Ce texte fut écrit pour le colloque "De l'humour libéral ou l'invention de l'idiot moderne" qui s'est déroulé au Site Expérimental des Pratiques Artistiques de Rennes, au cours de Janvier 2000.
Seul un historien, pénétré 
    qu'un ennemi victorieux ne va même pas
    s'arrêter devant les morts - seul cet historien-là saura attirer 
    au cur
    même des événements révolus l'étincelle 
    d'un espoir. En attendant, 
    et à l'heure qu'il est, l'ennemi n'a pas encore fini de triompher.
    Walter Benjamin
    Ecrits français, Gallimard, 1991, p. 342. 
  
a 
    philosophie, les sciences sociales, toutes les disciplines qui constituent 
    l'autorité des interprétations ou leurs représentations 
    médiatiques, nous assènent le sens d'une histoire qui nous interdit 
    la pensée. Bien sûr nous pensons et nous pouvons penser. Mais 
    selon des critères de jugement qui depuis longtemps ont arrêté 
    les catégories dans lesquelles il fallait penser. La manière 
    de penser nous est bien souvent imposée par les cadres qui l'autorisent. 
    Peut-être même nous est-elle encore étrangère. On 
    se débarrasse de la pensée en la trouvant par exemple transgressive 
    ou irrationnelle, sans correspondance avec les signes qui la contraignent 
    au sens, et donc à une norme. Pourtant il est dans la nature de la 
    pensée d'être aussi transgressive ou mieux, d'être inventive 
    de son propre système de signification, comme c'est souvent le cas 
    pour l'uvre d'art. L'académisme moderne sait cependant s'accommoder 
    de nouveaux cadres pour promouvoir de nouvelles conformités. Ce qu'il 
    a fait, en intégrant les avant-gardes à une idéologie 
    de la représentation et, plus grave, en fixant des uvres passées 
    dans l'éternité de lectures patrimoniales, selon des principes 
    de confiscation programmatiques du sens et de la culture. L'académisme 
    moderne se fait constamment un visage dans l'effet esthétique et dans 
    la séduction, dans une réception uniforme des choses. L'image 
    stupéfie la pensée lorsqu'elle est coupée du discours 
    et qu'elle repose sur la parenté imaginaire de l'immanence du signe. 
    
    Nous pensons dans l'effet, qu'il s'agisse de l'effet de sens ou de l'effet 
    de style, dans la manière abstraite de l'apparition. On nous a appris 
    à gratter une surface, à combiner des signes, à ignorer 
    quotidiennement notre responsabilité devant les agissements d'une société, 
    qui pour notre bonheur, nous épargne cet effort. Car on ne remet pas 
    en cause les principes fondamentaux d'une société sans porter 
    atteinte, en même temps, à la légitimité du pouvoir 
    qu'elle a codifié idéologiquement et culturellement, dans les 
    uvres et les discours qu'elle a fait siens. L'imposture de la virtualité 
    du sujet est le fruit de son cryptage dans le nombre et l'image. La théorie 
    du signe suppose aujourd'hui une rhétorique de la domination du rationnel 
    et une coupure avec le sujet qui paralyse sa définition dans les déterminismes 
    du symptôme.
    Je vais m'efforcer de montrer que dans les rapports entre sujet et langage, 
    ce qui est tranquillement sapé par les institutions, c'est avant tout 
    la critique. Car le fait que la critique soit continuellement canalisée 
    dans le signe la maintient dans un cadre de pensée, une socialité 
    idéologiquement forcée et du même coup ménage un 
    impensé, trop souvent considéré comme un impensable. 
    
    La critique est pensable à condition qu'elle ne se laisse pas berner 
    par les discours ambiants, ceux de la dissimulation derrière la confusion, 
    ceux du tout virtuel, ceux de la fausse générosité de 
    l'éclectisme, ceux du désabusement hédoniste, ceux de 
    la légitimation, ceux par trop territorialisés dans une tradition 
    de la pensée qui ne reconnaîtrait pas l'invention de la valeur 
    dans la façon dont elle excède les catégories, mais au 
    contraire dans une identification à un topos déterminé 
    et presque toujours politiquement douteux. 
