dans "aïe putain", c'EST tout court, y a pas à vérifier.

Pas à savoir où est la putain dont il est question?

L.L.d.M.

 


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Sat, 19 Nov 2005 17:24:37

Ouai, c'est un bon correcteur orthographique mais un mauvais dictionnaire

il va être content; j'entend d'ici le bruit terrifiant des réacteurs du Bouche en décollage, tu es très imprudent...

"L'*art poétique* est la conception que se font une personne ou un groupe de personnes de l'écriture de la poésie <http://fr.wikipedia.org/wiki/Po%C3%A9sie>, à une époque donnée. Dans une même culture, cette conception varie en fonction de l'évolution historique et sociale. Un art poétique est en général un ensemble de règles dont la finalité serait de produire la beauté".

Ah ah ah ah! Raphaël va chercher ses définitions dans la poubelle du net! Bravo Raph, tu cherches le bâton pour te faire enculer.

Je ne peux pas résister au plaisir de vous fournir un extrait de l'article «Islam» de cette saloperie de Wikipédia, tel qu'on le trouvait encore il y a peu (ça bouge tout le temps là-dedans):

« * Le livre sacrée de l'Islam, le Koran , est dans l'accord à la science moderne et tient beaucoup de vérités scientifiques jusqu'ici inconnues. * Le Qur'an contient les mots littéraux de Dieu ou est inspiré par Dieu. * Les scientifiques islamiques étaient les contribuants principaux à la science occidentale. * La civilisation islamique était exempte des éléments foncés de la civilisation occidentale , par exemple esclavage , usure , violence et suppression. * Les sociétés islamiques, par exemple l'Emirat de Grenade , étaient plus tolérantes que la société occidentale courante. * Les femmes apprécient plus de droites en vertu de la loi islamique (Shariah) qu'elles font en vertu de la loi séculaire courante. * " Djihad " signifie seulement la lutte spirituelle, et l'Islam a été écarté seulement par des moyens paisibles. * Les problèmes dans les sociétés islamiques sont provoqués seulement par des facteurs externes, généralement le monde occidental , sionisme , capitalisme ou une conspiration anti-Islamique des juifs , de l'Illuminati ou du Freemasons .»

Miam. Je vous raconte pas l'article «art», je vous laisse aller voir... L.L.d.M.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Sun, 20 Nov 2005 12:16:59

jeune Mabuse, qu'un dispositif factuel, et la vérité, il y a un écart au moins égal à celui qui sépare la fausseté du mensonge). Si Martine avait suivit la prescription, Oolong n'aurait pas foutu le pied sur ce clou de merde, et aujourd'hui, il ne boîterait pas partout dans l'appartement en se tenant le pied comme un sapajou épileptique. La proposition déborde de son cadre (du tableau?) Bref, l'implicite, c'est aussi où se joue le moment d'énonciation, c'est-à dire le sens.

Mentir est présenter ce qui est faux comme étant vrai. C'est une modalité de l'usage de la vérité et de la fausseté, avec l'erreur, l'ironie etc. Ceci redouble la question de l'objet de celle du sujet et de ce qu'il veut faire vis-à-vis de l'objet (mentir, informer, pvoquer à travers lui un autre sujet, etc.). Les deux aspects coexistent, je ne le nie pas. Mais tu considères certainement que la question de l'objet est secondaire par rapport à celle du sujet

Dans "aïe putain", c'EST tout court, y a pas à vérifier. Pas à savoir où est la putain dont il est question?

C'est pas le problème. Le sens de putain n'est pas péripatéticienne ici mais il est synonyme de Bordel, Merde, Bon Dieu etc. et tous ces mots délicieux vidés de leur sens objectif grace auxquels nous évacuons un râle tout ce qu'il a de plus subjectif.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Sun, 20 Nov 2005 12:22:50

j'entend d'ici le bruit terrifiant des réacteurs du Bouche en décollage, tu es très imprudent...

Ben quoi, on fait connaissance, non ?

spirituelle, et l'Islam a été écarté seulement par des moyens paisibles. * Les problèmes dans les sociétés islamiques sont provoqués seulement par des facteurs externes, généralement le monde occidental , sionisme , capitalisme ou une conspiration anti-Islamique des juifs , de > l'Illuminati ou du Freemasons .»Miam. Je vous raconte pas l'article «art», je vous laisse aller voir...

Aïe aïe aïe, d'accord... Bon, on parle d'autre chose, hein ?

 


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrgemoderne avec l'insitution]
From: r Date: Mon, 21 Nov 2005 15:02:37

Cela recoupe-t-il la différence chez Kant entre connaissance par concept et connaissance par construction de concepts ?

Les mots et les choses, édition TEL pages 70-72 et 86-91 pour l'original

Pour une pâle parodie : La mathésis dans ce Foucault là, c'est la science générale de la mesure et de l'ordre. Par mathématisation, Foucault entend plutôt me semble-t-il le mouvement qui entend mathématiser la nature, la réduire à un mécanisme (dans la lignée des succès de Descartes, mouvement qui selon Foucault n'a pas réellement convaincu qui que ce soit à l'âge classique). Il réfute donc l'idée qu'on se trouvait à une époque de mathématisation.

« Mais d'autre part ce rapport à la mathésis comme science générale de l'ordre ne signifie pas une absorption du savoir dans les mathématiques, ni le fondement en elles de toute connaissance possible ; au contraire, en corrélation avec la recherche d'une mathésis, on voit apparaître un certain nombre de domaines empiriques qui jusqu'à présent n'avaient été ni formés ni définis. En aucun de ces domaines ou peu s'en faut il n'est possible de trouver trace d'un mécanisme ou d'une mathématisation ; et pourtant ils se sont tous constitués sur le fond d'une science possible de l'ordre »

Impossible de te répondre sur Kant. Je ne sais pas.

oo


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: Cédric CHAIGNEAU Date: Mon, 21 Nov 2005 21:16:16

Le discours, chez Foucault, peut en effet se définir comme la forme d'expression sociale d'un savoir scientifique, ou quelque chose comme ça. c'est déjà une surdéfiniton, sociale, hiérarchique, fonctionnalisante. Et donc limitative. Il me semble que Meschonnic ramène plus justement le discours à la notion large de son adéquation au sujet dans le cadre linguistique (il dit: «Langage où s'inscrit celui qui s'y énonce». désolé de me répéter, mais j'apprécie la grande clarté de ce non logicien)

C'est une excellente définition, le discours est individuation du sujet qui l'énonce, du moins c'est ce qu'il pourrait être. Mais justement Foucault travaille sur "l'ordre du discours", ce qui n'est pas individuation dans le discours, ou plutôt des procédés d'individuation qui se répètent, se perpétuent, et qui sous-tendent l'expression du sujet.

C'est un autre problème que ce lui auquel s'intéressait Wittgenstein, et comme le dit lui-même Foucault dans un entretien ("la philosophie structuraliste permet de diagnostiquer ce qu'est "aujourd'hui"", entretien avec G. Fellous, la presse de Tunisie, 12 avril 1967, Dits et écrits tome I p.623) :

« - Oui, vous cédez ainsi à la passion propre de l'historien qui veut répondre à la rumeur infinie des archives.

- Oui, car mon objet n'est pas le langage mais l'archive, c'est-à-dire l'expérience accumulée des discours. L'archéologie, telle que je l'entends, n'est parente ni de la géologie (comme analyse des sous-sols) ni de la généalogie (comme description des commencements et des suites), c'est l'analyse du discours dans sa modalité d'archive. Un cauchemar me poursuit depuis mon enfance : j'ai sous les yeux un texte que je ne peux pas lire , ou dont seule une infime partie m'est déchiffrable ; je fais semblant de le lire, je sais que je l'invente ; puis le texte soudain se brouille entièrement, je ne peux plus rien lire ni même inventer, ma gorge se serre et je me réveille. Je n'ignore pas tout ce qu'il peut y avoir de personnel dans cette obsession du langage qui existe partout et qui nous échappe dans sa survivance même. Il survit en détournant de nous ses regards, le visage incliné vers une nuit dont nous ne savons rien. Comment justifier ces discours sur les discours que j'entreprends? Quel statut leur donner? On commence, du coté des logiciens surtout, des élèves de Russel ou Wittgenstein, à s'apercevoir que le langage ne saurait être analysé dans ses propriétés formelles qu'à la condition de tenir compte de son fonctionnement concret. La langue est bien un ensemble de structures, mais les discours sont des unités de fonctionnement, et l'analyse du langage en sa totalité ne peut manquer de faire face à cette exigence essentielle. Dans cette mesure, ce que je fais se place dans l'anonymat général de toutes les recherches qui actuellement tournent autour du langage, c'est-à-dire non seulement de la langue qui permet de dire, mais des discours qui ont été dits ».

Dr C. (qui recopie beaucoup pour ne pas écrire d'âneries de lui-même).

 


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: Cédric CHAIGNEAU Date: Mon, 21 Nov 2005 21:17:51

Dans ce cas là ne peut-on pas dire que le tableau est une sorte de discours ?

Non, parce que l'espace, ce n'est pas de la langue.

Dr C.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Tue, 22 Nov 2005 14:09:52

« Mais d'autre part ce rapport à la mathésis comme science générale de l'ordre ne signifie pas une absorption du savoir dans les mathématiques, ni le fondement en elles de toute connaissance possible ; au contraire, en corrélation avec la recherche d'une mathésis, on voit apparaître un certain nombre de domaines empiriques qui jusqu'à présent n'avaient été ni formés ni définis. En aucun de ces domaines ou peu s'en faut il n'est possible de trouver trace d'un mécanisme ou d'une mathématisation ; et pourtant ils se sont tous constitués sur le fond d'une science possible de l'ordre»

Merci pour les explications. Je ne pense donc pas me tromper en disant que les mathématiques sont des modes de la mathésis parmi d'autres comme la logique, la métaphysique, la psychologie empirique etc. Cette acception de mathésis proposée par Foucault recoupe l'étymologie du terme puisque "mathêma" en grec signifie "science".

Impossible de te répondre sur Kant. Je ne sais pas.

Il me semble maintenant que Kant établit entre métaphysique (pensée par concept) et mathématique (par construction de concept) une frontière étanche qu'il n'y a pas chez Foucault (Cf Prolégomènes, Vrin, p. 30).


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Tue, 22 Nov 2005 14:39:33

Dr C. citant Foucault Sur cette distinction je renverrais aussi à ce passage de Platon : "C'est que l'écriture, Phèdre, a un grave inconvénient, tout comme la peinture. Les produits de la peinture sont comme s'ils étaient vivants ; mais pose-leur une question, ils gardent gravement le silence. Il en est de même des discours écrits. On pourrait croire qu'ils parlent en personnes intelligentes, mais demande-leur de t'expliquer ce qu'ils disent, ils ne répondrons qu'une chose, toujours la même" (Phèdre, 276a).


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Tue, 22 Nov 2005 15:39:49

Mentir est présenter ce qui est faux comme étant vrai. C'est une modalité de l'usage de la vérité et de la fausseté, avec l'erreur, l'ironie etc. Ceci redouble la question de l'objet de celle du sujet et de ce qu'il veut faire vis-à-vis de l'objet (mentir, informer, pvoquer à travers lui un autre sujet, etc.)

comme toutes ces catégories seraient utilisables si nous jouions au jeu du dictionnaire; mais à force de désarticuler le langage, on va finir par se demander de quoi on parle. Si Fabre n'avait pas mis son nez dans des vrais trous de bousiers vivants, les entomologistes continueraient à classer des coquilles vides, ce qui ne les empêcherait pas de parler d'insectes avec autorité. De quoi parlent donc les logiciens quand ils parlent de discours, de méthode, de vérité? C'est bien plus flou que ne le laisse supposer leur prétention à la clarté. L'écriture logicienne est un projet moral, dont la méthode de dépistage de la vérité est indissociable du projet de révéler le vrai : car, avant elle, partout, tout le temps, pas seulement de l'erreur, mais du mensonge métaphysique! Pourquoi les logiciens n'ont-ils aucun oeil pour leur discours-même? Jamais remis en cause parce que, je le répète, il se donne pour le zéro rhétorique. Mais le zéro rhétorique, ça n'existe pas. Le logicien est un rhéteur de la pureté, dans tous les sens du termes, et de la vérité, dans tous les sens possibles. Ce zéro rhétorique est, à son tour, impliqué dans la roue des confusions: il est à la fois faux (hors du champ des démonstrations) et mensonger (il sert un appareil moral jamais avoué et jamais remis en question dans son énonciation).

Pas à savoir où est la putain dont il est question? C'est pas le problème. Le sens de putain n'est pas péripatéticienne ici mais il est synonyme de Bordel, Merde, Bon Dieu etc. et tous ces mots délicieux vidés de leur sens objectif grace auxquels nous évacuons un râle tout ce qu'il a de plus subjectif.

Je n'y crois pas une seconde (je ne parle même pas de l'idée saugrenue de "sens objectif"); les mots ne nous poussent pas sur la langue. Les voir seulement dans ce vide-là serait incompréhensible devant quelques faits: 1) ils ont une permanence sémantique (disons: un usage régulier à définition à peu près fixe) dans la langue - ils n'ont pas disparu des échanges verbaux - 2) on en contrôle le flux socialement dès la petite enfance (on fait pas tout n'importe où mon petit!) 3) ils ne sont pas interchangeables (essaie de dire "Hostie", ou "Ciboire" ou "Calisse", quand tu te prends un poil de couille dans ta fermeture éclair, comme nos homoglottes canadiens, et dis-moi ce qui se passe au début. Et le plus curieux: on apprend ça aussi).

