À
bas la pub, la manipulation télévisuelle, cessons
de consommer et soyons utopistes.
Bon. D'accord.
Justement, ça faisait un moment que je me demandais comment
être au plus près de mes choix de vie. La lutte n'est
déjà pas si simple : lutter contre une valeur absolue
du travail - qui ne se préoccupe ni de la nature de celui-ci,
ni du désir du travailleur -, lutter contre la féminisation
comme rançon de la maternité et essayer de rester
maître de sa vie alors que le nombre de drogues et d'hypnotiques
proposés pour se libérer de ce putain de fardeau de
libre arbitre se multiplient...
La décroissance, le journal des casseurs de pub, propose
des modèles (hélas souvent un seul, proche du mode
hippie) : tu fais ta farine à l'ancienne et tu gardes ton
ordinateur et ta machine à laver pour une indépendance
bien méritée, mais sans voiture ni télé
(cf: «Agnès, tendre vers un idéal» , La
décroissance numéro 20) ; dans ce monde il existe
aussi une entreprise de type communautaire où chacun s'essaye
à toutes les tâches pour plus d'égalité
: «travailler autrement, vivre ensemble» (cf. «Bois
au chapitre» La décroissance numéro21). Sympatique.
Mais quels compromis faire, et surtout, ai-je envie d'en faire?
J'ai une voiture. Pas pour aller travailler pour gagner l'argent
pour avoir une voiture, mais pour ne pas me priver des beautés
picturales européennes qui m'enrichissent et m'aident à
vivre. Et je refuse d'engraisser la sncf (cf:. Le chemin de travers
de Madeleine Morel, collection de l'huile sur le feu, l'insomniaque.
Toute la collection mérite le détour).
J'ai un ordinateur. Là aussi, problème : pollution
à long terme à sa fabrication et à sa mort
; même s'il a été monté avec des pièces
de récupération et continuera à fonctionner
avec le minimum d'éléments neufs voire aucun (un écran
nous a coûté 2 euros chez Emmaüs : mais s' il
a fallu le récupérer sur une pile de composants en
vrac, on peut imaginer, pour chaque écran jeté, un
écran neuf acheté au prix fort).
Enfin, j'ai une carte banquaire. Ça me permet de n'insulter
que des machines et de ne pas trop assassiner guichetières
agressives et pompistes serviles qui ne font que leur boulot ; ils
ont sûrement une vie encore plus pénible que la mienne.
Ma question est : dois-je renoncer à tous ces privilèges
racoleurs offerts* par mon monde capitalisé et technologisé?

Casseurs de pub, un pavé dans la gueule de la pub (Parangon/L'aventurine)
donne cette réponse : il faut privilégier le développement
intérieur pour échapper au flux consommatoire. Je
décide donc le compromis. Ce livre explique pourquoi la télé
c'est mal et la pub pas bien, ce que ceux qui l'achèteront
savent déjà. Les autres, les plus concernés
par ces dangers, leurs yeux glisseront dessus. Comme toujours -
sauf rencontres accidentelles - chaque discours ne peut s'adresser
qu'a celui qui est prêt à l'entendre. Et ça
peut prendre du temps. Enfin... si j'écris ceci, c'est que
je crois encore qu'un grain de sable peut enrayer la machine, et
je ne veux surtout pas prendre le risque de vous priver de certaines
bonnes idées du livre : par exemple, renvoyer les 18 milliards
(par an) de pubs de nos boîtes aux lettres à la poste,
avec la mention «refusé, courrier non sollicité»,
sans affranchissement, c'est mieux.
Ou encore porter plainte contre les sponsors publicitaires à
l'école.
Plastiquement, je n'ai rien à redire : le livre est largement
illustré (peut-être aussi pour que nos chères
têtes blondes puissent y avoir accès même après
décervelage intensif et précoce), et très bien.
Parodies d'affiches et Bds, souvent assez ingénieuses et
très belles. Mais une certaine complaisance dangereuse s'y
insinue : se référer à une pub précise
et la détourner, implique de la connaître, aide à
son incorporation, et renforce son action en la présentant
par le biais le plus populaire : le rigolo.
