De loin le texte descriptif le plus complet de M.V. relatif aux différentes modalités de production prises, actualisées, développées et contrariées dans ses travaux plastiques et littéraires (domaines à peine séparés d'une illusoire et poreuse cloison typologique), ce « Caviardages » est inédit.
Il sera rejoint par une dizaine d'autres textes que M.V. consacra au travail — et au dévoiement de ses cadres déterminants par le plus grand jeu possible — pour composer tôt ou tard un livre illustré chez PCCBA. Peu d'artistes, peu de textes, mettent mieux en lumière à quel point la théorie court sur la même ligne temporelle que la création et croît dans les décisions techniques qui rythment l'atelier.

Transcription Marie-Valentine Martin, relecture C. de Trogoff & L.L. de Mars

 

 

CAVIARDAGES

pour Eduardo

« Ouvrez n'importe quel journal politique, et vous trouverez de-ci, de-là le texte interrompu et faisant apparaître le blanc du papier. Vous savez que cela a été fait en exécution d'un ordre de la censure. Sur ces espaces blancs devaient figurer des passages qui, n'ayant pas agréé aux autorités supérieures de la censure, ont été supprimés. D'autres fois la censure ne s'exerce pas sur des passages tout achevés. L'auteur ayant prévu que certains passages se heurteraient à un veto de la censure, les a au préalable atténués, légèrement modifiés, ou s'est contenté d'effleurer ou de désigner par des allusions ce qu'il avait pour ainsi dire au bout de la plume. Le journal paraît alors avec des blancs, mais certaines périphrases ou obscurités vous révéleront facilement les efforts que l'auteur a faits pour échapper à la censure officielle, en s'imposant sa propre censure préalable. »

SIGMUND FREUD, Introduction à la psychanalyse, P.b, Payot, p.124

« une malade de ce type a qui l'on demandait d'énumérer quelques noms d'animaux les énonça dans l'ordre dans lequel elle les avait vus au zoo... »

ROMAN JAKOBSON, E.L.G., p.55.

« Rien de fantastique donc dans l'idée que l'utilisation du vêtement soit contemporaine de la naissance d'une sortie (de l'ordre animal)... »

LESZEK KOLAKOWSKI, Théorie du Strip-Tease, Manteia, IX-X, 1970.

« L'illisibilité de l'inscription ou son absence dans le lieu qui lui était réservé n'est autre que le malentendu, l'illisibilité progressive l'une à l'autre qui sépare les couches de la population. »

MICHEL BUTOR, Les Mots dans peinture, p.63.

« ... le truquage plus fondamental des segments non-truqués n'apparaît pas... »

CHRISTIAN METZ, Cinéma et idéographie, Cahiers du cinéma, mars-avril 1971.

 

0) Maintenant je sais que j'ai toujours écrit de la « poésie » pour en sortir. Je passe sous silence les premières jérémiades.

 

1) HAMEAUX STRATÉGIQUES, Quaternaire n°6, 1968. (Repris dans Amulettes maigres, Pierre-Jean Oswald, 1970).

La poésie phénoménologique-imagiste me devient suspecte. Sa prétention d'être parole vraie censure l'Histoire, cette Histoire dont violemment mais dérisoirement la Presse enregistre et réémet le bruit selon ses fréquences. Je sais bien que l'Histoire n'est pas extérieure à la poésie, mais ma difficulté de penser celle-ci me la fait voir comme censure du politique. Il s'agit d'abord de saboter mon discours imagiste par l'introduction d'artefacts, bribes de phrases prises dans les journaux, en particulier dans le Monde (qui est une institution, quelque jugement qu'on puisse porter sur ce journal considéré à tel autre niveau). Ainsi : « certaines personnes déjà impliquées »/« soixante-dix bl »/« de la zone démi »/« ce qui porterait à deux mille sept cent dix-sept »/« opèrent actuell/n'uti/lisent comme voie de passage »/« vers le delta/vingt-quatre heures sur vingt-quatre »/« à l'extérieur du territoire »/« soit entre 32 000 et 50 000 hommes »/« s'est déplacé vers le La/os de novembre à mai »...

Les poèmes de H.S (un titre à la Roussel) sont soutenus et minés par une ambivalence : « forêt s'exfoliant » renvoie à la métaphorisation à l'intérieur du poème mais indique une guerre où l'on use de défoliants. Ambivalence naïve mais l'image est mise en question.


2) SCÈNE D'OB, Bibliothèque Phantomas, Bruxelles 1969. (Première partie terminée en avril 68).

ENTRE LA GRAVURE ET LE GRAVELEUX — J'oppose l'ob-scénité (vérité du texte — censurée) à la pornographie (littérature effusionniste — phantasmée). Texte ob-scène par son projet théorique (démonstratif) et pornographique dans ses effets (montrés). Sous-titre possible : les latrines du sens.

Les deux séries de dessins représentent les deux pôles menaçants — désirables entre lesquels oscille tout texte : les hiéroglyphes de Dangelo marquent allégoriquement la naissance du sens, son lieu naisant déjà inscrit, la gravure : à l'opposé, les créatures salaces de Matta indiquent la tentation effusionniste (consommatoire), l'orientation sénile (entropique) qui grève le sens, le graveleux.

À noter que Scène d'Ob s'enlisa dans son propre dispositif : ce qui était à prévoir...


3) CRISE AU MOYEN-ORIENT, Quaternaire n°7.

Plus aucun mot à-moi. Montage de fragments de phrases découpés dans la presse. Effets poétiques fortuits non surréalistes désamorcés par l'ironie latente. Idée que la poésie n'est plus dans la poésie mais intriquée dans n'importe quel texte comme sa possibilité d'existence et de mort. Rupture plus nette dans le discours métaphysique — sentimental de la poésie moderne — traditionnelle.


4) COULURE/LIGNE, Mercure de France,1970.

L'effet poétique comme effet de langue.


5) GOMMAGES, Encres Vives, automne-hiver 1970.

Discours de l'« information » (la presse) où je procède à des prélèvements laconiques. Sorte de palimpseste journalistique où l'effet d'image est problématique, où le problème de la signifiance surgit concrètement.


6) PORTRAIT DE LA FRANCE (épigrammes plates), Collection Manuscrits Encre Vives, 1970.

a) réinsertion des gommages à l'intérieur du texte journalistique. Anamnèse. Intertextualité généralisée. Langue touchée dans ses articulations opaques, son fonctionnement graphique brut, morcelé. Appel d'une lecture épigraphique.

b) disparition physique du texte: blancs (étiquettes autocollantes 13 x 38 mm).

c) (mon premier) caviardage : noircissement au crayon-feutre de la page de titre ronéotypée. La partie non caviardée (encadrée par le caviardage) subsiste comme fragments énigmatiques.

Valeur polémique surtout.


