Jean-Christophe PAGÈS
Miracle



Beaucoup de monde ce jour-là, le long du canal San Lorenzo. Des maisons palais, des cheminées rondes (des détails nombreux et précis), des prêtres agenouillés (des capes rouges des capes noires), des femmes aux grosses poitrines (une rangée) avec des hommes derrière et, sur le pont (un parapet une balustrade) : des turcs. Un turc qui tend les bras, un enfant-singe qui fait le fou et que quelqu’un retient (il ne faut pas faire ça).

D’autres gens partout -une foule agglutinée et préoccupée, des gondoles (sept gondoles), un plongeur noir en slip : « un coup de main les gars ? » J’aperçois une femme derrière lui (j’ai l’impression qu’elle lui tient la main), un prêtre dans l’eau (jusqu’à la taille) -sa soutane est mouillée- porte la croix dans la main droite (fièrement).

Des personnages écrasés par l’architecture.

Un homme torse nu, maigre (short blanc) dans le canal peu profond à cet endroit (juste devant les grosses poitrines) : « eh ben… » Une sœur en prière, une procession. Je peux voir le décor jaune-orange de Venise (sa ville natale). Un autre prêtre en blanc, debout sur une gondole s’avance (le gondolier porte un pantalon rouge). Tous les regards dans la même direction : la relique (j’en vois deux qui discutent), les mains jointes.

Une enfant (son bras droit est trop long), des nageurs (j’admire leur courage car l’eau est froide et sale), un fait la brasse l’autre le crawl. Que fait cette enfant mal dessinée au premier plan ? Elle est au bord c’est dangereux. Que fait cet autre nageur roux les bras en croix (il protège la sœur et l’enfant) ? Je ne peux pas compter le nombre de personnes présentes, elles sont trop serrées.

Les cheveux de certains prêtres sont ridicules : ils ressemblent à Mireille Mathieu. Une partie du public ne fait rien (regarder, prier : globalement les femmes semblent plus concernées mais inutiles ainsi que les prêtres non-nageurs qui assistent soutiennent et les enfants) tandis que d’autres s’activent (ils nagent, godillent, posent des questions : les hommes).

Sur le pont des arbres ronds (sept arbres ronds), au milieu une oriflamme aux motifs indescriptibles : la composition est bonne, l’équilibre de l’ensemble est bon, c’est bien fait (précis). La berge (soutenue par des rondins) est à gauche (ombre), à droite directement les maisons (j’imagine aisément l’humidité qui doit y régner).

Le vénitien, l’oriental.

Au loin d’autres cheminées rondes et le ciel gris-blanc par-dessus les toits (en rupture, un fort contraste). Il est probable que ces cheminées (qui pourraient ressembler à de minuscules châteaux d’eau) sont typiques de Venise. Le message est appuyé (je ne suis jamais allé à Venise mais j’ai compris). Il y a des grilles devant les fenêtres des maisons (contre les voleurs).

Tout ce qui fait la vie.

C’est quelque chose de remarquable, un événement. Le soleil traverse le canal de la gauche vers la droite (d’est en ouest -oui), c’est pourquoi les maisons de la gauche sont orange tandis que celles de droite sont jaunes (bien vu).

Problème au premier plan : à gauche, la sœur et l’enfant, à droite, l’enfilade des prêtres, ils sont sur quelque chose que je ne distingue pas, à plat -contrairement au pont qui décrit un arc- comme s’ils étaient au bord d’une scène et je ne sais pas ce que c’est.

Il doit être onze heures. Le miracle a eu lieu pendant la nuit et, au petit matin, les gondoliers stupéfaits (et encore un peu éméchés) découvrent la croix tombée dans le canal San Lorenzo.


(Gentile Bellini vers 1500)