Oolong
Les Peuples des Lettres

Les Lettres ont été écrites et mises en forme de début mars à fin mai 2001.

Elles étaient d’abord un dialogue avec le texte d’Henri Michaux Portrait des Meidosems. Elles parodient aussi par certains côtés les articles du volume Ethnologie Régionale de l’encyclopédie de la Pléiade (ce qui a conduit à changer le titre en les Peuples des Lettres).

Apollinaire, Jean Tardieu, Emmanuel Hocquard et pas mal d’autres ont été mis à contribution.
Leur écriture a pris beaucoup plus de temps que prévu. Trop vite et trop lentement en fait.
Le lecteur devra faire preuve de pas mal de courage, il aurait fallu une autre présentation, en particulier des hors textes pour aérer chacun des peuples, lui faire son territoire.
La ponctuation, la coupure des phrases, l’organisation en paragraphes demanderait aussi du travail.

Oolong.


Les A

Les A dépourvus de mains. Ils se grattent le dos contre les arbres, font des saluts résiduels. Pour les mises à mort seulement les bourreaux ont droit à des mains de locations. Elles sortent alors de l'échoppe du prêteur sur gages.
La caution est exorbitante : une paire d'yeux.
Le bourreau au jour dit enfile les mains de location sur ses moignons et les présente à l'admiration murmurante de la foule. Un bourreau aux bras épais avec des doigts de location déliés est considéré comme un seigneur, il apporte bonheur et prospérité à tout son peuple. Sa renommée s'étend dans tout le pays, et il a le droit de caresser les arbres et les jeunes filles. Mais déjà il s'ennuie. La maladresse de ses contemporains le déprime. Il se frotte le front longuement.
Pour mettre à mort le condamné le plus exact, le bourreau coiffe ses pouces de manchons métalliques ouvragés. Des scènes de bruit et de fureur y sont gravées, voisinant avec des architectures baroques et des bocages couverts d'eau. Ensuite, le bourreau cherche du bout des doigts les os souples de la gorge de sa victime.
Le craquement effroyable et musical qui se produit alors décide du temps pour la lune suivante. Sinon, tout est à recommencer.
Les yeux déposés en gage clignent dans leur bocal.


Les B

Le peuple des B affronte le monde avec deux visages. Lors de leurs fréquents carnavals, ils n'en masquent qu'un, mais d'un masque si couvert d'algues qu'ils en sont méconnaissables.
Les femmes B ont des lèvres vastes et belles. Ces quatre lèvres attirent l'œil. Elles n'ont cependant qu'un seul sexe, de taille moyenne.
Avec deux visages, dissimuler ses émotions est difficile. Aussi, tout petits, fait-on faire aux B des exercices pour qu'ils apprennent à différencier les expressions de leurs deux figures. Si cette coutume a l'avantage de prévenir une certaine monotonie, elle encourage l'ambiguïté, parfois jusqu’à l’hypocrisie, et la dissociation de personnalité(s).
Mécontente un B et il te mordra.
Le second visage est placé soit en dessous, soit au dessus du premier, et ne sert que les jours ordinaires. Le reste du temps, la nuit surtout, il parle d'un ton courroucé pour dire des choses sans importance. Cette figure annexe, à cause de son éloquence banale, n'a pas bonne renommée. Certains extrémistes religieux se la font museler dans de petits paniers de rotin.
La naissance d'un enfant à un seul visage est un événement néfaste. Elle jette le doute sur la probité de la famille entière. Au point qu'une expression de dénigrement commune est "ceux là ont perdu un visage".
Janus, pour eux, est un cousin un peu bizarre.
Je ne les ai jamais vu manger.


Les C

Une statue vous fige un jardin. Elle inquiète les arbres qui n'osent plus alors aller et venir à leur guise.
Les C ont des corps de pierre, admirablement peints. Cette pierre là, courue de veines, palpite, elle épie les serpents et course les oiseaux.
Le soleil sur le pays des C a toujours froid, car se lever pour réchauffer tous ces corps de pierre n'a rien de réjouissant. Ce soleil en devient pâle et fripé et ne reprend forme que tard le soir. La pierre aussi préfère jouer avec l'eau, elle ne croit pas à la chaleur du soleil. Elle craint le gel.
Les C font preuve d'un grand respect pour les peuples de la voile du navire et pour ceux de l'aile de l'avion. Leurs ingénieurs s'arrachent les cheveux dès lors qu'il ne s'agit plus de bâtiment ou de chute des corps.
Les C font un peu peur aux arbres, et pourtant…Les jours de grande tempête, un C n'hésite jamais à aller soutenir un arbre malmené. Il plante ses orteils de pierre entre les racines, et pèse, et que lui importe alors la tempête ?
Pour l'élégance, le C se couvre de mousse. Dans son grand âge il acquiert un certain poli.
Cœur de pierre est ici une insulte.
Deux C qui s'étreignent après une longue séparation peuvent se broyer. Les cimetières sont pleins de cailloux. Les dépouilles de C sont exploitées en construction. La fosse commune a des allures de rempart.