7) CAVIARDAGE DE L'EXPRESS, 1971. (Puis de l'Expansion, Times, Dois Focos...).

Caviardage systématique. Exhumation d'une sorte d'inconscient journalistique (obsessions, répétitions, lieux communs dissimulés comme lieux, etc). Toutes les mythologies (culturelles, économiques, etc) respirent à la surface grise et fabuleuse de la presse. Le caviardage instaure la suspicion sur tout discours. Production d'un pseudo-idéogramme conceptuel qui convoque tous les niveaux de lecture, neutralisant, détruisant la scénographie du journal (typo, mise en page). La linéarité fait place à une lecture diagonale, la transformation succède au synopsis. Cet hyper-idéogramme qui chevauche les colonnes ridiculise l'agrammatisme de l'imagisme attardé. Contre le découpage idéologique (politique-sentimental, mystique) il est l'anti-slogan. Au brouillage maximum pourrait correspondre ironiquement la page noire. Est-il besoin de préciser que toute recherche de l'étincelle poétique, de collage pop, etc, m'est étrangère ?

Il est vrai que la grande P., souillon ou hétaïre, je parle de l'image, est presque inévitable : il s'agit donc d'un usage. Car vouloir en ignorer le fonctionnement, la nier ou la refuser, est aussi dépourvu de sens que de dire non au chlorure de sodium ou à la femme (il faudrait encore préciser ce qu'on entend par là). S'il faut envisager par exemple la collaboration de l'ordinateur et de la psychanalyse pour davantage de plaisir responsable et de connaissance, il faut dénoncer l'imagisme, ses prérogatives illégitimes, ses faux pouvoirs, ses rituels mentaux, les investissements formidables de son entreprise de papier. En caviardant L'Express, je montre notamment que n'importe quel texte traverse n'importe quel texte à n'importe quelendroit, non pas en filigrane ou à titre de contexte, mais dans l'épaisseur même, diagonalement, transversalement. Que dans l'un de leurs effets mes caviardages aboutissent à un imagisme d'un type particulier c'est l'évidence. Mais alors que l'imagisme est devenu stérile là ou il n'est que lui-même, impérialement régnant et autoségrégé, l'« image » (ce n'est pas l'image, mais tel et tel morceau de langue, telle quantité matérielle) bouge dans la page du journal, y produit une phosphorescence mobile qui menace le discours stéréotypé du journalisme dominant, le replonge dans un bain mental d'énergie. II ne s'agit pas d'une fuite dans le symbolisme infra-fragmentaire au sens d'un héraclitéisme de bon aloi, l'espace-temps non pas retrouvé mais dégagé n'est pas celui d'une rêverie sans obligation: c'est la dialectique d'un jeu de signes et de niveaux sans limite, l'espace social rendu au temps et le temps aux sanctions du travail.


Caviarder

Matériellement c'est noircir d'encre ou enlever, rendre non lisible une partie d'un texte.

A) Matériel utilisé : feutre noir, ou bleu sombre, ou violet.

B) Partie caviardée : disparition du texte imprimé :

a) totale.

b) partielle :

— interstices entre les traits (= le tracé des traits).

— relative transparence de l'encre.

— lettres mal rayées (volontairement ou involontairement).

C) Rayer un texte :

— ligne par ligne horizontalement, d'un trait horizontal (plus ou moins rectiligne ou ondulé) manuscrit.

— possibilité de joindre entre eux, à chacune de leurs extrémités, par un petit trait vertical de la dimension d'un interligne, les traits horizontaux de caviardage.

— on peut alors partiellement ou complètement remplir d'encre les alvéoles ainsi pratiquées.

— au lieu de rayer d'un seul trait horizontal la ligne ou le fragment de ligne qui doit disparaître on peut n'en rayer qu'une toute petite partie aux extrémités puis rayer ensuite verticalement, ou plutôt en tout sens, l'espace laissé dans une colonne par plusieurs lignes traitées de cette façon.

D) La reproduction par photocopie, en poussant toute la page dans la grisaille, donne au texte, paradoxalement, un certain relief : le caviardage en est accentué dans son tracé en même temps que le texte caviardé a tendance à réapparaître par transparence.

Différentes qualités de photocopies. La photocopie bon marché se modifie avec le temps jusqu'à s'effacer.

E) Reproduction photomécanique (impression) : le tracé vire à la tache.

F) Caviardages différents d'une même page prise dans deux exemplaires d'un même numéro de journal ou de revue.

G) Autres manières de caviarder : selon le coefficient d'attention, la kinesthésie, l'histoire individuelle, la situation (dans tous les sens du mot), etc.

À la lecture épigraphique s'ajoute ainsi la lecture documentaire : confronter tous les états matériels possibles d'un texte.

« Cependant le texte, tel qu'il nous est parvenu, nous en dit assez sur ses propres avatars : on y retrouve les traces de deux traitements diamétralement opposés. D'une part les remanieurs ont altéré, amplifié et même retourné en son contraire le texte suivant leurs secrètes tendances ; d'autre part, une piété déférente l'a préservé, a cherché à tout garder en l'état ou elle l'avait trouvé, que les détails concordassent ou se détruisissent mutuellement. C'est ainsi qu'on trouve partout d'évidentes lacunes, de gênantes répétitions, des contradictions patentes, les vestiges de faits dont on n'aurait pas souhaité qu'ils fussent révélés. La déformation d'un texte se rapproche, à un certain point de vue, d'un meurtre. La difficulté ne réside pas dans la perpétration du crime mais dans la dissimulation de ses traces. »

SIGMUND FREUD, Moïse et le monothéisme, Idées/ Gallimard, p.58.

« Un des malades de Goldstein « percevait certains mots, mais ne percevait pas les voyelles et les consonnes dont ils étaient composés ».» ROMAN JAKOBSON, E.L.G., p.59.

« Tu leur feras, pour dissimuler leur nudité, des caleçons de lin, allant des reins jusqu'aux cuisses. Aaron et ses fils les porteront quand ils entreront dans la Tente de Réunion, ou quand ils s'approcheront de l'autel, pour le service du sanctuaire, afin de ne pas se charger d'une faute qui entraînerait leur mort.» L'EXODE, Vêtements des prêtres.

Alors l'absence d'inscription dans le lieu préparé pour elle deviendra certes nostalgie d'un état de choses à jamais révolu, mais aussi dénonciation d'un vide, appel vers un nouveau déchiffrement, un autre texte. MICHEL BUTOR, ibid., p.65.

 

8) DESSINS.

Au départ, le non-caviardé est remplacé par un blanc : il ne reste plus que la trace (il)lisible d'un geste, un cryptogramme formel vide, une abstraction ergographique (trace d'un travail).

