L'ex-directeur du CAPC-Bordeaux
mis en examen pour une exposition

Une âme d'enfant dans un slip Dim ™©®

Henri-Claude Cousseau a été mis en examen le 15 novembre pour le contenu de l'exposition «Présumés innocents. L'art contemporain et l'enfance» qui s'était déroulée au Centre d'Art Plastiques Contemporain de Bordeaux en 2000, alors qu'il en était encore le directeur1. C'est l'issue d'une longue procédure entamée par la plainte d' un père de famille choqué — plainte retirée par la suite — poursuivie par l'association La Mouette qui se porte partie civile dans cette affaire. Son motif : la diffusion de messages violents à caractères pornographiques ou contraires à la dignité accessibles à un mineur.

Sur son site, La Mouette entoure l'enfance dont elle prétend garantir le bonheur d'images douceâtres et écoeurantes faites d'animaux souriants, de fleurs éteintes et de dessins édulcorés jusqu'à la disparition, de musiquettes niaises et archaïques. Cet univers de médiocrité, de hideur rose et molletonnée vous rendrait idiot le plus éveillé des enfants si par malheur il y était enfermé trop longtemps (heureusement, le vrai monde pourvoit en antidote contre ces fadaises); il suffit pour s'en persuader de voir à quel état de bêtise et d'ignorance2 sont condamnés ceux qui décorent cette bonbonnière ; mais leur horreur de l'âge adulte ne les préserve pas, contrairement à ce qu'ils imaginent, de l'égal dégoût des enfants, car il faut beaucoup haïr sa progéniture pour lui souhaiter d'être gelée à l'état de promesse dans cette confiture, pour lui interdire de grandir.
Il faut croire que le titre de l'exposition n'était pas encore assez clair pour nos vaillants défenseurs des prisons sucrées, car c'est cette tartufe parodie d'enfance elle-même et l'abus litanique de ses références à l'innocence qui y étaient en jeu. On doit alors supposer que l'état idéal d'innocence est celui qui précède l'apprentissage de la lecture.

La diffusion quotidienne de l'obscénité politique — où se mêlent le mépris des plus démunis et des plus faibles, la haine des étrangers («L'antisémitisme est la seule forme de pornographie autorisée en Allemagne» disait déjà Goebbels), l'arrogance des dominants et l'autosatisfaction des brutes qui protègent leurs intérêts — provoque moins d'émoi. Mais c'est vrai que cette obscénité-là se fonde sur des valeurs. Ces valeurs morales — celles de la droite, celles qui ont empêché Alain Juppé de mêler son saint nom à cette exposition — ne choquent pas la Mouette qui sait que la censure passe par elles, que ce sont les derniers refuges politiques dans lesquels l'art n'est au mieux qu'un instrument de propagande pour le pouvoir en place, au pire le lustre de la vanité des hommes de pouvoir eux-même. toute cette boue est déversée quotidiennement entre deux publicités pour des barres chocolatées et un cartoon crétin gueulard par la Baby Sitter Bouygues. On doit supposer que tout ça laisse les enfants intacts.
Mais laissons un instant de côté cette redéfinition de l'obscénité et de la dignité — qu'il faudra pourtant bien faire un jour — , et posons-nous cette question : que se joue-t-il de si particulier dans un musée pour provoquer cette agitation judiciaire?
On ne peut que s'inquiéter lorsque la sphère juridique vient à s'étendre jusqu'à la sphère artistique qu'on prendrait à tort pour une sorte de terreau de la culture où les oeuvres n'attendent que de s'articuler dans leur devenir pédagogique ou ludique avant de pourrir dans les livres d'histoire. L'art est indifférent à son devenir culturel, les oeuvres nous invitent à nous grandir avec elles, pas à entériner l'ordre du monde et de la cité : elles nous ouvrent à la complexité, à cette réflexion salutaire interdite partout dans le monde marchand où la publicité assigne un sens fixe à chaque image, ou elle transforme toute parole en slogan. L'art travaille à notre incertitude et nous écarte des mensonges de la simplicité.
Le monde marchand ne porte évidemment aucune réflexion sur le mensonge sur lequel repose les obsessions pédophiliques3 de notre société, puiqu'il l'érige au contraire en modèle pour vendre des couches, des yaourts et, désormais, des babioles high-tech destinées aux adultes.
Observons un peu nos contemporains que les fesses de bébés n'offensent jamais quand elle tapinent légalement pour Nestlé : étrange créature civilisée qui ne supporte plus la vue des miches de sa propre progéniture en dehors d'un cadre marchand, étrange créature maniaquement hantée par la figure du pédophile ; étrange également son biotope, où les médias bêtifient dans une parodie d'enfance criarde et liquoreuse toute activité humaine, dont les dirigeants infantilisent les adultes, les grondent, les menacent, leur parlent comme à de parfaits demeurés...
Hé bien voilà ce dont les oeuvres d'art peuvent nous détourner : de ce culte effrayant d'une enfance qui n'existe pas, rose, innocente, asexuée, à fossettes, pure ; et c'est de ce détournement coupable que ce procès veut punir les artistes a priori (car si les coups tombent cette fois-ci, la jurisprudence sera assassine) : une autre parole sur l'enfance et également sur l'art.
Les systèmes totalitaires affirment plus puissamment et plus visiblement que les autres (voir le programme culturel du F.N. à ce sujet rafraichit la mémoire) une fonction exclusivement utilitaire de l'art qui est d'exalter les vertus du régime; hé bien ce procès nous instruit sans aucune ambiguité de la nature à la fois marchande et totalitaire de la société qui se maille pas à pas contre nous.
Un petit conseil, grenouilles de droite qui érigez la protection des mineurs parce que l'un d'entre vous a vu une bistouque prépubère qui l'émoustille : n'envoyez pas votre marmaille au musée où elle n'a rien à foutre4 et où elle ne sera jamais tranquille ; les décollations de Gentileschi pourraient vous donner des envies de procès contre Les Offices et Dieu sait à quelle extrémité procédurière ridicule vous conduiraient les petites vulves dessinées il y a un siècle par Von Bayros et les pénicules excités de Félicien Rops et de Magnus Enckel. Qui vous a fait croire que c'était la tranquillité qu'on allait chercher au Louvre ou qu'on barbotait en famille sans risque au Musée Picasso? Si vous voulez sortir dans l'état même où vous êtes entrées, allez à Disneyland.