(Un traité de physique C commence ainsi : "La pierre jamais ne monte à l'arbre. Mais comme une âme il arrive qu'on la jette en l'air. Un temps, alors, elle n'est plus pierre. Ainsi de l'âme et de la pierre qui aiment à rebondir sur des chairs souples").


Les D

L’homme se croit très fort de généraliser sans cesse. Pas le D. Il ne connaît que l'unique.

Un D marche dans une forêt, il parle, il prend son temps. Chaque arbre porte un nom, d’abord celui de son espèce, puis le sien, son nom particulier d’individu arbre. Le D fronce les sourcils, puis sourit, le V de la perplexité descend sourire sur son visage. Il attend que le nom de l’arbre arrive. Qu’il fasse son chemin. À son rythme. Si ça doit prendre trois jours, le D attend, il pose son chapeau sur le sol, s'assied dessus, et attend.

Le D ne voit pas des feuilles, mais une feuille particulière, puis une autre et d’autres encore. Ses jambes s’allongent et se tordent pour mieux voir. Il se suspend de surprenante façon à rien du tout, il tourne sur lui même, il dit bonjour aux branches, une par une, aux rameaux, aux pucerons dans les feuilles.
Sa vue est assez mauvaise, mais ses yeux sont grands, assez pour recueillir chacune des fourmis sur le tronc. Combien d'hommes qui voient bien et ne voient qu'une fourmi dans la légion des fourmis ?
Ensuite, le D tire son chapeau aux champignons, les fait exister en posant leur nom dans sa bouche, verbigère leur tribu aux pieds des arbres, mais là encore, un champignon puis l’autre, tranquillement.
Le sourire du D témoigne de sa rencontre avec chacun des être qui ont un nom, mais pour les D tout a un nom.
Un D ne dit jamais à un autre D « passe moi la soupière ». Mais « passe moi Article », car tel est le nom précis de cette soupière qui se trouve devant eux. Cependant, les D préfèrent manger seuls, et souvent ne mangent pas du tout, car assimiler ainsi la matière extérieure n’est pas une bonne chose, il risque d'y avoir un nom de trop ensuite, celui de la chose ingérée. Après un festin, il reste ces noms sur l’herbe, qu’en faire ?

Nombreux parmi les peuples des lettres sont ceux qui prennent les D pour des éléments décoratifs oubliés là par la divinité lors de sa défaite contre les âmes des V. Suivez pourtant un D assez longtemps et vous constaterez quelle intense activité il déploie. De façon en apparence sporadique pour l’observateur pressé.
Le D se moque qu’on le regarde. Il observe quantité de choses sous ses plumes, mais pas comme vous le voyez.

Le chiffre deux est un non sens pour un D bien constitué.
Les D vont par groupes et ne le savent pas.

Leur mathématique est indéfinie, elle porte toute entière sur le changeant. Elle ignore les états. Pour beaucoup d’autres peuples ce n’est pas une mathématique. Une respiration, tout au plus, ou la cause de l'indistinction des D dans le paysage.
Les D ne constituent pas à proprement parler une espèce parmi les peuples des lettres. On n’a jamais vu deux D se ressembler. La généalogie est pourtant importante dans leur vie sociale, qui consiste à trouver des noms aux choses. Mais la notion de chose n’existe pas chez les D. Même dans le miroir leur reflet ne leur ressemble pas.
Les D témoignent de la diversité des parties du monde en n’étant ni des hommes ni des D.

Les D passent pour des idiots auprès des peuples du livre. Les D s’en moquent. Ils n’impriment jamais rien. L’un, parfois, prend sa plume (Argile) pour écrire quelques lignes sur un cahier (Antilope) avec les mots d’une langue. Un autre D viendra qui déchiffrera l’inscription avec une autre langue. Tout se passe très bien.
Les D sont distraits. Leur développement industriel est nul, mais personne n’est jamais non plus parvenu à leur imposer le mot Travail, qui selon l’un d’eux est le nom d’un petit caillou de teinte verte au fond du ruisseau (Attitude) qui coule non loin de là. Un autre connaît Trouvaille, un cerf de grande taille.
Pour les D, un dictionnaire est l’ouvrage d’un cerveau dérangé, ou d’une personnalité rigidement infantile.


Les E

L’histoire des E est coupée en deux par une expérience infamante.
Après, ils ne cessent d'être coupables. Ils cachent leur malheur dans des besaces de crin tissé. Je les ai d’abord pris pour de simples pieux placés là afin d’indiquer sa route à la vase des marais où ils résident.
Leur faute impliqua plusieurs formes de conscience, des cubes de glace, une pleine bobine de fil de lin, et le premier législateur des E, personnage mythique et pourvu de serres.

Suite au désastre, il fut jugé nécessaire de changer de langage, les mots de l’ancien ayant été salis. La vieille langue a été enterrée au fond d’un puit. Les soirs de lune basse à l’ouest, elle s’essaie à la poésie devant les têtards. Ensuite, ils perdent leurs queues et tiennent à distance leurs illusions. C’est une langue sans complaisance, qui ne dit que des choses définitives.

Les E tiennent leurs dents cachées. Leurs bras ne bougent pas. Lorsqu’ils se déplacent, c’est à la manière de lanières de cuir sec ballottées par le vent. Leur régime (une mesure d’écume par jour et par individu) les laisse sur leur faim.

