Dossier textruction

Texte inédit
Transcription Marie-Valentine Martin, relecture C. de Trogoff et L.L. de Mars.

a) Michel Vachey dans

TEXTRUCTION

C'est par la langue (comme ordre et violence) qu'une société s'institue, en en faisant du même coup une institution. On comprend alors qu'elle soit ce formidable objet fétiche qu'on ne transgresse qu'à l'intérieur d'autres conventions (publicité, langages des mandarins ou des marginaux, etc) qui ne mettent pas en péril les CODES qui informent cette société, par lesquels elle se vit = se rêve à son insu. La société bourgeoise, qui prend ses libertés de langage pour la liberté de pensée et celle-ci pour la liberté et la pensée, tolère la publicité et sa machine à phantasmes qui lui renvoie son image, tolère les exhibitions d'une avant-garde essoufflée, la phraséologie-gadget des révolutionarismes, tolère tout pourvu que ne soit pas mise en cause sa convention scripturale: son écriture officielle qui véhicule sa névrose et ses mots d'ordre. Agir sur/dans la langue, c'est subvertir l'instance sociale dans ses structures les plus résistantes, participer à l'action en cours qui veut faire du travailleur un producteur responsable.
La division littérature/peinture, aspect de la division du travail, n'est légitime que dans une certaine mesure: elle entérine dans le mélodrame dualiste occidental deux orientations codiques: celle qui va vers la lettre, celle qui va vers l'image — refoulant la dialectique matérielle et la totalité de l'inscription. Il s'agit de pratiquer un retour à ce qui sans fin commence, non par nostalgie académique des Tassili et des Lascaux, du pittoresque des origines, mais pour situer un travail au point toujours déplacé et masqué d'un processus d'engendrement et de destruction du sens, où la lettre et l'image échangent à l'infini leurs potentialités réciproques. Si nous refusons d'être encore des « poètes » , etc, notre but n'est pas la peinture. Nous abandonnons à la chronique mondaine et au tourisme l'étiquetage en genres et le parcours des grands cimentières de livres et de tableaux encore interdits à la science. Ce n'est pas par hasard qu'au moment où de peintres travaillent à déconstruire l'espace pictural traditionnel (toile rectangulaire montée sur châssis) quelques ex-poètes décident d'en finir avec la métaphore souveraine et l'IMAGISME agonisant 71: en une interaction vertigineuse, là où se profile la matière même des signes comme question/ solution, liberté/menace sur la SCÈNE ÉCONOMIQUE DU SENS.
Un texte est toujours un autre texte, un entretexte et un contexte, et tous les autres textes (scientifiques, économiques, idéologiques, etc) viennent jouer, s'intriquer et miroiter à sa surface: là où se projettent, se trament, l'invention et la mémoire d'un animal qui veut faire l'Histoire plutôt que d'être fait par elle, QUI PRODUIT DU SENS. Il faut prendre congé du mythe de l'auteur-créateur, reflet de la Divinité et de l'Ordre, centré sur un sujet métaphysiquement et politiquement ahuri, en finir avec l'image-refuge de l'esthétique idéaliste et sa mystique de la représentation. Le culturel est l'alibi d'une culture qui obnubile l'enseignement qui lui-même camoufle le TEXTE, la texture. Entre la Caisse Nationale des Lettres et la cage à tigres de la télévision, entre la mendicité (quand il n'est pas rançonné par la CAVMU) et le vedettisme, l'écrivain même compromis est contraint au second métier pour subsister. Aux antipodes des Beaux-Arts et des Belles-Lettres, des décorativismes anecdotiques et des grigris culturels de la consommation distinguée, écrire c'est refuser d'être propriétaire de son texte, c'est s'emparer des autres textes dont il est tissé et qu'il tisse, défigurer la convention écrite et ses impostures rentables en mettant à nu un processus. Il n'y a plus ni auteur ni œuvre mais une trame où l'on intervient formellement sous peine de complicité avec l'idéologie dominante. Le texte (scriptural/pictural), occupation d'un certain espace matériel (social et physique), n'est plus à interpréter et à jouir mais à FAIRE. Lire, c'est écrire, comme écrire c'est lire.
Par la désarticulation du fonctionnement linéaire causal du sens, la mise en déséquilibre des structures idéologiques bourgeoises et la mise en jeu de la FIGURABILITÉ matérielle (= MATÉRIALITÉ figurante/figurable) de la signifiance, Textruction s'inscrit en faux contre les critères officiels de la lisibilité. La boulimie culturelle ambiante renvoie à la grande misère d'une masse qui n'a pas accès au sens, livrée au spectacle et au produit. La sacralisation du Livre et ses effets de Presse recouvre l'analphabétisme « culturel » .