 

L.L.de Mars


1. Voir articles de presse ci-dessous pour de plus amples détails

2. je m'en réfère aux déclarations confuses des représentants de La Mouette sur l'art qui pourraient établir les bases d'un nouveaux Dictionnaire des Idées Reçues.

4 . Ce maquereautage, et bien d'autres aspects de la nature profondément pédophile de notre société actuelle, éclairent l'espèce d'inquiétante chasse aux sorcière qui brandit un invraisemblable Père Fouettard pédophile dès que l'occasion se présente; cette figurine outrancière, si éloignée de la réalité des faits (la consommation des gosses en famille) n'est que le miroir des obsessions de notre société infantilisante. Lire à ce sujet les fameuses interventions du psychanalyste Serge André, comme dans ce très bon texte « La signification de la pédophilie »

4. Si on en croit l'article du Libé du 17 11, L'avocate de l'association La Mouette qui est à l'origine de la plainte a la bêtise de déclarer : « Nous devons faire un procès. Pour ouvrir le débat : est-ce que l'on peut tout faire en terme d'art lorsque cela concerne les enfants? » en dehors du fait qu'on voit assez mal en quoi un procès est un mode d'ouverture de débat, il serait bon de rappeler à cette bande de zigotos que tout cela ne concerne pas les enfants. Que rien ici ne concerne les enfants.
Hélas, les curateurs et artistes ayant eux-mêmes concouru pendant trop longtemps à faire admettre l'idée que l'art était non seulement l'affaire de tous mais celle du divertissement de tous (Voir le dossier « Un artiste peut-il travailler avec l'institution? Non »), comment s'étonner qu'un politique puisse se croire dans un musée ailleurs que dans un parc d'attraction?
La seule réaction saine de la part des artistes serait dès maintenant de ne produire que des oeuvres outrancièrement obscènes pour dérouter toute possibilité de légiférer sur un terrain où le juridique n'a rien à faire; au lieu de quoi les domestiques de la marchandises repassent les plats aux marchands dans ce Palais de Tokyo qui n'est que la vitrine du toc et de la quincaille.


LE MONDE | 18.11.06 | 13h55 • Mis à jour le 18.11.06 | 13h55 BORDEAUX CORRESPONDANTE

[...] Une enquête judiciaire avait été ouverte le 23 octobre 2000 à la suite d'une plainte concernant l'exposition "Présumés innocents - L'art contemporain et l'enfance", organisée au CAPC de juin à octobre 2000. Six ans après, le doyen des juges d'instruction de Bordeaux, Jean-Louis Croizier, reproche à l'ancien directeur du musée d'avoir contribué à montrer des oeuvres à "caractère pornographique, violent, portant atteinte à la dignité de l'enfant", selon les termes d'Annie Gourgue, présidente de l'association La Mouette. Cette association d'Agen, active dans la protection de l'enfance, s'est constituée partie civile après le retrait de la plainte d'un père de famille "choqué" par l'exposition.
M. Cousseau est poursuivi pour deux infractions : la diffusion de messages violents à caractère pornographique ou contraires à la dignité accessibles à un mineur et pour la diffusion de l'image d'un mineur présentant un caractère pornographique.

