Jean-Christophe PAGÈS
L'invitation


Arrivée entre 20 et 21 heures 30 : le timing s’annonçant serré, il ne sera pas judicieux d’être parmi les derniers. Itinéraire fléché pour la ville de X et la salle + accès parking (code personnel).

Pour des raisons que vous comprendrez plus tard, la soirée se déroulera au mois d’avril (juin, septembre et novembre auraient été également favorables) : le 30.
PREMIER CONTACT

Au signal (lampe clignotante) : introduisez votre carte et entrez… Ne cherchez pas le vestiaire… Spontanément, posez votre carton et votre matériel… Evitez l’entrée fracassante… L’accueil sera glacial… Personne ne viendra vous voir.

Des plantes vivaces ou plutôt des boutures seront disposées dans des espaces aménagés… Hortensias ou Laurier-rose.

Attendez. Ne faites rien que vous pourriez regretter.

Autour de vous, les gens seront différents. Des personnes connues ou inconnues. Vous ne reconnaîtrez que les personnes connues : remarquez comme les gens sont différents (x1, x2, x3…), la corpulence, un sourire, une voix bien timbrée. Vous n’en reviendrez pas.

-…


Les gens seront si différents et, en même temps, si égaux qu’ils se ressembleront : ils formeront un ensemble consensuel. Regardez-les de près, un à deux pouces, voyez les détails de leurs visages, minuscules, comme un paysage vu de loin (à la loupe), les gros-becs, leurs dents, leur haleine.

Observez leurs genoux. Le premier contact des genoux sera capital. Respectez les consignes (nous en reparlerons) et cessez de vous émerveiller.

 

 

 


LA SALLE

Remarquez l’aménagement et la décoration.

Faites le tour de la salle qui date de 1973 (Kippour Þ choc pétrolier, Picasso, Vietnam, Watergate, sécheresse de 76) mais qui n’est pas un lieu historique à proprement parler, identifiez les chaises dépareillées, espacées de 30 cm, un banc, le buffet (le long du mur, une moquette rouge et or), la sono posée sur des tréteaux (dans l’angle), les toilettes. Toujours visiter les toilettes qui donne une image fiable de l’hygiène générale (alimentaire). Les issues de secours.

-…

La salle est austère, rectangulaire ou circulaire, avec des rideaux noirs (elle est opaque) et du lino, des néons, un spot bleu-violet, une tente, à l’écart. En réalité, la salle est triangulaire. Un espace libre, au milieu, de plusieurs mètres. Votre mauvais pressentiment se confirmera et vous aurez raison. D’ailleurs, le volume sonore n’est-il pas démesurément bas ?

Attendez le feu vert. Tout le monde n’est pas encore arrivé.

Voyez les autres hôtes. Tournez de l’œil autour d’eux. Vous ne serez pas seul. Sortez de l’ombre. Faites-vous un nom. Vous reconnaîtrez des personnes connues, réelles (« l’homme aux bosses est bien vêtu, la trentenaire est revenue » ) mais feignez de les ignorer. La désinvolture, toujours.

Pour une typologie : différentes formes de gens telles que des hommes tricheurs (M), des beuvreaux (on les repère vite), des femmes en forme de femme (F), des enfants hyper-actifs, les jeunes sont destinés à devenir des adultes, des personnes (a) âgées en nage et, oublié, un perroquet (vous faites bien de remarquer l’anomalie). Mais ne soyez pas naïfs car :

MF + MF’ = 2a = 12                          n’est pas une boîte à partouze.

Seul celui ou celle qui entrera en trentième position dans la salle aura gagné. Il ne sera pas possible d’attendre à l’extérieur (Cf. plan d’accès avec les emplacements des extincteurs, points rouges).

Marge d’erreur : 0.

 

 

 


ENTREE EN MATIERE ou MISE EN BOUCHE L’APERO

Dans un bol : des cacahuètes croustillantes, du surimi.

Brisez les barrières sociales.