Les E se réunissent dans de grandes boites aux parois tapissées de sang et chantent. Ils ont une très belle voix. Leur nouvelle langue est pleine de mots gelés, aussi grelottent-ils souvent. Leurs mains deviennent bleues. Leur chant ne comporte qu’une phrase, et raconte une longue histoire. Tout l’art des chanteurs réside dans la façon de retenir cette phrase au bord de l'élocution.

Leur nature de piquets marqués par le crime nuit à la réputation des E chez leurs voisins, et même chez les peuples lointains. Pourtant, les E pratiquent la magie immobile, qui consiste à figer le monde. Autour de leurs maisons et de leurs vases, des foules de squelettes de petits animaux témoignent de l’étendue de leurs pouvoirs. Les charognards, qui sont immunisés, se posent sur la tête des E. Certains sont leurs amis.


Les F

Qu'existe-t'il de plus grand qu'un F ? Même que le plus petit des enfant nouveaux nés des F ? Depuis qu'ils ont remplacé leurs corps par des droites. Et leur longévité…on dit que les F ne peuvent pas mourir.

Ils sont sans épaisseur, plus que superficiels.

Ils habitent pour leur malheur des maisons basses, des maisons de branchages et de brins de laine. Il s'y enroulent infiniment, jeunes et vieux, sans pudeur.

Pour s'accoupler, ils choisissent une coquille d'escargot abandonnée, ou un tuyau de plomb. Ils s'emmêlent, le mâle désespère trouver le sexe de sa femelle. Elle accouche en se déchirant en deux. Dès la naissance, l'enfant d'F se traîne dans les longues dimensions.

Les F pensent que leur destin est de rejoindre la chevelure des étoiles filantes, où, croient-ils, il y aurait assez de place pour tous leur peuple. Et qu'il s'étire, enfin.

Les F affichent un caractère servile, veule, qui en fait des auxiliaires mineurs de la justice des peuples des lettres. Entre les mains du tueur, ce sont des garrots bruissants. Les amoureux dépités se passent la tête dans un tour de F et se laissent tomber. Mais qui est le plus triste ? du pendu ou de la corde sans fin qui lui serre le cou.

À la moisson, les F se glissent pour y dormir dans des sacs d'épeautre, invisibles et longs.
Personne ne peut prendre la main d'un F.

Une fois l'an, ils tiennent leurs élections, d'où sort un tyran qui doit se tenir droit toutes les semaines suivantes.


Les G

Trop près de la nature les G s’y pas embourbent. Un oiseau croise un G. Il rigole son rire d’oiseau, car sur le dos du G les plumes cohabitent les écailles. Les G même lorsqu’ils croisent leurs doigts ont un teint de marbre, et bourbeux, suintant l’acide qui coule de leurs yeux, fangeux, branche de l’évolution oubliée sous un fort soleil et des intempéries. Ils portent sur le torse des traces de doigts, leurs angles de nez sont flous.

Leur urine ils la répandent allègrement, hommes et femmes, elle fortifie la pousse des orties. Leur langage est encombré de terre, des vers nichent dans leur bouche, mais s’échappent en paroles mouches, dard en avant, leur langue est indistincte, un caillot de boue. Des bêtes disent certains, des bêtes à neuf doigts.

Ces G si animaux ont un talent en toutes saisons. Ils arrêtent tout, cessent de bouger, surtout leurs yeux, essaient de les cacher sous leurs minuscules paupières et ils, oui, voilà qu’ils se transforment en mousses, ils ne pensent qu’à cette chose avec leur langue pâteuse, ce sont des mousses, des mousses sur le sol ou bien le long d’un tronc d’arbre, leur corps s’est écoulé, s’est glissé dans les fentes de l’écorce, leurs cheveux sont tombés, leur masse toute entière s’est serrée en frisures de toute petite taille.

Ainsi personne ne les tient plus pour des enfants arriérés des autres peuples. Ainsi tout le monde s’accorde à les trouver très beaux, très décoratifs, plus G du tout. Mais quel effort. Ils ont peur, ils souffrent, la mousse transpire, et encore cette odeur d’urine sur leurs corps très plats tous ensemble. Les vieux G font des mousses magnifiques, humides et épaisses, mais quelle odeur, le pays des G se visite le nez bouché.

Ils chassent pour le manger un animal presque totalement disparu. Ils en vivent, de cette chasse impossible. Ils savent d’avance qu’ils ne trouveront pas, mais ils écartent d’un côté puis de l’autre, soigneusement, les fougères. Ils disent « l’animal a encore disparu, il est rusé, ils nous entend venir, nous qui sommes si lourds », mais non, à dire vrai, et ils le savent, cet animal n’a jamais existé.

Mais ils font comme si ils y croyaient, ils font ainsi en poussant des soupirs.