A) Caviardage calculé (« organique »).

a) Possibilité de faire correspondre au caviardé un blanc, par découpage et collage de ce blanc sur une feuille noire (ou de couleur sombre). Blanc et noir peuvent permuter. La transposition peut être exacte ou approximative.

b) Dans le cas du caviardage ligne par ligne sans que l'encre ait débordé dans les interlignes ou les colonnes : possibilité de faire correspondre au caviardé des fentes dans un carton, au non-caviardé la partie pleine du carton. On peut permuter.

B) Caviardage aléatoire (mécanique).

a) raies de peinture continues ou discontinues, plus ou moins parallèles et régulières, barrant les pages d'un journal.

b) bande de plastique noire opaque (0,40 x 2 m) intérieurement découpée (à intervalles irréguliers) de polygones de formes variables (divers joints de moteur peuvent être utilisés pour engendrer des formes). Obtention d'un phénomène de cache (ou de masque). La bande peut être posée sur un journal déplié.

C) Traits, fentes.

a) bande de vinyle plastique (0,30 x 2 m) transparente où sont collés (à intervalles irréguliers) perpendiculairement à la longueur de la bande, des bouts de ruban autocollant marron de longueur variable. (Origine = 8.A.b.)

b) bande de vynil plastique (0,30 x 2m) transparente fendue (fentes rectangulaires à intervalles irréguliers) perpendiculairement à la longueur de la bande. Fentes de dimensions variables. (Origine = 8.C.a.) Passage du trait à la fente.

Mise en évidence de la transparence relative du plastique : si la fente correspond à la transparence maximum, il est facile de constater l'opacité du plastique en en superposant plusieurs feuilles.

La fente mène au problème de la carte perforée comme écriture secrète de la société d'information.


9) LA CARTE PERFORÉE.

À la prétention imagiste de tout conserver tout seul répond celle de l'informatisme de tout ordiner. L'imagisme a tout dit : l'informatisme part à la recherche de cette plus-value psychique fomentée par le symbolisme agonisant qu'il déplore de laisser pour compte. L'un et l'autre, selon son mode, refoule le réel.

Au moment où l'imagisme entre dans la phase du Tic, tic et tic (Lautréamont), l'informatisme réactive, complexifie, subtilise (pas tant que ça) le vieux gâtisme magique. Semblable au petit épargnant saisi par la dévaluation et la fièvre immobilière, l'imagisme réinvestit où il peut, répandant sa diarrhée d'âme sur tous les loquets de la science.

Le schéma modulaire d'enregistrement des communications d'un ordinateur rappelle tel motif mycénien du 2ème millénaire av. J.C. Le fait est troublant, mais quelle conclusion en tirer ? La répétition irrégulière d'un même motif engendre un rythme, fonctionnel-technologique dans un cas, ornemental dans le second cas. L'analogie n'est pas fortuite : une zone est en jeu (un lieu joue) où mathêma et bios se joignent, se disjoignent, à travers sexe et savoir (et égale =), l'errance du corps : ici presque spontanément, là après le détour technocratique de l'Histoire.

Analyse d'une carte perforée :

a) trous : modulation du traitement (programme, opérations).

b) inter-trous :

— support opaque : caviardage du signifiant. Mort du corps dans le corps mort du hardware

— espacement : degré zéro du scénographique, de la lisibilité.
Carte perforée, ersatz informatique des Tables de la Loi, mot d'impasse de l'homme mal atterré dans ses brise-soleil.

Au caviardage maximum pratiqué sur un journal correspondrait une censure maximum impliquée dans le discours journalistique qui ne pourrait alors conduire qu'à l'autodestruction du système informatif : phénomène de runaway : en poésie (imagiste), le tas de mots.

L'imagisme légitime le journalisme. L'un et l'autre, quoique différemment, relèvent d'une ethnopolitique : d'une ethnographie des logomachies.


10) HEXAGRAMMES.

Présentent un schème visuel analogue à celui d'une carte perforée dont ils sont la négation et la subversion, (v. 8.A.b. et 9).

Historiquement, on trouve à la base des hexagrammes une logique binaire. Mais, si aucune communication n'est possible (voire pensable ... par la « pensée » informatique), un courant virtuel continue invisiblement de circuler entre les traits des hexagrammes, ce qui permet d'ailleurs les transformations. Si à une certaine époque un ésotérisme formaliste vint masquer la vérité du Yi-King, l'ordinateur est aujourd'hui l'instrument d'une logique uni-opérationnelle totalitaire.


la mue (juin-juillet 1971)

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11) LE SOULIGNEMENT.

« Mais pour que la prière fût vraiment efficace, il était nécessaire que le saint fût appelé par son vrai nom, et donc il fallait réserver dans l'image une place pour ce nom, une place où même ceux qui ne savaient pas lire pussent reconnaître au moins qu'il y avait de l'écriture. »

MICHEL BUTOR, ibid., p.62.

Apparemment en opposition déclarée au caviardage, il n'est en fait le plus souvent qu'une forme larvée de caviardage. Il joue le rôle d'aide-mémoire aux dépens des processus mémoriels. Il a pour conséquence le privilège de la partie contre le tout, de l'élément contre la relation. Il est primaire, trompeusement fonctionnel, prescriptif. À la limite il nie le texte. Si la mise en page des journaux produit son effet, c'est qu'en chaque lecteur elle flatte démagogiquement l'autodidacte : la symphonie (ou la cacophonie — mais c'est la même chose) des « informations » occulte la polyphonie des niveaux.

Cette critique du soulignement attire le regard sur deux aberrations.


A) La mystification pédagogique : il ne faut pas confondre le recours pertinent à la schématisation, qui permet — toutes proportions gardées — d'expliquer les faits grammaticaux, économiques, etc, relevant d'une sémiologie graphique, avec le procédé d'encadrement géométrique et chromatique préconisé par ces cervelles bariolées et clôtureuses, purs produits de l'Éducation Nationale, employés dans l'ombre des Inspecteurs Généraux, à qui ça rapporte, chez les éditeurs spécialisés dans le manuel d'initiation à la composition française : les séries soulignantes brouillent les séries logiques. C'est que le pédagogue valorise inconsciemment le terminologique aux dépens de l'opératoire. Mystique du substantif, qui refoule la langue comme processus matériel.

B) L'ambiguïté du typographique en littérature :

a) mise en évidence le la matérialité du signe graphique : si le signe par une expérimentation du graphisme signale la matière, en même temps la matière à travers lui montre sa graphicité ou plutôt sa graphibilité. En ce sens, les « jeux » typographiques (expression malveillante) peuvent réellement participer du grand jeu.

b) l'erreur typographique : Lorsque par intention polyphonique ou didactique la typographie, pour souligner certains niveaux d'un texte, ne fait qu'introduire une redondance et dérelativise l'expérience de la totalité. La luminosité en surplus n'éclaire que la tâche aveugle d'une écriture.