L.L.d.M.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Wed, 23 Nov 2005 13:48:59

L'écriture logicienne est un projet moral, dont la méthode de dépistage de la vérité est indissociable du projet de révéler le vrai: car, avant elle, partout, tout le temps, pas seulement de l'erreur, mais du mensonge métaphysique! Pourquoi les logiciens n'ont-ils aucun oeil pour leur discours-même? Jamais remis en cause parce que, je le répète, il se donne pour le zéro rhétorique. Mais le zéro rhétorique, ça n'existe pas. Le logicien est un rhéteur de la pureté, dans tous les sens du termes, et de la vérité, dans tous les sens possibles. Ce zéro rhétorique est, à son tour, impliqué dans la roue des confusions: il est à la fois faux(hors du champ des démonstrations) et mensonger (il sert un appareil moral jamais avoué et jamais remis en question dans son énonciation).

je t'accorde que la littérature logicienne n'aurait aucun sens en dehors de son inscription dans une métaphysique habitée depuis toujours par des enjeux de pouvoir (qu'il serait intéressant de déterminer précisément). Cela me fait penser à la façon dont les rationalistes considèrent que les formules et opérations mathématiques sont innées. Quand je vois la violence qui est faite à l'intuition, la difficulté d'assimiler ces "évidences". Néanmoins, comme tu as pu le constater, je reste assez séduit par les travaux logiques, peut-être pour des raisons esthétiques, bien que cet aspect n'entre pas ou rarement (peut-être Leibniz) en considération chez les logiciens.

dans la langue - ils n'ont pas disparu des > échanges verbaux - 2) on en contrôle le flux socialement dès la petite enfance (on fait pas tout n'importe où mon petit!) 3) ils ne sont pas interchangeables (essaie de dire "Hostie", ou "Ciboire" ou "Calisse", quand tu te prends un poil de couille dans ta fermeture éclair, comme nos homoglottes canadiens, et dis-moi ce qui se passe au début. Et le plus curieux: on apprend ça aussi).

Et l'arbitraire du signe ? Crois-tu, comme dans le Cratyle de Platon et d'une autre façon chez Heidegger, qu'il y a un rapport naturel entre l'emploi de certains sons dans le juron et ce qu'ils signifient littéralement ? Je veux bien, mais je serais curieux curieux de connaître ce qui relie Putain, Bordel, Bon sang à la rage de dent.

 


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Wed, 23 Nov 2005 14:23:13

Et l'arbitraire du signe ?

«Putain» n'est pas un signe Raphaël. Tu mélanges tout.

Crois-tu, comme dans le Cratyle de Platon et d'une autre façon chez Heidegger, qu'il y a un rapport naturel entre l'emploi de certains sons dans le juron et ce qu'ils signifient littéralement ?

Qui évoque ici un lien mimologique? Certainement pas moi (Cratyle est un sujet récurrent sur la liste, je n'ai pas le souvenir qu'il y soit autre chose qu'un objet de plaisanterie attendrie).

Je veux bien, mais je serais curieux curieux de connaître ce qui relie Putain, Bordel, Bon sang à la rage de dent.

Relis mon courriel. Nous parlons du langage. Je refuse de faire comme nous si nous parlions sans lui, en dehors de lui, comme si en parlant de lui nous étions hors-langage dans un moment de grâce. J'ai l'étrange sentiment que tu as regardé le premier et le dernier mot. Je vais pas non plus trop me faire chier, j'ai plus horreur encore de me répéter que du bavardage.

L.

 


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Wed, 23 Nov 2005 14:43:20

mais pose-leur une question, ils gardent gravement le silence. Il en est de même des discours écrits. On pourrait croire qu'ils parlent en personnes intelligentes, mais demande-leur de t'expliquer ce qu'ils disent, ils ne répondrons qu'une chose, toujours la même" (Phèdre, 276a).

Hm. Mais pour ça il faut, comme il le dit lui-même, «croire qu'ils parlent», ce qui est déjà inquiétant, et «en personnes intelligentes», ce qui est beaucoup supposer des propriétés de l'écriture. Bref, une fois de plus, ce Platon là m'a l'air terriblement usé...

L.L.d.M.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Fri, 25 Nov 2005 11:32:57

«Putain» n'est pas un signe Raphaël. Tu mélanges tout.

ah bon ? Je croyais que les mots étaient des signes linguistiques.

Qui évoque ici un lien mimologique? Certainement pas moi (Cratyle est un sujet récurrent sur la liste, je n'ai pas le souvenir qu'il y soit autre chose qu'un objet de plaisanterie attendrie).

Ok, j'exagère. On est donc bien d'accord, le putain de "aïe putain !" n'a rien à voir avec le putain de "quelle putain !". Le premier ne réfère à rien qui ressemblerait à une putain. J'aurais pas du évoquer de lien mimétique mais me contenter de celui de la dénotation.

J'ai l'étrange sentiment que tu as regardé le premier et le dernier mot. Je vais pas non plus trop me faire chier, j'ai plus horreur encore de me répéter que du bavardage.

Je comprends bien que les locutions ne nous poussent pas sur la langue. J'ai parfois du mal à suivre le fil de la conversation. Il ne me semble pas que nous nous contredisions sur le fond.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Fri, 25 Nov 2005 11:38:54

Hm. Mais pour ça il faut, comme il le dit lui-même, «croire qu'ils parlent», ce qui est déjà inquiétant, et «en personnes intelligentes»,ce qui est beaucoup supposer des propriétés de l'écriture.

Je trouve pourtant intéressant de figurer ainsi l'absence de vie du dit, de l'écrit, par rapport à la parole et au dire. J'attendais d'ailleurs (dans mes rêves) une réaction sur la vie que nous insufflons au texte comme lecteurs. Je pense à un rapport talmudique au texte.

 


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "Julien Pauthe" Date: Sat, 26 Nov 2005 10:40:22

Je trouve pourtant intéressant de figurer ainsi l'absence de vie du dit, de l'écrit, par rapport à la parole et au dire. J'attendais d'ailleurs (dans mes rêves) une réaction sur la vie que nous insufflons au texte comme lecteurs. Je pense à un rapport talmudique au texte.

"Il importe peu que le Gévaudan et l'Irlande soient les scènes où se jouent ces drames brefs. Ce qui importe, c'est qu'avec le monde on fasse des pays et des langues, avec le chaos du sens, avec les prés des champs de batailles, avec nos actes des légendes et cette forme sophistiquée de la légende qu'est l'histoire, avec les noms communs du nom propre. Que les choses de l'été, l?amour, la foi et l'ardeur, gèlent pour finir dans l'hiver impeccable des livres. Et que pourtant dans cette glace un peu de vie reste prise, fraîche, garante de notre existence et de notre liberté. Ce peu de vérité mortelle qui brûle dans le c'ur froid de l'écrit, la beauté chétive de l?une et la splendeur impassible de l?autre, voilà ce que je me suis efforcé de dire ici."

Pierre Michon, Mythologies d'hiver


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Sat, 26 Nov 2005 11:24:17

> Hm. Mais pour ça il faut, comme il le dit lui-même, «croire qu'ils parlent», ce qui est déjà inquiétant, et «en personnes intelligentes», ce qui est beaucoup supposer des propriétés de l'écriture. Bref, une fois de plus, ce Platon là m'a l'air terriblement usé...

Je trouve pourtant intéressant de figurer ainsi l'absence de vie du dit, de l'écrit, par rapport à la parole et au dire.

Que les oeuvres d'art soient touchées par une vie propre, voilà ce dont je doute assez peu pour les traiter, comme tu le sais pourtant, si souvent comme des sujets; mais qu'on attendent d'elles des signes d'une vie identique, des attestations dans une niaise mimésis, voilà ce que je trouve enfantin, sans imagination, sans finesse, et inutile pour la pensée; bref, du Platon en pleine forme.

J'attendais d'ailleurs (dans mes rêves) une réaction sur la vie que nous insufflons au texte comme lecteurs. Je pense à un rapport talmudique au texte.

Généraliser une réponse de ce type à Platon serait encore généraliser l'identité du tableau au livre, de la peinture à l'écriture, puisque c'est aux deux qu'il s'adresse. Et je m'y refuse absolument.

L.L.d.M.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Sun, 27 Nov 2005 09:10:00

Ce peu de vérité mortelle qui brûle dans le coeur froid de l'écrit, la beauté chétive de l'une et la splendeur impassible de l'autre, voilà > ce que je me suis efforcé de dire ici." Pierre Michon, Mythologies d'hiver

Sur ce thème encore, et par goût des vieilles choses, il y a l'Epître aux Corinthiens de Paul : "Dieu, qui nous a rendus capables d'être serviteurs d'une nouvelle Alliance, non de la lettre, mais de l'esprit ; car la lettre tue, mais l'esprit fait vivre" (2, 6). C'est quelque chose d'horriblement réducteur que ce point de vue de Paul. Il ne pense pas comme Michon l'interpénétration de la vie et de la mort dans le texte. C'est d'ailleurs une scission politique qui travaille l'approche paulienne. Regardez précedemment : "Vous êtes manifestemment une lettre de Christ commise à nos soins, écrite non avec de l'encre, mais avec l'esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur les coeurs" (2, 3).


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Sun, 27 Nov 2005 12:04:33

Généraliser une réponse de ce type à Platon serait encore généraliser l'identité du tableau au livre, de la peinture à l'écriture, puisque c'est aux deux qu'il s'adresse. Et je m'y refuse absolument

bon d'accord, je m'arrangerai pour ne plus citer Platon. Ca plombe le dialogue. Ou alors je l'appelerai, je sais pas, Pluto, pour pas qu'on le reconnaisse


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Sun, 27 Nov 2005 12:48:32

Je réponds avec un peu de retard (je quitte mon lit de malade) à deux courriels de Raphaël:

>Je trouve pourtant intéressant de figurer ainsi l'absence de vie du dit, de l'écrit, par rapport à la parole et au dire. J'attendais d'ailleurs (dans mes rêves) une réaction sur la vie que nous insufflons au texte comme lecteurs. Je pense à un rapport talmudique au texte.

Peut-être que Platon n'était pas le guide rêvé pour ouvrir à ce rêve là, tout simplement.... D'autre part, je ne pense pas que le rapport talmudique postule un vide du texte, mais une «attente» de celui-ci (puisque nous parlons bien de l'herméneutique sacrée), donc une transitivité. Il est vivant. Ouvert à l'infini à tous les passages, c'est plutôt lui qui insufflent aux lecteurs une vie nouvelle, qui a le pouvoir de les remplir. S'il y a une chose que le Texte n'est pas, c'est mort. Les commentateurs de la Torah n'hésitent pas à placer sur un plan d'équivalence le Livre et le monde, et je peux t'assurer que ce n'est pas seulement une image. Un seul signe peut animer de la boue, et ce n'est pas le livre qui faillit dans la figure du Golem, ce sont les opérations humains de translations du signe (et peut-être l'oubli du souffle attendu depuis Gan Eden pour toute vie à accompagner, à faire «apparaître»: de l'amour).

> «Putain» n'est pas un signe Raphaël. Tu mélanges tout.
ah bon ? Je croyais que les mots étaient des signes linguistiques.

Désolé d'être aussi scolaire (d'autant que la définition du signe qui en découle me satisfait au fond assez peu), mais un mot n'est pas, dans un cadre linguistique, «un signe». Pour le mettre en lumière, c'est moins le mot qu'il faudrait chercher à définir, que le signe.
Je ne suis pas certains que nous ayions nommément fixé le cadre de notre usage du terme «signe» dans ce fil, mais il me semble que la forme des interrogations qui l'entourent dans ce cas précis - le «putain» comme interjection dont j'aimerais qu'il nous aide à faire pénétrer le domaine du sens en excédent celui de la logique, par exemple - nous ramènait à un champ linguistique plutôt Saussurien ; du moins tes déclarations en connotaient-ils nettement le côté bivalve (je crois que Saussure employait «dyadique», mais Jean-François corrigera s'il le juge nécessaire) plus précisément, il me semblait que ta critique du signe était axée sur une sorte de critique morphologique, insistant sur la nature arbitraire de ceux-ci. C'est du moins ce que j'avais supposé, parce qu'un léger glissement de terrain avait emporté l'arbitraire ailleurs : la notion d'immotivation s'est déplacée d'un seul coup dans une critique du sens, et c'est sans doute cet étrange glissement qui t'avait permis d'évoquer Cratyle là où je tentais de trouver des valeurs de sens critique de notre rapport au monde - peut-être même de notre rapport au langage - jusque dans les jurons, insultes, interjections etc.

Bon, tout d'abord pour cette notion de signe: c'est particulièrement bizarre que tu aies choisi ce terme ici, puisque même sa notion la plus étendue (objet manifestant une relation de substitution à un autre objet: grossièrement dit: n'importe quoi qui remplace n'importe quoi d'autre) établit une relation de signification, c'est-à dire que la seule chose qui ne soit pas mise en doute par les innombrables définitions et théories du signe, c'est le sens (après, sa permanence, sa fixité, etc, c'est encore une autre histoire; d'autant que le problème, c'est évidemment que toute théorie du signe écarte le sens de celui-ci, il le place "en-dehors" de lui). Et c'est précisément la chose que tu refusais à notre interjection... Si «putain» est pris comme mot, au sens saussurien, alors c'est la notion de valeur qui l'emporte sur celle de sens, et nous pouvons peut-être commencer à y voir plus clair. Je pense que c'est le terme de «signifiant» que tu cherchais à assigner à notre juron, non? «signifiant sans signifié» selon toi.

Voilà en tout cas ce qui, moi, m'intéresse dans tout ça : toutes les théories du signe (à part celle de Meschonnic me semble-t-il) postulent en tout cas «l'absence», c'est-à dire qu'elles se basent plus ou moins sur une sorte de conception négative de la relation d'objet, sans considérer l'établissement, l'invention d'une relation neuve comme, peut-être, l'enjeu du langage. Cette «apparition», c'est sûr que ça excède largement le monde comme ensemble des opérations logiques et surtout, ça rétablit ce qui me manquait tout-à l'heure dans ma quête d'une critique récursive du langage en plus de sa relation aux choses. Est-ce que le problème ne viendrait pas justement d'avoir commencé par acquiescer aux catégories logiques, dans lesquelles effectivement viendrait assez mal s'insérer nos problèmes de langage, et dans lesquels, au fond, viendraient s'insérer assez peu de problèmes humains (philosophie comprise)? Ce n'est pas parce que'on parle des sciences du langage, lit-on dans «le signe et le poème», que les problèmes du langage sont des problèmes scientifiques. Qu'y lit-on encore? Ceci: « Si les problèmes du langage étaient scientifiques, on ne continuerait pas par exemple, à étymologiser après le livre de Paulhan «Alain ou la preuve par l'étymologie» (on n'a pas continué de croire après Harvey que le sang ne circule pas) car Paulhan faisait la démonstration et la preuve - mais de quoi? Si c'était d'une erreur, ce serait singulièrement placer le vrai et le faux.». (bon, à mon avis, Meschonnic est très optimiste relativement à l'imposition des cadres de la vérité par la science, on connait des université américaines dans lesquelles Darwin est le descendant de Noé, mais c'est encore une autre histoire)

Ok, j'exagère. On est donc bien d'accord, le putain de "aïe putain !" n'a rien à voir avec le putain de "quelle putain !". Le premier ne réfère à rien qui ressemblerait à une putain.