J'ai fini par voir des émissions ou des pubs que je voulait
fuir sous leur forme parodique : cela me semble le plus sûr
moyen d'ancrer ces merdes dans nos ciboulots si conditionnables.
Avec mes élèves j'ai fait une expérience :
leur faire singer la télé, non-stop, et toute la télé,
moi je zappais. En en discutant ensuite avec eux, j'ai compris que
cela ne les rendaient pas critiques (c'est pourtant ce que je leur
avais demandé : une parodie, une moquerie), au contraire.
La moquerie rend sympatique, et ces enfants (entre 6 et 18 ans,
plusieurs groupes, ville et campagne) ne faisaient pas la différence
entre émission réelle et parodie d'émission,
habitués qu'ils étaient a recevoir les deux de façon
concommitante et sur le même plan. Pire, l'émission
était d'autant mieux acceptée qu'elle était
moquée. Leur passe-temps favori : se moquer - justement -
des chanteurs préfabriqués, de la dernière
pub à la mode, donc, avoir une excuse pour s'adonner corps
et âme à la télé. Et à la méchanceté.
Durant cette parodie, les participants aux jeux et aux shows étaient
martyrisés, ridiculisés, humiliés ; alors que
je m'en étonnais, ils m'apprirent qu'«en vrai c'était
pire». J'ajoute à cette parenthèse personnelle
que j'ai eu bien du mal à leur expliquer ce qu'était
une parodie, tant tout est servi sur le même plateau, pareil,
égal, les jeux et émissions coupent les pubs, mais
le tout est pris dans un flux continuel abrutissant (cette continuité,
d'ailleurs, leur avait échappé : ils se sont rendus
compte, dans ce jeu, que la télé ne s'arrêtait
jamais).
J'ai souvent eu l'impression que les casseurs de pub employaient
les méthodes de leurs ennemis : matraquage statistique, déjà
présent dans le journal Décroissance ( «20%
de la population mondiale consomme 80% des ressources de notre planète»),
tutoiement, slogans et même verlan (carrouf, tébé)
- procédés racole-jeunes -, démonstrations
oiseuses ( comme la reconnaissance publicitaire à l'évocation
de quelques mots ; on obtiendrait les mêmes résultats
avec une chanson, une table de multiplication etc... oui, l'être
humain est très conditionnable, ça ne démontre
que cela, et pas en quoi ce conditionnement-là, celui de
la pub, est plus néfaste qu'un autre).
Mais patience, on avance d'un pas à chaque page ; l'envie
nous prend de faire circuler les affiches (cf: culture toxique,
par exemple), d'envoyer les pétitions, de barbouiller les
panneaux publicitaires de nos rues et de jeter nos télés
; plutôt bon signe.
J'ai noté de très bon articles, notamment «La
pub contre l'esprit de révolte» de Paul Ariès
(et tous ses autres articles, d'ailleurs) qui devrait être
obligatoire pour le bac de philo mais ne peut pas nuire dès
la maternelle (vous verrez qu'un enfant est influençable
dès 6 mois et prescripteur d'achat dès 2 ans ; or
tout parent est conditionnable par son enfant dès sa naissance,
avec un pic correspondant au 2x de l'âge auquel ses propres
parent l'on eu), ceux d'un Philippe Laporte très en forme,
et, à ne pas manquer, «Les vecteurs de l'idéologie»
de François Brune.
Attention, âmes sensibles, les articles sur l'automobile et
la pub à l'école font froid dans le dos ; détendez-
vous en lisant une charmante fable : «La boîte à
bonheur», et vous verrez qu'on ira tous au paradis (si vous
avez une impression de familiarité, c'est que vous êtes
conditionnable, pensez à autre chose).
Tout ça ne remonte pas le moral, ne donne pas de solutions
clé en mains, mais donne une impression d'unité dans
la cause, même si les raisons et les capacités d'analyses
des chroniqueur sont très différentes.