    Il ne s'agit pas, cependant, de prôner une asocialité ou une 
    raison négative comme cela s'est déjà vu. Cela ne change 
    en rien les données du problème puisqu'une société 
    s'accommode encore sans état d'âme d'une éthique de l'exclusion. 
    La marginalisation sociologique permet de se débarrasser d'à 
    peu près tout ce qui peut être encombrant, puisqu'il y a aussi 
    des catégories pour ça, des catégories du reste, des 
    périphéries sociales de l'individu. 
    Ainsi une critique de la société passe par une critique du signe 
    et une redéfinition anthropologique de la place du langage. L'histoire, 
    à son tour, n'est possible que dans l'indissociation du sujet et du 
    discours. Sans doute est-elle constamment à refaire, au regard de notre 
    présent et à chaque nouvelle situation d'énonciation. 
    Ce n'est que dans le préliminaire de cette critique qu'on pourra, par 
    la suite, questionner les transformations éthiques, politiques, voire 
    poétiques, qu'impliquerait une théorie du sujet sur une théorie 
    de la société. 
  
    Conséquences d'une généralisation du signe 
  
a 
    prolifération des sémiotiques a jusque là pensé 
    pour nous toute une logique de la représentation sociale. Il y a là 
    une stratégie, une intentionnalité dont la naïveté 
    n'est qu'apparente. Le signe est devenu ce par quoi apparaît le monde. 
    Les conséquences idéologiques de son emprise supposent un impérialisme 
    du signe. Il garantit une forme d'autorité de la raison sur le savoir, 
    et assimile les formes négatives de la pensée dans la fermeture 
    de son système. Les interprétations engendrées par une 
    généralisation du signe sont subordonnées à une 
    conception de la vérité. Même la multiplicité des 
    interprétations est consignée dans cette lecture métaphysique 
    du monde où ce qui prévaut, est l'universalité d'un sens 
    et sa lecture du monde derrière les signes. 
    En s'érigeant comme une science éclectique et abstraite, la 
    sémiotique organise la quantification d'un monde donné, et a 
    priori déterminé. Cela impose un sens du regard et de la pensée, 
    un sens de l'avenir et du passé. Une théorie de l'histoire. 
    On a pu remarquer comment les institutions se sont habituées à 
    ce mode de fonctionnement, comment elles y ont coulé leur devenir, 
    et la sécurisation de leur système. Le pouvoir et les institutions 
    fondent désormais leur légitimation dans cette reconnaissance 
    du monde proposée par la logique du signe. 
    Ainsi le signe se diffuse dans toute la société, comme un moyen 
    généralisé de déterrer son sens et sa présence. 
    Parallèlement, il enterre aussi l'histoire et la subjectivité 
    des discours qui la composent. Car pour la société, la raison 
    est objective. C'est le sujet plié à l'objectivité des 
    catégories déterminées par la société, 
    l'exégète patenté, qui définit les champs de la 
    critique dans un débat qui n'a lieu que dans les énoncés, 
    dans un déjà débattu, pourrait-on dire. Car l'universalisme 
    du savoir le rend apolitique. L'aberration du passé comme objet symbolique, 
    son statut révolu d'énoncé, la détermination que 
    les choses, les êtres et même le savoir sont déjà 
    dans la nature, manquent à tout coup une critique, qui excéderait 
    le signe et l'immanence qu'il implique. La nature, dans le prisme de l'humanité 
    qui la désigne est avant tout une culture. Le signe serait donc un 
    état naturel feint qui fait passer sa culture pour une nature. 
    
e dualime 
    entraîne une impossible critique du sujet puisque le signe qui renvoie 
    à l'immanence, vise l'objectif pour le collectif ; il construit la 
    rationalisation de l'objet dans ses modalités d'apparence et de réception. 