Engagez la conversation en posant cette question : avez-vous ± de trente ans ? quel âge avez-vous ? et vous ? faites-vous votre âge ou non ? (par sécurité, votre voix sera déformée et votre visage flouté)
(15 minutes)
-…

En fonction des réponses obtenues, deux groupes seront constitués. Puis, à l’intérieur de chaque groupe, des sous-groupes : les petits qui font quelque chose avec la moustache, les grands nœuds portant parapluie, les hors normes (ils préfèrent dire indépendants bien qu’ils aient de grandes oreilles décollées), les vieux métiers dont un octogénaire ingambe, les goûts, les cheveux longs bouclants attirent les poux, les lentilles cornéennes, les exaltés : la fougue, la générosité, l’obstination peuvent parfois mener les gens du sud à l’aveuglement, les dents porte-bonheur, etc. Quel est votre département d’origine ? (Ne sommes-nous pas tous, d’une certaine manière, des déracinés ?)

-Ding Dong Ding !

 

 

 


REPRESENTATION COSMIQUE DE LA PUISSANCE ANIMALE

Poursuivre en s’asseyant dans un coin, sur un banc, une invite à parler avec quelqu’un que l’on ne connaîtra pas, mon vieux, et qu’il faudra apprendre à aimer (apprécier). Cinq minutes avec lui. Division progressive d’une foule en binômes.

Bonjour, bonsoir, salut, comment t’appelles-tu, tu t’appelles, quel âge as-tu, tu as, pourquoi es-tu là, pourquoi ? quel est ton code ? l’âge mûr ? aimez-vous la plage en maillot de bain ? misanthrope ? mystificateur ? le bélier à facettes ou le buffle sous toutes les coutures ? famille, amis (qui préférez-vous ?) vos enfants sont-ils votre priorité absolue ? livre de chevet ? qui a fait des concessions ou rogné sur ses convictions (la fuite en avant) ? quel plat avez-vous (as-tu) apporté ? des crêpes, des choux à la crème ? et ton régime ? santé, degré de satisfaction, qui n’aurait pas dû venir en chemisette ? qui est réputé pour être un mauvais danseur (on verra mais il est chouette*) ? qui n’est pas au mieux de sa forme ?
(5 minutes)

-C’est Coco !

Puis, brusquement, la conversation déraillera et la langue se perdra, sans que personne n’y comprenne rien. Le rire sera exclu et les mains dans le dos :

-In poszendel sembal flukatima latik, man bäledik, pebenoklotöl ädisigolom nevifiko süti.

Chaque binôme (1 + x) aura un dialogue inadapté à la circonstance, solennel :

-Ün poszedel latafluküpik man gudiko peklotöl ädoniovegom nevifiko ve süt.

Néanmoins, nous préférerions que ce dialogue concerne, d’une manière ou d’une autre, le thème central qui nous réunit : trente.

Ceux qui chausseront trente, ceux qui pèseront, ceux qui en auront trente, ceux qui habiteront trente, ceux qui mesureront, etc.

Ainsi Critias mettant à mort Théramène (le traître), Charles de Blois vainquant de Jean de Montfort.

On pourra répondre : trente, l’euphorie gagnant les participants et les autres, en criant, toutes les trente secondes : Trente !

N’ayez pas peur : nous privilégierons l’indulgence, la pédagogie, la bonhomie. Si et seulement si trente personnes réussissent à reparler cette langue (langage ?), c’est gagné. A condition que ce nouvel ensemble soit homogène :

-Un après-midi, à la fin de l’automne, un homme bien vêtu remontait lentement la rue.

On éliminera les autres.
(0-30 minutes)


-… ?
-…
-… …


Vos conversations ne sont, bien souvent, que pauvres. Notre but : libérer la parole.
Moyen : le corps.

*Tandis que le perroquet ne représente rien, la chouette est, malgré Rabelais, réputée voleuse et laide.

 

 

 

 


CATEGORIES

Le plafond aussi sera décoré : papier aluminium. On suspendra la lune.

Séparation des binômes. Nouvelles activités collectives à fonction expressive :

1 Bien observer les convives et les ranger dans une catégorie. Le rang du premier degré. Opérer un tri, subjectif mais logique. Par exemple : une collection ayant certaines propriétés ou relations (sans ambiguïté) si n = 4 .

Idées : tel groupe en chaussettes boira trente verres, tel autre mimera un orchestre, ou une équipe de football. Un groupe de trente : un match de rugby, le ballon sera fabriqué avec les soixante chaussettes agglomérées.