II arrive qu'au bout de quelques années on ne comprenne plus ses propres annotations sur un livre, que celles-ci paraissent encombrantes, fausses, ridicules, ou étrangères. L'annotation, la glose, le texte, sont des caviardages. La grande pensée, qui se légitime par la découverte, caviarde.

On peut reproduire sur une feuille blanche, moins le texte imprimé, le tracé d'un soulignement opéré sur telle page d'un livre. On est ramené à un problème vu précédemment avec cette différence le trait isolément reproduit (figuré, par exemple, par un bout de ruban autocollant de la couleur de l'encre fixé sur un support transparent en matière plastique) n'est supposé masquer au départ aucun fragment de texte, que le texte ne fait que s'absenter entre les traits, sur la page blanche, n'importe quel support ou surface, sur le monde vu dans la transparence trouble du vinyl.

(août 1971)


12) MASQUE, ARBITRAIRE, LÉGENDE, APOCRYPHE.

« Par là, la recherche de la vérité est elle-même suspecte. »

LESZEK KOLAKOWSKI, ibid.

« En tant qu'objet d'exégèse, je me tais ! »

ROLAND BARTHES

A) Suppression de la partie non caviardée (c'est-à-dire du texte imprimé restant) en ne laissant subsister que la partie caviardée (c'est-à-dire le caviardage ou plutôt sa trace). Photographie sur support cellulosique transparent, ce caviardage (organique a l'origine) sert de masque applicable sur un texte quelconque en vue d'un caviardage aléatoire : la trace du caviardage reste noire, le texte absent est figuré par le support cellulosique (transparent).

Ce procédé, qui est un processus d'institutionnalisation local, marque le passage à l'arbitraire.

B) Production d'un film « négatif » à partir de ce masque.

La partie transparente devient noire : le texte absent n'est plus seulement espace énigmatique, il est rayé, retiré, et finalement introuvable, comme une pièce d'archive de plus en plus hypothétique dont l'existence est mise en doute.

La partie noire devient transparente : l'ancien caviardage laisse alors transparaître à sa place n'importe quelle partie de n'importe quel texte hic et nunc caviardé — à travers une suite de transformations dont seule désormais témoigne la mémoire — par l'« ancien » texte absent.

J'appelle le double processus de perte et de fausse restitution, légendes et fabrication d'apocryphes.

C) Sous forme de diapositives, les traces peuvent être projetées sur n'importe quelles surfaces avec tel ou tel agrandissement.

(août-sept. 1971)


13) SLIVARENTE.


« Ce n'est que dans les cas mineurs, par des exemples à caractère même dégénéré, voire parodique, que l'omniprésence de ces structures fondamentales est le plus nettement repérable. »

LESZEK KOLAKOWSKI, ibid.

Exercices 1970/1971 de Slivarente (société lyonnaise d'investissement en valeurs à forte rentabilité). — Brochure.

On devrait pouvoir trouver ce genre de fascicule dans la bibliothèque de tout amateur d'art. Imprimées sur papier glacé, des matrices graphiques constituées de bandes horizontales de couleur font apparaître immédiatement les relations actif/souscriptions, etc, la répartition par secteurs d'activité des actions françaises et étrangères (slivam), le rendement des valeurs à revenu fixe dans le secteur public et dans le secteur privé (slivarente) etc.

On comprend tout de suite : on voit. Sans avoir besoin d'analyser, d'entrer dans la complexité du réel. La beauté des matrices transcende artistiquement l'Histoire. Envers spectaculaire du spectacle : l'obstacle. Avenir et mémoire s'annulent dans leurs communs praticables, le monde n'est là qu'en absent, pour se ranger, pour déranger des couleurs. Les rectangles allongés, nets, immobiles, faits pour le bilan, la perte mais le profit, semblent des sphynx sans organes qui consentent.

La transcription (en désécrivant), au stylo-bille, sans ordre, en obéissant à mes propres pulsions, quelques bandes chromatiques sur du laiton apprêté choisi pour ses aspérités, sa matité, sa neutralité non complice, ni dénonciatrice ni ingénue mais d'un neutre qui laisse voir, les traits visibles du stylo-bille — (coups de) traits horizontaux à peine tangents, de longueur et d'épaisseur différentes, qui traduisent les bandes de couleurs (rectangulaires, homogènes sur les brochures) — , l'aspect à la fois amorcé et fini, ténu, inachevable, érodable et naissant (qui remplace la compacité formelle close, le fini définitif SLIVARENTE), tout cela nie l'illusion graphique. L'imposture sans surfaces s'anéantit dans la surface granuleuse, le beige, la beauté SLIVARENTE est réduite, rendue au tracé.

Les cartons non apprêtés offrent des matériaux moins compromis.

Par sa matière, sa typographie, le rapport annuel/ exercice 1970 de Péchiney, très beau fascicule, se présente différemment de celui de SLIVARENTE. Impression donc différente.

MATRICE PULSIONNELLE : euphorie/dysphorie comme mesure rythmique.

Partout cette fascination du rythme : les mathématiques en produisent comme l'art. D'une certaine façon l'art mathématise par le rythme, les mathématiques créent du décoratif (décoratif évoquant l'art islamique ou irlandais, les mandalas).

Si certains aspects d'un secteur du réel peuvent se moduler à travers une matrice graphique, il est possible d'établir une matrice pulsionnelle (analogue) hors de toute information parascientifique avec les seules données du désir. Ainsi, des bandes de couleurs constitueront des repères permettant au psychisme de se projeter, de s'éprouver, de se mesurer hors de tout étalonnage officiel. Peu importe alors qu'aux antipodes de SLIVARENTE, la beauté s'engendre d'un rythme de type SLIVARENTE — ne pas perdre de vue, néanmoins, que SLIVARENTE joue de cette ambiguïté...
Sur de la percale brute, des traits de marker marron (chaque trait « global » constitué de plusieurs traits superposés débordant plus ou moins les uns sur les autres et de longueurs inégales : on voit que des lignes composent les surfaces, on voit le point plus sombre où les lignes s'ébauchent) proposent un début d'écriture striée qui sollicite la matière et la mémoire. La beauté SLIVARENTE, qui mémorise, bloque la mémoire comme on bloque un compte.

L'histoire de l'art défile entre Carnac et le Facteur. Face à la chevalisation de l'environnement et des cerveaux (encombrement, entassement, redondance, bruits, absence totale de principes), le geste qui reprend, (re)commence, trace un trait comme une pierre est mise debout. Aux nombreuses hypothèses sur Carnac j'ajoute la mienne : dresser des pierres était une fin en soi. Lever est l'acte premier. Trait du marker qui brille sur le plastique, ou que boit la percale, roulement bref de la bille sur le carton, pierres intransitives de Carnac.