Ça me rappelle cette manifestation contre la brevabilité
des logiciels, à Bruxelles, où chacun aurait pu s'étonner
des raisons (éthiques, technologiques, économiques...)
de la présence des autres ; informaticiens, artistes, écologistes
(parfois les trois), et bien d'autres encore qui voyaient là
le début de dérives plus graves. L'important était
que nous étions tous là.
Bref, si un rapprochement est possible autour de certains objets
(manipulation, pollution visuelle, sonore, biologique, qualité
de vie...), alors une résistance peut s'organiser.
Denis Cheynet nous livre quelques historiettes, basées sur
de bonnes idées, mais bien trop démonstratives et
desservies par un style désastreux. Il faut les lire, ne
serait-ce que pour imaginer ce qu'elles auraient pu donner écrites
par un autre. J'essaye, comme il le préconise, de rêver
; de rêver un monde où je ne lirais plus «Il
faut du courage pour accepter le monde tel qu'il est» ou «Ouah!
C'est super! répond Joël. Je voterai pour toi»,
un monde où tous, nous aurions les moyens les plus appropriés
pour dire et transmettre au plus près nos idées et
nos sentiments (ce qui qui n'a rien à voir avec le monde
sans reste - sans parasite - de la communication), avec tous les
risques qu'implique le poids de la parole (mais peut-être
l'humain ne saurait-il préparer, saisissant alors l'horreur
de chaque parole réifiée).Utopiste?
Alors espérons ( cf. l'article Utopie).
Denis Cheynet a l'art du slogan (dommage), mais l'intention est
bonne ( dommage) d'où une impression de discours paradoxal.
Le brut de coffre et les statistiques lui réussissent mieux
que le dialogue, mais après avoir beaucoup tempêté,
j'ai pardonné : après tout, je n'attends pas moi non
plus qu'on examine ici mon style mais bien que l'on saisisse un
peu l'intérêt du livre et ce qui m'a conduit à
en parler (c'est vrai que je me fend d'un article quand j'aurais
pu photographier la couverture, et ça, ça reste un
mystère à élucider ; pourquoi essayer de vous
convaincre que ce livre là, il faut l'acheter - et surtout
l'offrir aux 12/18ans - alors qu'il y a pleins d'autres livres,
films et instruments chirurgicaux que j'aime tant?)
Tout d'abord ce livre est épais, ce qui peut toujours servir
à se défendre (cf. «Vos papiers!» et toute
la collection L'esprit frappeur).
Ensuite, pris dans le flots continu des agressions bêtifiantes,
on ne voit plus rien, ou plutôt, on ne sait plus ce que l'on
voit... Des cochons anthropomorphes ravis de se faire déguster,
des poules qui dévorent leurs œufs : l'homme cannibale.
Les publicitaires font appel à nos plus bas instincts, on
le sait, mais ça ne choque plus personne (ce qui me paraît
redoutable).
Alors, attention aux effets secondaires à la lecture de ce
bouquin : tous les objets quotidiens vous agresseront de leurs marques
criardes, votre cuisine vous paraîtra cauchemardesque, surtout
si vous avez une progéniture accro.
Il me semble important de tenir compte de ce qui conduit à
cette demande d'hypnose collective.
La télé berce. Dans la solitude, l' angoisse, la misère,
il reste un signal, une lumière, un bruit, un phare. C'est
toute une société qu'il faut changer, des humains,
donc. Les changer un à un. Moi la première.
Après tout ça, alors que j'avais prévu de revoir
La ballade de Narayama, j'ai dû compulsivement me faire deux
jours de télé, avec les pubs, et une après-midi
de soldes à la galerie marchande. C'était plus fort
que moi. J'avais besoin de me salir.
Je suis ressortie avec une boîte de petits pois à la
main, sans marque.
Même si vous avez décidé de cesser de consommer,
moi je vous dis que s'il y a un dernier achat salutaire à
faire, c'est celui-là (15euros, bons libraires), tout plein
de jolies couleurs et de trucs à expliquer aux enfants.
C.de Trogoff ( une ancienne toxico qui se soigne malgré les
rechutes)
*enfin pas vraiment : tout cela se paye, et ne pas posséder
certains bidules modernes peut rendre la vie si compliquée
qu'ils en deviennent quasi obligatoires.
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