b) Michel Vachey hors TEXTRUCTION

TEXTRUCTION OU LES MALHEURS DE L'ŒSOPHAGE


text truc in          truc no text          tu titre con          te cu noix
trion et cut          tuno otite          ote tric nu          cure inox
o rut in text         eruct into          etron tu tic          tetin cru
trucitext on          cuti next rot          rite conu          et truc intox


On voit enfin le soi-disant groupe « Textruction » , qui n'a jamais pu établir la moindre discussion interne (cf. l'incapacité où se trouva la revue « Génération » , provisoirement aspirée dans l'édition parallèle, de publier un « n° spécial » « Textruction » ) parvenir à une concertation sur un point d'importance, à savoir une mesure bureaucratique par quoi on m'offre sympathiquement de « réintégrer » le mythique bercail, que j'ai quitté de mon propre fait et sans bruit, et m'annonce qu'on « officialisera » — d'où cette présente prise de position qui m'attirera peut-être contre mon gré sur le terrain tactique où d'aucuns sembleraient plus à l'aise que dans leur toile et leur travail.
N'ayant que mépris pour les déplacements littéraires, voire le bafouillage louvoyant, une certaine servilité intellectuelle à l'égard d'une idéologie in (arôme délectable des pensées fortes) dont on reproduit les formules réduites en effets de style et avec laquelle, en sourdine, c'est plus prudent, on prétend prendre ses distances, je ne permuterai pas ma « mégalomanie » une fois alléguée pour les besoins de la cause contre la décalcomanie. Le faux anonymat prétexté de non-propriété sert ici de refuge au brouillage grégaire de l'esthétisme censurant. Le rejet verbal du logocentrisme recouvre en fait le mélo double du formalisme et de l'effusion. Le patchwork notionnel, paralettriste, encore fasciné par l'irruption de « Supports/Surfaces » , le refoulement des procès réels sous la transgression ou l'amusement philosophico-pittoresque, cherchent à masquer et combler un vide exorcisé par quelque obscur fétiche phonographique dont le mot « révolution » est l'une des variantes. Envolés les relents, le remugle protestataire, un effet de publicité, que reste-t-il de « Textruction » sinon l'émouvant désir d'apparaître sur les plateaux de l'avant-garde ? Un amalgame ne se restructure pas, que ceux qui n'ont rien à faire à « Textruction » s'en aillent. Que « Textruction » , nomination abstraite, devienne « Textructions » avec un S, indice non cloacal des différences.
À Badin, qui antidate fébrilement ses textes mais dont les talents d'animateur culturel et de relations publiques ne sont pas en cause, je suggère qu'un « groupe » n'est pas un cheval de recyclage.
À Duchêne, je fais remarquer que, même lorsqu'ils pourfendent la « société de consommation » , les ressassements groupis et crépusculaires de l'anti-art ne suffisent pas à constituer un « groupe » .
À Mazeaufroid, je dis que les problèmes ne sont pas toujours résolus dans les dimensions, et je lui demande, ainsi qu'à Jassaud dont la pratique est d'un grand intérêt : « que faites-vous encore dans cette enveloppe pourrie ? » et je propose à Mazeaufroid et à Jassaud un collectif cohérent, ouvert — sans d'ailleurs beaucoup attendre de cette proposition, les petits succès publics qui rameutent l'amitié en ces temps de bousculade ayant peut-être déjà fait leur ravage.
Le soussigné n'échappe pas à certains penchants qu'il dénonce. Du moins se croit-il animé d'un désir de rigueur dont il ne trouve aucune trace chez telles personnes visées, trop occupées par les effets qu'elles produisent, y compris sur elles-mêmes.


