Michel Onfray s'est fendu d'un article sur l'affaire de Tarnac dans le Crapouillot ; l'article est ici.


 

On pourra se demander ce qui a bien pu pousser Onfray à écrire cet article-là, dans ce journal-là. J'ai eu beau retourner la question dans tous les sens, je n'ai pu imaginer qu'une raison à ça :
persuadé d'incarner quelque chose comme le seul philosophe capable de sortir la philosophie de son cadre institutionnel (ce qu'il fait effectivement en la sortant de son cadre philosophique-même pour l'emmener en promenade à Brocéliande), ou Dieu sait quelle foutaise décorative de cette farine, il sent menacé l'empire sur ce qu'il croit être son territoire.
Qu'il soit en vérité la pièce d'une mécanique médiatique parfaitement dispensable pour philosopher en dehors de la machine, que ce mouvement soit entamé depuis longtemps, indifférent absolument à son babillage cool quintessentiellement prof-copain, tout ça ne peut qu'échapper à ce fatigant.
Et si quelques signaux indéchiffrés par Nietzsche-pour-les-nuls émettent tout de même assez pour lui signaler de la pensée loin de son fauteuil, Onfray sort sa griffette. Persuadé que les vivants de Tarnac sont au moins aussi incapables depuis la taule où ils croupissent de lui renvoyer ses pensums au visage que les morts auxquels il tresse habituellement des couronnes, il attaque vaillamment. Et il donne des conseils de lecture. Onfray donnant des conseils de lecture aux rédacteurs de Tiqqun, c'est - comment dire? - c'est assez troublant.

Pour qui s'est accompagné un jour vers Nietzsche par Klossowski ou Bataille, la perspective d'y être conduit par Onfray fait ressentir le terrible vertige de l'anodin. Quelque chose comme une leçon de musicologie par Michel Legrand. Un steack bien cuit après des années de tartare. Pauvre bête. Pauvre Nietzsche. Pauvres auditeurs d'Onfray.
Pour quiconque tient la philosophie pour autre chose que la minute de design intellectuel d'une soirée culturelle entre vieux cons bien peignés, il est mille fois plus excitant de faire part de son horreur de Heidegger aux heideggeriens de Tiqqun que de partager une demie-seconde son amour de Nietzsche avec Onfray. Il ne fait illusion qu'auprès d'un auditoire n'ayant jamais ouvert un bouquin de philo, implicitement encouragé à se tenir dans cette paresse par le ronronnement radiophonique de la version pop, sympa et performante d'une bibliothèque. Onfray la remplace avantageusement.

S'il y a une chose qui vient immédiatement à l'esprit en lisant cet article, c'est que Onfray s'est épargné la lecture de « L'insurrection qui vient » comme celle des deux numéros de Tiqqun. Il avait une bonne raison à ça. Il savait d'avance vous pensez bien ce que ça contenait ces conneries ; on la lui fait pas à Onfray*. Mais qu'est-ce qui a bien pu le laisser imaginer qu'il savait à quoi il avait affaire? Une odeur familière du papier? Une rime trop riche? Un rêve? La paresse infinie de cette presse culturelle avec laquelle il fait corps en laissant supposer par cette association-même qu'elle a ses franges, que ses franges seraient le lieu de formulation possible de sa critique? Le lieu possible de l'insurrection Onfray dans un joli pantalon.
Mais Onfray n'est pas l'en-dehors qu'il rêve de la vulgarité, du prêt-à-penser, il s'anéantit avec elle dans le redoublement qu'il en propose : accroché à sa ceinture, il est garant lui-aussi de l'absence affirmée de toute extériorité possible ; ce serait beaucoup trop lui accorder que d'en faire la balise de l'impensé ; au mieux voici le gardien de la bibliothèque municipale qui aura mis sa cravate de travers pendant les heures de bureau. Il resignifie le périmètre mythique d'un plateau intégralement arpenté au-delà duquel rien ne serait : autour du monde, la chute libre, le vide.
Un comité invisible, comme auparavant un Organe conscient du Parti Imaginaire, ne saurait penser quoique ce soit. Leur absence du champ où broute Onfray en fait nécessaire le bruit parasite du néant. La vieille parabole de la chèvre et du météore en somme.

Onfray prend, devant la proposition deleuzienne qu'un philosophe est un inventeur de concepts, l'air méfiant du gars qui a mûrement réflechi à la question et que la prudence conduit à écarter cette formulation. C'est dommage mais non vraiment, je vous assure, c'est pas ça. Le temps pris à y réfléchir aura juste été nécessaire pour évaluer le risque de dissolution immédiate d'un Onfray à y acquiescer. Il est prudent devant Deleuze Onfray. Il fait bien. Ce corps-là bouge encore trop pour lui ; les lecteurs que nous sommes n'ont pas fini leur travail de vers et c'est encore trop de vie qui traverse. Car Onfray ne se place qu'à la hauteur des morts. Vous avez bien lu : j'ai dit des morts, pas des philosophies des morts, mais bien à la stricte profondeur des tombes elle-mêmes.

Au fait, que nous dit-il, Onfray, dans ce billet salissant? Il nous dit que ce n'est pas bien de déranger les usagers quand on sabote ; selon son manuel à lui, c'est carrément mal. Onfray, c'est la révolution avec le sourire des gendarmes, c'est péter sans bruit ni odeur chez belle-maman, c'est Ninietzsche sans drame à la table de votre employeur. C'est, en somme, la révolution philosophique avec France Culture de 19h à 20h après une bonne journée de travail.
Tout Onfray dans cette chronique : révolté, brillant, profond, courageux.

L.L. de Mars


* Dommage qu'il ne cite pas les sources qui lui donnent une telle assurance devant les faits, d'ailleurs : il a l'air encore mieux informé que le gouvernement qu'il fait tellement trembler à la radio sur la culpabilité avérée des encagés de Tarnac. Il a peut-être pas eu le temps de lire non plus les journaux. (retour)