L.L. de Mars - Quelques prières d'urgence à réciter en cas de fin des temps

L.L. de Mars

 

Quelques prières
d'urgence à réciter
en cas de fin des temps

 

éditions les Rêveurs

Mars 2009

De ces « Quelques prières...» , les visiteurs du Terrier ont pu voir une partie des planches telles qu'elles sont présentées à l'index « Identité Nationale » ; les lecteurs du Fusées N°13 avaient pu en découvrir d'autres entre un dossier sur Cummings et un autres sur Oskar Pastior, accompagnées de prédelles colorées. Ceux de CQFD avaient également à deux reprises, en doubles pages dans leur journal, pu observer la genèse de ce travail sur les discours colons et l'imagerie coloniale étendue (étendue à tout ce qui, dans le jeu des représentations, fait colonie) et en déduire que décidemment on trouvait n'importe quoi dans leur canard.
Rien ne laissait présager qu'on voit publié un jour ce récit complet, si on s'en réfère à l'accueil franchement hostile ou méprisant que lui faisaient les éditeurs (voir l'article de P.D.J. dans Le Portillon), jusqu'à ce que « Les Rêveurs » relèvent le pari éditorial et décident de faire, enfin, de ce livre un livre, quittes à disparaître avec lui corps et biens.

« Prières » est désormais un grand ouvrage de 80 pages d'un beau papier épais couché, de 24 centimètres par 33, sous une couverture souple à larges rabats. Il est accompagné du texte qui ouvrait à la lecture de ses extraits dans la revue Fusées, texte que vous pouvez lire ci-dessous.

Vous pouvez le commander pour la somme de 15 euros, sur le site de l'éditeur ou, bien entendu, le trouver chez votre libraire habituel pour peu que vous soyez homme d'habitude, et même dans une saloperie de FNAC à la con si vous haïssez la vie en général et les libraires en particulier.

« Quelques prières...» a été placé sous copyleft, ce qui veut dire que vous pouvez le copier, le diffuser, en faire des kébabs pour peu qu'ils soient également sous copyleft, c'est-à dire soumis à la Licence Art Libre que vous trouverez ici.

Du coup, pour les plus fauchés d'entre vous, il est même possible de le télécharger presque intégralement (aucun procédé technique ne permettant pour l'instant de changer en bits le papier couché et la colle) en pdf ICI.

« Ce qu'il y a de passionnant avec les universaux, quand on a commencé à y prendre goût, c'est qu'ils colmatent toutes les fuites de sens et réparent tous les accrocs logiques dont ils prétendent être les dépositaires ou les représentants ; il faut voir la place de la Cité chez Léo Strauss pour y croire ; ça c'est du caméléon où je ne m'y connais pas, bordel : il lui cause pour qu'elle ne l'entende pas, à la cité, il lui confie LE secret dans une langue à elle illisible mais à elle quand même vouée. C'est étonnant, non? Il livre à domicile, à la Cité, hein!, sa vieille amie imaginaire!, le message mystérieux avec le code des Cators Juniors en sus gratoche. Tout ça est possible bien entendu parce que La Cité, telle qu'en parle ce zozo, hé bien ça n'existe pas. Ça n'existe pas plus que Leo Strauss en costume de philosophe : vous l'avez vu passer le philosophe Leo Strauss? Il a mis son beau burnou de sage pour faire de la figuration à Hollywood. Le Platon dont il nous parle n'a pas de masse chez Strauss, c'est un personnage de Walt Disney, allégé et enfantin. Tout çe est tellement stupide et light qu'il n'ya a rien d'étonnant à ce que ces imbéciles de libéraux le trouvent si lumineux et si bon pour la ligne mince de leur santé intellectuelle. »
entretiens avec Joachim Clémence