Michel Vachey

Lorient, le 25 octobre 1972


Envoyé à : Badin, Duchêne, Jassaud, Mazeaufroid, — et Viallat (qui est au courant).


c) Jacques LEPAGE parle de

TEXTRUCTION
Nice — Centre National Dramatique (Théâtre de Nice) 16 mai-17 juin 1972

Une attention distraite, cursive, pourrait confondre TEXTRUCTION et poésie concrète. Les textes subissent une égale visualisation dans les deux formes d'écriture et s'apparentent encore par leurs fragmentations, leurs projections, leurs accumulations. La lisibilité « littéraire » s'exclut, la textualité détruite, et le langage se dissout dans la transgression. Comme dans la poésie visuelle le signifiant l'emporte sur le signifié. Celui-ci explose, se décompose, se perd par répétition, par élision, par mutation. Le signe échappe à la sémantique, au fait littéraire.
Ici s'arrête la similitude. De même que TEXTRUCTION ne se confond pas avec expérience plastique (il suffit de comparer les travaux que nous considérons ici, à ceux que nous vîmes, dans ce même théâtre, lors de la manifestation « Supports-Surfaces » , de juin 71) si faible demeure le résidu signifié, TEXTRUCTION se sépare, par son engagement social, des recherches assumées par les poètes du concret depuis vingt ans. Même Raoul Hausmann et Dada furent davantage nihilistes que révolutionnaires : le groupe réuni par TEXTRUCTION tente avec une intransigeance radicale, une subversion par l'usage, ou le mésusage, du langage. Il s'agit, par l'écriture, de « défigurer la convention écrite et ses impostures en mettant à nu le processus » . Et l'on accède « par la désarticulation du fonctionnement linéaire causal du sens, (à) la mise en déséquilibre des structures idéologiques bourgeoises et à la mise en jeu de la figurabilité matérielle (matérialité figurante/figurable) de la signifiance » .
Cette prise de conscience d'un pouvoir, s'il n'est pas absolument original après les travaux de Tel Quel, acquiert par la vigueur avec laquelle elle est vécue, un impact brisant. « Il faut prendre congé du mythe de l'auteur-créateur, reflet de la divinité et de l'ordre, centré sur un sujet métaphysiquement et politiquement ahuri, en finir avec l'image-refuge de l'esthétique idéaliste et sa mystique de la représentation » . Ainsi TEXTRUCTION et Michel Vachey (1) nous mènent à la découverte d'un aspect essentiel de l'écriture « décentrée » et, par ce véhicule, où le message anecdotique s'est effacé, nous conduisent à percevoir ses virtualités multiples. « Nous entrevoyons alors qu'un texte est toujours un autre texte, un entretexte et un contexte, et tous les autres textes (scientifiques, économiques, etc.) viennent jouer, s'imbriquer et miroiter à sa surface » . (2).


Jacques LEPAGE


(1) Michel Vachey a participé aux différentes manifestations de TEXTRUCTION mais s'est récemment séparé du groupe.
(2) Des citations du texte de présentation de TEXTRUCTION à Limoges (1971 ) sont reprises ci-dessus.

 


d)

TEXTRUCTION, catalogue et manifeste
exposition à Paris, 1972, école d'architecture du XIVe

1) texte de M.V. pour le catalogue

• Mémoire

Livres: Amulettes maigres (1), Scène d'Ob (2), Coulure/ligne (3), Portrait de la France (4), Caviar-
dages (5), Livres (6).
Expositions: Québec, Lorient, Limoges (71), Nice (72).
Textes ronéotypés : 1971-1972.

• Reprises
La déformation d'un texte se rapproche, à un certain point de vue, d'un meurtre. La difficulté ne réside pas dans la perpétration du crime mais dans la dissimulation de ses traces.
FREUD, Moïse et le monothéisme.

Alors l'absence d'inscription dans le lieu préparé pour elle deviendra, certes, nostalgie d'un état de choses à jamais révolu,
mais aussi dénonciation d'un vide, appel vers un nouveau déchiffrement.
BUTOR, Les mots dans la peinture

: une malade de ce type à qui l'on demandait d'énumérer quelques noms d'animaux les énumérait dans l'ordre dans lequel elle les avait vus au zoo.
JAKOBSON, E.L.G.