Hé bien c'est ça que j'aurais aimé questionner, peu satisfait par cette fausse évidence; je persiste à penser une relation au bordel, un jeu de relation affectif, historique - tout autant d'ailleurs de l'histoire du sujet que du groupe social auquel, plus ou moins, il ressortit - au bordel, à la prostitution, présentifié dans ce juron. Moi non plus, l'étymologie et les promenades touristiques linéaires ne me satisfont pas du tout. Le langage, c'est autre chose que de la colle à assembler des fossiles. D'où mon choix, dans le courriel précédent, de ces exemples étrangement focalisés sur la profanation des instruments liturgiques au Quebec, EN TANT QU'ILS ONT valeur d'expurgation, de «sortie» de la violence, de la douleur etc. : cette valeur, comment s'établit-elle? Si j'ai dit que ça s'apprenait, c'est parce que ça change tout (à la notion d'arbitraire à laquelle tu tenais) ; c'est pour en faire régulièrement l'expérience que j'en parle aussi librement : spectateur de nombreux films québécois c'est par jeu que j'ai commencé à balancer du câlisse dans les moments d'agacement, mais le jeu, ça se déjoue. Du sens précis se crée dans ce qu'on croirait les moments d'échappées du sens (du moins dans leur émanation linguistique), douleur, colère etc. Et cette valeur-là, ce que j'appelle la valeur d'expurgation, elle s'acquiert. Ce n'est pas seulement une coquetterie ou un soucis d'authenticité locale qui fait traduire les innombrables «fuck» d'un film américain par «putain», ce sont les conditions d'apparition du sens qui sont rétablies. Et je pense que la pute n'est pas absente de notre «putain!», que la profanation, l'objet de la profanation, ne sont pas absents du «ciboire de crisse» canadien: la présence, c'est celle d'une relation, d'une relation autre que la relation ternaire signifiant/conceptualisation/signifié, une relation critique, historique, affective, poétique etc.

Je comprends bien que les locutions ne nous poussent pas sur la langue. J'ai parfois du mal à suivre le fil de la conversation. Il ne me semble pas que nous nous contredisions sur le fond.

Je pense que nous sommes jusqu'ici au moins d'accord pour mettre en lumière une extension du monde au-delà des catégories logiques, et une extension du langage au-delà des catégories fonctionnelles.

L.L.d.M.

 


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Sun, 27 Nov 2005 12:51:22

bon d'accord, je m'arrangerai pour ne plus citer Platon. Ca plombe le dialogue. Ou alors je l'appelerai, je sais pas, Pluto, pour pas qu'on le reconnaisse

même avec une fausse truffe noire et une petite queue qui remue, je suis sûr que je reconnaitrais cette andouille. Mais va pour Pluto, c'est pas mal, Pluto.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Mon, 28 Nov 2005 09:51:55

Je réponds avec un peu de retard (je quitte mon lit de malade) à deux courriels de Raphaël:

content de te savoir rétabli

n'hésitent pas à placer sur un plan d'équivalence le Livre et le monde, et je peux t'assurer que ce n'est pas seulement une image. Un seul signe peut animer de la boue, et ce n'est pas le livre qui faillit dans la figure du Golem, ce sont les opérations humains de translations du signe (et peut-être l'oubli du souffle attendu depuis Gan Eden pour toute vie à accompagner, à faire «apparaître»: de l'amour).

Voilà qui se distingue au fond de la philosophie grecque et chrétienne. Comme on le voit chez Platon et Saint Paul, l'écrit est dévalorisé au profit de la parole. On a toute une civilisation basée sur l'écriture qui prétend néanmoins qu'elle est une chose morte. Etrange ! En fin de compte, les critiques du statique par Bergson ou du Discours par Foucault ne sont pas si révolutionnaires. Il y a depuis longtemps cette tendance à revenir à la vie contre le symbole figé. Par contre, il me semble que le judaïsme ne sépare pas la vie du texte. Comme tu le montres, le texte est même la vie, et pourquoi pas générateur de vie. Je me demande tout de même comment répondre à un contradicteur bien dualiste qui reprocherait à cette thèse d'être une personnification des textes et même des oeuvres. Ce contradicteur accepterait l'image d'un texte vivant mais non sa réalité comme telle. Il voudrait découvrir un processus positif et psychologique qui présiderait à cette impression.

la notion d'immotivation s'est déplacée d'un seul coup dans > une critique du sens, et c'est sans doute cet étrange glissement qui t'avait permis d'évoquer Cratyle là où je tentais de trouver des valeurs de sens critique de notre rapport au monde - peut-être même de notre rapport au langage - jusque dans les jurons, insultes, interjections etc.

Oui, c'est quelque chose comme ça

Si «putain» est pris comme mot, au sens saussurien, alors c'est la notion de valeur qui l'emporte sur celle de sens, et nous pouvons peut-être commencer à y voir plus clair. Je pense que c'est le terme de «signifiant» que tu cherchais à assigner à notre juron, non?

«signifiant sans signifié» selon toi. oui, voilà. Pour moi on peut réduire la notion de signifiant à celui de signe. Le signifiant, c'est un signe en tant qu'il a un rapport à un signifié, à un concept, de façon conventionnelle.

quoi? Si c'était d'une erreur, ce serait singulièrement placer le vrai et le faux.». (bon, à mon avis, Meschonnic est très optimiste relativement à l'imposition des cadres de la vérité par la science, on connait des université américaines dans lesquelles Darwin est le descendant de Noé, mais c'est encore une autre histoire)

En tout cas, il est plus exact de parler de langage de la science que de la science du langage. A mes yeux les mathématiques sont un langage parmi d'autres, et la logique un dérivé des mathématiques (mélangé à de la grammaire). Au fond, on réapplique à tout le langage ce qui appartient à quelques unes de ses branches pour faire scientifique. Ce qui est assez monstrueux, je te l'accorde.

«fuck» d'un film américain par «putain», ce sont les conditions d'apparition du sens qui sont rétablies. Et je pense que la pute n'est pas absente de notre «putain!», que la profanation, l'objet de la profanation, ne sont pas absents du «ciboire de crisse» canadien: la présence, c'est celle d'une relation, d'une relation autre que la relation ternaire signifiant/conceptualisation/signifié, une relation critique, historique, affective, poétique etc.

C'est exact. La forme du juron n'est pas si innocente que ça, ce n'est pas que de la forme. Ce n'est plus exactement au niveau du référent objectif que cela se joue mais par rapport à une trame affective. Cela mériterait une sorte de sociologie du juron. Quel lien entre Bordel, Putain, Nom de Dieu, La vache ? Ce n'est pas toujours très clair. C'est que d'abord nous imitons les jurons proférés par les autres. Ca c'est trivial. Mais pourquoi à la base tel nom ? Pour Putain, Bordel, on imagine une valeur transgressive. Pour Nom de Dieu également, mais de façon inversée. Mais pour La Vache, moi je sèche.

Je pense que nous sommes jusqu'ici au moins d'accord pour mettre en lumière une extension du monde au-delà des catégories logiques, et une extension du langage au-delà des catégories fonctionnelles.

Allons y ! (Et pis bonne fin de rétablissement, hein)


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: Cédric CHAIGNEAU Date: Mon, 28 Nov 2005 13:00:32

Il y a depuis longtemps cette tendance à revenir à la vie contre le symbole figé. Par contre, il me semble que le judaïsme ne sépare pas la vie du texte.

Parlons aussi du rapport à l'image dans les religions du livre. Tandis que dans la pensée chrétienne l'image est représentation véritable, présence, la civilisation musulmane est iconoclaste, et pour le judaïsme créer des images d'êtres humains revient à édifier de nouvelles idoles. En fin de compte, la peinture de Soutine n'est pas si révolutionnaire.

Tout ça n'est pas très sérieux quand même, pour un philosophe j'entends. Fantasmer l'unicité de la pensée de civilisations entières, dans leur rapport à l'écrit et à la parole, même le monde de Sophie n'a pas osé le faire. Platon n'est pas la philosophie grecque, comme Saint Paul n'est pas du tout la philosophie chrétienne, il faudrait plutôt se réferer à Saint Thomas d'Aquin ou à Saint Augustin. Quant à Bergson je ne sais pas trop, mais pour Foucault, encore une fois, sa critique du Discours ne suppose même pas une distinction entre écrit et parole, elle prend l'un et l'autre comme objet, quoiqu'évidemment l'oralité soit plus difficile à saisir sinon comme dispositif (par exemple l'aveu).

Dr C.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Mon, 28 Nov 2005 17:18:56

Saint Paul n'est pas du tout la philosophie chrétienne, il faudrait plutôt se réferer à Saint Thomas d'Aquin ou à Saint Augustin. Quant à Bergson je ne sais pas trop, mais pour Foucault, encore une fois, sa critique du Discours ne suppose même pas une distinction entre écrit et parole, elle prend l'un et l'autre comme objet, quoiqu'évidemment l'oralité soit plus difficile à saisir sinon comme dispositif (par exemple l'aveu).

Pourquoi pourrait-on faire des généralités sur l'image et pas sur le langage ? Je reconnais que ce n'est pas très sérieux de généraliser à outrance, qu'il n'y a que du particulier, au mieux qu'il y a toujours des exceptions. Et pourtant, ça ne me paraît pas insensé de parler d'un rapport chrétien au texte et d'un rapport juif. Evidemment, lorsqu'on compare les différentes écoles de pensée du christianisme à celles du judaïsme, ça devient très confus. Avec les auteurs, j'en parle même pas. Alors je sais pas moi, faut-il vraiment cesser les hypothèses générales ? On pourrait pas s'amuser encore à comparer par exemple les différentes conceptions du texte aux différentes conceptions de l'image (sans réduire pour autant le texte à l'image, ça c'est entendu)


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Mon, 28 Nov 2005 23:07:56 +0100

aux Corinthiens de Paul : "Dieu, qui nous a rendus capables d'être serviteurs d'une nouvelle Alliance, non de la lettre, mais de l'esprit ; car la lettre tue, mais l'esprit fait vivre" (2, 6). C'est quelque chose d'horriblement réducteur que ce point de vue de Paul. Il ne pense pas comme Michon l'interpénétration de la vie et de la mort dans le texte.

«L'évangélisation des incirconcis m'a été confiée, comme celle des circoncis a été confiée à Pierre, attendu que celui qui a fait de Pierre l'apôtre des circoncis à fait également de moi l'apôtre des Gentils», dit encore Paul; en quoi cette rupture avec Pierre (auquel il se heurte brutalement selon son propre récit) marque-t-elle une relation particulière au texte? Ou plus exactement, une coupure de cette relation?
C'est que l'Alliance terrestre doit disparaitre complètement au profit de la parole directe dont s'empare Paul. Sans quoi c'est Paul lui-même qui disparait comme porteur privilégié de la consécration, puis de la Parole. Paul est celui qui se dit sans alliance terrestre, directement touché par Dieu, sans médiation sociale. Car c'est l'homme des retournements, et avant toute chose contre l'origine: SON origine juive.
Celle au nom de laquelle, ce qui était déjà un retournement de la morale juive, il s'était fait criminel, persécuteur des chrétiens avant d'en être le guide. Cette Alliance terrestre qu'il déchire, est de nature double, livresque et charnelle, elle est au coeur de la filiation juive du Christ. La question centrale du judaïsme, c'est l'interprétation; c'est-à dire: l'advention du sujet devant le texte (sa chance, leur chance à tous les deux, texte et lecteur). Ce que le judaïsme exprime - ici à travers la parole de Ouaknin, mais Rachi ne dit pas autre chose - c'est: le texte fonde le social sur le mode d'une médiation entre les hommes. CE que Paul veut réduire à néant c'est le savoir dans son mode d'apparition juif -herméneutique -, et c'est au passage la circoncision - c'est-à dire la marque physique de l'Ancienne alliance dans la chair du porteur de la Nouvelle... Il ne connait que Jesus Ressucité, c'est-à dire débarrasseé de son corps de juif, de son passage dans le corps physique du judaïsme et dans le corps social de la synagogue. Cette chair-là n'a pas de dignité particulière à être connue pour Paul, d'autant que la parole doit être reçue dans un état d'incorruptibilité, de transparence, qui évacue l'étude au profit d'autre chose: «l'esprit», évoqué dans le passage choisi par Raphaël. si on ne peut pas dire que Paul fonde une forme nouvelle de lecture du texte, on peut au moins voir combien il sera porteur d'un nouveau type de relation à celui-ci; heureusement, au fond, le judaïsme au coeur du christianisme est plus résistant que la doxa paulinienne, et il me semble que mon plaisir à lire les grands scolastes est un plaisir bien proche de celui que je trouve à lire, par exemple, le Talmud.

L.L.d.M.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Tue, 29 Nov 2005 00:27:07 +0100

pas générateur de vie. Je me demande tout de même comment répondre à un contradicteur bien dualiste qui reprocherait à cette thèse d'être une personnification des textes et même des oeuvres.

Qu'il n'y a pas que les «personnes» à être vivantes, par exemple.

Ce contradicteur accepterait l'image d'un texte vivant mais non sa réalité comme telle. Il voudrait découvrir un processus positif et psychologique qui présiderait à cette impression.