Le mot dieu n’existe pas dans leur langue. Ce n’est pas grave, ils parlent d’un animal. Ou ils se taisent.
Lorsqu’ils sont courroucés, ils retroussent leurs manches, qu’ils portent longues, et tendent les doigts pour tirer hors de leurs orbites les yeux de leur contradicteur ou de n’importe quel G qui vient à passer par là. A la veille des grands référendums, qui sont leur façon ordinaire de conduire les affaires de leur pays, les rues sont jonchées d’un parterre d’yeux dans lesquels jouent les enfants. Les petits de G sont jaloux de ne pouvoir imiter leurs aînés car leurs doigts sont trop courts pour bien cueillir l’œil au fond de son orbite.


Les H

Les H peuple des attirances et des exclusions. Ils ont développé un goût marqué pour la mise à l’écart des choses, et il leur en manque beaucoup suite à cette habitude. Lapins, chameaux et pierres ont disparu de leurs contrées. Aussi des idées comme l’ordre, la démocratie ou l’amour. Car ils ne différencient pas bien les idées des sentiments lorsqu’ils en ont.
Pour se déplacer ils se font rouler les uns les autres, ou voyagent à saute mouton. Et ils vivent dans des orbites collectives. Hiver tourne autour de Honte qui fait de même avec Hache…leur mouvement est géométrique, en même temps que très pressé.
J’ai travaillé avec eux à construire des murs, mais c’était très compliqué. Il fallait d’abord poser une pierre, la première, la faire tenir bien droite dans le vide, la faire tenir sur rien, et puis déployer les autres en spirale autour de la première, sans aucun mortier. Il n’y en a pas partout des pierres comme ça. Parce qu’en fait tout dépend du choix de la première pierre. Voilà tout. Il faut juste qu’elle soit assez H pour tenir, comme ça, en l’air, toute seule, posée sur elle même.
Ils lapident leurs criminels. Mais les bandits endurcis s’en moquent. Les pierres tournent autour d’eux sans jamais les toucher. Satané exclusion, disent les honnêtes gens dépités, satané monde où on ne peut même pas lapider proprement son prochain. Le délinquant est pourtant bien reconnaissable à toutes ces pierres qui tournent autour de lui et qui l’accompagnent où qu’il aille.


Les I

Les I tisserands, tâcherons de regards, les I dépravés lorsqu’ils jouent avec les filaments huileux de leur bave, les enroulent à des cadrans de bois, puis les font lentement sécher sur des feux de brindilles aromatiques.
Les I les plus malheureux cloués au lit et se tirant cils, cheveux, sourcils et poils pubiens, avec méthode, extirpant d’eux ce qu’ils peuvent de matière pour contribuer au grand écheveau commun.
Les I si précis. Leurs mains rapides à trois doigts. Leurs mains gantées et le pouce nu pour apprécier le passage du fil, sa vitesse, sa tension. Les I prompts à renouer le brin qui casse. Les larmes des vierges des I mystiquement idolâtrées. Les larmes qu’encourage toute la famille réunie d’un chuintement continu.
Les I rapides à la menace contre hommes, bêtes, éléments et rapides tout autant à pardonner, inconséquents quand à leurs émotions et obstinés à leur seule tâche.
Les I amateurs de technique, tournant et retournant les châssis fragiles, escortant des yeux les mouvements secs de la navette.
Les I qui cliquètent en assemblée, ne savent pas écrire autrement qu’en prenant dans leurs toiles les caractères, les lignes, les textes, et lisant ensuite leurs lois aux plis du tissu.
Les I qu’une pluie désespère.
Les I et leurs vingt mille (20 000) mots pour décrire la couleur. Mots que tout enfant d’abord apprend et récite et oublie et apprend derechef, il n’a le droit de parler à l’assemblée et à ses pairs qu’ensuite.
Les I conditionnés à saisir l’accroc avant même qu’il n’apparaisse.
Les I obtus à la fin et qui chassent les artistes, les poètes, n’acceptent des peuples des lettres que ceux capables de participer à leur obsession.
Les I marchent les yeux sur le sol, méfiants du ciel, effrayés par les étoiles.
Les I minotiers d’heures actifs.
Et des touffes d’herbes fragiles gardiennes des parenthèses du désordre.
Clame ses veines de I, bois d’humain qui grimace.


Les J

Eux les J envahis des stigmates d’une langue qui n’en finit pas.

Jamais je ne les ai vus actifs autrement que par la langue. Jamais autre chose en eux ne bougeait que la langue. Même se reproduire, ils le font dans le temps qu’ils parlent, ils procréent leur progéniture au long de la récitation, ils tournent les pages et se prolongent dans leurs petits. Jamais je n’en ai vu un non plus finir sa phrase, ou c’était alors pour tomber mort, langue encore tendue, gonflée, et les maxillaires doucement écartées sur ce dernier mot et aussitôt repris par un aspirant parleur et sa jeune voix alors qui sortait de l’enfance, alors cette parole.

Un J s’avance sur un gouffre, il saute, voilà, l’histoire qu'il raconte commence un nouveau chapitre. Et il vole ensuite dans les paragraphes, chaque signe de ponctuation le sépare de la mer tout en bas. Il lambine dans les verbes pour reprendre un peu d’altitude. Finalement, la mer, lassée, se retire. Le J est sain et sauf, et il s’en va raconter son aventure aux autres.