-groupe chaussettes (I)
-groupe orchestre (II)
-groupe football (III)
-groupe rugby (IV)

(la rivalité, bien connue, des groupes III et IV sera soigneusement orchestrée en confisquant les chaussettes)

2 Faire une chose inattendue : s’inventer un prénom dérisoire (Benoît), marcher à reculons, grimacer outrageusement, chanter un tube de Renaud (le chanteur), être une statue. Répéter trente fois la même phrase, en recommençant à l’envers ou jongler avec les mots. Il sera primordial que chacun puisse être rapidement identifié : manifestez-vous ! Le code, le type (colérique : émotif-actif-primaire), le numéro, la catégorie, le sous-groupe, la classe sociale.

-Trente !

De même, les tenues débraillées ne seront pas admises. Ni les cerfs, mais pour une raison différente. Cette organisation rigoureuse nécessite une réelle implication de tous les participants et la spontanéité. On n’acceptera pas les trouble-joie, intellectuels (« les lapilli sont des petites pierres poreuses projetées par les volcans en éruption »), maniaques. On se méfie des maniaques comme des bricoleurs qui sont, bien souvent, des imposteurs.

Toute conversation politique surnaturelle (l’homme doit rester l’origine de notre pensée et non l’objet de notre société), boursicoteuse, immobilière, sociale, humoristique (sexuelle), culturellement conservatrice, religieuse, astrologique, discours philosophique précis, l’anarchie culinaire (accommoder les restes), la mauvaise langue, sportif ou musicien amateur… seront interdits. Notamment les intégristes et les enfantillages du genre : je ne suis pas d’accord. On ne pourra pas en profiter pour raconter son anecdote (un souvenir).

Mais il sera possible d’adopter une nouvelle coupe de cheveux, des ongles plus longs sans exagérer, échanger nos chaussures en lui caressant le pied, trafiquer ou prendre des photos, avoir du cœur, s’allonger par terre, salir son frac. Il faut se libérer, sans oublier de savourer l’andouillette (ou du barbouillé de lapin*), de danser en buvant de l’anis ou du lait fluo qui développe les muscles et la silhouette (voir chapitre sur ce sujet).

Assiette nominative : carton
Gobelet plastique et couverts : initiales

Ne pas rester assis dans son coin. Certains s’étonnent parfois de passer une mauvaise soirée alors qu’ils n’ont salué personne en arrivant, effort minimum.

Pour une fête réussie, trente litres de lait seront disposés à l’entrée. Si le nombre d’invités est inférieur à trente, il faudra calculer mentalement une moyenne ou un prorata. La personne désignée (tatouée) s’en chargera.

-…
-Pour non, j’aimerais mieux m’en débarrasser.

Autour de vous, désormais, il y aura toujours des gens, des personnes connues ou inconnues (les mêmes), mais vous les connaîtrez mieux : untel symbolisera la force génésique (notez l’originalité de son costume en papier rouge et or qui vous permettra de le repérer rapidement), celui-ci incarnera la force ignée (très tendance, il a, malgré tout, un autre métier qu’il exerce la semaine). Vous épouserez leurs idées : les bons amis font les bonnes vacances. On s’adapte.

3 Les embrasser sur le front en disant : papillon les hiboux. Vous verrez que les invités riront aux éclats. Même ceux qui auront mauvais esprit (groupe isolé) et les tire-au-flanc qui prétendront des choses.
(45 minutes)

Facultatif : participer à la réalisation d’une fresque collective composée d’empreintes de différentes couleurs ou écrire un mot gentil.


-30 !


Plus tard, quand chacun rentrera chez lui, son devoir accompli, le cœur léger, il ou elle aura contribué à une vie juste, se sentant mieux, tout en ayant fait des découvertes. Saviez-vous qu’Annie portait des chaussettes de poupée plutôt qu’un vulgaire gilet (à la place de son survêtement) ? Chacun garde, au plus profond de lui, un ou plusieurs secrets. Vous y repenserez car l’avenir est une suite de quotidiens.


*doit être consommé jeune, 3 à 4 mois, il a le cou court, pattes antérieures molles et les griffes, chair sèche demande complément substantiel de gras, saveur fade doit être relevée : faire revenir dans une sauteuse les morceaux, saler, poivrer puis délayer le concentré avec le bouillon et l’incorporer à la cuisson

 

 

 

 

 

 


MISE EN GARDE

On croit, à tort, que le rossolis, absorbé en quantité, peut venir à bout de nos inhibitions. Nous ne partageons pas ce point de vue : c’est une spirale infernale. Car le rossolis génère plutôt le désordre et le n’importe quoi, comme la russule. Nous pensons qu’une bonne organisation, ludique et variée, sera plus efficace.