Comme il serait grossier, ton contradicteur, hein? Il serait surtout idiot d'accepter l'image, s'il n'en fait rien. Bref: autant qu'il réfute l'image elle-aussi.
Qu'est-ce que tui veux lui offrir, un plan en coupe de l'appareil respiratoire d'un livre?
Bon. Disons que cette vie a besoin d'être accompagnée, et pas seulement pour être perçue, mais pour être de la vie; j'allais dire : comme un foetus dans le ventre de sa mère, mais pourquoi? Comme TOUTE vie humaine. Je me souviens de nos difficultés à définir clairement ce qu'était un «sujet», au cours du colloque sur l'Institution. Et pourtant, il aurait été assez malvenu et illégitime de nous soupçonner d'abuser d'images; nousnne voulions seulement ne pas réduire notre «sujet», ne pas le réduire à des composantes sociologisantes, phénoménologiques, institutionnelles, etc. Nous avons fini par le dessiner en creux, par tout ce dont nous étions persuadés qu'au moins il n'était pas. Ce n'est pas tant l'image d'un livre vivant qui s'impose à moi, que la réfutation d'un livre mort. C'est-à dire qui, entre autres choses, s'arrêterait à lui-même, au décompte de ses parties; et dans ces parties, au décompte du sens supposé y être saisi. Il faudrait plutôt voir jusqu'à quel excès il continue d'être livre, comment en s'excédant lui-même dans les paroles qu'ils suscitent comme dans celles qui l'ont suscité il est déjà livre, avec, évidemment, cette mobilité sémantique déjà acquise comme étant sa principale - et pas la moins curieuse - propriété. En effet, c'est peu remarquer qu'il est idiot entre les mains d'un idiot, brutal avec une brute. Voilà une vie dont on pourrait croire du coup qu'elle n'est qu'une maladie spéculaire, du tain qui couvre de la peau humaine. Mais ce serait écarter sa puissance transformante. On ne voit pas très bien par où elle opère, mais on est sans cesse confronté à cette puissance; comment opère-t-elle, c'est-à dire, comment le livre peut-il être seulement DE TEMPS EN TEMPS condamné aux mesures de son lecteur du moment? Disons que s'il on devait tenter d'esquisser un tableau métabolique de notre gaillard, on en viendrait assez vite à ce type de définition: «Qu'est-ce qu'un homme, selon le Talmud? L'homme est un «Quoi?»»

oui, voilà. Pour moi on peut réduire la notion de signifiant à celui de signe. Le signifiant, c'est un signe en tant qu'il a un rapport à un signifié, à un concept, de façon conventionnelle.

Tu recommences à être flou. Un signifiant, c'est une des manifestations du signe, c'est vulgairement ce qu'on appellerait aussi sa forme. Et ça peut tout-à fait être décollé de tout signifié. il y a des signifiants qui flottent, des signifiants comme des navires fantômes. Regarde la pub, tu comprendras ce que je veux dire.

L.L.d.M.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Tue, 29 Nov 2005 10:36:00

Parlons aussi du rapport à l'image dans les religions du livre. Tandis que dans la pensée chrétienne l'image est représentation véritable, présence

ça dépend de quelle émanation du christianisme tu parles; le grand basculement du statut de l'image de sa fonction votive à sa fonction exégétique est celui qui substitua le terme latin d'imago à celui d'iconos; autant dire que ce petit détail change tout, et que c'est ce petit pas de côté qui enterre les orthodoxes dans le balbutiement infini du byzantinisme là où le Duccio et le Cimabue, hé bien, hé bien, le Duccio et le cimabue, quoi!

la civilisation musulmane est iconoclaste,

que la «civilisation» le soit, c'est vite dit là encore (pour quelqu'un qui voulait fuir les généralités); le christianisme a eu ses larges moments d'iconoclasme, et les violences que l'Isaurien Leon III fit aux images seraient peut-être venues pour longtemps à bout de celles-ci si ce n'avait été sa propre fille - la basilea Irénée - qui les avaient protégées de sa furie déstructice (lire l'excellent «Leon III l'iconomaque» de Pol Bury). Et ça, c'est du temps, de l'histoire, mais il y a eu (et il y a) des espaces, des sujets aussi, pour lesquels le statut de l'image dans le christianisme est mobile.

pour le judaïsme créer des images d'êtres humains revient à édifier de nouvelles idoles.

voilà une lecture bien littérale, bien insuffisamment juive si tu veux, du second commandement... Plutôt qu'«à édifier > de nouvelles idoles», disons que cela revient implicitement à se tromper dans le sens ou _on ne peut (au sens de : c'est impossible) faire aucune image car ce qui est fait par Dieu est aussi impossible à refaire qu'inutile, puisque touché déjà par Sa perfection ; ce commandement est une invitation à poursuivre l'injonction d'inventer le monde (lui donner sa forme humaine) qui enchaîne l'éviction du Gan Eden.

Ça, je n'aurais jamais affirmé le contraire... Tout ça n'est pas très sérieux quand même, pour un philosophe j'entends. Fantasmer l'unicité de la pensée de civilisations entières, dans leur rapport à l'écrit et à la parole, même le monde de Sophie n'a pas osé le faire.

parler d'une relation générale au texte pour des groupes humains qui se fondent justement sur leur rapport à un texte, je vois mal ce que ça aurait de si curieux.

chrétienne, il faudrait plutôt se réferer à Saint Thomas d'Aquin ou à Saint Augustin.

voilà qui fige notre pauvre christianisme, là-aussi, non? Doit-on faire une liste des théologiens postérieurs (tu te rends compte que tu viens d'évincer toute la pensée jésuitique!) pour rassurer les chrétiens de la liste qui se voient d'un coup saisis dans l'ambre prémédiéval? Il n'est pas si mauvais de parler de certains universaux, même si on doit se méfier comme la peste du moment où ils passent de soutien pour commencer à penser à cloisons pour l'empêcher. Un peu de vigilance, et ça passe, non?

L.L.d.M.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "Julien Pauthe" <julien . pauthe (a) atol . fr> Date: Tue, 29 Nov 2005 11:11:13

> Tout ça n'est pas très sérieux quand même, pour un philosophe j'entends. Fantasmer l'unicité de la pensée de civilisations >> entières, dans leur rapport à l'écrit et à la parole, même le monde de Sophie n'a pas osé le faire.
parler d'une relation générale au texte pour des groupes humains qui se fondent justement sur leur rapport à un texte, je vois mal ce que ça aurait de si curieux.

Non, je ne trouve pas ça curieux. Certes ça demande à être historié, détaillé et nuancé, mais il n'en reste pas moins que la civilisation occidentale connait (ou a connu ; parce qu'à savoir où nous en sommes) une tension féconde entre une dépréciation de l'écrit du côté de sa source grecque (avec cette idée que seules les paroles volent, atteignent les dieux, tandis que l'écrit reste profane - cf. Francis Yates, Les Arts de la mémoire, entre autres) et une sacralisation du côté de sa source juive. Bon, c'est peut-être mal dit. Mais entre le texte comme affirmation de Dieu, comme lien essentiel et non substituable à son existence et le texte comme support de l'exercice de la mémoire (dans ses deux temps, mnesis et anamnesis), il y a un gouffre. A nos lectures de modernes et de profanes, je trouve que ça se ressent nettement dans la place faite au lecteur : la Bible ne cesse de s'adresser, de dire "tu", d'enjoindre à une position face aux mythes, à Dieu, à l'histoire, etc. Homère ne convoque jamais son lecteur, du reste il n'en a pas à proprement parler ; c'est un fresquiste, même s'il passe des plans larges aux détails très fouillés d'une manière très vive ; la Bible use de tous les registres pour nous convoquer, mais rarement de ce côté "fresque" (peu de descriptions, pas d'avant-plan : on est dedans directement).

J.

 


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Tue, 29 Nov 2005 22:29:41

Celle au nom de laquelle, ce qui était déjà un retournement de la morale juive, il s'était fait criminel, persécuteur des chrétiens avant d'en être le guide. Cette Alliance terrestre qu'il déchire, est de nature double, livresque et charnelle, elle est au coeur de la filiation juive du Christ.

C'est un aspect du christiannisme. Alors que Dieu s'incarne par le Christ, l'apôtre imitant ce dernier entre en rapport avec Dieu sans la médiation du terrestre et du social. C'est peut être la figure du rapport singulier à Dieu, sans la médiation de la communauté et du livre, qui est alors renforcée. Mais j'avoue être incapable d'être aussi précis que toi sur le sujet.

c'est-à dire la marque physique de l'Ancienne alliance dans la chair du porteur de la Nouvelle... Il ne connait que Jesus Ressucité, c'est-à dire débarrasseé de son corps de juif, de son passage dans le corps physique du judaïsme et dans le corps social de la synagogue. Cette chair-là n'a pas de dignité particulière à être connue pour Paul, d'autant que la parole doit être reçue dans un état d'incorruptibilité, de transparence, qui évacue l'étude au profit d'autre chose: «l'esprit», évoqué dans le passage choisi par Raphaël.

Oui, et quelle violence est faite au Corps à travers le christ ! je ne l'avais pas perçue comme une tentative brutale d'entrer en rapport à Dieu de façon immédiate, par l'esprit seulement.

si on ne peut pas dire que Paul fonde une forme nouvelle de lecture du texte, on peut au moins voir combien il sera porteur d'un nouveau type de relation à celui-ci; heureusement, au fond, le judaïsme au coeur du christianisme est plus résistant que la doxa paulinienne, et il me semble que mon plaisir à lire les grands scolastes est un plaisir bien proche de celui que je trouve à lire, par exemple, le Talmud.

Ce qui te permet de conclure sur le plaisir du texte.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Tue, 29 Nov 2005 22:45:54 +0100 Reply-

comment opère-t-elle, c'est-à dire, comment le livre peut-il être seulement DE TEMPS EN TEMPS condamné aux mesures de son lecteur du moment? Disons que s'il on devait tenter d'esquisser un tableau métabolique de notre gaillard, on en viendrait assez vite à ce type de définition:

«Qu'est-ce qu'un homme, selon le Talmud? L'homme est un «Quoi?» » La puissance transformante vient sans doute de l'auteur ; et peut-être aussi de la textualité, car il n'y a sans doute pas que l'effet de l'auteur, l'auteur étant également transformé par son écriture. Et pour reprendre ton image, si le texte est en partie spéculaire, il est aussi un milieu, un passage, non transparent bien sûr (ce serait de la communication).

Et ça peut tout-à fait être décollé de tout signifié. il y a des signifiants qui flottent, des signifiants comme des navires fantômes. Regarde la pub, tu comprendras ce que je veux dire.

Bon, d'accord

 


Subject: RE: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: Jean-François Savang Date: Tue, 29 Nov 2005 22:51:54

nous ramènait à un champ linguistique plutôt Saussurien ; du moins tes déclarations en connotaient-ils nettement le côté bivalve (je crois que Saussure employait «dyadique»

Si mes souvenirs sont les souvenirs que j'en ai, les Cours de Saussure version Tullio de Mauro parlent plutôt du signe comme "entité psychique à deux faces". Ce qui importe dans le rapport signifiant/signifié c'est justement qu'il soit un rapport dynamique figuré dans le schéma par deux flèches, l'une montante l'autre descendante : ainsi, signifiant et signifié sont "deux éléments intimement unis et qui s'appellent l'un l'autre". (cf. p. 99) L'autre chose importante concernant le signe, c'est qu'il n'unit pas une chose et un nom, mais un concept et une image acoustique. Autrement dans les Ecrits de linguistique générale, Saussure met aussi en évidence le fait que les valeurs d'un système de langue constitue d'abord un rapport entre signe et signification, qu'il y a une essence double du langage, il parle de dualisme, de dualité ; ce qui me semble moins fusionnel qu'une dyade dans laquelle je vois plus de symétrie que de processus ; moins ésotérique, plus radicalement plat. "valeur, exprime mieux que tout autre mot l'essence du fait qui est aussi l'essence de la langue, à savoir qu'une forme ne signifie pas mais vaut : là est le point cardinal. Elle vaut par conséquent elle implique l'existence d'autres valeurs" (p. 28) C'est le début d'une théorie du sujet qui se met en place dans une telle théorie du langage, dès lors qu'elle institue la notion de valeur pour ouvrir une dimension du sens qui excède le rapport entre signe et signification ; c'est comme si le sujet devait venir coextensivement au langage, en découvrant de ce fait le préalable d'une éthique dans le langage. Et aussi: "il est faux (et impraticable) d'opposer la forme et le sens. Ce qui est juste en revanche c'est d'opposer la figure vocale d'une part, et la forme-sens de l'autre." (cf. p. 17) Je me permets d'intervenir parce que "dyadique" m'a fait penser au caractère triadique (index, icône, symbole) que Peirce confère au signe et je trouvais ça un peu troublant, cette hybridité soudaine de deux théories différentes.


JFS Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Tue, 29 Nov 2005 23:08:08 +0100

C'est un aspect du christiannisme. Alors que Dieu s'incarne par le Christ, l'apôtre imitant ce dernier entre en rapport avec Dieu sans la médiation du terrestre et du social.

c'est du moins l'aspect paulinien du christianisme, celui de la gentilitas (l'Église des Gentils, des non-Juifs); c'est assez important, c'est le seul qui ne soit pas «apôtre selon la chair» (il doit donc défendre sa position, comme tu vois, c'est un vrai problème de légitimité qui se joue pour lui). Il ne connait pas Jesus, il n'a «rencontré» que le Christ, un mort. Il est en plein dans la mort, Paul. Et comme c'est la gentilitas qui historiquement l'emporte largement sur la coloration structurelle, théologique de l'église chrétienne, on aurait tendance à les voir se superposer. Heureusement, comme je le disais: la pensée juive est assez puissante au coeur de la parole chrétienne pour résister au rouleau-compresseur paulinien.

Ce qui te permet de conclure sur le plaisir du texte.

toujours...


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Wed, 30 Nov 2005 16:47:23

Il n'est pas si mauvais de parler de certains universaux, même si on doit se méfier comme la peste du moment où ils passent de soutien pour commencer à penser à cloisons pour l'empêcher. Un peu de vigilance, et ça passe, non?

Lldm a bien montré comme le cas particulier habite les généralités. Il faut distinguer ce qui a vocation historique et cherche à rendre compte de la complexité des choses dans le détail, et ce qui constitue une expérience de pensée, nécessairement réductrice, mais néanmoins féconde. Ces fictions universelles des philosophes sont certes imprécises historiquement, bien qu'elles s'appuient sur une certaine régularité des phénomènes. J'en proposerais une, à titre d'exercice de pensée, pour revenir sur ce qui a été dit : Comparons, au rapport du christianisme, le rapport du judaïsme au texte et à l'image. Dans le christianisme, le texte s'oppose à la vie. Il est comme mort. Cependant, l'image est autorisée, celle du corps souffrant. C'est l'instauration de la vision comme rapport privilégié, contre le texte, vision quasi directe (intuitio) à travers le corps nié. Dans le judaïsme, le texte est non mort. Il s'écoute, se comprend, tandis que l'image est inutile. Ce qui mène à dieu, c'est le souffle (Ruha et Spiritu), la parole invisible. Encore une fois, pour me préserver contre notre ami humien anti-inductioniste, les termes christianisme et judaïsme désignent ici davantage des tendances, que l'on peut retrouver parfois dans les deux religions à la fois, qu' une réalité historique stricte.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Wed, 30 Nov 2005 17:02:34

A nos lectures de modernes et de profanes, je trouve que ça se ressent > nettement dans la place faite au lecteur : la Bible ne cesse de s'adresser, de dire "tu", d'enjoindre à une position face aux mythes, à Dieu, à l'histoire, etc. Homère ne convoque jamais son lecteur, du reste il n'en a pas à proprement parler ; c'est un fresquiste, même s'il passe des plans larges aux détails très fouillés d'une manière très vive ; la Bible use de tous les registres pour nous convoquer, mais rarement de ce côté "fresque" (peu de descriptions, pas d'avant-plan : on est dedans directement). J.

