Ta gueule, la mouette !

Voilà, ça aurait dû suffire. Court, direct, clair, percutant et avec le clin d’œil qui s’impose.
Et pourtant, ça ne suffit pas. Je suis sûr qu’un petit crobard avec quelques gamins poussant ce cri vengeur à la face des dangereux qui se mêlent de décréter ce qui est bon pour nos enfants, ça serait plus efficace. Mais je ne sais pas dessiner. Pas du tout.

Moralement tenu d’exprimer mon indignation, qui est sans borne ; ma colère, qui est grande ; ma détermination à ne pas la fermer. Mais avec seulement un clavier à ma disposition. Sans le talent d’un Philippe De Jonckheere pour aller avec.

Lancer à cette saloperie de mouette le tombereau d’injures qu’elle mérite, ça soulagerait, mais à quoi bon ? Démonter par le menu la stupidité crasse des censeurs, leur mauvaise foi éclatante quand, au prétexte de défendre l’enfance, ils cherchent à imposer aux adultes leurs propres fantasmes malsains, ça va tourner au pensum et vous n’apprendrez rien que vous ne sachiez déjà. D’ailleurs on n’apprend pas grand-chose en ce moment, si ce n’est que les réactionnaires, que ce soit en matière de politique, d’art ou d’éducation, ont le vent en poupe. Et même ça, ça fait un certain temps qu’on est au courant.

Cavanna (François, l’écrivain ; Bernard, le musicien, est un des meilleurs compositeurs vivants que je connaisse ; vous aurez au moins appris ça), Cavanna donc, a écrit à peu près tout ce qu’on pouvait écrire sur la censure hypocrite « au nom de la protection de l’enfance », qu’il a subie avec Hara-Kiri il y a 35 ans. Mais il y a 35 ans, la censure a finalement perdu. Il y a 20 ans, face à la menace d’interdiction de « Gai-Pied », Globe avait publié un numéro avec, pleine page en Une, un sexe en érection. La censure a encore perdu. J’ai acheté Eden, Eden, Eden de Guyotat parce que je savais qu’il avait été interdit à sa parution. Ce n’est pas une raison excellente, mais la censure avait perdu.

À vrai dire, il ne s’agit plus exactement de censure ici (puisqu’on attaque une exposition qui a fermé ses portes depuis 6 ans), mais d’un procès. Et pourtant, même rétrospective, je crains que cette fois la censure n’ait gagné. Les artistes, directeur de musée et organisateurs de l’exposition stigmatisée encourent des années de prison ferme. Même si, comme on peut l’espérer, ils sont finalement relaxés, qui prendra la responsabilité, le risque, d’organiser une autre exposition sur un sujet, disons, sensible ? Il est déjà à peu près admis, dans notre époque où Dieu est revenu à la mode (autre aspect réactionnaire, évidemment en lien avec ce qui précède), qu’on ne pourra plus tourner de films comme « la vie de Brian » : victoire de la censure. Ce n’est sans doute qu’un début.

Il y a 21 ans, Paris-Match a fait un chiffre d’enfer en publiant en Une la photo d’une fillette colombienne en train de mourir. Cette photo complaisamment étalée en devanture de tous les kiosques pendant une semaine représente pour moi l’étalon du voyeurisme sadique le plus révoltant, le plus dégradant. J’y pense à chaque fois que j’entends parler d’internautes interpellés pour avoir regardé des images pédophiles, j’y pense à chaque fois que je vois un exemplaire de Paris-Match chez mes beaux-parents ou dans la salle d’attente du médecin.

Contrairement à Hara-Kiri, Globe ou Gai-Pied, Paris-Match existe toujours, dans sa formule qui gagne. Une interview pour Paris-Match de la présidente de « La Mouette », défenseuse des petits enfants, serait dans l’ordre des choses.

Oui, je sais : « ta gueule la mouette », ça suffisait…

Coq’s

dessin de L.L. de Mars