Les J faiseurs d’un roman par la bouche alors que d’autres peuples avec quelques mots seulement engendrent la panique. Tourneurs de paroles. Les J qui guérissent les affections mentales des leurs par la pratique des langues étrangères, mais rien de ce qui est langue ne leur est vraiment étranger, et chez eux bien d’autres peuples entreposent leur histoire. Et ce sont de grands stocks de faits significatifs et de chansons de geste séchant au soleil et aussi utilisés pour faire des bassins aux loutres, adorées suite à l’erreur de traduction d’un passage très confus du catalogue général du peuple des livres.


Les K

Semblables à la diversité des autres peuples, les K vont par paires.
Leurs yeux voient double, les miroirs s'y trompent, ce sont alors des K à l’infini qu’ils reflètent, ne parvenant à s’arrêter sur aucun.
Quelques paniers de rotin garnis d’anguilles reposent sur un coin de table, un K passe, plonge son bras dans les poissons, et voilà qu’il lui naît un enfant. Il babille. Personne ne s’occupe de lui. Ses yeux sont des yeux d’anguille. Pas d’autre peuple capable de cela. Engendrer un citoyen par la seule présence d’un panier d’anguilles. Heureusement les K habitent loin de la mer.
Les défilés des K à la belle saison indifférent les animaux dotés d’un peu de jugeote
A leurs moments d’activité les K font de leurs doigts des pots de terre.
D’autres crachent le feu. Il leur arrive d’éternuer leur flamme lors d’un dîner en ville. Quelques invités sont carbonisés et la police s’en mêle. Le plus souvent le suspect est relaxé. Il ne l’a pas fait exprès. Ce sont des choses qui arrivent. Le K maladroit suit le cortège funèbre de ses victimes. Puis reprend ses activités.
Ces cracheurs de feu assurent aussi la cuisson des pots modelés par leurs congénères. Certains sont maladroits, des milliers de pots restent tout poudreux sur l’étagère.
Un K émet parfois une idée inhabituelle. Ses voisins mis au courant le pressent à l’exil. Une nuée ensuite vient le prendre. Devenu nuage, tel est le châtiment ordinaire de l’originalité, son corps ne cesse plus de changer. Que n’a t’il pas limité son intervention à des banalités.
Les autres K manifestent leur regret pour cet enfant perdu. Ils placent sur sa tombe, une simple motte de terre, des pots.
Ils multiplient les expressions telles que « pot à l’air », « changer de pot », « atteindre le pot », « mettre un pot », « posé comme un pot », « le pot des ans assagit la nature ».
La maison ne se partage pas chez les K, chacun occupe sa niche, et dans les bois son terrier.
C’est un peuple assez conformiste. Il a aboli l’histoire, on ne sait jamais.


Les L

Un pays abondant en échardes variées, la plupart longues comme le bras, larges comme la main à leur base et ensuite très aiguës. Dans ce pays des L, on saigne énormément. On y passe sa vie en percements. Bien des jeunes enfants se retrouvent borgnes, ou manchots. La chair se marbre et se plisse. Les cicatrices s’étendent en tous sens.
Les amoureux s’entr’écorchent tendrement, se tuméfient. Certains en pleine passion s’égorgent l’un l’autre.
Une peine douce pour un meurtrier : l’empaler.
Avec les rameaux d’acacia, les L se font des gants.
Un père dit à son fils, ému, « dans mes bras, mon enfant », et le jeune se prépare à la mort, du moins à la douleur associée à cette bouffée de fierté paternelle.
Les juges, débordés, sont enclins à la clémence.
Pour converser avec les L, les autres peuples se tiennent à distance, et se pourvoient en bouchons de liège.
Les L sont réputés serviables.
Pour laver leurs plaies ils construisent de grandes fontaines de bois sur les places. L’eau y est claire. Au sortir de la vasque, il faut recommencer très vite.
Ils aiment aussi la pluie, qui nettoie leurs allées.
Les L excellent dans la statuaire éphémère et la sculpture. Leurs œuvres germent, poussent, se couvrent d’épines, évoluent, si vite parfois qu’un L en est avalé, inclus tout meurtri dans le chef d’œuvre. Il ne tente pas de s’en extraire, son gémissement se fait sourd, anime la statue de ses vibrations, et à l’automne, il tombe, ils se frotte le dos et part manger.


Les M

Un M, un seul M croise un N et il lui saute à la tête.
Aucune explication crédible à cela.
Le M veut tuer le N.
Les motifs de ce différent mortel étaient consigné dans un fort volume d’archives.
Un M les a utilisé pour tenter d’étouffer un N.
Il a échoué.
Mais les archives ont disparu.


Les N

Les N ne croient pas du tout à cette histoire de M et de haine définitive. D’ailleurs la majorité des N ne croient même pas que les M puissent exister quelque part.
Les N doutent.
De tout.
Certains sont retrouvés morts, et puis se relèvent. « je n’en croyais rien », commente le ressuscité.
Pas la moindre reconnaissance en paternité non plus. Ni en maternité. Cet enfant ? le mien ? impossible…déclare la femelle N, le ventre encore souillé de placenta.