Avec Homère, tu introduis il me semble quelque chose de plus. Ce n'est pas encore le rapport à dieu qui prime, à travers la communauté, le texte, ou bien le plus directement possible. C'est le rapport à la communauté, à travers une histoire idéalisée, un récit, et à travers ses dieux. Ce qui met en valeur le renversement opéré par les monothéismes.


Subject: RE: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Thu, 1 Dec 2005 10:34:50

C'est le début d'une théorie du sujet qui se met en place dans une telle théorie du langage, dès lors qu'elle institue la notion de valeur pour ouvrir une dimension du sens qui excède le rapport entre signe et signification ; c'est comme si le sujet devait venir coextensivement au langage, en découvrant de ce fait le préalable d'une éthique dans le langage.

Content de te retrouver là JF.

Bon, petites questions : ne peut-on pas assimiler la valeur à une série de significations, une idéologie dont les éléments seraient des significations ?

Je me permets d'intervenir parce que "dyadique" m'a fait penser au caractère triadique (index, icône, symbole) que Peirce confère au signe et je trouvais ça un peu troublant, cette hybridité soudaine de deux théories différentes.

Par manque de temps, je me permets de te demander de nous expliquer, si tu veux bien, Icône chez Peirce. Pour le symbole je suppose que c'est le signifiant, pour l'index, que c'est le référent. L'icone serait-il la signification ?

«apôtre selon la chair» (il doit donc défendre sa position, comme tu vois, c'est un vrai problème de légitimité qui se joue pour lui). Oui, c'est ce que j'appelais le côté politique du dogme paulinien, qui a donné lieu à un antijudaïsme désastreux. Il ne connait pas Jesus, il n'a «rencontré» que le Christ, un mort.

Il est en plein dans la mort, Paul. C'est en cela que je rapproche Paul de Platon et plus précisément du chamanisme de Socrate qui place la vrai vie dans la mort.

 


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: Cédric CHAIGNEAU Date: Thu, 1 Dec 2005 14:59:47

pas. Alors je sais pas moi, faut-il vraiment cesser >les hypothèses générales ? On pourrait pas s'amuser encore à comparer par exemple les différentes conceptions du texte aux différentes conceptions de l'image (sans réduire pour autant le texte à l'image, ça c'est entendu).

Mon premier paragraphe sur l'image était purement parodique. Il reprenait justement la forme que tu donnais à ta pensée sur les rapports qu'entretiendrait la philosophie grecque et la philosophie chrétienne avec l'oral et l'écrit.

Au fond, ce qui m'a gêné dans ton intervention n'est pas tant l'emploi de généralités ou d'universaux que celui du terme "philosophie". Parler de civilisation, ou de pensée dominante dans telle civilisation, soit. Parler de philosophie chrétienne, en emportant avec soi des philosophes qui ne sont jamais la simple manifestation d'une pensée dominante - ou alors ils ne sont pas philosophes - ça me semble plus que confus.

Dr C.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Thu, 1 Dec 2005 15:53:06

Parler de civilisation, ou de pensée dominante dans telle civilisation, soit. Parler de philosophie chrétienne, en emportant avec soi des philosophes qui ne sont jamais la simple manifestation d'une pensée dominante - ou alors ils ne sont pas philosophes - ça me semble plus que confus. Dr C.

La philosophie n'est pas extérieure aux civilisations. Quand on parle d'une civilisation, on peut parler de son savoir (la philosophie, par exemple), de son art etc.. Donc je saisis pas bien le problème. Sinon, les philosophes dont je parlais ne sont bien sûr pas les seuls. Mais j'allais quand même pas tous les évoquer. Ceci dit, Platon et Saint Paul, ne serait-ce que pour une raison chronologique, sont loin d'être secondaires dans l'établissement d'une "pensée" (c'est mieux?) chrétienne.

 


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: Cédric CHAIGNEAU Date: Fri, 2 Dec 2005 02:34:15

D'habitude je lis ces échanges avec un certain intérêt sans être choqué par tel ou tel formulation, interprétation etc... Pourquoi ce paragraphe m'a t'il gêné en particulier?

Voilà qui se distingue au fond de la philosophie grecque et chrétienne. Comme on le voit chez Platon et Saint Paul, l'écrit est dévalorisé au profit de la parole. On a toute une civilisation basée sur l'écriture qui >prétend néanmoins qu'elle est une chose morte. Etrange ! En fin de compte, les critiques du statique par Bergson ou du Discours par Foucault ne sont pas si révolutionnaires. Il y a depuis longtemps cette tendance à revenir à la vie contre le symbole figé. Par contre, il me semble que le judaïsme ne sépare pas la vie du texte. Comme tu le montres, le texte est même la vie, et pourquoi pas générateur de vie.

Peut être qu'on pourrait le formuler de manière moins radicale. Dans la tradition chrétienne, le livre n'est pas strictement une chose morte: il suppose un rituel de transmission pour s'animer, un opérateur pour la Révélation. Il y a un texte de Kierkegaard ( dans les « miettes philosophiques ») sur la différence entre la transmission de la vérité pour Socrate et pour le chrétien: pour Socrate le maître est l'égal par lequel le disciple accède à la vérité, il y a une désignation si l'on veut, le disciple découvre la vérité qu'il a en lui avec l'aide du maître; pour le chrétien le disciple reçoit la vérité, il y a une révélation qui n'est possible que par une communication de la vérité (dans le sens des vases communicants). Autrement dit, pour Kierkegaard, la vérité ne peut que se transmettre: elle n'est pas déjà présente dans le for du disciple, qui auparavant vit aveuglé dans le péché. La Révélation est une espèce de métempsychose du Christ. Et pourtant Kierkegarrd rejette le dogme des églises en voulant revenir au texte de la Bible. Paradoxe étonnant pour celui qui suspecte le livre, et le langage même dans leur possibilité de transmettre la vérité. Il s'agit pourtant moins de dire que le livre et le langage sont des choses mortes que de penser la façon de les animer. Et c'est peut être là que se distingueraient les pensées judaïques d'un coté, et les pensées chrétiennes et grecques de l'autre: pour les uns le livre a sa vie propre, pour les autres il doit être revitalisé. Je ne détaillerais pas plus la philosophie de Kierkegaard mais elle interroge les rapports chrétiens et grecs au langage comme médiateur de la vérité, au livre comme vivant ou mort pour celui qui cherche la vérité.

(je m'excuse de mon incapacité à "quoter" correctement les paragraphes de R. Edelman)*

Dr C.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Fri, 2 Dec 2005 09:15:53

> D'habitude je lis ces échanges avec un certain intérêt sans être choqué par tel ou tel formulation, interprétation etc... Pourquoi ce paragraphe m'a t'il gêné en particulier?

J'ai vraiment pas de bol alors

n'est possible que par une communication de la vérité (dans le sens des vases communicants). Autrement dit, pour Kierkegaard, la vérité ne peut que se transmettre: elle n'est pas déjà présente dans le for du disciple, qui auparavant vit aveuglé dans le péché. La Révélation est une espèce de métempsychose du Christ.

Kierkegaard possède pour le coup un statut assez particulier dans la pensée chrétienne. De plus, il invite à une expérience de l'existence propre, à un affrontemment à la contradiction, à l'angoisse. Il prend le christ comme exemple vivant. Ce qu'il reproche à la maIeutique, c'est de rechercher dans l'intériorité un état d'harmonie au lieu d'expérimenter l'instant. Je ne vois donc pas de vases communicants. Mais je suis près à discuter sur le passage précis des Miettes, si je me trompe. Reste que le chrétien insiste généralement sur son expérience intérieure, son rapport intime à Dieu (cf. St Augustin), ce qui est moins vrai de St Thomas, je te l'accorde.

Et c'est peut être là que se distingueraient les pensées judaïques d'un coté, et les pensées chrétiennes et grecques de l'autre: pour les uns le livre a sa vie propre, pour les autres il doit être revitalisé.

Je ne pense pas que pour les juifs le livre ne doive pas également être revitalisé.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Fri, 02 Dec 2005 10:18:56

une essence double du langage, il parle de dualisme, de dualité ; ce qui me semble moins fusionnel qu'une dyade dans laquelle je vois plus de symétrie que de processus ; moins ésotérique, plus radicalement plat.

c'est assez amusant: je me suis arrêté un bon moment sur mon clavier en cherchant le mot juste et c'est celui de dyade qui me semblait le moins statique, et donc le mieux satisfaire à ma mémoire de Saussure; comme quoi... (il semblerait que si son sens est assez dynamique en philo, comme un principe de complémentarité et d'accroissement mutuel, il soit effectivement statique, binaire, en math)

Je me permets d'intervenir parce que "dyadique" m'a fait penser au caractère /triadique/ (index, icône, symbole) que Peirce confère au signe et je trouvais ça un peu troublant, cette hybridité soudaine de deux théories différentes.

Chez Peirce, je ne trouve que la notion d'indice, je crois que c'est toi qui le met à l'index. Bon, pour la confusion, de toute façon, elle ne se placerait pas au long de cet axe-là, s'il y en avait une, non? Elle serait plutôt à mettre en équation avec l'autre composition ternaire de Peirce, concernant non pas trois familles de signes (ces fameux indice, icône ou symbole) mais leur dynamisation dans le terset syntaxique/sémantique/pragmatique. D'ailleurs, ne serait le terme-même pragmatique (et ce qu'il recouvre fatalement chez un type comme Peirce, brrrrr), cette formulation ternaire ne ferait que mettre en catégorie désignée une catégorie implicite (celle de la dynamique conceptuelle entre les deux composantes saussurienne, non?); n'y-at-il pas d'ailleurs cette tentation de mettre en pleine lumière le processus, quand, par exemple, chez Ricardou, Saussurien il me semble, on rencontre (pour ridiculiser Sarte si ma mémoire est bonne) le terset signifiant/conceptualisation/signfié?

L.L.d.M.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Fri, 02 Dec 2005 10:51:28

Content de te retrouver là JF. Bon, petites questions : ne peut-on pas assimiler la valeur à une série de significations, une idéologie dont les éléments seraient des significations ?

cette manie du découpage crée des impensés du genre: et si la valeur fondait des significations nouvelles, au lieu d'en articuler un petit stock?

Par manque de temps, je me permets de te demander de nous expliquer, si tu veux bien, Icône chez Peirce. Pour le symbole je suppose que c'est le signifiant, pour l'index, que c'est le référent. L'icone serait-il la signification ?

c'était ce que je voulais souligner dans mon autre courrier: les termes de la comparaison sont impropres, à mon avis.

 


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Fri, 02 Dec 2005 11:25:58

Mon premier paragraphe sur l'image était purement parodique.

je viens de le relire; et donc de m'imaginer, à l'aune de ce que tu viens d'écrire, le ton de marrade intérieure au moment de son écriture. Ça devient un autre texte, oui, c'est vrai, mais, comme Raphaël, je n'avait pas vu ce ton; pas facile, la dimension parodique dans un échange de courriers...

 


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Fri, 02 Dec 2005 12:54:38

Peut être qu'on pourrait le formuler de manière moins radicale. Dans la tradition chrétienne, le livre n'est pas strictement une chose morte: il suppose un rituel de transmission pour s'animer, un opérateur pour la Révélation.

je crois que tu es en train de perdre en chemin la littéralité de cette image; et ceci au prix de la fonction instrumentale propre à l'ossification du livre chrétien. Pourquoi, obstinément, la lecture Chrétienne s'en réfère-t-elle à la notion - étrange dans le cadre d'une lecture - de Parole? tout simplement parce que le livre n'est pas. Il n'a pas de propriété propre, il est contenant d'une oralité éteinte et figée qu'il faut réanimer. Ce n'est pas le livre qui s'anime, c'est la Parole qui y est conçue comme piégée; c'est dire si au fond cette opération rejette le livre plus violemment encore dans la mort. On est encore dans la vieille et arbitraire coupure fond/forme. La littéralité juive trouve une forme extrême de sa créance dans l'histoire du golem, et il ne faudrait pas perdre en celà la puissance réeelle que le Judaïsme donne au livre-même.

communicants). Autrement dit, pour Kierkegaard, la vérité ne peut que se transmettre: elle n'est pas déjà présente dans le for du disciple, qui auparavant vit aveuglé dans le péché

hm. Elle suppose, puisqu'il existe des non-chrétiens ayant lu la Bible, l'existence, tout de même, d'une préallable qui compose une ouverture chrétienne du disciple... Et puis, de quel «disciple» parle-t-on ici? Le catéchumène? (impossible, non: il n'est plus DANS le péché, par le sacrement du baptème).

L.L.d.M.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Fri, 2 Dec 2005 15:54:28

Bon, pour la confusion, de toute façon, elle ne se placerait pas au long de cet axe-là, s'il y en avait une, non? Elle serait plutôt à mettre en équation avec l'autre composition ternaire de Peirce, concernant non pas trois familles de signes (ces fameux indice, icône ou symbole) mais leur dynamisation dans le terset syntaxique/sémantique/pragmatique.

Il me semble, après des recherches éclairs, que l'indice(ceci est là) fonctionne pragmatiquement ; le symbôle (universaux), sémantiquement et l'icône (diagramme logique), syntaxiquement. Dites-moi si je me trompe. Dans ce cas, le couple signifiant/signifié ne serait que sémantique, le signifié étant un concept. .


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Fri, 2 Dec 2005 19:30:16

cette manie du découpage crée des impensés du genre: et si la valeur fondait des significations nouvelles, au lieu d'en articuler un petit stock?

c'est pas de la manie c'est un jeu, pas totalement gratuit. Je pensais à la notion de paradigme. On ne m'ôtera pas que les valeurs, variables selon les lieux et les moments, impliquent les significations que nous donnons aux choses. Que la valeur fonde des significations nouvelles ? J'aurai plutôt tendance à dire que les significations se modifiant les unes par rapport aux autres font se moduler les valeurs. Mais peut-être que ma définition de la valeur ne colle plus avec le sujet de départ ?

