Mes 
  nuits sans toi, soit:
  commencent mes nuits sans nuit avec mon amour le gardien de
  mes nuits éveillées, plus tard il faudra faire, doucement, 
  l'épreuve du jour pendant que tout,
  autour
  plonge dans une nuit des larves où
  nous
  verrons des hommes devenus moins que
  leurs rêves, moins
  (tu dis : l'inconscient moi
  je dis
  le rêve n'est que le ronronnement terrible d'une machine 
  en veilleuse)
  nous verrons
  des femmes sautant des yeux par-dessus leur
  mère pour porter les corsets des grands-mères imaginaires
  (les mâles, hannetons, resteront blanchâtres au corps mou sous terre 
  sept ans, 
  les femelles iront vite à la surface, trois jours, 
  ce sera le travail, le travail à la surface, l'achat, l'économie, 
  
  pour mourir, ailées, le jour où les mâles, sortant leurs 
  yeux formés enfin, 
  aveuglés par ce premier soleil après sept ans de tremblements, 
  
  viendront mourir de même : ils se regarderont sans comprendre 
  comment on peut se rater à ce point).
Nous 
  nous pencherons mon amour un jour chaud, sans regret ni haine, ni hautains ni 
  endeuillés, 
  dans l'herbe avec une tige sèche titillant
  l'ouverture d'un terrier minuscule
  pour observer
  des hannetons, d'
  autres bêtes ; nous écouterons
  ceux qui meurent sans prier, ils ne sauront plus, qui sait encore ? 
  Les fondations tremblent ?, vite, ils courent acheter des chaussons.
Cinquante 
  ans, c'est tout près,
  des piliers d'ombre qui se disaient les plus virils de tous, 
  ont brûlés des livres ; la botte noir, c'est le phallus invaginé, 
  
  c'est la paume 
  muette 
  androgyne, dernier acte de virilité de l'histoire à se mettre 
  sous la dent ;
  nous lisons depuis les cendres de ces nuits
  là,
  c'est nos livres.
  Le suicide viril, brûler les livres avant de
  Brûler le Peuple du Livre. Mon Dieu...
Ne 
  ressemble pas à ton siècle mon amour, à aucun siècle 
  
  puisqu'ils nous ont conduit à celui-ci, 
  je ne ressemblerai pas à mon siècle mon amour, ni toi 
  ni moi crevettes roses aux antennes branchées sur le réseau 
  (ils pensent que le réseau est en-dehors d'eux, 
  les hommes sont les instruments sacrifiés à la machine du réseau, 
  
  les sourds n'entendent que des voix, 
  ils ont tant voulu le sexe des anges qu'ils l'auront, 
  sourire éternel des spermathèques et logithèques sur 
  les bibliothèques ensevelies.)
  Je ne sais pas grand-chose, mais je n'attendrai pas demain ;
  pas très loin d'ici,
  je composerais quelques petits tas des cendres volées dans un musée, 
  
  le long d'une plage, des tas denses, serrés, 
  petites buttes noires d'éternité pour toi, 
  pour n'être pas l' animal de l'histoire.
Derrière 
  moi : un sourire d'enfant sur une tête de mort et, 
  devant moi, un sourire de mort sur une tête d'enfant. Mon travail :
  hoquètement d'où
  x une vie entière d'un pou
  ranger les sourires à leur place.
Les 
  yeux plus électriques que l'écran, 
  mon fils voit trois meurtres par minutes 
  j'ai murmuré "Tu ne peux pas tuer, c'est impossible, 
  sinon tu meurs,
  tu sais "...
  J'entends le bruit sec de ses oreilles 
  inachevées -minuscules ormeaux- arrachées par le siècle 
  et 
  je ferme les yeux :
  ma parole est moins que le jappement d'un fennec, 
  ma voix porte moins qu'un glapissement, 
  alors m'entendra-t-il par les deux trous saignant aux côtés 
  de sa tête ?
  Mes mains pourraient la couvrir entièrement, 
  mais arrêteraient-elles une balle, 
  ou le sifflement -la voix- d'une balle ? 
Mon 
  amour,
  peut-être n'y aura-t-il plus jamais le chiffre 
  deux, pour tous, pauvres hommes sans unité déjà, 
  c'est la raison sans doute ; mets tes mains par dessus-les miennes autour de 
  sa tête ;
  nous amortirons peut-être 
  le dernier impact,
  nos doigts brisés, qui sait ?, traceront peut-être, 
  le chiffre
  hors deux,
  l'unité pour chacun retrouvée.
  " L'intérêt quej'ai à croire une chose n'est pas la 
  preuve de l'existence de cette chose " 
  ah oui ? Tu sais, Voltaire, je suis libre d'être mort pour l'intérêt 
  du monde, oui, 
  plus libre que toi je sais ce que tu dis
  et
  j'ai l'ivresse de marcher du même pas 
  dans ma cellule de liberté, ma chose est sans preuve, sans intérêt, 
  et 
  je brûle pour elle, pour ma putain mon amour mon coeur ma tendresse 
  -violence du repos dans le désastre de la nuit continue-
  je vais te faire une confidence, Voltaire : 
  j'arracherai quelques plumes au cul des augures 
  et je te chatouillerai les pieds... Tu veux ?
  Je n'irai plus jamais au colloque des oiseaux.
La 
  vaisselle sale de Tristan et Yseult
  Abelard toujours les doigts fourrés dans les narines,
  les chaussettes qui traînent de Romeo et la voix 
  qui nasille
  de Dulcinea, les hommes font leur
  ménage à ceux-là depuis quelques siècles en aveugle 
  
