Transcription : Marie-Valentine Martin
Relecture : C. de Trogoff

Femmes (l'été noir)

Action poétique n ° 39 - 4ème trimestre 1968

I

écume
           de l'appui

l'été
grains noircis

ville blanche
où les femmes cachent la cicatrice

quelle peur ? —
la mer bouge ses pointes de feu



II

la dune affleure
l'aile s'éboule
                  résorbe l'arc

les femmes presque
nues écartent
les moquettes

l'été noir
les feuilles
              ne suffisent plus

l'arbre épuise ses branches
l'arbre harasse sa flèche
                               élargit

l'ordre du cillement


et les femmes devant elles
comme si l'on ne pouvait
                                  que voir



III

la plage d'équinoxe inonde
un cri sec
jachère folle du sillage

les femmes baignent
dans la flamme du marais
douces entre les nœuds du serpent

été l'eau
décompose les épieux
la nuit s'affaisse dans la poussière creuse

quelques nuages
                       entre les racines blanches
la sève fendue

et dans la lumière l'autre clarté
hisse ses antennes
ventre révulsé
feu agile dans son message de cendre

femmes livrées
à la puissance de l'arbre
jetées impossibles
la lande précise
                     retend
                              le sein



IV

soif       latérite
sève basse du coup de feu
midi attire les pins
les pierres
              reçoivent

l'ombre

talus informes comme un achèvement

les femmes conscientes de leur gorge
pénètrent dans l'été
le vent caresse l'écorce
                                 la perche

atteint l'algue

les feuilles se détachent dans les lèvres
l'arbre boucle
                  l'invisible rapace




V

ventre soyeux
et l'immense science verte de la mer
qui lave le sable

e l l e s traversent
les vitrines
respirent dans la transparence des glaces
hyènes vagues
entre les îles fendues
caressent l'étoffe
la ruine
longent interminablement
       belles
fantômes de fleuves
perdues
dans l'apparente fascination des robes
expertes aux doigts longs si peu
       leurs yeux
gravat libre
où passe le ciel



VI

fourche blême
éclair des jambes prémonitoires
                                         cascades
une femme arrêtée
s'oriente
            lumière obscure

surveillance de l'arbre invisible
corniche
elle voit
           la nuit détruite
la ligne pâle des lances
                               sa solitude
invente la chair
                     de l'image
où se dispose la sagesse rétive
d'un sein haut

c'est l'ombre qui ouvre
l'abandon des lianes
le vent
          l'aisselle
les plantes nubiles désertent
                                      la carte

équilibre éclaboussé l'arbre
soude
une faiblesse de l'affût



VII

cimetière assailli
troncs solaires
ligne verte du torrent comme
se déchire une couleuvre

lumière d'oiseaux l'angle
                                crépite
arque la source
                     l'arbre prend
sa distance

fenêtres hautes ouvertes
Blois ce souvenir
l'eau sombre
le troupeau frappé

la racine seule
                   lasse la fronde
dans la lumière la mort
                              au dos de givre
les femmes
                 plongeuses appliquées
                 le long des façades
le glacis
          détone
                 une feuille
                            roule dans l'arbre



VIII

toutes les femmes sous l'époque du ciel
le bronze
l'eau ferme du sein
obstrue le fleuve l'ombre
quitte l'été
               avec la lumière
coquille
défaite
         le plomb pâle
                          force
                                le cerne

une femme s'accoude
ferme l'ombre



IX

soleil les sèves verticales
la branche faible
                       saisit
la mort invisible
delta distrait où floconne la mer
les haies mortes conduisent la fumée
à la dalle d'écailles

femmes
nuits coupées
dans leur route patiente

la pierre transparente encombre l'arbre
la rive découle la menace de brindilles

eau
eau de feu
               l'arbre vient
                             à bout
calcaire
          solitude
                    pâleur de l'insecte
la cendre glisse
                    dans l'arbre infini
la chasse impensable
                           tumuli
                                   galop
dans la lumière des jambes
la très mince brûlure du filet



X

mer déjetée long phare
quelques fruits
la chaleur
la mort intacte
l'arbre tombe sur sa coquille

murs blancs
où manque la peur

le regard des femmes
tourne la rosace des bateaux descendus
la jambe
allume son réseau de plaies

desserre
             sa nasse de mouette




XI

sur la membrane tendue ombre
fuyante
          de digitale
                       le ventre
organise la défaite des caravanes

défection du temps
dans l'insu

l'espace
les pierres rouges
pores sombres du feu

les femmes marchent comme des inventions
déplacent
             le palimpseste
                               savent
la veine invisible des statues

aussi en elle la pâle statue
                                    cherche
dans le mauve
                 le dégoût du fruit
                 dans un retard de plumes

quelquefois à la grille des parcs

la mer
obscurcie dans la flamme





XII

la mer croît dans l'orbe
vide
tatoué d'impossible

l'eau se dédouble
l'élancement éteint ses marges

la jambe anxieuse
                         enfonce
la barre des oiseaux

contre
         la cloison rouge
         le vent
                   cède

voûte douce des femmes
                                 immortelles
mortelles
dans la pâleur des cerceaux

nuits ouvertes
                   que rien ne blesse plus