 


Subject: RE: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: Jean-François Savang Date: Fri, 2 Dec 2005 21:53:23

familles de signes (ces fameux indice, icône ou symbole) mais leur > dynamisation dans le terset syntaxique/sémantique/pragmatique. Il me semble, après des recherches éclairs, que l'indice(ceci est là) fonctionne pragmatiquement ; le symbôle (universaux), sémantiquement et l'icône (diagramme logique), syntaxiquement. Dites-moi si je me trompe. Dans ce cas, le couple signifiant/signifié ne serait que sémantique, le signifié étant un concept.

Je prépare une réponse qui m'oblige à me replonger dans les "Ecrits sur le signe" de Peirce ; et du coup ceux de Saussure aussi. Pour l'heure, j'ai trouvé ça assez drôle: Peirce écrit : « L'étoile polaire est un indice, l'index que l'on pointe, pour montrer dans quelle direction se trouve le nord. » Écrits sur le signe (p. 154) Comme le précise en note Gérard Deledalle, le traducteur français de Peirce : « Jeu de mot : le mot anglais pour indice est index.»

JF


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Sat, 03 Dec 2005 12:38:46

e prépare une réponse qui m'oblige à me replonger dans les "Ecrits sur le signe" de Peirce ;

je suppose que tu veux qu'on te plaigne. Allez, tous ensemble : «Mon pauvre Jean-François...»

l'heure, j'ai trouvé ça assez drôle: Peirce écrit : « L’étoile polaire est un indice, l’index que l’on pointe, pour montrer dans quelle direction se trouve le nord. » /Écrits sur le signe/ (p. 154)

C'est bidonnant. Je n'arrive plus à m'arrêter de rire. Hm. Bonne relecture de ton bréviaire de blagues positives.

L.L.d.M.


Subject: RE: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: Jean-François Savang Date: Sun, 4 Dec 2005 08:48:15

C'est bidonnant. Je n'arrive plus à m'arrêter de rire. Hm. Bonne relecture de ton bréviaire de blagues positives

Non, non, ce n'est pas l'humour pisse-froid de Peirce que j'ai trouvé drôle. Il n'est pas drôle du tout. Et si je trouve quelque chose qui prouve le contraire dans le bréviaire, je ne manquerait pas d'en faire signe. C'est le tiens, quand tu fais des blagues anglophiles et que tu me demandes si je ne mets pas l'indice à l'index.

JF


Subject: RE: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Sun, 4 Dec 2005 10:47:58

C'est le tiens, quand tu fais des blagues anglophiles et que tu me demandes si je ne mets pas l'indice à l'index.

ah, qu'est ce qu'on peut rigoler sur cette liste !.


Subject: RE: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: Jean-François Savang Date: Sun, 4 Dec 2005 21:23:47

>ne peut-on pas assimiler la valeur à une série de significations, une idéologie dont les éléments seraient des significations ?

Chez Saussure la notion de « valeur » a pris non seulement le sens de « signification » mais, plus encore, s'est transformée de l'appréciation traditionnelle qu'elle constitue des hommes et des choses, de la mesure du monde qu'elle fixe comme qualité intrinsèque de chaque chose, à un mode de compréhension particulier du monde dans le langage. C'est le modèle d' organisation sémiologique de la langue qui permet cet éclatement de la notion : dans la mesure où une valeur prend son sens dans sa relation avec les autres valeurs. Où comme l'écrit Saussure « Dans la langue chaque terme a sa valeur par son opposition avec tous les autres termes » (Cours', p. 125)

Dans les Ecrits' (de Saussure) la notion de valeur est tout aussi flottante : « Nous n'établissons aucune différence sérieuse entre les termes valeur, sens, signification, fonction ou emploi d'une forme, ni même avec l'idée comme contenu d'une forme ; ces termes sont synonymes. Il faut reconnaître toutefois que valeur exprime mieux que tout autre mot l'essence de la langue, à savoir qu'une forme ne signifie pas, mais vaut : là est le point cardinal. Elle vaut, par conséquent elle implique l'existence d'autres valeurs. »

La notion de « valeur » prend donc son sens linguistique non seulement dans l'équivalence qu'elle suscite, dans le fait qu'elle détermine chaque élément de la langue mais, surtout, parce que chacun de ces éléments s'inscrit dans un système de relation qui permet l'existence d'autres valeurs. La notion valeur n'est pas chez lui une simple question de statut ; elle met aussi en jeu les modifications potentielles que le devenir de chaque terme implique dans le système général de la langue. Ceci est important, car du coup on a affaire à un système dynamique et qui évolue. Saussure postule en d'autres termes l'historicité des théories du langage, que la langue est un processus historique.

Dans le contexte d'une anthropologie historique du langage voire de la poétique de Meschonnic, la notion de valeur détermine ce qui permet de penser le continu entre langage, sujet et société, et qui fait par ailleurs l'implication réciproque entre le poétique (la problématique de l'activité historique du sujet dans le langage) l'éthique (la pensée d'une société tournée vers le sujet) et le politique (la relation historique entre les significations et la société qui font le sujet social).

Nous retombons sur nos pattes du caractère éminemment social de la théorie linguistique de Saussure, laquelle ne saurait se réduire aux schémas qu'on avale comme des pilules pour cosmonautes et qui laissent penser, avec la lecture structuraliste de Saussure, qu'elle se restreint au schéma du signe. Saussure nous montre que le signe n'est rien d'autre que l'entité linguistique de l'organisation de la langue. Et qu'à ce titre, le signe n'a pas d'existence linguistique « donnée immédiatement par le sens » ; « il n'y a pas d'entité linguistique parmi celles qui nous sont données qui soient simples, puisque étant réduite même à sa plus simple expression elle oblige de tenir compte à la fois d'un signe et d'une signification » (Ecrits', p. 20). Le signe comme unité d'un sens donné serait déjà en quelque sorte aporétique.

Ce qui fait un système de signe, une problématique de la valeur, c'est donc d'abord la différence générale entre les signes. Ce qui fait qu'une 'uvre d' art, en soi, dans la spécificité du rapport qu'elle implique entre le particulier et le collectif, ne peut être un signe. dès lors qu'elle établit sa propre conception de la valeur, une 'uvre d'art constitue son propre système de signification. D'autant qu'il n'y a pas d'équivalence possible entre les signes de différents systèmes de signification. (la valeur des torchons ne se détermine pas par rapport à celle des serviettes). Cependant, pour devancer les objections, le fonctionnement particulier du langage permet de problématiser des significations autrement que sur le seul principe sémiotique. Parce qu'il est une « institution sans analogue » ; compte tenu de sa bi-dimensionalité sémiotique ET sémantique spécifique par rapport aux autres système de signification.

Le rapport signifié/signifiant, compris comme structure du signe le détermine comme une équivalence absolue, fait le signe premier, là où on a pris l'habitude de nous faire croire à l'inverse que signifié et signifiant était des composants logiques du signe, voire qu'il pouvait avoir leur propre logique de détermination. Mais bon quand on coupe un signe en deux on ne voit pas apparaître d'un côté de signifié et de l'autre le signifiant. Pour reprendre les termes de Meschonnic dans Le signe et le poème, « Le signifié est un artefact de la linguistique, une abstraction comme le signifiant réduit à un porteur de sens, associé. » (p. 215)

D'où l'importance de distinguer ce qui constitue un fait de langue, une pratique théorique, de l'activité spécifique du langage, dont le seul point de vue sémiotique ne suffit pas, même, à rendre compte. Avec la langue nous sommes non seulement déjà dans l'abstraction, mais déjà aussi dans l' idéologie, dans la stratégie, dans la défense du patrimoine, l'organisation du pouvoir, la conception du sujet, un ordre de la pensée du monde.

La notion de valeur appelle une dimension sociale et historique qui laisse les mots englués dans la structure significative qu'ils représentent. Le primat du mot est un primat de la langue, un primat de la structure sur l' historicité, un naturalisme du sujet qui prendrait sa langue dans l'origine du monde. Il y a bien des mots, mais avec des sujets et des situations chaque fois différentes qui font, au-delà des conventions élémentaires de ce qu'ils servent à communiquer, l'infini du sens en devenir d'un sujet à l' autre sujet, d'une conception de la valeur toujours en transformation dans une autre conception de la valeur, appelant d'autres valeurs, d'autres moyens de transformer la pensée de la valeur, en même temps que la valeur elle-même ; et de transformer la pensée en valeur. De donner un « sens » à la vie, c'est-à-dire de faire de la vie du sujet et du monde un problème de signification où le sujet fait la vie dans le langage, où le monde se constitue dans le sens qu'on lui donne, dans son invention dans le langage. L'implication mutuelle du sujet et de la société dans le langage appelée par la notion de valeur pourrait se poser aussi en terme de « forme-vie ».

Pour terminer sur l'intérêt que je porte à l'enjeu trans-systémique de la notion de valeur, Meschonnic cite les phrases suivantes de R. Godel qui constate la prédominance de la notion de valeur dans la théorie linguistique de Saussure (Les sources manuscrites du cours de linguistique générale de F. de Saussure) : « ''Le signifié n'est que le résumé de la valeur linguistique supposant le jeu des termes entre eux'' (Godel, p. 142). Et : '' Un système sémiologique quelconque est composé d'une quantité d'unités ['], et la véritable nature de ces unités, ['] c'est d'être des valeurs. Ce système d' unités qu'est un système de signes, est un système de valeur'' (Godel, p. 278) » (Le Signe et le poème, p. 215-216). On sent bien dans ces exemples qu 'un système d'unités discrètes est nécessaire à l'établissement d'une convention linguistique entre sujets, à une sémiotique minimale nécessaire à la communication ; mais la vie qui se constitue dans le rapport du sujet à la société n'y est pas réductible. Et j'ai bien le sentiment quand j'écris que je n'écris pas des mots, mais que je m'investis en tant que sujet dans le langage, dans une manière qui tente de poser la valeur d'un problème, en faisant avec les mots, les mots inédits de ma subjectivation présente dans le langage.

C'est bien à une linguistique des relations différentielles entre valeurs que nous convie Saussure. Nous sommes bien dans une théorie plus que de la langue, déjà dans une anthropologie historique du langage. Parce que la notion de valeur détermine le rapport d'un sujet au monde à travers le langage, il constitue à la fois une mesure et un infini du sens à venir, elle implique l'historicité commune du sujet et de la société, des moyens de penser et des représentations. La notion de valeur induit donc un travail continu, réciproque et critique du sujet dans le langage, de l'éthique avec le poétique et de manière indissociable avec le politique qui fait le travail critique des significations sociales.

Ainsi, pour terminer de répondre à ta question, une théorie du langage rassemble autant d'enjeux idéologiques, qu'une théorie de la représentation historique ou politique. C'est bien parce qu'une théorie du langage implique une théorie de la relation entre sujets qu'elle est aussi politique ; c'est bien parce que s'organise la société dans le langage comme recherche, volonté, invention de signification pour le sujet que le langage est aussi porteur d'une éthique et d'une certaine conception du monde. Et que s'y joue aussi des stratégies et des idéologies. Comme c'est le cas pour un poème chargé de tout l'ordinaire du monde ; d'une 'uvre plastique quand elle pose la question de sa signification et de son devenir collectif dans le langage, quand elle est énigme du langage. Une liste de course, à la rigueur, n'est peut-être pas trop idéologique dans l'engagement des valeurs qu'elle met en jeu. J'essaierai de le montrer avec Peirce. JF


Subject: RE: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Mon, 5 Dec 2005 19:12:52

Une liste de course, à la rigueur, n'est peut-être pas trop idéologique dans l'engagement des valeurs qu'elle met en jeu. J'essaierai de le montrer avec Peirce.

oui, une théorie du langage rassemble des enjeux idéologiques. Mais il serait difficile d'en faire l'archéologie pour la logique formelle par exemple. Je dis pas impossible, je dis difficile.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Tue, 06 Dec 2005 12:52:32

Chez Saussure la notion de « valeur » a pris non seulement le sens de « signification » mais, plus encore, s’est transformée de l’appréciation traditionnelle qu’elle constitue des hommes et des choses, de la mesure du monde qu’elle fixe comme qualité intrinsèque de chaque chose, à un mode de compréhension particulier du monde dans le langage. C’est le modèle d’ organisation sémiologique de la langue qui permet cet éclatement de la notion : dans la mesure où une valeur prend son sens dans sa relation avec les autres valeurs. Où comme l’écrit Saussure « Dans la langue chaque terme a sa valeur par son opposition avec tous les autres termes »

Dans ce glissement de la notion de valeur d'une fonction distributive à une fonction dynamique, processuelle, interopérationnelle et générative (il me semble qu'il ne s'agit pas que de mobilité mais aussi d'une production continue du sens, ouverte aussi à une collectivité du sens - pluralité et socialisation - une sorte "d'histoire continue"*), elle perds le plomb de l'assignation, à laquelle, dans les autres domaines, elle me semble vouée. Ne pourrait-on pas la rapprocher de la notion d'opérateur - les opérateurs visuels tels qu'ils nous débarrassent de la fixation iconographique - chez Didi-Huberman?

Dans les Ecrits… (de Saussure) la notion de valeur est tout aussi flottante : « Nous n’établissons aucune différence sérieuse entre les termes valeur, sens, signification, fonction ou emploi d’une forme, ni même avec l’idée comme contenu d’une forme ; ces termes sont synonymes. Il faut reconnaître toutefois que valeur exprime mieux que tout autre mot l’essence de la langue, à savoir qu’une forme ne signifie pas, mais vaut : là est le point cardinal. Elle vaut, par conséquent elle implique l’existence d’autres valeurs. »

Même dans ce court passage, j'ai bien du mal à reconnaitre le Saussure relayé par les quelques cours reçus à l'Université : en effet, c'est plutôt un espace de relations articulées mais dans une topologie aussi précise que quadrillable, une redistribution joueuse mais juste le temps d'un petit réajustement, qui dessinait même la mobilité inguistique: les sens étaient "en voie d'établissement", et si celui-ci était perdu faute de précisions conjoncturelles, il suffisait d'attendre sagement que la phrase fût achevée, que les circonstances fussent rétablies, et tout rentrait «dans l'ordre»; ceci, sans doute par défaut de sujet, puisque dans de telles conditions - sans sujet - les conditions de signification, c'est-à dire les fameuses "circonstances", "conjonctures" du sens, étaient elles-aussi assujetties à une notion quasi administrative, comme si discours (une fois encore je renvoie à sens sens chez Meschonnic) et oulipo était une seule et même chose, que c'était une question de jeu ou d'habillage.

général de la langue. Ceci est important, car du coup on a affaire à un système dynamique et qui évolue. Saussure postule en d’autres termes l’historicité des théories du langage, que la langue est un processus historique.