 

 

 


VARIANTE 1


Dans la salle polyvalente, tout le monde sera à table. Les couverts seront reliés entre eux par des élastiques. Quant à la sono, elle n’est pas branchée. Les prénoms des invités et la première lettre de leurs noms seront inscrits sur une liste, selon l’étiquette et le plan. Les chuchotements seront autorisés : vous disposerez d’un quota de bulles. Il faudra insister sur l’usage des adjectifs plutôt que des adverbes. Soyez de bonne humeur (constante) et apprenez à gérer vos émotions. Chacun sera vissé sur sa chaise. Les voisins auront été prévenus.

 

 

 

 

 


UNE SOIREE D’ENFER

22 heures, les derniers arriveront.

Libérez-vous du refoulement (pulsions) : les faux-nez tombent.

Application de la formule du binôme : ceux du groupe 1 iront à gauche. Les autres, ceux qui secouent la tête et ânonnent, non. C’est là que le bât blesse. La catégorie A aura la chance de sa vie. On mettra les enfants dans une pièce adjacente (contiguë). Ils pourront fumer.

Dès lors, nous aurons une période de régression quasi-hystérique et de fusion fraternelle. Un chaos qui rappellera celui des origines.

Il y aura ici de l’âne.

Tout le monde pourra parler fort, remuer les épaules, avoir les yeux brillants et les jambes molles. On distribuera des pistolets à eau. Des phrases comme : « Quand on fait la java le samedi à Broadway, ça swingue comme à Meudon » (ou à X) pourront être dites, sans aucun danger. Ou : « Qui c’est les plus forts, évidemment c’est les verts » (asse.fr). Là encore, des éclats de rire fuseront, qui nous soulageront.

-Les verres ?
-Non.


-Dong Dong Ding !

 

 

 

 

 


SIMULATION DE L’ETERNITE

Ainsi, au début, rappelons-nous, chacun était arrivé avec sa petite fatigue, pas au top, lassitude, soucis. Ne retrouvant pas tel objet égaré ou simplement détérioré (mais n’entrons pas dans les détails). Chacun était un peu mou et contrarié. Autant l’avouer : nous avions tous des a priori (des doutes). Serait-ce encore une soirée où nous allions nous amuser tout en faisant semblant de nous ennuyer ? Saurions-nous chopiner à sa santé ? Y aurait-il des femmes mûres (étoiles filantes) et des ouvriers exubérants (têtus) ? Serions-nous obligés de participer à des jeux ou des débats (la globalisation provoque des réactions en chaîne) ? Serait-elle la miss anniversaire ? La réponse est non. Mais la solution est oui. Les angoisses sont dissipées. Qu’allons-nous boire ? Oui, bien-sûr.

-…


Les organisateurs souhaiteraient également que certaines saffrettes aient des seins véritables sous leurs tee-shirts. D’ailleurs, on leur proposera des postiches.

Etonnez-nous. Nous ne demandons pas mieux car la confiance est la clef du mouvement.

Vous pourrez reformuler le concept avec vos propres mots. Nous avons conscience que certains points obscurs nécessiteraient des éclaircissements. Peut-être serait-il judicieux de synthétiser les enjeux d’une telle soirée. Une pause sera la bienvenue.

 

 

 

 

 

PAUSE

23 heures. Nous distribuerons des feuilles et des stylos, afin que chacun puisse se prononcer (ou faire part de ses difficultés). Evaluation : qui a aimé, qui n’a pas aimé, quoi, quel a été (indéniablement) le temps fort, qui gardera un bon souvenir de cet anniversaire réussi. Nous dépouillerons rapidement les réponses (un expert-graphologue consultant -en vue d’un recrutement- réalisera un psychotest grandeur nature) et ajusterons nos choix, options.

Ce système, certes un peu lourd mais efficace, permettra à chacun de s’exprimer, ce qui est rarement le cas, autant l’avouer.