Quelques prières d'urgence à réciter en cas de fin des temps

Superman n'est pas écrasé par la Montagne Bénéfique qu'il est et il garde l'appétit ; relier le Mal du point 1 aux suivants pour arracher à l'essaim indistinct la figure d'un désastre planétaire ne conduit pas l'Ennemi Absolu de tous les héros à sa propre dissolution ni à celle de l'histoire par laquelle nous devons être édifiés. Indistinctement, les incarnations de la Maladie, de l'Angoisse, de la Cruauté, du Secours, du Désordre ou de l'Amour ne craignent ni le terrassement ni le délire. Romanciers et cinéastes les font d'un seul membre et d'une seule idée, mais, étrangement, ils vivent et accomplissent. Au mieux, ils ont des petits soucis de cravate ou des angoisses sans angoisse que calment indifférement un baiser, une bonne branlée reçue ou donnée. Les universaux dont ils sont les incarnations n'ont pas cillé, baisers et branlées sont également des abstractions géométriques. Et surtout, la page trois suit assez la page deux pour engager correctement la quatre et les suivantes jusqu'au dénouement. Voilà encore le plus curieux, cette stabilité du récit aurait de quoi surprendre le moins névrosé des lecteurs. Cette année, aucune Cosette n'a fait un pas de côté pour une glace à la fraise ou une heure de Doom like, parce qu'elle n'avait qu'un chat à fouetter et un malheur à tenir. Aucun Mabuse n'a dérogé au mal en renâclant un peu à assassiner pour un soir, et les documentaires comme les chroniques de S.F. ont rempli leur cahier des charges pour nous guider jusqu'au temple raisonnable où l'arithmétique est un arbre. La maison est bien tenue, notre sommeil, en quelque sorte, est assuré.
J'ai d'autres projets pour vous conduire à regarder depuis l'endroit où je regarde. Il semble que mon récit s'effondre à chaque page ; mais c'est un miracle que tous les autres récits ne s'effondrent pas sous le poids des universaux qui collent aux semelles des créatures monodimensionnelles les animant ou les traversant! C'est un miracle que ces créatures ne finissent pas elles-mêmes en bouillie sous ce poids! Dépassés, mes personnages le sont avant même d'entrer en scène, le poids de leur mission fait craquer leur charpente ; ils ont un squelette à peine assez solide pour conserver leur parole intacte. Essaient-ils de quitter les rails, d'élargir leur champ de vision, de se soustraire à la poisseuse magie blanche dont toutes les parties du monde sont des colonies ou des sites touristiques, de saluer ou de rugir dans la langue d'un autre, de gratter la couche de craie qui barbouille les fétiches nègres dans les musées et rend illisible toute écriture prétendant à l'information, qu'ils emportent dans leur mouvement de recul les cadres des vignettes, les noms des figurants, les caractères typographiques, la trame déjà bien faible qui organise leurs déplacements et même les pauvres moyens par lesquels nous aurions pu espérer les comprendre.

Malheur aux récits qui veulent nous instruire mais dont l'instruction obstrue toute l'image, dont le désir de nous dire quelque chose fait écran au dessin. Hé bien c'est une médecine pour musaraignes. Un récit limpide devant l'énormité illisible du monde est un récit chétif. Un récit unilatéral est un trahison devant la multiplicité des voix qui désorganisent les rêves de puissance et de filage linéaire du monde. Un artiste n'est pas un commentateur du monde ni un journaliste, s'il vous enmène en guerre, ce n'est pas en reportage mais dans la barquasse crevée sans nom qui dérive entre les mots «anodin» et «menace».
Devant les universaux, il n'y a guère de choix, il faut courir loin : le lyrisme insulte les victimes et rend flous les contours des brutes, toute tentative pour vous émouvoir vous invite à oublier, aussi rapidement que vos larmes ont séché.
L'insondabilité, l'opacité, l'inintelligibilité, l'absence de raccourcis, sont seuls à la mesure de l'étendue que j'aimerais vous faire traverser, qui n'est pas plus vraie que le monde mais pas moins vraie que toutes les vies humaines perdues dans les mauvaises histoires; ces «quelques prières d'urgence à réciter en cas de fin des temps» ne sont pas vouées à remplacer les récits exemplaires mais à les rendre mous sous vos pieds et ridicules dans leur prétention au point de vue. Cette instabilité grotesque est la garantie que nous ayons affaire à une histoire vraie.

 

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