Ils ont leurs fous.

Leur ingéniosité est grande. L’un prend un marteau, mais incertain de sa fonction, en fait un lampadaire, ou un appât pour pécher la baleine. L’autre marche, peu persuadé de la pesanteur, il se met à voler.
Les N auraient pu ainsi conquérir l’espace, mais ils ne croient pas aux étoiles.


Les O

Aux O un mot fut volé d'abord et puis l'ensemble des mots. Cependant ils ne cessèrent jamais de parler entre les hautes toiles dans lesquelles ils habitent.
Lorsqu'un O commence une phrase il n'est assuré des termes qu'il y mettra.
On a vu souvent un O partir comme pour se laver et en venir à labourer un champ ou faire avec ses sept doigts agiles une autre outre de toile pour y loger sa nombreuse progéniture. Car dépourvus des mots les plus simples, les O réinventent fréquemment les figures de leur sexualité pour s'assurer que cela du moins ils ne l'oublient pas.

La disparition des mots se fait à certaines saisons de l'année de façon irrégulière. Ce peut être le lundi ciel et le lendemain tous les Z qui s'évaporent, le jour suivant personne n'ose plus rien dire par peur du ridicule et de découvrir les limites encore étrécies de la langue.

Les O tourneboulés par ces phénomènes et menacés d'aphasie attaquent parfois les peuples voisins pour leur voler leurs lexiques. Peine perdue, un coup de vent, un mouvement des aiguilles d'une montre et les revoilà dépourvus.

Les O ont une gestuelle efficace, moulinets.


Les P

Ils portent l'uniforme d'une certaine icône, trouvée sur le mur d'une caverne. Leurs longs saluts portés à coups de pieds brisent parfois la tête de la poule imprudente qui passe.
Les P sont en quarantaine de tous les peuples. Leur terre tient ses assises sur une péninsule éloignée, ils y ont dessiné un long arbre généalogique qui se tord.

À la puberté, on leur emboutit une corolle d'acier sur le crane, le tranchant de leur main est trempé au feu puis martelé, un de leurs orteil leur est arraché et remplacé par une pointe de métal dur, enfin une formule magique glisse dans leur oreille, c'est un serpent et un déluge, leur marche s'en trouve rigidifiée, unilatérale.

Les P ne voient que d'un œil, l'autre est plein de plis.


Les Q

Le peuple des Q est voué à la mort. Ils vivent dans un espace très restreint agité de pulsations bleues. Un Q parle d'une voix qui vide et qui creuse. En parlant, il creuse une tombe, en mesure les bords, en ébarbe les angles.

Les Q ne vont jamais à l'église. Les religieux missionnaires de tout poil pullulent parmi eux. La mort vient si vite que personne n'est tout à fait converti. Quelques uns penchés sur un bol lapent une extrême onction.

Vous voudriez attraper un Q. Entre vos doigts son tissu volatile se fige, refroidit, peste un peu, et voilà, il n'est plus.


Les R

Ils sont partisans de la discrétion. Un R manifeste son passage dans une prairie par un brin d'herbe d'un vert plus soutenu que les autres brins d'herbe verts ou par un fil dissident dans la structure nécessaire d'une toile d'araignée.

Leur action ne ressemble jamais au désordre.

Une seule fois les R se réunissent, c'est alors un bouillonnement très perceptible au milieu du torrent, comme une nageoire fine. Celui qu'ils désignent en silence se manifeste au monde sous la forme d'un héros, ambassadeur des R dans l'ensemble des peuples visibles et bruyants.

Il rassemble dans ses poches toutes les velléités d'extraversion des siens et devient une figure légendaire pour les autres peuples, tout courage et coups de gueule. Plusieurs peuples des lettres disent descendre des R.

Leur magie est grande et ils la manifestent dans la couleur du ciel.


Les S et les T

S et T se partagent un territoire, avec équité. Ils poursuivent des buts similaires.
Leurs méthodes différencient S&T.

Au physique comme au moral, l’altérité les caractérise. Combien de mal à un S pour ne pas céder au matin à la tentation d’être autre. Quel effort fournit le T pour ne pas s’évacuer de l’espèce et prendre la place d’un buisson.

La terre qu’ils ont reçue se montre totalement plate. Une ride dans le sable fait sensation, les familles s’y pressent, certains y espèrent la neige, ce n’est pas raisonnable. Sur ce point, platitude maudie, S et T font preuve d’une remarquable concordance de vues.

Aussi ces deux peuples mêlés s’ingénient-ils sans cesse à créer des reliefs. Telle est leur grande activité. Ils y appellent en renfort tout talent propre à y contribuer. La pitié des visiteurs est telle qu’ils retroussent leurs manches, plantent un bâton dans le sol et se désolent. Des collectes régulières, mais collectes de montagnes, et le donataire inquiet se demande si son pic ne va pas lui manquer, finalement, il le réhabilite, pauvres S, tristes T. Actifs contre ce plat qui les agace, mais divergents quand aux solutions.

L’un des peuple détourne l’eau autour d’un point pour le constituer en île, l’autre s’en remet à l’agriculture, bientôt les plants d’ifs grandissent, les feuilles ne sont pas tout à fait des feuilles et les animaux meurent empoisonnés. Le berger se désole. Il faut inviter de nombreux convives.