Certains rédigeront quelque chose pour les autres. Ceux qui n’auront pas eu le temps. Nous n’ignorons pas (comment le pourrait-on ?) qu’il y aura des gros veaux de dîme parmi nous. Nous ferons tout pour les intégrer. Mais nous ne pourrons pas nous substituer.
(30 minutes)

-On vous sert un verre d’anis ?
-J’en conviens mal.

 

 

 

 

 


ACTE COLLECTIF

Le concept soirée d’anniversaire pop ne réussira qu’avec l’implication de tous, c’est à dire de la mini-société que nous formerons ce soir là. De la même manière, le temps que chacun accordera à sa préparation : choix du vêtement parfumé (un homme bien vêtu remonte plus facilement la rue), couleur d’un véhicule, texture de la peau, lunettes, prothèses, bijoux, idée originale de paquet (avec une petite carte signée, ou sans) sera primordial. Vais-je ou pas ? Part de hasard ? Gare aux polémiques.

N’oublions pas que la vache (thème du lait et de la lune) sera présente dans la phrase : trente ans, la vache* ! A mon signal, il faudra la prononcer. La famille, les amis. Ou : trente balais !

*Tandis que le buffle est un mammifère ruminant proche du bœuf, le bélier du deuxième décan est le mâle entier (souvent ardent) de la brebis.

 

 

 

 

 


EXERCICE D’EVACUATION

Artificiellement, un moment de panique (mouvement de foule) se produira. Laissant là nos affaires, nous sortirons, pieds nus (une entorse à notre règlement). Record : une poignée de secondes.


INSTANTANÉ

A la suite de quoi, pour nous calmer, nous aurons un moment de pure poésie : la nostalgie, qu’ai-je fait de mes trente ans, que sont mes joujoux devenus, etc. Un slow accompagnera nos souvenirs les plus émouvants, en se tenant la main. Il ne sera pas interdit, le cas échéant, de pleurer sur l’épaule de son partenaire. Ou de s’embrasser tendrement. Là aussi, des limites (± ¥) seront fixées.
(6-7 minutes)


-Ding Dong Drelin !

 

 

 

 

 


PARENTHÈSE

Il est temps ici de faire un point. Interrogeons-nous sur l’ambiguïté trente ans = trente balais. Pourquoi des balais ? Quel est l’intérêt d’une telle substitution ou comparaison ? Ceux du groupe A2 (par exemple) diront : parce qu’il faudra bien balayer la salle à la fin de la soirée. C’est juste. Mais c’est aussi complètement con. Ce qui ne nous étonnera pas de la part du groupe A2 : des potaches. Ils seront ainsi désignés pour venir nettoyer la salle le lendemain.


Nous couperons court à toutes les tentatives de rébellion. Il sera de notre devoir de maintenir à cette soirée, en cette soirée, une certaine tenue (le cadre), un équilibre, une harmonie. Ne pas se sentir trop à l’aise. Nous ne tolèrerons aucun jeu de mots vaseux, blague raciste, ou dégradante. Malgré tout, les personnes d’origine étrangère ne seront pas admises. Se munir d’un visa réglementaire.

-Trente !


Comme nous l’avons dit, il serait souhaitable d’apporter son propre survêtement et un vieux pull. Le cas échéant, un duvet-bonnet. Le rituel éculé de la soupe sera soigneusement évité. Idem bougies, tombola, prière, quête, reconnaître la chanson la mieux jouée, canards, serpentins et cotillons, chaises musicales (proposition des non-inscrits), sketches (ou reconstitutions maladroites de moments mythiques) pause cigarette. Les fumeurs en bras de chemisette pourront, à bien des égards, s’abstenir de faire les guignols.


En général, nous bannirons les actes gratuits et malpolis.

JEUX : frénésie de l’ambiance

A la suite de quoi, vers minuit, les convives se mettront en cercle. Trente convives, un cercle. Cercles concentriques, il va sans dire (hiérarchisés mais non isométriques). Chaque cercle portera un numéro : C1 les amis, C2 la famille, C3 les autres (agnostiques ou nihilistes) Ì C ; chaque cercle sera doté de cailloux (30 c).

C1 : Mettez-vous par deux dans un rond potentiel, face à face, les yeux bandés. Tenez-vous par les hanches ou attrapez-vous les fesses puis tournez sur vous même (mesure trois temps) en veillant à ne pas vous bousculer. Aucune chute ne sera acceptée. Essayez de reconnaître votre partenaire, son code. Importance de l’haleine et du toucher.

