NOUS SOMMES VISIBLEMENT
DANS LA MERDE

Comme c'est crevant, démoralisant, vain, de se répéter au moins une fois par mois, à chaque nouveau coup porté par l'actuel gouverneur de la Franconie à la liberté individuelle : « une nouvelle étape vient d'être franchie ». Une étape vers quoi? À ce stade de descente dans la boue, ça n'a plus aucun sens d'établir une vague gradation ; je suppose que c'est un réflexe de défense de ma part, de notre part à tous, pour ne pas se dire : « mais on y est déjà. Jusqu'au cou ».
La seule prochaine étape sans doute, sera celle où je me retrouverai en taule. Qu'aurai-je fait pour en arriver là? Mais rien de spécial. Siffler la digue du cul peut-être, allez savoir... Pourquoi aurais-je besoin de faire quoi que ce soit de spécial? Ce que sont les inculpés de Tarnac, ce que nous sommes,  c'est infiniment plus inquiétant, semble-t-il, que ce que nous pouvons bien faire. Car se poser la question est accréditer la prétention à la justice des types encagoulés qui viennent de sauter sur le village de Tarnac pour signifier sans ambiguïté à ses habitants que l'impuissance muette est la règle devant le pouvoir. Il n'y aura pas d'autre règle désormais. La descente est amortie par un matelas de merde au dernier sous-sol. Dans la bêtise, la lâcheté, la paranoïa, la brutalité.

Une dizaine de jeunes gens sont désignés comme une entité politique qui n'existe pas (« anarcho autonome ». Qui pourrait dire ce que ça peut bien signifier, hein, « Anarcho autonome »?. Pour en causer sérieusement, il faudrait lire des livres ; mais il nous est justement signifié que c'est fini de lire des bouquins dans lesquels « anarchistes » ou « autonomes » seraient autre chose que les motifs vidés comme des slogans d'une chansonnette de droite).

Ils sont accusés sans preuves et arrêtés. Les faits incriminés relèvent du sabotage ; ils sont désignés, pourtant, sous le nom de terrorisme pour justifier la fin du droit pour les accusés. Commence ici le domaine de l'exception. Ah ah, on va les faire pisser trouille les petits babas de la Corrèze. Ici, les mots perdent leur sens. Le sabotage devient du terrorisme*. Un livre disponible en librairie depuis un an devient un bréviaire anarcho-autonome. Une bande de potes, un groupuscule. Un comité, une cellule. La machine à écrire paranoïaque n'a pas été changée depuis longtemps par nos modernes libéraux, c'est étonnant pour des parangons de modernité.

Le meilleur pour la fin : la presse dont ce gouvernement vicié, agressif et inique est le ventriloque, reproche à ces jeunes types avec le sale petit ton hautain qui lui est coutumier d'être des bourgeois. Ils se sentent tout finauds de l'avoir trouvée celle-là, les journalistes. Je ne sais pas comment vous dire, mais il y a — outre le fait que seul un imbécile au dernier degré ne peut pas imaginer que l'on se fasse le critique de sa classe — quelque chose de définitivement cocasse à lire des plumitifs confits dans la langue bourgeoise (celle qui essentialise le langage et traque la vérité dans les dictionnaires), dans la morale bourgeoise, dans les modes de vies sismographiquement plats bourgeois, dans l'analphabétisme politique bourgeois et dans le mauvais goût bourgeois de ses publications bourgeoises (c'est-à dire bêtes, sans imagination, puritaines, hideuses, vendues et douillettement et innocemment et décorativement criminelles), oui, il y a quelque chose de vraiment désopilant dans le psittacisme journalistique de ces bourgeois pointant le paradoxe apparent que jouerait un de leurs enfants — que dis-je? un de leurs frères — à vouloir jeter aux orties la règle du jeu.
Sans doute ne supportent-ils pas que leur soit signifié ceci : contrairement à ce qu'enseigne la morale bourgeoise (et la psychiatrie franconienne), la condition n'est pas héréditaire. Ils n'ont donc aucune excuse à être restés, eux, les idéologues de leur coussin.

L.L. de Mars - 19 11 08


CHERS VISITEURS DU TERRIER, EXPÉDIEZ-NOUS VOS DESSINS ET TEXTES
ÇA NE RALENTIRA SÛREMENT PAS LA FIN DU MONDE, MAIS VOUS AUREZ LE SENTIMENT GRATIFIANT D'AVOIR SIGNIFIÉ VOTRE REFUS D'Y CONTRIBUER

 


 

*Lisons la prose du Point, ça se passe de tout commentaire, les amateurs de flou artistique apprécieront les dix jolies couches de filtres qui atomisent tout espoir de trouver du sens dans la moindre de ces allégations : « Comme il s'agit d'un dossier de terrorisme, la police peut encore prolonger les interrogatoires jusqu'à samedi, afin de trancher sur la mise en cause des personnes interpellées. Les suspects ont été placés en garde à vue, non pas dans le cadre de l'enquête sur les dégradations sur le réseau ferré ouverte lundi après quatre actes de malveillance constatés samedi, mais dans celui d'une enquête préliminaire diligentée en avril dernier pour "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste" visant la mouvance anarcho-autonome et portant plus généralement sur leur participation supposée à un activisme violent. Cette enquête vise "les activités d'un petit groupe de jeunes gens versant dans la contestation violente", notamment lors de manifestations à Vichy le 3 novembre dernier ou à Thessalonique, en Grèce, début septembre. La police disposerait aussi d'éléments établissant des liens entre ce groupe et diverses violences ayant suivi l'élection de Nicolas Sarkozy en 2007 »