    L'objet viendrait à la lumière à travers le signe. Ce 
    dernier constituerait une balise du monde où langage et sujet n'auraient 
    qu'un rôle secondaire, celui d'une efficacité sans ancrage, tels 
    des instruments de la révélation. Il implique une ontologie 
    du sujet et une ontologie du langage, à savoir dans leur être 
    hypothétique, la liquidation de leur responsabilité dans l'opacité 
    de leur existence. 
    Tout peut donc passer à la moulinette du signe puisque sa stratégie 
    est celle de la lumière contre l'opacité, de la vérité 
    universelle contre l'irrationalité individuelle. Tout peut être 
    lu par son principe, sans égard à la spécificité 
    des objets qu'il décline, car ils ont la même transparence devant 
    le signe . C'est là l'illusion dans laquelle le signe plonge le monde. 
    
    Ses applications, à l'analyse d'objet ou de comportement, sont souvent 
    difficiles à distinguer des modes de fonctionnement qu'il investit 
    comme une discipline. Pour mémoire, " la sémiotique en 
    tant que discipline organisée, s'est constituée à partir 
    des travaux parallèles du philosophe Charles Sanders Pierce (1839-1914) 
    aux USA, qui avait élaboré une approche logique de la nature 
    du signe sous le nom emprunté à John Locke, de semiotics, et 
    du linguiste Ferdinand de Saussure (1857-1913) à Genève, qui 
    appelait de ses vux ''une science qui étudie la vie des signes 
    au sein de la vie sociale'' et qu'il nommait sémiologie ". Le 
    terme de sémiotique est aujourd'hui le plus généralement 
    utilisé. En référence à Pierce il introduit une 
    logique. La sémiologie, à la différence de la sémiotique, 
    est essentiellement devenue une spécialité médicale ; 
    il y a aussi, cependant, des sémiologies de l'écriture, de l'image, 
    ou du théâtre et tout un fatras de la connaissances par le signe.
    L'approximation n'est pas innocente. Une dimension clinique émerge 
    du signe. Elle répond à un ordre supérieur, une cosmologie, 
    un ordre naturel. Comme on identifie l'origine d'un mal ou d'une pathologie, 
    on enquête sur les causes de la présence ou de l'existence pour 
    trouver sa raison. Tournés vers le commencement comme vers un contenu 
    hermétique, nous postulons la vérité dans ses signes. 
    Mais il s'agit d'une certaine vérité, aux conséquences 
    et aux initiatives théoriques décelables dans l'analyse de ses 
    représentations.
    Le langage est l'outil de cette archéologie. Là encore, la pensée 
    est projetée comme une substance. Le signe impose le règne de 
    l'analogie et les raccourcis logiques. Le mot vaut pour le sens, et l'image 
    vaut pour la réalité. Le monde est réifié dans 
    le signe. C'est ainsi que nous travaillons la perte du sens et que nous fabriquons 
    du passé sur le mythe. Reconstitutions historiques, historicismes sont 
    aussi des moyens du signe. C'est le maintien d'une mémoire-fossile 
    et des monuments de la commémoration. A travers le signe, l'homme consacre 
    la réparation de son conflit avec le divin. Débabelisé, 
    son langage s'est éparpillé dans le monde, il s'est dissout 
    dans le signe, il s'est confondu dans l'image. Cette mise en rupture du langage 
    avec le monde, son dessaisissement anthropologique au profit du sacré, 
    détermine pour lui une figure de l'au-delà : le langage dirait 
    toujours autre chose que ce qu'il dit, en supposant un être mystérieux 
    du langage qui ne serait pas le sujet qui le parle, ou peut-être un 
    avatar virtuel. 
    C'est tel que l'imagine William Burroughs dans ses studios de réalité 
    : le langage est identifié à l'image du virus. Comme un vivre 
    du langage qui serait étranger à l'homme, tel un hôte, 
    une organicité culturelle, qui programmerait notre inconscient. Cependant, 
    qu'il s'agisse d'un ennemi invisible, d'un organe de contrôle dissimulé 
    dans notre cerveau, ou encore de dieu, notre adhésion à une 
    quelconque immédiateté nous rappelle à l'ordre du signe. 