C2 : S’enduire de glaçons et glisser sous le buffet (en file).

C3 : Elargir le cercle.

Remarque : impossible de les confondre car C2 Ï C1 et C1 lui-même n’est pas homogène (C1’ les amis d’enfance, C1’’ le lycée, C1’’’ la fac, C1’’’’ les collègues + les conjoints…).

D’une manière générale, n’imaginez pas (erreur classique) que la famille puisse se mêler aux amis. Chacun restera sur ses positions : milieu familier. Certains, pusillanimes, n’ouvriront même pas la bouche et mangeront avec leur blouson : ils le tacheront car il n’est pas possible de manger la bouche fermée.
(30 minutes)

HAPPENING

A minuit trente, la personne désignée par tirage retirera spontanément sa perruque en musique. Nous l’applaudirons longuement et nos encouragements soutiendront cette caillette (qui est tout sauf une étudiante). Encore une fois, les rabat-fête et les fleuristes seront exclus.

Cependant, toutes les propositions seront accueillies avec bienveillance (elles seront les bienvenues). Nous les étudierons, après coup.

L’amuseur* : C’est pas du poulet, c’est du lapin.

Parce que la couleur orange est fun, elle sera la mieux adaptée, pour un bon déroulement (en tant que point d’équilibre de l’esprit et de la libido et/ou de l’infidélité et de la luxure). Les autres couleurs à la mode, notamment le kaki, pourquoi pas. Mais le rose non. Le marron oui.

*Il conviendra de canaliser l’énergie instinctive de l’amuseur (torse nu?) qui pourra essayer de prendre la soirée à son compte et faire de l’ombre.

DANSE

Le tempo de la soirée sera pop ou ne sera pas, dixit l’animateur-disquaire.

Revenons à cette histoire de sélection naturelle. L’usure jouera un rôle fondamental. Les plus faibles seront écartés et placés dans le groupe D comme Détente. Trente heures de danse non-stop. Nous favoriserons, une fois de plus, la prévention (un kiné, des plateaux repas). Même si la répression ne nous déplaît pas. Il faut qu’il y ait des règles, qu’elles soient respectées, et surtout, qu’elles soient les mêmes pour tous. A cet effet, un service d’ordre sera constitué. N’oubliez pas de fixer votre conjoint dans les yeux, sans cligner.


Rappel des règles : ne pas marcher sur les pieds de son voisin (ou sur les siens), se mettre sur la pointe et multiplier les petits pas en sautillant, respecter les personnes diplômées, ne pas faire d’allusion, s’exprimer allusivement, favoriser l’incohérence, chanter à tue-tête le ranz des vaches , éviter de suer, ne pas rester près du buffet, aimer son prochain, pratiquer un sport (même bénévolement), être autodidacte, avoir de l’humour et une solide culture générale.


Votre mémoire sera soumise à dure épreuve. Toutes les musiques populaires seront diffusées, soit alternativement, soit successivement, soit simultanément. Il faudra faire preuve de souplesse et d’adaptation. Voire d’imagination car la créativité ne sera pas exclue de cette soirée. La loure, le blues, la percu, etc. Apprendre aussi à danser le jazz, sentir et ressentir les nuances. Il faut faire corps avec le jazz, chaque membre libéré de ses contingences. Amusons-nous. Toutes les heures, un verre sera généreusement offert aux plus robustes. Gare aux retardataires.
(15 minutes)


-Trente !
-Merci Françoise !

 

 

 

 

 


TEST

Au moment que nous jugerons opportun, c’est à dire n’importe quand, une liste de questions sera distribuée. Nous visons l’excellence (physique et mentale).

Les questions porteront sur l’art de la table (s’il y a du vent, la nappe ne tient pas), la mode (rôle social), les mammifères ongulés (mâchent souvent du chewing-gum), le choix d’un métier, les ustensiles composés d’un long manche, la gastronomie, le comportement idéal, la vie de couple (faut-il s’enfermer?), la consommation de tabac, le troisième doublé coupe-championnat, le cahier, les biches et les faons, la pop musique, la Bourgogne, le fou rire et la mauvaise foi (…) le liquide blanc opaque secrété par les glandes mammaires, les départements d’origine, le baudet et la langue.