En 1968, je faisais des traits sur des pages blanches. C'était moins une écriture que des obstacles autour desquels on pouvait passer. Mes caviardages et leurs prolongements graphiques réveillent ces anciens traits qui montrent en retour l'écriture comme durcissement (conducteur) d'une transparence (opacifiée). C'est pourquoi j'aimerais appeler l'écrit, obstaculaire. (sept. 1971)

BOUSTROPHÉDON — Livres anormalement collés : défiant les normes de la manipulation et de la lecture occidentales du livre, de son industrie.


QUIPOUS — /// Origines: 8. A. b.

A)

a) carton fendu horizontalement (suivant la longueur d'un rectangle virtuel) mais pas verticalement (donc aucune ouverture rectangulaire — aucun « voyant » — par enlèvement d'une partie du carton, mais des brides ou passants parallèles de même largeur et de longueurs différentes, disséminés au hasard.

b) traits horizontaux parallèles de longueurs différentes (non groupés par 2) qui fendent le carton au hasard. L'incision est mesure-écriture, écriture-mesure.

B)

a) baguettes de bois de même longueur, parallèles mais dissymétriques par rapport à n'importe quelle perpendiculaire. Libres ou attachées.

b) compte : baguettes de bois dont les longueurs respectives varient dans les proportions d' 1/3, 2/3, 1, (réparties régulièrement selon ses proportions dans des plans homologues) attachées avec de la cordelette selon le schéma de construction d'un store mais dont les lames seraient assez espacées.

c) récit-comput : tiges de noisetier sectionnées, de même longueur, écorcées par bagues de dimensions diverses, aléatoires, les tiges étant réunies dans un même plan (système du store). On peut faire intervenir une composante couleur.

/// Origine: 12) A. Traces du caviardage reproduites agrandies, approximativement, par évaluation immédiate de l'oeil, sur du vinyl transparent souple au pinceau et à l'encre (indélébile).

/// Origine: 13) Ruban collé sur carton et arraché. Ou carton gratté.


AU CENTRE DÉCENTRÉ DE LA MATIÈRE — Interférences, échange de 8. C. a. et 11. B.

Ce qui ouvre e(s)t ce qui ferme, ce qui dévoile e(s)t ce qui voile, le même et la différence, la transparence et l'obstacle, permutent à l'infini leurs potentialités traversées.La mort meurt : la vie est mort. Eros et Thanatos mènent le jeu, s'empruntent sans fin leur substance, leurs masques.

(oct. 1971)

LIGNE D'ÉCRITURE

A)

LIGNE : lattes de bois de 2,50 x 0,02 x 0,006m.

LETTRES : chutes de bois achetées chez un menuisier.

matière : contreplaqué, aggloméré, acajou/dimensions: variables.

forme : approximativement rectangulaire en général. Possibilité de faire jouer : matière, dimensions, forme/ espacement et/ groupement/position sur la ligne.

B)

LIGNES SANS ÉCRITURE: peintes par 3 en bleu/blanc/rouge: double rappel de l'appartenance à une culture.

QUIPOUS — Transformation de Quipous) 1. b. BARRES MOBILES.
Série de 6 baguettes de 99cm peintes en bleu
9 66cm blanc

12 33cm rouge

Les baguettes de chaque série sont enfilées (trou situé à 3cm d'une extrémité) sur une ficelle. Les 3 séries peuvent être reliées entre elles. Leur ensemble qui combinent deux principes, celui du boulier et du cadran solaire, peuvent réaliser toutes sortes de figures.


DEGRÉ ZÉRO DE LA SUBVERSION ICONOLOGIQUE URBAINE : caviardage de 2 affiches Larousse (intitulée « Révolution culturelle »):

13 nov 71 à 20h, place Jules Ferry et 14 nov 71 à 7h 30, rue Auguste Nayel & Lorient.

DÉNATURATION (sans idée de nature originelle) : transformation de dessins) 8) a) a:
les traces noires sont remplacées par de la peinture bleue, blanche, rouge. Dénaturation dans l'emblème: le processus est perdu en faveur du signe de ralliement et d'appartenance. Distorsion et forcing culturels, brouillage mythique.


CHANSONS FUNÉRAIRES : transformation de dessins 8. A. a. : toile de jute ocre jaune découpée sur toile de jute rouge (1,30 x 2,50m) servant de fond. La découpe peut être cousue ou simplement posée en applique sur la toile rouge. Toiles étalées sur le sol ou plutôt suspendues


ROULEAUX : toile cousue en rouleau et suspendue à une tringle où elle coulisse (principe de la serviette). Une toile noire, une blanche.


L'ALLÉGORIE MATÉRIELLE : Les caviardages-traces (effacement du texte, jeu des négatifs, etc) constituent des allégories matérielles parce qu'ils miment ou indiquent le jeu de l'énergie et de l'institué, le jeu labyrinthique infini où le sens glisse à travers ses masques (masque: cette surface matérielle mise à nu, avancée et ses contremasques, n'est que ce passage: ce qui passe dans ce à travers quoi, ceci et cela.


PAROLE, POLIS : monde parlé, langage-monde, mais la langue ne parle bien d'elle-même qu'en parlant d'autre chose. Le texte caviardé oscille entre 2 pôles :

— la langue comme ultime objet d'une quête libidinale et sans mystère
— les différents textes (quotidiens et littéraires, sociaux, scientifiques, etc) qui se profilent à l'horizon comme ultimes limites, qui constituent et destituent l'horizon, le corps jouant le rôle d'alternateur et de générateur, de mémoire et de transformateur.

Ces textes « insignifiants », qui n'effarouchent que l'insignifiant, font craquer les résilles éditoriales, publiques, publiables, d'une économie cachée, d'un rituel mystificateur suffisamment fonctionnel pour s'éprouver comme créativité, où savoir et insu, sens et puissance, institution et impolitisable, s'intriquent, fomentent et démentent un « poème » dont le jeu morcelé et illimité, érotique, apparaît du même coup fondamentalement politique.

Déc. 1971



LIGNE/INTERLIGNE.

A) (Origines : page de L'Express du 9-15 août 1971, rayée ligne par ligne (in CAVIARDAGES, Collection Génération), l'épaisseur du trait noir excédant les dimensions du o ou du e minuscules, de sorte que n'apparaissent plus que de menus débris de lettres au-dessus et au-dessous du trait de caviardage).

Bande de papier kraft (0,65 x 3m) lignée horizontalement, à intervalles réguliers, par du ruban (4cm de large) kraft autocollant qui écrase des signes (caractères noirs provenant d'alphabets mecanorma ou letraset) utilisés anormalement, fragmentés ou hybridés, dont il ne subsiste que des parties illisibles. La hauteur de ces signes au-dessus et au-dessous des lignes (ruban) ne dépasse pas 7 à 8mm.