    Cette théorie du langage est aussi une théorie de la société 
    ; elle conforte ainsi son emprise en verrouillant son contrôle sur les 
    individus par l'éducation et la programmation par le langage. Elle 
    ignore la notion de sujet devant la responsabilité de sa pensée 
    et de son historicité. Elle confond individu et sujet. 
    Tenues dans la rupture entre individu et société, contraintes 
    à une psychologie qui contribue à la circularité et à 
    la fermeture du langage dans son élargissement au signe, l'expression 
    et la communication sont devenues les maigres réduits du sujet. Le 
    langage associé à la généralisation du signe sert 
    à sortir du sujet et à l'effacer au lieu de l'inventer. Le sujet 
    est lui-même renvoyé à un contenu, à une opacité 
    et à une résistance au langage. Il est coupé du langage 
    dans l'au-delà d'une compréhension qui le dépasse. Il 
    n'a ni les clés de son exégèse ni celles de sa réalisation. 
    Dans la sacralisation de la présence et du sujet comme être, 
    s'opère un dépassement du langage. L'éventualité 
    d'un innommable reste donc celle d'une métaphysique.
    
'éclectisme 
    du signe révèle son ambition universelle. Le consensus autour 
    de cette notion marque l'emprise éthique et politique d'un pouvoir 
    ; il porte la légitimité aristocratique de sa transcendantalité. 
    Il n'est pas trop fort, symboliquement, de considérer cet héritage 
    de divin. Car son sujet est transcendantal. Cela suffit à justifier 
    l'aspect naturel de l'existence d'un pouvoir. Sur ce modèle, la société 
    transcende le sujet et évacue le langage comme moyen culturel. Le pouvoir 
    repose sur la légitimité naturelle de son principe. Lui-même 
    revendique le verrou sacré de la métaphysique comme un principe 
    de légitimation historique. Ainsi, la démocratie comme effet 
    de style maintient la fascination contre la critique. En établissant 
    leur autorité sur l'opposition nature/culture les institutions pérennisent 
    un espace sacré qui limite la critique à la reconnaissance de 
    fonctionnements, sans mettre en danger leurs principes fondamentaux. Elles 
    ne tolèrent l'inconnu que dans sa disparition dans le mythe et non 
    dans l'altérité à partir de laquelle s'invente toute 
    historicité. 
    (J'entends par historicité, une historicité radicale issue du 
    rapport spécifique qu'entretiennent sujet et discours. A la différence 
    de l'historicisme " qui rapporte un fait ou un discours à sa situation 
    objective "(Dessons) l'historicité renvoie à un point de 
    vue strictement subjectif. C'est sur le modèle de l'énonciation 
    tel que le définit Benveniste comme événement toujours 
    singulier, comme modalité exclusive d'individuation, qu'une historicité 
    est possible. C'est parce que c'est un phénomène anthropologique 
    que le langage devient une condition de l'historicité : " Ce n'est 
    pas l'histoire qui fait vivre le langage, mais plutôt l'inverse "(Benveniste 
    II, p ; 32). Dessons rajoute p. 47 de son Benveniste : " Et c'est en 
    cela que le langage est l'historicité par excellence. Etant ce qui 
    constitue tout individu en sujet, il est donc la condition même de l'histoire, 
    si l'histoire est la dimension par excellence de l'humain. Etant l'historicité, 
    le langage transcende l'histoire, dont il est en fait la condition et le fondement 
    ".) 
    Par le signe le sujet est coupé du langage et contraint à la 
    solitude. Il est réduit, comme le monde, à un donné à 
    décrypter, une antécédence à laquelle nous serions 
    attachés selon la progression linéaire instaurée par 
    le signe qui tendrait l'origine vers la présence. Ainsi, comme on l'a 
    vu, ce qui est mis en uvre par le signe est fait de retour, d'ordre, 
    et ménage aussi bien la faiblesse de la critique qu'une théorie 
    absente du sujet. 