Par là, la recherche de la vérité est elle-même suspecte.
L. KOLAKOWSKI, Théorie du streap-tease, Manteia, IX-X, 1970.

Le truquage plus fondamental des segments non truqués...
CHR. METZ, Cinéma et idéographie, Cahiers du cinéma, mars-avril 1971.

En tant qu'objet d'exégèse, je me tais !
BARTHES.

Importent la lettre comme figure et la matière disponible comme puissance d'écriture. Découpage/collage/montage/caviardage rend tout discours et toute figuration suspects en délogeant le sujet de ses points d'être, de ses zones érogènes-mentales, requérant une lecture épigraphique et documentaire, une transversalité productive. Intriqués, co-produits-producteurs, texte comme sens et texte comme graphe ne sont que leurs propres possibilités liées d'existence et de mort. N'importe quel texte-figure est traversé à n'importe quel endroit par une infinité de textes-figures qu'il traverse.
Dissémination et transformation brisent toute linéarité et monocentrisme, la dialectique des signes et des niveaux submerge le rituel livresque et revuïste. Le figurai (J-F Lyotard), dont le concept (et non-concept) dépasse la division manichéenne effet de jouissance/ effet de connaissance, défait la ségrégation esthético-politique littérature/peinture.

Les caviardages-traces (effacements, jeu de négatifs, etc) apparaissent aussi comme allégories matérielles mi(n)(m)ant le jeu de l'énergie et de l'institué : masques-processus d'institutionnalisation marquant le passage à l'arbitraire - double processus de perte et de fausse restitution comme légendes et fabrication d'apocryphes.
Ecriture-lecture pratique et théorique, libidinale et logique, consumée sans plus-value psychologique dans un
déchiffrement total et ouvert où interviennent savoir et non-savoir, probabilités d'occurences et mécanismes
psychophysiologiques de décryptage. Le jeu, intégralement transversal (plutôt que transgressif), mutiversal
(différents niveaux) et plural (autres textes(, se joue du fragment de graphème à la grande unité d'un récit
hypothétique.


• Page 59 de l'Express du 21-27 août 1972

Une affaire de proxénétisme... (10 collages) : Plusieurs exemplaires de cette même page découpés différemment, les bandes longitudinales de l'ex. X étant recollées avec des bandes Y et Z, etc. Il en résulte de nouveaux textes avec fragments de phrases manquant ou se répétant. La phrase se prend, s'en prend à elle-même, lacunaire et spiralée. La redondance se signale, le discours se montre comme langue et celle-ci comme opacité. (10 pages juxtaposées latéralement).

Suite de l'enquête... (infinité de pseudo-textes possibles) : Suppression des noms de personnes, de lieux, de quelques noms de profession, par découpage. Quand une page quelconque (qui peut être un ex. de cette
même page) circule sous la page ainsi découpée, un fragment aléatoire de discours ( ou de dessin) s'encadre dans le « voyant » des découpes, occupant là place du substantif manquant, s'en trouvant hic et nunc substantivé, substantif, actant arbitraire d'un récit qui tend à le réduire dans ses rets, qu'il tend à faire éclater. Tout le procès linguistique est mis en cause. (Une méthode de variation par transposition du genre S + n donne un peu dans la mystique de la syntaxe : on ne transgresse une fonction vedette que pour mieux entériner des structures. En termes chomskyens, la performance n'est là que pour (s')assurer parodiquement (de) la compétence.
Toute une littérature chtroumpfante, chtroumpfie et chtroumpfeuse n'est qu'un vaste hymne au code linguistique qui ne se soutient plus que de clins d'oeil culturels.
« On n'arrête pas le — — », signifie avant tout qu'on ne veut pas arrêter la nomination).

• Le Point/L'Express : Interversion des couvertures.
Variantes interchangeables pour l'emballage d'un
même produit.

• Page 28 de l'Express du 9-15 août 1971 - J'ai vu en
Chine...

Dans cette page-contexte, des mots, des lettres, ont été découpés.
Ils sont à remplacer par des mots graphiquement analogues empruntés à d'autres textes.