On a d'autant plus de mal à imaginer que de ces positions (qui font que c'est le langage lui-même qui est enjeu dans le discours, comme si chaque sujet en était critique, si j'ai bien compris) ait pu naître le structuralisme. Je vois même se profiler, dans ce que tu me décris, une forme de la continuité, telle qu'elle s'établit, par exemple, entre les éléments d'une architecture baroque (de la pierre à la peinture, mais aussi de la représentation de duvet de pierre à la représentation de nuée de pierre, mais aussi du profane au sacré, mais aussi du camaïeu à la couleur, mais aussi de l'architecture à la décoration etc., ce qui met en jeu, évidemment, la rupture inévidente, désormais, entre spectacle et spectateur) bien éloignée de la chasse à la discrétion, à la discontinuité, qui constitue l'établissement les bases du structuralisme linguistique.

Dans le contexte d’une anthropologie historique du langage voire de la poétique de Meschonnic, la notion de valeur détermine ce qui permet de penser le continu entre langage, sujet et société, et qui fait par ailleurs l’implication réciproque entre le poétique (la problématique de l’activité historique du sujet dans le langage) l’éthique (la pensée d’une société tournée vers le sujet) et le politique (la relation historique entre les significations et la société qui font le sujet social).

Merde, c'était écrit juste dessous, pareil en mieux. Ça m'apprendra à répondre par petits bouts.

donnée immédiatement par le sens » ; « il n’y a pas d’entité linguistique parmi celles qui nous sont données qui soient simples, puisque étant réduite même à sa plus simple expression elle oblige de tenir compte à la fois d’un signe et d’une signification » (Ecrits…, p. 20). Le signe comme unité d’un sens donné serait déjà en quelque sorte aporétique.

les structuralistes (pour le souvenir que j'en ai), comme je l'écris un peu plus haut, s'en sortent en étendant le parc à quelques coudées, mais pas plus: on peut attendre un peu la phrase, et puis un peu le contexte de celle-ci, mais on finira bien par la chopper, l'unité de sens, dans les "rapports".

pouvait avoir leur propre logique de détermination. Mais bon quand on coupe un signe en deux on ne voit pas apparaître d’un côté de signifié et de l’autre le signifiant.

Bin si, pourquoi? Regarde-là, le petit signifié qui se tortille comme un con sur la table sans son signifiant; allez, je vais le mettre dans le cou de Catherine.

dans le langage, quand elle est énigme du langage. Une liste de course, à la rigueur, n’est peut-être pas trop idéologique dans l’engagement des valeurs qu’elle met en jeu. J’essaierai de le montrer avec Peirce.

ça promet... Merci de ce long développement Jean-François, tu causes pas souvent sur la liste, mais quand tu t'y mets.

à très bientôt sur Peirce, alors?

L.L.d.M.

* quand je parle "d'histoire continue", je me réfère plus ou moins à ma tentative de trouver à la notion d'art, au cours du colloque sur l'institution, un processus de formation - disons de définition - continu, concrétif, sans déchet, ouvert absolument aux implications de redéfinitions par chaque oeuvre apparaissant, sans ce qui fait (ni ce que fait)l'Histoire (celle des cloisonnements, des échelles, des écoles, des mouvements, des iconographies, des hiérarchies modales, géographiques, etc., et qui tenterait plus volontiers la pluralité des arts que la reformulation infinie de l'art, reformulation qui, de fait, implique la dimension critique de toute oeuvre).


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Tue, 06 Dec 2005 12:56:54

c'est pas de la manie c'est un jeu, pas totalement gratuit. Je pensais à la notion de paradigme. On ne m'ôtera pas que les valeurs, variables selon les lieux et les moments, impliquent les significations que nous donnons aux choses. Que la valeur fonde des significations nouvelles ? J'aurai plutôt tendance à dire que les significations se modifiant les unes par rapport aux autres font se moduler les valeurs.

Ce qui signifierait que nous sommes dans un jeu de pistes, où les significations n'ont qu'à être retrouvées pour que soit établi le sens du message chiffré par Castor Amusant, où la valeur ne serait que la grille du rébus où s'animent les significations. Ai-je bien mal compris?


L.L.d.M. Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Tue, 6 Dec 2005 14:55:14 +0100 Reply-

"d'histoire continue"*), elle perds le plomb de l'assignation, à laquelle, dans les autres domaines, elle me semble vouée. Ne pourrait-on pas la rapprocher de la notion d'opérateur - les opérateurs visuels tels qu'ils nous débarrassent de la fixation iconographique - chez Didi-Huberman?

Ca marche comment ces opérateurs visuels qui nous débarrassent de la fixation iconographique ? T'as un exemple ?


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Tue, 6 Dec 2005 18:27:16

Ce qui signifierait que nous sommes dans un jeu de pistes, où les significations n'ont qu'à être retrouvées pour que soit établi le sens du message chiffré par Castor Amusant, où la valeur ne serait que la grille du rébus où s'animent les significations. Ai-je bien mal compris?

Non, tu as mal bien compris. Prenons des exemples, puisque l'illustration du jeu, je le vois bien, t'entraîne irrémédiablement à prendre ce petit ton sarcastique agaçant (Castor Amusant, non mais). Si la signification d'animal devient automate, cela entraîne une refonte de la valeur constatable dans la médecine moderne ou l'élevage industriel. Si la signification de matière devient énergie condensée, cela modifie la valeur du monde physique, le rendant proche du flux universel Leibnizien. Si l'enfant devient un pervers polymorphe, cela modifie la perception maternelle qui à la place de son chérubin voit un satyre (on oublie le dernier exemple ? allez, on oublie, c'était pour rire. ah ah).


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Tue, 06 Dec 2005 19:38:13 +0100

Ca marche comment ces opérateurs visuels qui nous débarrassent de la fixation iconographique ? T'as un exemple ?

Bin, sans tableau devant les yeux, que nous regardions ensemble, pas d'exemple possible, là, comme ça; c'est à recommencer devant chaque nouveau tableau, ça ne «marche» pas. Lis plutôt «devant l'image» de Didi-Huberman, je ne vois aucun moyen (ni aucun intérêt de le faire) de résumer ça, ce n'est pas une méthode... Le plus simple, c'est d'attendre un peu : je mettrai en ligne quelques dérives personnelles autour de Giusto di Menabuoi et Segna di Buonaventura bientôt. Je vous tiendrai au courant.

L.L.d.M.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: "raphael\.edelman" Date: Wed, 7 Dec 2005 10:26:42

plutôt «devant l'image» de Didi-Huberman, je ne vois aucun moyen (ni aucun intérêt de le faire) de résumer ça, ce n'est pas une méthode... Le plus simple, c'est d'attendre un peu : je mettrai en ligne quelques dérives personnelles autour de Giusto di Menabuoi et Segna di Buonaventura bientôt. Je vous tiendrai au courant.

oh ben zut alors. j'imaginais, avec les termes, quelque chose comme des détails du tableau qui ressourçent à chaque fois la vision qu'on en a, inspirant des renvois infinis à des compréhensions possibles. Mais bon, t'as raison, j'vais toper Didi et attendre après Bibi.


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: maelig c Date: Sun, 11 Dec 2005 12:38:09

Suite à un mail du 29 novembre... un petit problème de boîte mail me met en retard. Bon, je ne suis pas pressé.

--- lldemars a écrit :

bout de celles-ci si ce n'avait été sa propre fille - la basilea Irénée - qui les avaient protégées de sa furie déstructice (lire l'excellent «Leon III l'iconomaque» de Pol Bury). Et ça, c'est du temps, de l'histoire, mais il y a eu (et il y a) des espaces, des sujets aussi, pour lesquels le statut de l'image dans le christianisme est mobile.

je ne parviens pas à trouver le livre de Pol Bury sur le net (c'est le sculpteur, n'est-ce pas ? ou un homonyme ?). Peux-tu nous donner un éditeur, une référence, ou quoique ce soit qui puisse mous permettre de trouver ce bouquin.

Merci bien.

à la bonne prochaine.

maëlig


Subject: Re: [le terrier] non sens[était : du naufrage moderne avec l'institution]
From: lldemars Date: Sun, 11 Dec 2005 13:24:49

Pas de problème je ne parviens pas à trouver le livre de Pol Bury sur le net (c'est le sculpteur, n'est-ce pas ? ou un homonyme ?). Peux-tu nous donner un éditeur, une référence, ou quoique ce soit qui puisse mous permettre de trouver ce bouquin.

Oui, il s'agit bien du sculpteur ; le bouquin (qu'il désigne sous le nom de "traité d'iconophobie") est peut-être assez difficile à trouver aujourd'hui (publié chez Cosmos, boîte d'édition bruxelloise) en 1976, je ne sais pas s'il y en a eu plusieurs tirages (je dirais au pif: non). La plupart des textes que je possède de Bury sont publiés dans ce genre de boîtes... Sinon, sur Leon III, je suppose qu'il existe de nombreuses sources (j'ai même le souvenir d'adolescent qu'il en est question dans un bouquin de Cavanna «Les fosses carolines», pas très intéressant mais bien documenté, sans doute moins emmerdant à lire qu'un plat manuel d'histoire)

L.L.d.M.

le site Historia 2000, peu étoffé mais pas mal foutu du tout, trace un historique assez clair et complet de l'iconoclasme, que je vous recopie ici (je n'arrive plus à foutre la main sur ma version electronique de l'Universalis, et cet article d'étudiants en histoire est assez rigoureux)

( contre-note 2010 : sur ces questions précieuses des relations à l'image et à la foi, lire les brillants texte de Jean Wirth, notamment celui publié dans le catalogue de l'exposition Iconoclasmes qui s'est déroulée au Musée des Beaux Arts de Strasbourg)

« Introduction :

On peut considérer que l'iconoclasme résulte de l’approfondissement des discussions sur la double nature du Christ. Les arguments des adversaires du culte des images ne nous sont connus que par les citations faites par les sources iconodoules, car les textes des iconoclastes ont été détruits. Les deux principales sources iconodoules nous proviennent du moine Théophane et du patriarche Nicéphore. Tous deux étaient issus du milieu des fonctionnaires de l’administration centrale. Ils étaient donc bien documentés. Toute une tradition de l’Eglise s’est toujours opposée aux images en s’appuyant sur les préceptes de l’Ancien Testament : « Tu ne feras pas d’idole, ni aucune image de ce qui est dans les cieux en haut ». « Tu ne prosterneras pas devant eux et tu ne les serviras pas ». Pourtant, au VI e siècle et VII, le culte des images et des reliques connut un rapide essor. Le Concile In Trullo imposa même l’image anthropomorphique du Christ comme seul possible à la place de l’agneau. Pourquoi, soudainement, l'empereur Byzantin se mit à condamner les images et à persécuter tous ceux qui voulaient poursuivre leur "adoration" des images ? Qui furent les grands acteurs iconoclastes et iconodoules de la crise, et quels furent les grands temps forts de cet épisode agité de l'histoire de Byzance ? C'est ce que nous allons voir à présent.

I) Le premier Iconoclasme : 730-787 A) Des questions sur le plan religieux :

Le contexte de l’époque était bien particulier : le retour de la peste et la multiplications des invasions semblaient préfigurer la fin du monde. Les fidèles attribuaient de plus en plus souvent des pouvoirs extraordinaires aux images. Des images acheiropoiètes firent leurs apparition. (Les images acheiropoiètes sont des icônes miraculeuses censées ne pas avoir été peintes de main d’homme). L’image de la Vierge Hodéghétria qui fut promenée sur les remparts de Constantinople aurait sauvé la ville des Avars en 626 et des Arabes en 718. L’essor du culte des images et des reliques des saints provoqua l’interrogation de certains membres du clergé. Vers 726, un prélat du nom de Constantin de Nacolée s’interrogeait sur le bien fondé du culte des images. Il dénonçait une forme de Polythéisme dans le culte des saints. Le patriarche Germain rappela que les saints ne participaient pas à la nature divine. Il voyait dans le refus des images une attitude judaïsante ou une imitation de l’Islam.

B) Les décisions de Léon III :

L’empereur Léon III, était impressionné par la décadence de l’Empire depuis plus d’un siècle, ainsi que par l’éruption volcanique du Santorin. Il vit dans ces catastrophes la manifestation de la colère divine et il attribua celle-ci aux excès du culte des images. L’empereur passa dans le camp des iconoclastes. Ce qui ne se passa pas sans quelques incidents. En effet, selon Théophane, la première vraie action iconoclaste se produisit lorsque Léon III fit enlever l’image du Christ de la Chalcè. Cela aurait déclenché une émeute. Il laissa le patriarche Germain en place. Léon III entama une campagne sous forme de discours contre les images. Contrairement à ce qu’il a été dit, Léon III n’a pas été soumis au influences arabes. Ce sont les sources iconodoules qui ont porté cette accusation pour discréditer l’empereur. (Léon III aurait suivi l’exemple du calife Yazid, lequel aurait fait détruire toutes les images dans son empire). En 730, lors d’un silention (réunion solennel), Léon III proposa d’interdire le culte des images et provoqua la démission du patriarche Germain. Il fut remplacé par Anastase qui rédigea un texte contre les images, et il en fit part au pape Grégoire II. Ce dernier exprima son total désaccord. Aucun iconodoule, ne fut persécuté jusqu’à la mort de Léon III en 741, et aucune mesure ne paraît avoir été prise.

II) Constantin V et le concile de Hiéréia en 754 :

Constantin V succéda à Léon III. Il dut mater la terrible révolte de son beau frère Artabasde, qui pour l’emporter avait accepté le soutien des partisans des images.