    La sémiotique laisse croire, dans son recours au signe comme mathème, 
    qu'elle construit la scientificité de ses analyses contre le religieux, 
    l'irrationnel et la métaphysique. Négligeant par là même, 
    la sacralisation à laquelle elle est attachée dans une conception 
    du signe comme substitut des choses et du monde, comme substitut cosmique 
    du divin.
    Il peut sembler difficile de considérer ce double versant du signe 
    où se jouent à la fois scientificité et métaphysique. 
    Pourtant c'est sur un principe similaire, celui de substitution, que le sacré 
    et le signe se ressemblent. Le signe vaut pour la chose et comme absence de 
    la chose. A partir de ce fonctionnement du sens se dessine la théorie 
    du langage qui l'autorise. Henri Meschonnic élabore son anthropologie 
    historique du langage dans cette critique du signe : " Le schéma 
    du signe est le schéma même du sacré. [
] Le sacré 
    n'est pas un objet, mais, comme le signe, un ''mode idéel de relation'' 
    à un objet. Le signe comme signe d'autre chose et le signe du Tout 
    Autre sont une relation identique ". A cette condition nous pouvons confondre 
    le signe avec l'objet. C'est ce qu'ont fait, par exemple, certains artistes 
    conceptuels qui ont utilisé le langage comme matériau. Je pense 
    à Joseph Kosuth ou à Lawrence Weiner, par exemple. 
    Plus largement, la relation qu'induit le signe dans la société 
    instrumentalise le langage comme un moyen du sens. Evacué selon le 
    principe qu'il est un système de signes, le langage est lui-même 
    limité comme substitut des êtres et des choses. Il devient exclusivement 
    moyen d'expression du sujet, instrument de communication, ce qu'il peut être 
    aussi. Cependant sa spécificité n'est ni de se substituer au 
    sujet, ni de signifier strictement un contenu. 
    
'idée 
    d'une objectivité du langage est avant tout idéologique. Elle 
    postule que l'autorité du sujet soit celle de la société. 
    On le constate déjà avec l'herméneutique sacrée 
    et le devoir d'autorité qu'elle s'accorde sur l'interprétation 
    des textes. Le sens est garanti par une autorité exégétique 
    et suppose que derrière les mots, une métaphysique de l'origine 
    puisse se conformer au langage comme signe. Mais postuler qu'il y aurait une 
    essence du texte est étroitement lié à une recherche 
    de la vérité par le signe. La reconnaissance et l'affirmation 
    d'une telle essence impliquent un relais idéologique qui s'organise 
    dans les rapports entre dominés et dominants. La vérité 
    tombe sous le coup du dogme de la même façon qu'une lecture modèle 
    fonde sa valeur dans l'autorité des institutions. De ce fait elle confond 
    lire et comprendre et oriente idéologiquement la valeur dans le signe. 
    La compétence du lecteur est ainsi programmée : à décoder 
    les signes selon une stratégie qui assujettit tout objet à sa 
    référence sémiotique. C'est la stratégie du cahier 
    des charges, une téléologie, qui viserait à anticiper 
    la critique dans une attente à combler. Les catégories sont 
    distribuées en genre et les uvres sont celles qui fondent leur 
    valeur dans cette conformité. 
    Alors que l'histoire du signe reposait sur une linguistique chez Saussure, 
    elle est devenue une logique de la pensée avec Pierce, une métaphysique 
    de l'authenticité perdue et de l'objet absent. Le signe sacralise le 
    rapport au monde, en effet, parce qu'il oppose le figural au littéral, 
    parce qu'il transcende le sens à travers l'image. Sur le modèle 
    de l'herméneutique sacrée, l'interprétation fabrique 
    du sens à partir de la généralisation du signe dans notre 
    société. Le sens s'articule entre l'image et le langage, comme 
    écart rhétorique. Ce constat impose une domination pratiquement 
    théologique de l'image sur le langage. L'herméneutique actuelle 
    a fondé sa méthode de compréhension du monde dans un 
    faux athéisme du signe.