Les deux commissaires de cette exposition, Marie-Laure Bernadac, aujourd'hui conservatrice au Louvre, et la critique d'art Stéphanie Moisdon-Trembley, sont convoquées début décembre à Bordeaux. Selon leur avocat, Me Emmanuel Pierrat, elles pourraient être mises en examen pour les mêmes motifs. "Une grande partie de ces oeuvres sont aujourd'hui sur les cimaises de musées du monde entier, constate l'avocat, perplexe. Il faut croire qu'il y a une exception culturelle à Bordeaux."
La plainte déposée en 2000 visait aussi vingt-cinq artistes et leurs créations sur les quatre-vingts invités par l'exposition, et non des moindres : Annette Messager, Christian Boltanski, Mike Kelley, Cindy Sherman, Tony Oursler, Nan Goldin, Marlene Dumas, Gary Gross, Carsten Höller... Malgré des commissions rogatoires nationales et internationales - qui expliquent en partie la lenteur de l'instruction - aucune oeuvre n'a été récupérée par le juge d'instruction. "Il n'est pas question de porter atteinte à la liberté de l'artiste, souligne Me Christine Maze, le conseil de Mme Gourgue. Nous nous basons sur le terrain de la protection de l'enfant qui doit être considéré dans un débat global. Si l'exposition avait été réservée aux adultes, on n'aurait pas porté plainte. Dans ce cas précis, les précautions prises n'ont pas suffi à protéger les mineurs."
Selon la direction de l'époque du CAPC, des précautions avaient bien été prises pour permetttre au public d'éviter les oeuvres les plus dérangeantes : des scènes filmées de masturbation, des dessins faussement naïfs connotés sexuellement, des animaux dotés de sexes humains... L'exposition a enregistré 24 000 entrées, dont celles de 1 550 scolaires. Mais ce jeune public suivait un itinéraire adapté dans l'exposition. Seuls deux professeurs sur les quarante-neuf écoles élémentaires se seraient plaints. Les créations les plus crues étaient installées dans un pièce fermée avec, souvent, un gardien à l'entrée et, systématiquement, un panneau d'avertissement, assure le CAPC. Un message était mis en évidence à l'entrée du musée. [...]

Claudia Courtois


Libération du 17.11.06

L'exposition intitulée «Présumés innocents ­ L'art contemporain et l'enfance» fut exceptionnelle. D'abord parce que cet événement, au musée d'Art contemporain de Bordeaux (le CAPC) du 8 juin au 1er octobre 2000, a réuni 200 oeuvres de 80 artistes de renommée internationale autour du thème de l'enfance, dans un ensemble très réussi (lire ci-contre). Ensuite parce que, quelques semaines après la fermeture de l'expo, une association agenaise de protection de l'enfance, la Mouette, a jugé nécessaire de porter plainte contre les organisateurs, les artistes et jusqu'aux organismes prêteurs des oeuvres, les accusant d'avoir présenté des «images très violentes, à caractère pornographique» . Enfin, parce que six ans plus tard, à la surprise générale, le parquet de Bordeaux vient de mettre en examen Henry-Claude Cousseau, à l'époque directeur des musées de Bordeaux et aujourd'hui directeur de l'Ecole nationale des beaux-arts de Paris (lire ci-contre). Les deux commissaires de l'exposition, Marie-Laure Bernadac et Stéphanie Moisdon-Tremblay, sont convoquées à Bordeaux le 19 décembre et pourraient également être mises en examen.



Henry-Claude Cousseau doit répondre de «diffusion d'images à caractère pédopornographique» , et de «corruption de mineurs par exposition de documents portant atteinte à la dignité des enfants», délits passibles de 75 000 euros d'amende et trois ans de prison. La plainte, déposée fin 2000 par l'association la Mouette, faisait suite à l'indignation d'un père de famille choqué par la violence de certaines images. En particulier par une vidéo de l'Autrichienne Elke Krystufek dans laquelle, affirme la plainte, l'artiste autrichienne filmée par sa mère se masturbait avec un concombre avant de se coudre le sexe. Ce que démentent formellement les organisateurs. «On ne peut pas faire voir à des enfants des images pornographiques, morbides ou malsaines, car ils n'ont pas le recul pour les analyser» , s'insurge Annie Gourgue, présidente de la Mouette. Elle dénonce autant l'accessibilité du site à tous les publics, que la «mise en scène» de mineurs dans des représentations crues. «Le corps d'un enfant est évidemment beau, mais pas s'il est exposé dans des images à caractère sexuel» , poursuit-elle. Au total 25 oeuvres d'une dizaine d'artistes sont pointées du doigt. Des commissions rogatoires internationales ont été lancées lors de l'ouverture de l'information judiciaire, afin de les rassembler après l'exposition. En particulier, des enquêteurs se sont rendus à Vienne chez Elke Krystufek, où aucune pièce incriminée (photos, vidéo) n'a pu être retrouvée. Signalétique. Les artistes eux-mêmes pourraient être inquiétés. « Nous souhaitons un procès, affirme Christine Maze, avocate de l'association. Pour ouvrir le débat : est-ce que l'on peut tout faire en terme d'art quand cela concerne les enfants ?» Durant les quatre mois qu'a duré l'expo, une signalétique de mise en garde avait pourtant été affichée à l'entrée du musée. Pour les dizaines de classes venues en visite, le personnel avait imaginé un circuit permettant de contourner les documents «sensibles» . Parmi les 70 témoignages d'enseignants recueillis depuis, seuls deux ont émis des réserves. Pour les autres, l'appréciation est enthousiaste, louant la pertinence des questions de société soulevées. Alain Juppé, le maire de Bordeaux, avait refusé de participer au vernissage, interdisant à son adjointe à la culture de s'y déplacer. [...]


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