  et torturent la douceur des jours 
  le nez dans la nuit
Mon 
  tendre amour,
  comme c'est dur,
  puiser qu'en soi
  la force de vivre encore un
  peu
  mieux,
  quand la vie, sans toi,
  c'est tellement moins que la vie,
  tellement
C'est 
  un moment d'inadvertan
  ce n'est pas ce que tu crois
  qui me fit laisser mon coeur aux chiens 
  bien
  qu'il n'y ait pas que des chiens... un
  carnaval de fourrures en vérité ;
  mais le premier des hommes, lui-même, 
  dut faire l'épreuve du mal pour toucher à la Loi, 
  et c'est sa fourrure que nous distendons, 
  oui, l'un après l'autre, sa fourrure.
Reposes-toi 
  ma bien-aimée je
  Serinerai aussi les yeux pour te suivre
  j'écouterai le bouillon battu sourd l'oreille collée entre tes 
  seins 
  Je serai toujours là à ton réveil, 
  ma main collée en coque sur les poils de ton doux con n'aura pas bougé 
  
  le doigt pris dans l'assèchement de la nuit 
  entre tes lèvres charnues
je 
  t'écrirai ce poème
  pendant que, les yeux rouges et collés tu 
  m'ouvriras au jour 
  je te l'écrirai
  Épaves d'opéras sous les ruines du Colisée, 
  un homme met onze minutes à mourir sur la chaise, onze minute
  -à mordre un bout de cuir-
  dont personne ne répondra, les tyrans ne répondent pas devant 
  les humiliés, 
  quelques tragédiennes plâtreuses, dressées pour tuer, 
  balancent comme des mats 
  et c'est le coeur
  il nous reste un coeur
Je 
  ne suis pas de ceux qui ont
  senti l'haleine de Dieu contre leur face,
  moins encore senti la destinée entre mes omoplates,
  la raison n'a jamais guidé
  la mienne, je n'ai pas cette soeur chaleureuse, moi je 
  suis plus pauvre que Job, plusieurs fois mon coeur s'est ramassé comme 
  un caillot, 
  un oiseau séché tué par son soleil, plusieurs fois
  j'aurais bien fait le voyage, mais si je me retrouvais partout ?
  Je sais que ce sera le cas, toujours.
Les 
  singent servent l'homme 
  par tous les bout de l'histoire.
  Je ne suis pas un Cheyenne perdu dans les livres blancs, 
  je n'ai pas brûlé avec les Derniers Hommes, 
  ma peau ne s'est pas déchirée comme une pâte mouillée 
  
  entre les mains des libérateurs américains : 
  je suis de la nouvelle espèce, les premiers solitaires, vraiment, 
  la race sans orgueil qui a tout à 
  naitre, papier découpé, motif.
  Je brûle mes poumons cigarette sur 
  cigarette, pour sentir mes poumons, 
  de même, je t'aime mon amour avec la plus grande goinfrerie
  risquer la vie,
  pore perdu de la peau immense, 
  ambages, discontinuité, éternité ;
  c'est un moment sans herbe sans 
  sueur sans ravage, dans l'Iliade, 
  qui a échappé à l'oeil aveugle d'Homère.
  Je t'embarque où tu iras, 
  tu me fais moins peur qu'eux 
  quand j'ai peur de toi, 
  terre d'exil et chant du repos mon amour ;
  le poème m'ouvre la bouche comme une plaie, si douce,
  je m'endors avec un jour de plus 
  gagné contre l'horreur, 
  la convalescence, loques pendues des vieilles férocités, 
  cocaïne et dissipation.
Le 
  jour blanc bleu glacé me dessille d'un jet, 
  et c'est un matin sans torpeur ; j'avais 
  rêvé tout ça, l'image, la tourbe, le poème, 
  comme on consulte des fiches d'archives, 
  je l'avais rêvé comme si ma bouche contre 
  ton oreille je te chuchotais 
  " tu vois de quoi je suis plein, 
  n'aie pas peur mon amour. "
  J'étais plein de toute ma lâcheté, ma paresse 
  infinie, mes colères fielleuses, ma lourdeur de boeuf, 
  et j'ai vu dans tes yeux l'amour pour moi !
  J'ai d'abord eu honte... J'ai senti un incroyable soulagement: 
  le meilleur des hommes ne serait pas 
  plus aimé,
  alors,
  j'ai toute mobilité pour toucher au mérite, 
  car, voyant mon coeur j'ai été effrayé.
Quand 
  le dernier cep pourrira sur pied, 
  que chacun aura bu le vin de sa dernière messe, 
  ma langue sera toujours fichée dans ton cul, 
  mobile,
  je chérirai ton coeur;
  derrière un ciel de flash blanc électrique
  j'embrasserai tes yeux pour les protéger 
  de cette atroce lueur ; 
  et là, une fois encore, je reprendrai le poème. 
  Dieu bénira ses deux chers enfants 
  quand ils se baiseront devant lui 
  dans la plus stupéfiante nudité.
Je 
  sens venir le matin 
  de nos fiançailles, 
  chaque jour je poursuis 
  à tue-tête la lecture de Rimbaud 
  -plus assez jeune pour me tromper de violence, et pas 
  encore flétri par la défaite, je suis son lecteur-
  je chante pour moi, 
  pâtisserie mexicaine, 
  sourire figé dans le sucre 
  de la fête des morts, 
  le plus terrifiant le plus doux
  des chants
  qu'on ne donne 
  qu'à soi même. 
   
Copyright ©L.L. de Mars 2001 — Copyleft 
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