Si la bande adhésive (ruban, ligne) suggère des corps de caractères se poursuivant (cachés) sous elle, chaque signe (chaque fragment de signe) n'est en fait jamais ancré plus de 2 à 3 mm sous le ruban adhésif (4 cm de large).

C'est l'habitude de lire ligne par ligne, l'habitude de la ligne écrite qui induit le leurre d'un écrasement, d'un caviardage. Mais les signes ne sont rien d'autre que ce qu'on en voit, avec cette différence que la ligne (d'écriture — sans écriture bordée de pseudo-écriture en haut et en bas) est également devenue signe, lisible. Invisible vecteur spatio-temporel de lisibilité, ordonatrice formelle vide, la ligne entre ici en opposition dialectique avec des signes dont elle est usuellement la rampe de lancement intangible et silencieuse. La ligne devient lisible. Bien qu'il n'y ait a priori aucun enchaînement logique de lecture, la répétition ou la ressemblance graphique tend à restituer les axes (paradigmatique/syntagmatique) d'un discours plastique.

Lecture physique qui réside dans cette hésitation de lecture.

B) Du ruban kraft adhésif constitue et figure les lignes (sans écriture) sur une bande de papier kraft (v. ci-dessus). Mais à certains endroits, des morceaux de papier blanc (qui débordent la bande adhésive de 1cm env. en haut et en bas) ont été interposées entre le ruban adhésif kraft et la bande kraft-support. À ces endroits, le ruban n'adhère pas au support (puisqu'il adhère au papier blanc qui isole). De plus, en ces parties non adhésives, la ligne est coupée en deux verticalement, de sorte que si on suspend le support, les sections de lignes non-adhésives se plieront et pendront. Il s'agit d'objectiver la ligne. En même temps, le support reprend toute son importance de lieu d'inscription où la ligne même peut écrire.

C) Ruban adhésif kraft sur papier kraft. De la ficelle blanche (segments) établit des rapports strictement verticaux entre les lignes. Lorsque la ficelle raccorde des lignes non contiguës, elle peut passer sur ou sous une ligne (= ruban). Du fil noir raccorde (obliquement et plus lâchement) les segments de ficelles. (Pour sa fixation, la ficelle est simplement collée sous, par le ruban adhésif. Le fil est noué à la ficelle.) Il est très facile d'inventer des articulations entre des niveaux à partir des matériaux ruban adhésif/ficelle/fil/ dont les combinaisons peuvent être multiples.

On pourrait bien sûr s'amuser à « transcrire » un poème de Baudelaire. Cela non seulement n'aurait aucun intérêt mais transformerait rétrospectivement le repérage d'un processus matériel en sordide métaphore.


D) (v. 8.C. et 11), Ligne soulignés.

Ruban kraft adhésif sur bande kraft. Les lignes ne sont plus régulièrement successives, certaines disparaissent, et la ligne même (ruban) se fragmente : se fait écriture. Le phénomène est rendu sensible par le fait que certains fragments sont soulignés.

Il y a toujours la possibilité de fragmenter à son tour la sous-ligne, puis de la souligner, ad libitum. L'espace typographique joue, se rejoue : c'est cet espace qui écrit, engendre des lettres.


E) Bande de papier quadrillé (12cm de large) collé sur du bristol identiquement quadrillé (48 x 65cm) de façon que les lignes de la bande et du support soient légèrement décalées.

Les lignes normalisées, naturalisées par l'usage papeterie-librairie/mode d'écriture-lecture, au lieu d'être livrée à une écriture (qui leur est livrée) qui les boit en silence, produisent à nouveau un espace strident.

F) Rectangles de papier blanc uni collés sur du bristol blanc uni. Le blanc tend à se confondre avec le blanc. Un volume, un espace naît de cette mince différence. Une lettre s'essaie d'une nuance grise du neutre, une lettre utilisable, inutilisable. Production pure du neutre. Marque du blanc au blanc.

Remarques

Kraft sur kraft, blanc sur blanc, imperceptible décalage de lignes, tout devient difficilement photographiable, reproductible. Il faut être en face. Face à face.


LIVRES/CAHIERS

Livres découpés — (Principe caviardage/mise à nu)

A) découpage de telle sorte que des fragments de lettres, de mots, de phrases interfèrent dans l'épaisseur du volume ouvert en vedutas stéréoscopiques multiples, le volume étant lu dans son épaisseur (une lettre pouvant se combiner avec une autre d'une page qui se trouve dix «pages» plus loin), comme à travers, et non plus en feuilletant.

Découpage aléatoire ou partiellement aléatoire dans la mesure où on choisit le fragment du texte qui disparaîtra ou sera montré. Texte-objet et découpage, dans le cas du caviardage partiellement aléatoire, se conditionnent l'un l'autre.

B) montage : par ex. une « Annexe à La Machinerie Baudelaire » : Textes de Baudelaire/Proudhon/ De Maistre/« Superman ». Montage qui est davantage que la restituation d'un contexte.

Remarque : Chaque exemplaire découpé et/ou monté est unique.

En jouant sur toutes les dimensions du texte, en introduisant un système de « voyants », d'index, voire un principe analogue à celui de la règle à calcul, etc, il est possible de multiplier les parcours de lecture.

Cahiers, blocs de papier à lettre lignés ou unis.

Disparition des caractères. Considéré isolément le problème devient plastique. Mais il garde néanmoins la mémoire, et la possibilité, d'une impression. Le volume se tend vers l'écriture, il cherche à écrira, il broie du blanc.

Dispersion du corps d'Eugénie et spectre de Grango.

Pages d'« Eugénie Grandet » et de « Le Père Goriot » battues ensemble, réunies en un seul volume puis dispersées sur une plage de l'Atlantique. (mai 1972)

N.B.

Dans « Coulure/ligne » (Mercure de France, 1970), le texte n'apparaissait plus que comme sa propre possibilité de transformation. Les pages de droite, dans une mise en page et une typographie différentes, transformaient les pages de gauche : d'une page à l'autre, les mots étaient à peu près les mêmes, avec quelques permutations, mais les verbes changeaient de mode et de forme, à droite ce n'étaient plus que participes passé ou présent.

Dans « Circulaire / jeu de billes » (Phantomas, la Mémoire, déc. 71), deux textes (p. de gauche et p. de droite) courent parallèlement, mais ici ils différent nettement, l'un plus fictionnel, l'autre entièrement désyntaxé et métaphorique.

Procédé analogue dans West-End (inédit) où le livre se redouble, se dédouble, se traverse sans jamais pouvoir se rejoindre.

Dans tous les cas, une partie du texte caviarde littéralement l'autre (et réciproquement), caviardage qui en même temps produit une lecture (une orientation de lecture).


Michel Vachey

avril-mai 72.