    Cela nous informe sur le fait que le signe n'est pas qu'une affaire de langage. 
    En tout cas pas à ces conditions. Certes, c'est dans le signe que nous 
    avons construit culturellement notre pensée. Le structuralisme nous 
    a appris à construire le sens de notre culture sur ce modèle. 
    
    Avec le signe, l'altérité nous est devenue radicalement étrangère. 
    C'est l'autre sans concession. L'image nous rend par le signe un substitut 
    de l'altérité, un avatar virtuel du sujet. Car le monde en tant 
    qu'autre est régi par le signe, comme un absolu qui nous transcende 
    et qui transcende l'histoire dans laquelle, pourtant, nous nous inscrivons 
    par le langage. Ceci définit le champ du signe dans le rapport d'une 
    extériorité à une intériorité et rend la 
    coupure entre sujet et discours manifeste. A la condition de reconnaître 
    un impérialisme du signe il sera possible d'envisager réintroduire 
    du sujet dans le social, sans confondre ce rapport critique avec son individuation 
    dans la société. 
    L'ordre du signe est une fermeture du monde sur ses fondations. Du fait de 
    son universalisme, il s'impose comme un système déshistorisé, 
    hors de portée de la critique. La circularité de son fonctionnement 
    perpétue la viabilité de son modèle comme autorité 
    exégétique et institutionnelle. Sa largeur d'esprit a celle 
    de la synecdoque, elle se réalise dans la partie pour le tout, dans 
    la disparition des spécificités du sujet au profit des légitimations 
    de pouvoir. La rhétorique est son opérateur esthétique, 
    la figure de son supplément, l'illusion de sa valeur. La généralisation 
    de son système théorise une société abstraite, 
    dans la mesure où on a perdu le sujet dans l'origine et l'origine dans 
    le discours. 
    Nous avons donc perdu le sujet au moins deux fois. Car coupé du langage 
    le signe est anhistorique. Dans le langage distribué en unités 
    discrètes il est du discontinu qui se voudrait critique historiquement. 
    Séparé du sémantique, le signe n'a pas de dimension continue 
    dans le langage. Il est une abstraction, une insuffisance du sens. 
  
    Conditions d'une anthropologie historique du langage 
  
a 
    mystification de la réalité passe par la mythification du sujet. 
    La notion de signe en est une clé essentielle. Le signe postule la 
    société comme une autorité objective de cette réalité. 
    Le sujet en est donc évacué. Il est virtualisé par l'image, 
    pixélisé dans la tradition cybernétique de la programmation 
    par le langage. Son rêve est celui d'une interaction : un behaviourisme 
    qui situerait le sujet dans une parfaite adéquation avec la société. 
    Le sujet est donc réduit à de l'individu, à une quantité 
    transparente comme le nombre. Il est un réceptacle du sens. Le sens 
    est élaboré pour lui de façon performative, dans un rapport 
    stimulus-réponse, qui met en jeu la compréhension sous la tutelle 
    d'un sens commun circonscrit par le signe. 
    Parce que l'histoire s'écrit sous l'autorité interprétative 
    des institutions, la société défend l'objectivité 
    comme point de vue collectif et comme rationalisation des opinions. Elle légifère 
    parmi les signes qui la déterminent ce qui est conforme à son 
    éthique. Le sujet de son discours est une entité abstraite puisqu'il 
    se réalise dans ses formes d'apparition et dans ses effets, dans le 
    substitut de ce qu'il est vraiment, à la fois comme symptôme 
    et en marge de la société.
    Partant de cette conception de la société, le langage est nécessairement 
    coupé de sa spécificité subjective. Restreint à 
    la sémiotique, il est postulé comme un instrument de la société, 
    ce qui octroie à cette dernière la possibilité de gérer 
    à la fois les systèmes de signification et leurs valeurs symboliques, 
    de contraindre les valeurs à une idéologie de la représentation. 