Les deux peuples grimpent malaisément aux arbres avec leurs jambes palmées. Les S ont un seul bras pourvu de deux mains en son dernier tiers, l’une par dessous l’autre.

Je fus accueilli en ces peuples comme statisticien. Le travail s’effectue ici au moyen d’un élevage de criquets, mâles et femelles utilisés chacun pour comptabiliser un modèle de relief. Il faut se méfier des oiseaux qui faussent les comptes. Ou du moins leur tisser une muselière. C’est un travail de grande précision, d’autant plus qu’on n’y est toujours dérangé par des S inquiets des progrès des T ou des T soucieux de la multiplication des travaux S. Quel chantier. Je perdis mon poste pour avoir trop longtemps laissé ouverte la cage à criquets à un fourmilier de passage.

S et T vivent en bonne intelligence. Les enfants de mariages mixtes éprouvent quelques difficultés à la puberté, lorsqu’il leur faut eux aussi prendre la barre et la pelle. Certains, feignants, s’enfuient.


Les U

Peuple des livres.
Ils ont un livre ciel, un livre terre et des livres oiseaux, plus petits, coincés entre les deux, ou pris dans les pages de livres nuages.
Ils sont relieurs, imprimeurs et typographes. Certains fabriquent du papier. Entre leur côtes aussi, minces et souples, ce sont des pages qui battent, des lignes qui drainent le sang.
Ils font des livres avec des livres de papier et des livres d’encres issus du jus qu’ils obtiennent en pressant un livre séché entre deux livres en bois de moulin.
Ils soupèsent leurs mots entre les bras de grandes balances avant de les échanger, car ils font commerce de mots.
Ils aiment la lumière, ayant la vue faible. Chez leurs voisins, les facteurs de luminaires, ils s’approprient de nombreuses lampes et certaines vieillissent au milieu des bois. Une ampoule éclate parmi les herbes, elle provoque la panique. Ensuite des processions sont détachées, les morceaux de verre récupérés servent à produire des lorgnons.
Le feuilletage perpétuel des pages amincit leurs doigts au point qu’ils doivent les bander pour ne pas perdre la substance restante.
Lorsqu’ils sont ivres de mots, ils se taisent dans leur sommeil, ne se juchent plus les uns sur les autres.
Je les ai aidé à dresser un catalogue de leurs collections de volumes minces. C’était un travail sans fin. Comme ils ne savent pas compter, les livres sont classés en feuillet, mince, moyen et gros. Il existe aussi des livres infinis, mais je n’en ai jamais vu.
Le vent qui passe dans leur pays couvre la plaine d’un froissement bruyant, autant qu’une locomotive, frottement de l’écaille des caractères sur la page. Ces jours là, chez les U, on ne fume pas.
Je leur volais tout de même quelques ouvrages en les quittant. Deux semaines après le papier en pourrissait, il ne me resta qu’une reluire d’écorce..


Les V

Déroulés en silence, les V s’éparpillent dès qu’un indiscret tente de parler d’eux.
Ils ont affronté un monstre l’année dernière. Pas un seul n’en réchappa. Depuis leurs enfants vivent heureux.
A leur sujet les mots deviennent mensonges.


Les W

Désordre aux prémisses du matin lorsque le W se lève. Accumulation du désordre, elle même désordonnée. Les aiguilles de son réveil sont tombées et se sont perdues dans le capharnaüm qui orne le sol, ou encore elles se sont nouées, cessant de se sentir aiguilles les voici chameau, les voici rivières. Un crucifix parfois a remplacé le réveil. L’heure ne revendique plus la ponctualité, et les cloches ne sonnent pas, le sort les transforma en soupières, un W y prend son bain, plié. Des bulle de sang passent dans l’air, on s’y accroche, on se précipite.

Le W engendre l’entropie. L’indistinction. Le W franchit une frontière, elle se tord, elle s’effondre, des pointillés se marquent à sa place, finalement, ils s’en vont former plus loin un banc de poissons.
Le W traîne derrière lui des cris de colère, il s’en moque, les mots ensuite se font chant, puis dessin d’ocre, et encore colifichets ou cathédrales.

Les murs de leurs maisons sont composés de casiers, car les W sont collectionneurs. Des critères de classement variables caractérisent les tribus des W. Certains se consacrent aux objets courbes, d’autres aux façons d’attirer les oiseaux. Tous engrangent quelques maisons dans les casiers de leurs maisons. Tous s’essaient à recueillir leurs semblables en bonne place dans l’une de leur séries. Un W très riche a même compté dans ses collections une forte fraction de la population. Il finit dans les cases d’un collectionneur de riches. C’en fut fini de ce scandale.

Les arbres aiment les W qui font se mélanger leurs feuilles. Dans les forêts sur le passage des W un grand tremblement d’orgasmes sous l’écorce retient le passant.