(Annuaire téléphonique 1972, journaux français du XXe siècle, littérature française du XVIIe siècle, roman espagnol, histoire de
la peinture, E.R. Burroughs, Baudelaire, revues érotiques 72, uméros de la revue Planète, coll. Que-Sais-Je, titres des tableaux de a période impressionniste, Guy Debord, Hugo, Soboul, R. Debray, ivre de géométrie (premier cycle des lycées), Raymond Aron, Zola, alraux, Bulletin de la M.G.E.N., Livre des morts thibétains, Jessica Mitford, Dr Ey, Piéron, Moles, Colette, Robbe-Grillet, Montesquieu, Mary Douglas, Daudet, Etiemble, Voragine, Derrida, alphabet grec, alphabet russe, Pagnol, Sagan, Rimbaud, E. Borel, catalogue Manufrance, porte « dames » de w.c. public, etc.)

• Amulettes maigres
Un de mes livres, illustré par Viallat, découpé (3ans après sa publication). Texte et illustration redistribués et réaccrochés dans un nouvel espace idéographique.

• Citations faibles, anticitations (caractères mecanorma sur bandes autocollantes à fixer sur un mur ou
une vitre) : prélèvements textuels non repérables : f you don't hold your tongues, PU (Through the looklng-glass) —
no hay en el mundo quien se acuerde del (Don Quijote de la ancha) — distinguent par leur mémoire et (Flaubert, Dict. des dées reçues) — différente de celles que nous avons l'habitude A l'ombre des j.f. en fl.) — wollte nicht mit ihm gesehen werden (Kafka, Amerika) — c'est bien le néant de la figure, un (J. Berque, Les Arabes d'hier à demain) — sinon se ferme, prend arrêt ou (Mallarmé).

Ne seront pas réalisés ou présentés à l'exposition.

Monde comme mémoire et encyclopédie dispersée, comme oubli et nouveauté, comme passages, traverses, circulations mais comme heurtoirs et masques, comme signal et insignifiance entre l'ineffable tragique
des clôtures et l'invention, entre deux néants. Traversant le hiératisme citationnel, l'interstitiel signifiant.

• Réinscriptions
En découpant des blocs de papier à lettres (juin 72) je notais l'absence des lettres mais la mémoire et la possibilité d'une impression. Maintenant je réintroduis le texte et l'illustration (fragments d'Amulettes maigres qui résultent du découpage indiqué ci-d.) dans le bloc blanc découpé, nu, non ligné, entaillé dans le volume. Combinaison de mes livres entre eux, de mes livres avec d'autres livres (littérature, mathématique, manuel de langue étrangère, etc.).

• Les trois gorilles (roman policier d'A. Dominique)
Trois pages sont enlevées qui constituent un texte à part, tandis que le livre amputé est toujours considéré
comme intégralement valable. (Quand est paru mon Thot au Logis (5), des pages manquaient dans un certain nombre d'exemplaires que j'ai tout de suite « authentifiés », admis comme aussi intéressants, ni plus
ni moins, que les autres. Il est vrai que sa structure s'y prêtait). La réalisation perturbée d'un genre se réarticule productivement à une typologie des discours.

• Eléments de linguistique générale (A. Martinet).
Vedutas pratiquées dans l'épaisseur du volume. La théorie de la double articulation du linguistique français
s'en trouve ironiquement exemplifiée et élargie... (v. Nice - 12 accès au Cambodge : 12 ex. de La Voie Royale, de Malraux, différemment découpés, et L'O en procès : découpage d'un essai du regretté P-H Simon, accompagné de 4 découpages de Montherlant, Saint-Exupéry, Camus, Bernanos).

• Goethemarxengels
Texte du Manifeste disséminé dans le texte de Werther. Désamorçage-réamorçage mythographique et dialectique. Impact au niveau de la lecture comme manipulation et intellection. Remise en cause du vedettisme philosophique et littéraire, du genre sur le double plan de la typologie et du commerce. (V. Annexe à la Machinerie Baudelaire, 1971 - Baudelaire/Proudhon/de Maistre, « Superman »).. Intertextualité prise au pied du livre, contre tout « recueil » et anthologie thématique.