    Le sujet de l'histoire devient dans cette perspective l'aventure de l'Ego 
    d'une société, la mise en valeur de ses coups d'éclat, 
    et une thésaurisation sur l'événement comme légitimation 
    de ses choix et de son existence.
    Il faut donc regagner la responsabilité théorique du sujet devant 
    l'histoire. Et c'est à travers le langage qu'il contribue à 
    l'invention de la valeur : car " L'historicité des valeurs est 
    rejetée à l'historicisme, à l'érudition, et par 
    là implicitement à une stratégie du signe, si elle n'est 
    pas connue comme solidaire de l'historicité du langage ". Pour 
    que cela soit possible, le sujet doit être inséparable du discours. 
    A cette condition, il fait l'expérience de la société 
    et se situe dans l'histoire. Il travaille à la reconnaissance de sa 
    valeur et non à l'inventaire des justifications de sa valeur ou à 
    sa reconnaissance dans une catégorie. 
    La valeur concrète de l'événement est dans le discours. 
    Cela n'efface pas le signe mais lui fait prendre une autre valeur, dans le 
    langage et dans la société. Ce qui est ici mis à l'épreuve 
    c'est son caractère stratégique, sa portée idéologique 
    et les implications éthiques et politiques qui en découlent 
    pour la constitution d'une théorie de la société. C'est 
    parce qu'une sémiotique n'est possible, dans le cadre du langage, que 
    comme système sui-référentiel, qu'il est nécessaire 
    de repenser les effets d'une généralisation du signe.
    
omme 
    l'analyse Benveniste, le sujet est intimement lié au discours. Il remarque, 
    dans les conditions d'une anthropologie, que le langage est l'instance dans 
    laquelle l'homme s'articule avec l'histoire. Tout discours émane d'une 
    subjectivité. Mais bien que le langage soit constitué de signes, 
    nous ne parlons pas en signes. Si le mot est l'unité de la langue dans 
    un système de signe, c'est la phrase qui nous projette dans l'histoire. 
    Cette différence est fondamentale dans l'uvre de Benveniste et 
    dans la reconnaissance du sujet qu'elle implique. Car elle ouvre le sujet 
    à l'aventure de la langue, au lieu qu'il la subisse comme un conditionnement 
    culturel. Gérard Dessons commente cette différence en ces termes 
    : " Signe et phrase représentent ''deux mondes distincts'', qui 
    ''appellent des descriptions distinctes'' : le signe, unité de la langue 
    est placé du côté de l'énoncé ; la phrase, 
    ''unité du discours'', se situe du côté de l'énonciation 
    du sujet ". La différenciation du signe et de la phrase a pour 
    conséquence d'impliquer pour le langage deux modes de réalisation 
    distincts mais inséparables dans leur fonctionnement. 
    C'est à condition de voir les choses du point de vue de l'énonciation 
    et non de l'énoncé, qu'il est possible d'envisager la capacité 
    du langage à transformer la société, c'est dans le dire 
    lui-même. Le langage fonctionne comme expérience et historicité, 
    comme empiricité du monde là où il est associé 
    au sujet. Son origine se refait à chaque fois qu'en tant que sujet 
    il invente de nouvelles catégories ou de nouvelles valeurs dans la 
    société. 
    L'indissociabilité du sujet et du discours implique une altérité 
    déjà à l'uvre dans le langage. Benveniste construit 
    la notion d'intersubjectivité à partir de cette liaison nécessaire 
    entre sujet et discours, et à partir de la manière dont elle 
    se réalise dans l'énonciation comme instanciation du sujet. 
    C'est en observant les formes pronominales dans leur fonctionnement, qu'il 
    postule le statut particulier des catégories je et tu. Dans la mesure 
    où c'est " en s'identifiant comme personne unique prononçant 
    je que chacun des locuteurs se pose tour à tour comme sujet ". 