Nous ne manquerons pas d’éplucher les réponses. Elles seront, d’ailleurs, validées par le jury. Les meilleurs éléments seront récompensés : ils pourront rentrer chez eux, sauf s’ils n’habitent pas ensemble. Auquel cas, ils devront attendre la manche suivante.

On éliminera les autres.

-…

Les invités ne seront pas déçus. La preuve ? Les photos qui seront prises au cours de la soirée (ou même une vidéo) que nous pourrons regarder ultérieurement. Personne ne le regrettera.

(Temps aménagé/aménageable)


Nous aimerons nous remémorer cette nuit où, comme une soupape, nous aurons appris à aller mieux. Car, c’est vrai, nous ne savons plus nous amuser. La vie moderne est tellement artificielle ! Nous sommes gris et insomniaques : c’est dommage. Retrouver la naïveté de notre fraîcheur. Gonfler des ballons.

Ta mère sera présente bien qu’elle n’ait pas été invitée.

 

 

 

 

 


REMERCIEMENTS

A 1 heure pile, quelqu’un (un type en chemisette bariolée) fera un long discours au cours duquel il remerciera les gens présents (nous) d’être venus. Il remerciera nous d’être venus, exactement. Il ricanera parce qu’il est gêné et qu’il en a horreur (il ne sait pas quoi dire). C’est vrai. N’oublions pas de vomir avant qu’il ne soit trop tard. Et d’applaudir. Gardons-nous des jugements à l’emporte-pièce. Il n’aimera pas qu’on lui chante quelque chose.

(50 minutes)

 

 

 

 

 


VENTRE MOU

Après l’ouverture des cartons, il y aura un flottement. Certains en profiteront pour partir (tg). Le bon goût aurait pourtant voulu qu’ils restassent. Notre théorie des groupes s’en trouvera gravement déséquilibrée. De même que l’ensemble de la soirée. Ils en porteront (assumeront) seuls la responsabilité. Nous ironiserons. Puis l’animateur relancera l’ambiance. Personne ne sera le dernier.

-Vous croyez pouvoir dire n’importe quoi ?
-Non, mais je ne peux pas tout expliquer.

 

 

 

 

 


DEUXIÈME MISE EN GARDE : comportements profanes (déviants)

Au cours de la nuit, des couples se formeront, que nous ne pourrons tolérer. Ne pas confondre. Malgré la présence charnelle du groupe, nous refuserons le mélange des genres. Biscoter, bluter ou même brisgoutter : les couples seront priés d’arrêter. (Exceptions : quinze couples, un couple d’adolescents, un couple provisoire.)

Une cloche sera désignée par le jury. Elle résonnera à intervalle régulier.

 

 

 

 

 


VOTE FINAL

Viendra alors le moment (tant attendu) d’aller voter. Chaque cobaye devra utiliser son bulletin comme une arme. Les consignes seront affichées. Une soirée ne saurait être un prétexte à quelque relâchement, entendons nous bien. Les groupes F et F’ iront d’abord. Puis ainsi de suite jusqu’au dépouillement.
(20 minutes)

Une cantine (avec les restes) sera dressée sous la tente, à l’écart, pour éviter les contaminations. Les papiers gras seront mis dans un sac. Nous n’inhalerons pas. Nous respecterons un silence d’une durée équivalente. Dans la nuit, on aime bien manger les restes.

-Une cantine ?

Il ne sera pas possible de s’endormir, quel que soit son âge, son accoutumance, son handicap. Les plus faibles seront enroués : on les regroupera dans une salle étanche. On mesurera leur temps de réaction, leur réactivité à l’événement (réflexes spontanés). Les plus émotifs iront prendre l’air.

 

 

 

 

 

FIN DU TEMPS CONSACRE

Car on ne sait jamais comment bien terminer. Progressivement est le choix le plus répandu, mais est-ce vrai ? Nous choisirons un départ groupé pour éviter toute déliquescence.

Ma sœur dansera, seule.


Annexes : flyer, liste du matériel (kit comprenant, au moins, des piles), Encyclopaedia Universalis, plan d’accès, petit glossaire rabelaisien, Jean-Pierre Raffarin, modalités (entraînement spécifique), « Jenotem valepamüka Volapük» by Johan Schmidt, dictionnaire des symboles


Jean-Christophe Pagès Mars-Mai 2003