• La ligne (d'écriture) occidentale
EPITAPHE (Orig. Nice, Bande 1)- - Toile 0,80 X 5 lisible des 2 côtés avec doubles lignes rouges // espa-
cées de 0,20 surmontées et soulignées extérieurement de petites découpes.
OUTLINE (Orig. N., B 2) - Toile 0,57 X 5 où sont cousues des bandes de simili-cuir // espacées de 0,50, certaines non cousues à certains endroits.
CONSTITUTION (Orig. N., B 3) - Toile 0,57 X 5 où sont cousues des bandes de simili-cuir//espacées de 0,50, ménageant chacune 3 passants régulièrement espaces verticalement et horizontalement. Des cordes y coulissent asymétriquement. Une corde par passant (on peut en faire passer 2 ou 3).
DECLARATION - Toile 0,57 X 5 cousue sur elle-même à intervalles réguliers de façon à former des
fourreaux // où circule une corde dont le schéma d'enroulement impose une forme à la toile.
RAPPORT (Orig. N., B 3) • Segments de cordes de différentes longueurs // fixées dans une toile de jute 1,40 X 5. D'autres cordes les relient, elles-mêmes reliées par d'autres cordes. Jeu sur les dimensions, la couleur, le tressage, le matériau. Parole énigmatique, ou plutôt possibilité brute actualisée au premier degré par l'existence d'une articulation repérable concrètement, une hiérarchie disponible. Symbolisation qui ne symbolise que son propre processus vide et faussement tangible, sa propre possibilité réelle de processus, parole indéfinie, à définir, à infinir. (Alors que pour la « parole dans l'étoffe » des Dogons, il y a une corres pondance terme à terme avec un symbolisé. Laissons les rêveries ethnologiques avec les utopies transgra phiques spéculaires-spectaculaires d'un lettrisme attardé). Aucun texte extérieur, intime ou social, à traduire.
LABYRINTHE - Même principe que ci-d. Les cordes ne sont fixées à aucun support. Peuvent être accrochées ou posées sur le sol. C'est donc cela —
CONSTAT - Une corde fixée dans une toile 1,40 X 5 vient fixer son autre extrémité de l'autre côté de la
toile. Les nœuds de fixation apparaissent de part et d'autre.
DRAME - Une toile 0,57 passe à travers une toile 0,90 qui passe à travers une toile 1,40.
RACCORD - Bandes de jute rouge et ocre cousues bout à bout.

• Désir, institué, parcours idéographique Repérage d'une machine plastico-symbolique. Il n'y a pas lieu d'expliquer ce que ça représenterait, puisque seul le lieu (non originaire) se présente à travers le travail. On remarque simplement des invariants relatifs (toile, simili, cordes en tant que matière, matériaux dimensionnés, et les jeux de passants, fentes, fourreaux) et des variables relatives (cordes en tant qu'elles circulent ici ou là, imposant telle forme). L'erreur serait de localiser le vecteur institutionnel exclusivement dans les invariants et le vecteur libidinal dans les variables.
Invariants et variables échangent microscopiquement, et macroscopiquement (par exemple, arrachage, destruction d'un invariant), leurs potentialités libidinales, ergographiques, économiques.
Les désignations, éminemment superflues, des toiles par drame, constat, etc., loin d'être « littéraires », connotent idéologiquement une pratique d'où il n'est pas question que le problème du récit s'absente.

• Alternance graphonétique
a) Film projeté, sur un écran, du trait qui caviarde un texte. Vitesse multipliée par n.
b) Audition d'une bande magnétique où le texte est enregistré de telle sorte qu'un silence ou un brouillage remplace le caviardage.
c) Combinaison calculée ou aléatoire, rythmique ou mécanique, de (a) et (b), film/bande.
d) Voix/œil. Découpage audio-visuel (v. (c) ). Texte alternativement à voir et entendre. L'accrochage audio-
visuel est d'autant plus difficile que la fréquence d'alternance graphonétique est élevée. Non parallélisme des plans auditif et visuel. Étrangeté, dépossession, destruction et expérimentation de l'effet de présence.


Lorient, octobre 1972.


(1) P.-J. Oswald, (2) Bibl. Phantomas, (3) Mercure de Fr., (4) Manuscrits Encres Vives, (5) Collection Génération,
(6) Presse Zéro : exemplaires uniques, l'auteur devenant son propre fabricant et éditeur.

2) fac-similé du catalogue