Les X

Bras croisés les X - Peuples à ne rien faire mais goûter l’amertume volcanique qui les transformera en cendres.
Ils avaient d’abord le choix entre toutes les terres, étant un peuples très ancien. Ils ont atteint celle des roches chaudes, des éruptions, gage d’une prompte circulation et de moissons épaisses.
Leur énergie alors commença à se figer, leur mouvement coagulait, leur fine jeunesse pétrifiée laissait tomber des lambeaux d’idées. Ils s’accrochaient aux sols. Ils se sont progressivement écrasés les uns contre les autres.

Un gribouillis sur la falaise, croyez vous ? bien plutôt un village de X.

Il pleut un volcan, l’humeur grésillante et grasse des laves saisit un X, les bras toujours croisés.
D’autres X, survivants, s’en viennent, relèvent la coque de pierre qu’incruste leur contemporain, y font un trou par lequel injecter une pâte de ciment, ensuite brisent la croûte avec délicatesse. Des outils dans leurs poches s’entrechoquent, des outils à ne rien faire. Extenseurs de secondes, colles à heures, glu à nuages.
Cet X là, ensuite aligné au fil des allées dissidentes est aussi respecté que ses semblables de chair. Les petits enfants lui offrent parfois des fleurs ou l’affublent d’un vieux manteau. Une prochaine éruption le noie dans le sol. Sur sa tête les lents véhicules à X transhument, et ces bras croisés partout, et cette poussière chaude.
Peuple recouvert d’un feu gluant. Question brisée, jamais tranchée et attendant ensuite une autre couche de roche poreuse.

(d’après Jean Tardieu)


Les Y

Définitifs et interminables Y, résignés Y sertis de robes noires. Peuple dépouille, sans sexe, administrateurs scrupuleux du droit de naître - impossibles.

Commis du cadastre des terres des lettres.

Y pleure, les pages du code sous ses coudes se mouillent, les fibres de la loi gonflent.

Rien d’accroché sur la terre des Y. Une profusion de fontaines, des lacs, ici un château d’eau, là un barrage, entre, des esquisses de champs, et des villes abandonnées, des restes de récoltes, des excréments d’industries ; du lierre, beaucoup trop de lierre, qui rampe sans jamais pousser.

Dans l’eau une pierre « ci gît Yllogique qui perdit l’air dans la marche au marais ».

Mais quel marais. Agitons une tige et ce sont cent, mille Y précipités dans les algues. Entassés partout, pas plus de mille milliards par branche, tout de même, et une défiance.

Le poisson, l’ennemi, aussi celui dont la large bouche sert de refuge devant un danger plus pressant, avant de se faire avaler, on est à l’aise, mais on a peur.

Presqu’effacé sur le château d’eau « Terres Yrascibles », ils se massent les Y, leur nombre ferait éclater les montants n’étaient tous les madriers disposés au cours des âges pour arc-bouter le voisinage.

Pour les Y pas de compromission possible, hormis creuser des canaux et pour cela inutiles.
Ensuite chaque volume d’eau est taxé, des tatouages en forme de timbres sont attribués. « il a payé son corps d’eau » dit le gendarme des Y, et il sonne sa trompette marine.

(merci Apollinaire)


Les Z

Plus loin les Z. Encore plus loin, ce qui les obsède. D’abord impossibles à distinguer tant ils s’allongent et se morcellent, scindent leurs corps, se poussent se tirent.

Des véhicules partout. Une plume. C’est un cheval à Z. Lourd, maigre, il essaie. Il plante une graine et attend que l’arbre pousse, il finit juché sur une branche, poussé sous le sol par une racine, mais : bouger.

Un Z, un autre, glisse dans la boue, accroche une pierre au fond, attend la dérive des continents. Toute possibilité de mouvement vaut.

Z lacère ses membres, se collecte en lambeaux, noue son bras avec sa jambe, y ajoute une poignée de cheveux, des côtes enchevêtrées, le voici échelle de lui même, il ne reste plus qu’un de ses pieds pour y monter.

Une bombe explose. Dans l’air bousculé passent des éclats, vêtements et crevasses, un Z s’est essayé à la pulvérisation locomotrice.

Il gèle, les Z ont peur. Le froid, le ralentissement, l’eau des ruisseaux se fige, les Z se suicident en masse « plus la peine, non, plus la peine si l’eau ne coule plus ».

Un oiseau pond un œuf. Un Z a laissé son pied sous le nid, il voit les siens s’éloigner et enrage. Cependant plus tard, sur le dos de l’oiseau, sans doute, mais plus tard, trop tard peut être, tant le Z immobile se veut éphémère.

Et ces dunes sur leur terre que le vent pousse, alluvions, plastique du paysage.

Sans scrupule Z monte sur le dos de Z et lui de cet autre. Ça n’en finit pas, la pile devient arc, des champignons poussent, tant mieux, la prolifération des germes ne se fait elle pas vers le sud, elle aussi

Leur voix, ils la parlent pour souffler sur leurs ailes partielles. Leur respiration, ils l’économisent. Ils accumulent dans l’espoir d’un souffle propulseur.

Un peu moins marquées de cette manie, les femelles Z s’arrêtent pour mettre bas. Mais malheur à l’enfant qui ne marche pas assez vite, sa mère lui vole ses jambes, et s’enfuit en courant.