Interview

L’avocate du principal mis en examen de Tarnac, Irène Terrel,
estime que la procédure «à visée politique» est «en miettes».

Recueilli par GAËL COGNÉ

Irène Terrel est l’avocate de Julien Coupat, en détention provisoire depuis le 15 novembre. Le juge de la liberté et de la détention (JLD) a ordonné la libération de l’homme que les enquêteurs présentaient comme le leader d’un groupe terroriste. Une ordonnance bloquée in extremis par le parquet. L’avocate revient sur l’affaire de Tarnac.


Vendredi, le JLD a ordonné la libération de Julien Coupat. Pourquoi ?


Après la remise en liberté de Gabrielle, Manon et Benjamin [co-inculpés, ndlr], le 2 décembre, j’ai demandé que Julien Coupat soit interrogé rapidement pour pouvoir réclamer sa mise en liberté avec une chance d’être entendue. Le 12 décembre, il a vu le juge d’instruction. J’ai immédiatement déposé une demande de mise en liberté qui a été accueillie favorablement par le juge. C’est tout à fait normal puisque la détention provisoire doit rester exceptionnelle. Or, Julien Coupat avait toutes les garanties de représentation.


Pourtant, il n’est pas libre.

Non, car le parquet a déposé un référé détention. Une procédure exceptionnelle. On est dans l’exception de l’exception. Ce n’est pas acceptable. Il ne faut pas confondre prison préventive et poursuite de l’enquête. Il y a beaucoup trop de personnes emprisonnées. Le réflexe du parquet et souvent du juge est d’incarcérer. Il faudrait au contraire vider les prisons. En utilisant ce référé la veille de Noël le parquet bloque la libération. Je trouve cela très mesquin. Tout le monde sait très bien que Julien et Yldune (sa compagne) vont sortir. Je n’accepterai pas qu’il soit maintenu en détention provisoire. J’userai de tous les moyens de droit. On déposera des demandes de mise en liberté, sans jamais se décourager, jusqu’à ce qu’ils sortent.
 

Vous avez vu Coupat hier, comment est-il ?

Très serein. Il analyse tout ça, lit la presse et se voit un peu dépossédé de sa vie. Je crois qu’il aura envie de dire ce qu’il pense de cette affaire, de se défendre avec ses mots à lui, avec son propre rapport à l’existence, tel qu’il le vit et le conçoit depuis des années, et la prison n’y changera rien. Il n’est pas satisfait car il a un sentiment d’impuissance. Mais ce n’est pas quelqu’un qui panique, parce qu’il a les outils intellectuels pour affronter la situation. A cet égard, il sait bien qu’il est un prisonnier privilégié.
 

Quatre personnes ont d’abord été libérées sous contrôle judiciaire, puis trois. Pourquoi ces libérations au compte-gouttes ?

Il y a clairement eu une instrumentalisation judiciaire. Même si cela aurait dû être le cas, il n’était pas imaginable que tout le monde soit libéré dès le 15 novembre. La justice était enfermée dans le discours antiterroriste, prisonnière en quelque sorte de ses propres instruments. Le jour des interpellations, il y a eu une violation de la présomption d’innocence de la part de la ministre de l’Intérieur, lors d’une conférence de presse, alors que les perquisitions n’étaient même pas finies. Puis, pendant les gardes à vue, la phase théoriquement la plus secrète de l’enquête, on voyait apparaître des éléments dans la presse. Enfin, il y a eu le point presse du parquet à l’issue des gardes à vue. Imaginez, quand le lendemain les interpellés ont été présentés devant le juge. Tout était plié.
 

Malgré tout, un peu bizarrement, le parquet a demandé que quatre personnes soient placées sous contrôle judiciaire.

Bien sûr, s’il s’agit de terroristes, c’est une forme d’incohérence. Mais cela participait de la construction intellectuelle d’un «noyau dur», avec un chef [Julien Coupat, ndlr]. On plaque son propre schéma sur des gens qui pourtant ne sont pas du tout dans l’organisation verticale, hiérarchique. Tout cela a été abondamment relayé par les médias en confortant les accusations. Des photos de Julien Coupat ont été données. Or, la famille n’en a jamais divulguées. Le rapport de la sous-direction antiterroriste (SDAT) a été communiqué sur Internet, alors que les avocats n’avaient pas encore eu copie du dossier. Ce rapport, c’est la thèse de la SDAT, forcément à charge. Encore une violation évidente de la présomption d’innocence. Il y a des noms, des adresses. Symboliquement, ce qui se passe dans ce dossier est très grave. La justice a été dépossédée de tout et des gens ont été traînés dans la boue.
 

Depuis le début, vous dénoncez la qualification de terrorisme.

Elle est déjà tombée dans les faits : neufs «terroristes» vont se trouver en liberté. Juridiquement, cela va suivre. Il y avait une procédure à visée politique et c’est un échec. La procédure est en miettes. Les choses se sont dégonflées. Les gens de Tarnac ont réagi, solidaires des interpellés dont on a ainsi découvert la vraie vie, qui n’avait rien à voir avec le terrorisme. Puis sont venus les politiques. Ils ont mis longtemps avant de se décider. Le terrorisme n’est pas un thème porteur. C’est la société civile qui a été la plus solidaire. Cela ne m’étonne pas. Car si ce type de procédures devient possible, c’est parce que les politiques ne sont pas assez attentifs aux violations, hélas quotidiennes, des droits élémentaires. Enfin, des responsables de la SNCF ont dit qu’il n’y avait aucun danger pour la vie humaine. Les faits reprochés sont une «dégradation en réunion». Cela ne s’appelle pas du terrorisme. De surcroît, rien n’est établi. C’est un nouveau concept : une incrimination «préventive» bâtie sur du vent. Julien Coupat, le soi-disant chef terroriste, a été libéré vendredi par un juge. Les faits parlent d’eux-mêmes, non ?