A) Une doctrine iconoclaste :

Constantin V, contrairement à son père, mena une réflexion qui le poussa à proposer une doctrine iconoclaste. Après avoir repoussé brillamment les Arabes et les Bulgares, il se consacra à partir de 750 à promouvoir l’iconoclasme. Il convoqua un concile dans le palais de l’Hiéréia en 754, près de Chalcédoine. Le caractère œcuménique du concile sera ultérieurement mis en doute, car le patriarche de Constantinople et les représentants des autres patriarches étaient absents. Mais l’Eglise byzantine était représentée et les décisions furent votées à l’unanimité en présence de l’empereur.

B) Le concile d’Hiéreia :

Le concile demeure la partie la mieux connue de l’iconoclasme. L’horos (décret) définit une véritable doctrine de l’image. En dehors de la critique d’idolâtrie, (la vénération de l’icône c’est l’idolâtrie), les débats tournèrent autour de l’image du Christ. Ce dernier unit de façon indissociable les deux natures divine et humaine. Or le divin ne peut se laisser limiter à un dessin. Les iconoclastes enfermèrent alors leurs adversaires dans un dilemme. Ou ils représentaient à la fois les natures en les confondant pour pouvoir représenter le Christ-Homme et ils devenaient monophysites ; ou ils ne représentaient que la nature humaine, en séparant les deux natures, et ils tombaient dans le nestorianisme. Les accusations des iconoclastes reposaient sur l’idée que l’image était de même nature que son modèle. Le rôle d’intercesseur de la Vierge et des saints ne fut nullement remis en cause, ni même le culte des reliques.

C) Imposer l’iconoclasme :

Constantin V se voulait être le garant de l’orthodoxie. Il mit tout son poids en son énergie à faire appliquer les décisions du concile. Constantin V tenta d’abord la persuasion pour obtenir des évêques et des higoumènes des principaux monastères qu’ils souscrivent à l’horos de Hiéreia. Il n’hésita pas à employer l’intimidation. Après 754, Constantin V lutta activement contre les défenseurs des images dont certains se recrutaient dans le milieu monastique. L’empereur y gagna le nom de Copronyme (au nom de fumier). Toutes les mosaïques figuratives furent détruites et remplacées par des représentations de la croix. L’empereur s’éloigna des décisions prise au concile et il s’en prit au culte de la Vierge et aux institutions monastiques. Les biens des couvents furent confisqués. Il fit transformer les monastères en casernes. Les moines et moniales furent contraint au mariage, faute de quoi, ils étaient aveuglés ou exilés. Les iconodoules y gagnèrent leurs premiers martyrs, dont Saint Etienne le jeune qui fut livré à la foule et massacré en 764. En vérité, le noyautage iconodoule de l’armée et de l’administration, déclencha outre la mort du saint, la persécution antimonastique. La bêtise bornée et le manque de clairvoyance du saint recherchant le martyre, ont empêché les moines iconodoules de continuer à vivre paisiblement. Toutefois, il faut se garder de généraliser : les moines n’étaient pas tous iconodoules.

D) Jean Damascène défenseur des images :

Jean Damascène s’est adressé aux accusateurs des images en s’appuyant sur deux idées : L’Incarnation rend Dieu représentable car elle lui a donné un visage et il faut distinguer le modèle de l’image. Il y a simple vénération et non adoration de l’icône, mais l’honneur rendu à l’image remonte au prototype. Jean Damascène établit une hiérarchie de l’image en plaçant au sommet le Fils, image parfaite du père invisible. Comme le Christ est parfaitement homme, on peut le représenter. Sinon on est monophysite et l’on confond les deux natures en prétendant représenter la divinité, confondue avec l’humanité.

III) Le concile de Nicée II :

A) Convocation au Concile :

Constantin V mourut en 775. Son successeur Léon IV ne levât pas pour autant l’interdit sur les images. Il mourût à son tour en 780, et son épouse Irène prit le pouvoir. Elle était favorable aux images. En 784, elle nomma comme patriarche Taraise, un laïc. Il envoya au pape Hadrien Ier sa profession de foi et il affirmait son attachement aux images. L’idée de réunir un concile œcuménique se heurtait cependant à l’opinion publique qui n’avait pas évolué aussi vite. Les iconoclastes disposaient de fortes positions dans l’Eglise séculière, dans l’armée et dans la population. Une majorité d’évêques soutenaient l’iconoclasme lorsqu’Irène convoqua le concile à Constantinople. Après un premier échec, Irène convoqua une seconde fois les évêques et les représentants de la papauté et des patriarcats orientaux à Nicée. Pour neutraliser l’influence des opposants, l’impératrice invita un grand nombre d’higoumènes acquis à la vénération des images.

B) Les sessions de Nicée II :

Le concile de Nicée se borne à une critique de Hiéreia. Les sessions s’ouvrirent en 787. Beaucoup de textes défendant les images furent lus. Les trois premières sessions s’occupèrent à rétablir l’unité de l’Eglise. Lors de la sixième sessions, on réfuta longuement l’Horos défini à Héiréia. Il s’agissait de démontrer que le concile était inspiré par les Juifs, les samaritains, les Arabes et les païens. On y défendit une pratique de la vénération, mais on ne définit pas une véritable théologie de l’image. Irène et son fils Constantin VI confirmèrent la profession de foi. Le concile invente une nouvelle religion : celle du culte des images. Depuis trente ans, les évêques, avaient fait enlever les icônes de leurs églises et des monastères en expliquant qu’il fallait éviter que Dieu ne punisse son peuple idolâtre. Les victoires avaient récompensé d’ailleurs cette décision. Mais en reniant le serment qu’ils avaient prêté en faveur de Hiéreia, les mêmes évêques obligeaient les fidèles à des pratiques qu’ils avaient déclarées idolâtres durant trente ans. Les fidèles devaient à présent faire le contraire en reniant la foi dans laquelle ils avaient été élevés. Nicée II rendait obligatoire la présence des icônes et le culte qui leur est rendu. Le culte fut institué sous forme de baiser et prosternation. Le concile insistait sur le pouvoir d’intercession du saint à travers les reliques et les images. Dans l’esprit du concile, celui qui se prosterne devant l’icône se prosterne devant l’hypostase qui y est inscrite. L’icône facilita la diffusion du culte des saints, qui n’était plus limité au tombeau du saint, ni même aux reliques. L’icône suffisait et on la trouvait partout.

C) Les réactions chez les latins :

En 787, le pape Hadrien envoya ses légats au concile de Nicée. Il en reçut les canons qui lui semblèrent en accord avec la tradition grégorienne. En revanche, Charlemagne qui ne fut pas prévenu de la réunion de ce concile ne put y envoyer des représentants de l’Eglise franque. Cette dernière refusa de considérer Nicée II comme un concile œcuménique. De plus une mauvaise traduction du verbe latin adorare qui signifie s’agissant des images « vénérer » fut interprété comme voulant dire « adorer ». Or seul Dieu est digne d’être adoré. L’Eglise franque tint l’iconodoulie byzantine pour une forme d’idolâtrie. Hadrien envoya une lettre à Charlemagne où il expliquait qu’il déplorait sa réaction. Charlemagne fit procédé à une réfutation systématique de Nicée II par Théodulf et Alcuin. Au concile de Francfort en 794, on rejeta l’iconoclasme et l’iconodoulie. Charlemagne arguant du fait que l’impératrice Irène, une femme, ne saurait avoir autorité sur des hommes en matière doctrinale, convoqua une assemblée réservée à la Chrétienté d’Occident, excluant les Byzantins. La divergence des positions romaine et franque se traduisit dans l’art par une iconographie traditionnelle à Rome et une méfiance vis-à-vis de l’image chez les francs.

Le premier iconoclasme a culminé avec le concile de Hiéreia. Il fut conduit par un empereur théologien qui restaura la place de l’Empereur dans le débat théologique. Il montra même une farouche détermination à faire appliquer par tous, au besoin par la force, l’orthodoxie définie par le concile. Le concile de Nicée quant à lui, n’a pas justifié l’image, mais la dévotion à l’image. Le souvenir des victoires remportées par les empereurs iconoclastes restait très présents dans les esprits. Les errements de l’administration d’Irène et les défaites face aux Bulgares, provoquèrent le retour de l’iconoclaste.

IV ) Le second iconoclasme :

L’iconodoulie a remporté en 787 une victoire facile. Mais rien n’était gagné. La hiérarchie iconoclaste avait abjuré, mais elle demeurait en place. De plus l’Occident carolingien n’était pas en accord pour dire que le concile de Nicée II était Œcuménique. A tout cela, les carolingiens ajoutaient que les images ne devaient pas faire l’objet de vénération. Enfin, les intrigues et coups de force d’Irène n’arrangèrent rien. Le second iconoclasme n’est pas une reprise affaiblie du grand mouvement du siècle précédent. La nouvelle génération n’a pas connu l’iconoclasme précédent. Cette fois-ci, les débats sont beaucoup plus argumentés et ils aboutissent pour la première fois à une vraie défense philosophique des images.

A ) L’iconodoulie en question :

Comme au siècle précédent, les malheurs de l’empire suscitèrent l’interrogation sur l’orthodoxie. Les empereurs iconodoules accumulaient les désastres militaires. Par exemple, l’empereur Nicéphore Ier (802-811) perdit la vie contre les Bulgares en 811. En 813, un coup d’Etat soutenu par une grande partie de l’opinion et notamment par le patriarche Nicéphore (806-815), porta au pouvoir Léon V, dit l’Arménien (813-820). Ce dernier s’interrogeait sur le paradoxe qui avait vu les empereurs iconoclastes triompher de leurs ennemis et fonder une dynastie qui se maintint au pouvoir durant quatre générations, alors que les iconodoules avaient été défaits et n’avaient pu transmettre le pouvoir. En voulant rouvrir l’affaire de l’iconoclasme, l’empereur se heurta à une forte résistance du clergé qui contesta le fait que Léon V se mêlait des affaires de l’Eglise. Le patriarche Nicéphore refusait tout compromis avec l’empereur et il fut contraint de démissionner. Le nouveau patriarche s’appelait Théodote Mélissènos. Il conduit un synode qui décida que le concile de Nicée II était illégitime. Il remit en vigueur l’Horos de l’Hiéréia. Toutefois, le synode se montra modéré en refusant de qualifier les iconodoules d’idolâtres.

B ) Reprise de persécutions :

Théodore, l’higoumène du grand monastère constantinopolitain du Stoudios, organisa un véritable réseau de résistants. Il subit à cette occasion le fouet et l’exil. Léon V fut assassiné en 820 par Michel d’Amorion qui prit le nom de Michel II (820-829). Il était également iconoclaste. Son fils Théophile, empereur de 829 à 842, éduqué par Jean Grammatikos patriarche de 838 à 843, fut également un iconoclaste convaincu. Les campagnes de Théophile furent peu heureuses. Ces échecs retentirent sur les autres aspects de la politique impériale. Théophile rencontra une vive résistance et il déclencha des persécutions contre les iconodoules.

C ) Une doctrine de l’image :

Ce débat fut l’occasion de recherches approfondies dans les textes patristiques et favorisa le renouveau intellectuel de l’élite de Constantinople. Les iconodoules avaient à leur tête, le patriarche Nicéphore et le moine Théodore Stoudite. Ils mirent au point une véritable doctrine de l’image. Ils tentèrent de démontrer que les images n’étaient pas des idoles. Elles renvoyaient à autre chose qu’à elles-mêmes. On créa des modèles qui ne laissaient plus de place à l’imagination de l’artiste. Les manuels de peintures offrirent des portraits standardisés et spécifiques pour chaque saint. On définit même les caractéristiques physiques du Christ, telles que rapportées par les témoins oculaires. Toute cette argumentation prouvait que Constantin V avait confondu image et être. L’image était en fait simple ressemblance. La seule image consubstantielle à son prototype était celle du Fils, image du Père dans la Trinité. De plus, les iconodoules s’interrogèrent sur la place de l’empereur dans l’Eglise. On refusa à l’empereur le droit d’intervenir en matière de dogme, lequel droit restait du domaine exclusif des évêques.

D ) Rétablissement de l’orthodoxie.

Lorsque Théophile mourut en 842, sa veuve Théodora prépara le rétablissement de l’orthodoxie. En 843, Jean Grammatikos fut déposé par un synode sans être exilé. Il fut remplacé par Méthode, un intellectuel iconodoule qui avait été jeté en prison sous Michel II. Methode fut intronisé le 11 mars 843. Dans la tradition orientale, on a baptisé ce jour le « Dimanche de l’Orthodoxie ». En effet, en ce même jour fut rétabli le culte des images par la rédaction d’un document appelé Synodikon de l’Orthodoxie. En vérité, si le rétablissement des images s’est fait aussi rapidement, c’est que le camp des iconoclastes et des iconodoules s‘étaient rapprochés. Les premiers ne suivaient plus la doctrine radicale de Constantin V, mais se bornaient à souhaiter la répression des abus. Méthode d’abord modéré dut se rallier aux intransigeant moines stoudites qui voulaient déposer tous les higoumènes et évêques partisans de l’iconoclasme.

Conclusion :

Les textes iconodoules ont tenté d’expliquer toute la politique des empereurs iconoclastes. Car il ne faut pas perdre de vue que l’iconoclasme a une signification sociale et surtout politique. Il trouve des défenseurs et opposants dans tout l’empire et dans toutes les classes, même si les moines sont plutôt iconodoules et les soldats plutôt iconoclastes. Le peuple a suivi les décisions officielles. Les élites furent plus réticentes. L’objectif et les moyens du mouvement sont avant tout politiques puisqu’il s’agissait de rétablir la primauté de l’empereur. A l’inverse, le rétablissement en 843 des images, est de caractère religieux, mais en rappelant toutefois qu’il est plus le fruit d’une constante piété que le résultat d’une réflexion théologique.»

 

 


Note (retour): les histoires du quotage désastreux des messages de Raphaël revenaient régulièrement émailler ce fil comme un gimmick. Nous les avons écartées de cette mise en forme ; chacun de ses courriers arrivait sans hiérarchie d'intervention, tassé en pavé où se mêlaient toutes les voix, et jamais Raphaël n'y coupait les fragments auxquels il ne répondait pas. L'incroyable pavé que formaient ces archives et l'impossibilité d'en automatiser le tri expliquent qu'une conversation de 2005 ne soit mise en forme qu'en 2010... Les coupes ont été faites — sans lequelles cette page ferait tout bonnement plus de deux fois son poids — et les dialogues rétablis. Nous espérons que le résultat ne comporte pas trop d'erreurs d'attribution...