Version publié dans un périodique, annoté au-dessus du titre « I & A » ou « ISA », 72

 

Mémoire

Livres: Amulettes maigres (1), Scène d'Ob (2), Coulure/ligne (3), Portrait de la France (4), Caviardages (5), Livres (6).

Expositions: Québec, Lorient, Limoges (71), Nice (72).

Textes ronéotypés : 1971-1972.

Reprises

« La déformation d'un texte se rapproche, à un certain point de vue, d'un meurtre. La difficulté ne réside pas dans la perpétration du crime mais dans la dissimulation de ses traces. »

FREUD, Moïse et le monothéisme.

« Alors l'absence d'inscription dans le lieu préparé pour elle deviendra, certes, nostalgie d'un état de choses à jamais révolu, mais aussi dénonciation d'un vide, appel vers un nouveau déchiffrement. »

BUTOR, Les mots dans la peinture.

« Une malade de ce type à qui l'on demandait d'énumérer quelques noms d'animaux les énumérait dans l'ordre dans lequel elle les avait vus au zoo. »

JAKOBSON, E.L.G.

« Par là, la recherche de la vérité est elle-même suspecte. »

L. KOLAKOWSKI, Théorie du streap-tease, Manteia, IX-X, 1970.

« Le truquage plus fondamental des segments non truqués... »

CHR. METZ, Cinéma et idéographie, Cahiers du cinéma, mars-avril 1971.

« En tant qu'objet d'exégèse, je me tais ! »

BARTHES.

 

Importent la lettre comme figure et la matière disponible comme puissance d'écriture. Découpage/collage/montage/caviardage rend tout discours et toute figuration suspects en délogeant le sujet de ses points d'être, de ses zones érogènes-mentales, requérant une lecture épigraphique et documentaire, une transversalité productive. Intriqués, co-produits-producteurs, texte comme sens et texte comme graphe ne sont que leurs propres possibilités liées d'existence et de mort. N'importe quel texte-figure est traversé à n'importe quel endroit par une infinité de textes-figures qu'il traverse. Dissémination et transformation brisent toute linéarité et monocentrisme, la dialectique des signes et des niveaux submerge le rituel livresque et revuïste. Le figural (J-F Lyotard), dont le concept (et non-concept) dépasse la division manichéenne effet de jouissance/effet de connaissance, défait la ségrégation esthético-politique littérature/peinture.

Les caviardages-traces (effacements, jeu de négatifs, etc) apparaissent aussi comme allégories matérielles, mimant/minant le jeu de l'énergie et de l'institué : masques-processus d'institutionnalisation marquant le passage à l'arbitraire — double processus de perte et de fausse restitution comme légendes et fabrication d'apocryphes. Écriture-lecture pratique et théorique, libidinale et logique, consumée sans plus-value psychologique dans un déchiffrement total et ouvert où interviennent savoir et non-savoir, probabilités d'occurences et mécanismes psychophysiologiques de décryptage. Le jeu, intégralement transversal (plutôt que transgressif), mutiversal (différents niveaux) et plural (autres textes), se joue du fragment de graphème à la grande unité d'un récit hypothétique

(1) P.-J. Oswald, (2) Bibl. Phantomas, (3) Mercure de Fr., (4) Manuscrits Encres Vives, (5) Collection Génération, (6) Presse Zéro : exemplaires uniques, l'auteur devenant son propre fabricant et éditeur.

 

Page 59 de l'Express du 21-27 août 1972

Une affaire de proxénétisme... (10 collages) : Plusieurs exemplaires de cette même page découpés différemment, les bandes longitudinales de l'ex. X étant recollées avec des bandes Y et Z, etc. Il en résulte de nouveaux textes avec fragments de phrases manquant ou se répétant. La phrase se prend, s'en prend à elle-même, lacunaire et spiralée. La redondance se signale, le discours se montre comme langue et celle-ci comme opacité. (10 pages juxtaposées latéralement).

Suite de l'enquête... (infinité de pseudo-textes possibles) : Suppression des noms de personnes, de lieux, de quelques noms de profession, par découpage. Quand une page quelconque (qui peut être un ex. de cette même page) circule sous la page ainsi découpée, un fragment aléatoire de discours (ou de dessin) s'encadre dans le « voyant » des découpes, occupant la place du substantif manquant, s'en trouvant hic et nunc substantivé, substantif, actant arbitraire d'un récit qui tend à le réduire dans ses rets, qu'il tend à faire éclater. Tout le procès linguistique est mis en cause. (Une méthode de variation par transposition du genre S + n donne un peu dans la mystique de la syntaxe : on ne transgresse une fonction vedette que pour mieux entériner des structures. En termes chomskyens, la performance n'est là que pour (s')assurer parodiquement (de) la compétence. Toute une littérature schtroumpfante, schtroumpfie et schtroumpfeuse n'est qu'un vaste hymne au code linguistique qui ne se soutient plus que de clins d'œil culturels. « On n'arrête pas le — — », signifie avant tout qu'on ne veut pas arrêter la nomination).

  1.  Le Point/L'Express : Interversion des couvertures. Variantes interchangeables pour l'emballage d'un même produit.

  2.  Page 28 de l'Express du 9-15 août 1971 J'ai vu en Chine...

Dans cette page-contexte, des mots, des lettres, ont été découpés.

Ils sont à remplacer par des mots graphiquement analogues empruntés à d'autres textes.


(Annuaire téléphonique 1972, journaux français du XXe siècle, littérature française du XVIIe siècle, roman espagnol, histoire de la peinture, E.R. Burroughs, Baudelaire, revues érotiques 72, Nos de la revue Planète, coll. Que-Sais-Je, titres des tableaux de la période impressionniste, Guy Debord, Hugo, Soboul, R. Debray, livre de géométrie (1er cycle des lycées), Raymond Aron, Zola, Malraux, Bulletin de la M.G.E.N., Livre des morts thibétains, Jessica Mitford, Dr Ey, Piéron, Moles, Colette, Robbe-Grillet, Montesquieu, Mary Douglas, Daudet, Etiemble, Voragine, Derrida, alphabet grec, alphabet russe, Pagnol, Sagan, Rimbaud, E. Borel, catalogue Manufrance, porte « dames » de w.c. public, etc.)

Amulettes maigres

Un de mes livres, illustré par Viallat, découpé (3 ans après sa publication). Texte et illustration redistribués et réaccrochés dans un nouvel espace idéographique.

• Citations faibles, anticitations (caractères mecanorma sur bandes autocollantes à fixer sur un mur ou une vitre) : prélèvements textuels non repérables :

if you don't hold your tongues, l'Il (Through the looking-glass) — no hay en el mundo quien se acuerde del (Don Quijote de la Mancha) — distinguent par leur mémoire et (Flaubert, Dict. des idées reçues) — différente de celles que nous avons l'habitude (A l'ombre des j.f. en fl.) — wollte nicht mit ihm gesehen werden (Kafka, Amerika) — c'est bien le néant de la figure, un (J. Berque, Les Arabes d'hier à demain) — sinon se ferme, prend arrêt ou (Mallarmé).

Ne seront pas réalisés ou présentés à l'exposition.

Monde comme mémoire et encyclopédie dispersée, comme oubli et nouveauté, comme passages, traverses, circulations mais comme heurtoirs et masques, comme signal et insignifiance entre l'ineffable tragique des clôtures et l'invention, entre deux néants. Traversant le hiératisme citationnel, l'interstitiel signifiant.

Réinscriptions

En découpant des blocs de papier à lettres (juin 72) je notais l'absence des lettres mais la mémoire et la possibilité d'une impression. Maintenant je réintroduis le texte et l'illustration (fragments d'Amulettes maigres qui résultent du découpage indiqué ci-d.) dans le bloc blanc découpé, nu, non ligné, entaillé dans le volume. Combinaison de mes livres entre eux, de mes livres avec d'autres livres (littérature, mathématique, manuel de langue étrangère, etc...).

Les trois gorilles (roman policier d'A. Dominique)

Trois pages sont enlevées qui constituent un texte à part, tandis que le livre amputé est toujours considéré comme intégralement valable. (Quand est paru mon Thot au Logis (5), des pages manquaient dans un certain nombre d'exemplaires que j'ai tout de suite « authentifiés », admis comme aussi intéressants, ni plus ni moins, que les autres. Il est vrai que sa structure s'y prêtait). La réalisation perturbée d'un genre se réarticule productivement à une typologie des discours.

Eléments de linguistique générale (A. Martinet).

Vedutas pratiquées dans l'épaisseur du volume. La théorie de la double articulation du linguistique français s'en trouve ironiquement exemplifiée et élargie... (v. Nice — 12 accès au Cambodge : 12 ex. de La Voie Royale, de Malraux, différemment découpés, et L'O en procès : découpage d'un essai du regretté P-H Simon, accompagné de 4 découpages de Montherlant, Saint-Exupéry, Camus, Bernanos).

Goethemarxengels

Texte du Manifeste disséminé dans le texte de Werther. Désamorçage-réamorçage mythographique et dialectique. Impact au niveau de la lecture comme manipulation et intellection. Remise en cause du vedettisme philosophique et littéraire, du genre sur le double plan de la typologie et du commerce. (v. Annexe à la Machinerie Baudelaire, 1971 — Baudelaire/Proudhon/de Maistre/« Superman »).. Intertextualité prise au pied du livre, contre tout « recueil » et anthologie thématique.

La ligne (d'écriture) occidentale

ÉPITAPHE (Orig. Nice, Bande 1) — Toile 0,80 X 5 lisible des 2 côtés avec doubles lignes rouges // espacées de 0,20 surmontées et soulignées extérieurement de petites découpes.

OUTLINE (Orig. N., B 2) — Toile 0,57 X 5 où sont cousues des bandes de simili-cuir//espacées de 0,50, certaines non cousues à certains endroits.

CONSTITUTION (Orig. N., B 3) — Toile 0,57 X 5 où sont cousues des bandes de simili-cuir//espacées de 0,50, ménageant chacune 3 passants régulièrement espacés verticalement et horizontalement. Des cordes y coulissent asymétriquement. Une corde par passant (on peut en faire passer 2 ou 3).

DÉCLARATION — Toile 0,57 x 5 cousue sur elle-même à intervalles réguliers de façon à former des fourreaux // où circule une corde dont le schéma d'enroulement impose une forme à la toile.

RAPPORT (Orig. N., B 3) — Segments de cordes de différentes longueurs // fixées dans une toile de jute 1,40 X 5. D'autres cordes les relient, elles-mêmes reliées par d'autres cordes. Jeu sur les dimensions, la couleur, le tressage, le matériau. Parole énigmatique, ou plutôt possibilité brute actualisée au premier degré par l'existence d'une articulation repérable concrètement, une hiérarchie disponible. Symbolisation qui ne symbolise que son propre processus vide et faussement tangible, sa propre possibilité réelle de processus, parole indéfinie, à définir, à infinir. (Alors que pour la « parole dans l'étoffe » des Dogons, il y a une correspondance terme à terme avec un symbolisé. Laissons les rêveries ethnologiques avec les utopies transgraphiques spéculaires-spectaculaires d'un lettrisme attardé). Aucun texte extérieur, intime ou social, à traduire.

LABYRINTHE — Même principe que ci-d. Les cordes ne sont fixées à aucun support. Peuvent être accrochées ou posées sur le soi. C'est donc cela

CONSTAT — Une corde fixée dans une toile 1,40 X 5 vient fixer son autre extrémité de l'autre côté de la toile. Les nœuds de fixation apparaissent de part et d'autre.

DRAME — Une toile 0,57 passe à travers une toile 0,90 qui passe à travers une toile 1,40.

RACCORD — Bandes de jute rouge et ocre cousues bout à bout.

Désir, institué, parcours idéographique

Repérage d'une machine plastico-symbolique. Il n'y a pas lieu d'expliquer ce que ça représenterait, puisque seul le lieu (non originaire) se présente à travers le travail. On remarque simplement des invariants relatifs (toile, simili, cordes en tant que matière, matériaux dimensionnés, et les jeux de passants, fentes, fourreaux) et des variables relatives (cordes en tant qu'elles circulent ici ou là, imposant telle forme). L'erreur serait de localiser le vecteur institutionnel exclusivement dans les invariants et le vecteur libidinal dans les variables. Invariants et variables échangent microscopiquement, et macroscopiquement (par exemple, arrachage, destruction d'un invariant), leurs potentialités libidinales, ergographiques, économiques.

Les désignations, éminemment superflues, des toiles par drame, constat, etc., loin d'être « littéraires », connotent idéologiquement une pratique d'où il n'est pas question que le problème du récit s'absente.

Alternance graphonétique

a) Film projeté, sur un écran, du trait qui caviarde un texte. Vitesse multipliée par n.

b) Audition d'une bande magnétique où le texte est enregistré de telle sorte qu'un silence ou un brouillage remplace le caviardage.

c) Combinaison calculée ou aléatoire, rythmique ou mécanique, de (a) et (b), film/bande.

d) Voix/œil. Découpage audio-visuel (v.(c)). Texte alternativement à voir et entendre. L'accrochage audiovisuel est d'autant plus difficile que la fréquence d'alternance graphonétique est élevée. Non parallélisme des plans auditif et visuel. Étrangeté, dépossession, destruction et expérimentation de l'effet de présence.*

Lorient, octobre 1972.

 

* rayé par la main de l'auteur depuis « Alternance graphonétique » jusqu'à la fin du texte