    En cela nous sommes loin de la confusion provoquée par le " je 
    est un autre " de Rimbaud, qui a entretenu l'hypothèse d'une séparation 
    radicale entre soi et la société et donc entre le sujet et son 
    discours. (Ce qui maintient encore la perspective de la poésie comme 
    un ailleurs en porte-à-faux avec la société). 
    Si je implique de l'altérité ce n'est pas comme objectif, mais 
    comme un processus spécifique qui implique tu, de façon complémentaire. 
    C'est dans cette mesure que l'intersubjectivité est possible, en se 
    constituant dans le langage : " Je n'emploie je qu'en m'adressant à 
    quelqu'un, qui sera dans mon allocution un tu. C'est cette condition de dialogue 
    qui est constitutive de la personne, car elle implique en réciprocité 
    que je deviens tu dans l'allocution de celui qui à son tour se désigne 
    par je. [
] De ce fait, je pose une autre personne, celle qui, tout extérieure 
    qu'elle est à " moi ", devient mon écho auquel je 
    dis tu et qui me dit tu ". L'intersubjectivité issue de cette 
    caractéristique du discours implique que je est distinct de moi, dans 
    la mesure où je, à travers le langage implique toute la société 
    langagière. Ainsi l'opposition entre le moi et la société 
    tombe. Le langage devient le lieu même de la socialisation. 
    
n considérant 
    le langage au centre des activités humaines, non plus comme instrument 
    de communication ou moyen d'expression mais comme instanciation du sujet, 
    c'est toute une théorie de la société qui est problématisée 
    et qui demande une redéfinition de la place du signe. Benveniste propose 
    particulièrement de respécifier le signe en articulant sémiotique 
    et sémantique. Le signe n'a plus, dans ce rapprochement, la vocation 
    qui consistait à systématiser le monde et à le reconnaître 
    dans des catégories établies, en réduisant le langage 
    au signe et le signe à la pensée, comme l'envisageait Pierce. 
    En effet, la dimension historique du langage ne peut être portée 
    par une sémiotique : " car il y a une ahistoricité radicale 
    de la sémiotique. Le signe est un universel qui ne reconnaît 
    ni historicité ni historicisation ". Dans une théorie de 
    la société qui s'appuie sur le signe pour fonder son objectivité 
    et sa réalité, le sujet n'a donc qu'une existence virtuelle. 
    Il est ainsi attiré dans un système qui le reconnaît en 
    dehors de la valeur empirique, historique et subjective qu'il réalise 
    dans le discours. 
    C'est à ce titre qu'une théorie du sujet est livrée à 
    la marginalisation. Soit dans sa mise au ban comme sujet pathologique. Dans 
    ce cas, il est assigné par la psychanalyse à son intériorisation 
    dans l'inconscient. Intériorisation qui peut devenir l'enfermement 
    psychiatrique si le sujet réalise sa solitude au point de rompre le 
    dialogue avec la société. Soit le sujet est dans une extériorité 
    radicale sur laquelle il n'a pas de prise. Son existence est ainsi renvoyée 
    à une absolue transcendantalité, qui condamne le sujet à 
    la transparence et à l'impossible relais de sa responsabilité 
    dans les transformations sociales. Il est dans les deux cas démis de 
    l'autorité de sa parole puisqu'elle n'est pas conforme à la 
    raison que la société s'est construite dans le signe, le sens 
    n'ayant de valeur qu'en regard du collectif. 
    Dans ce système de pensée, la défection du sujet est 
    structurellement évidente puisque " Le signe a toujours et seulement 
    valeur générique et conceptuelle. Il n'admet pas de signifié 
    particulier ou occasionnel ; tout ce qui est individuel est exclu ". 
    Il n'est donc pas surprenant que la société ait théorisé 
    le langage dans le signe. C'est dans son élaboration en système 
    de reconnaissance - et en effet, de surveillance - qu'elle assigne le sujet 
    au contrôle et à la domination. C'est ainsi pourrait-on s'aventurer 
    à dire qu'elle contrôle devenir et historicité.
    Comme la maîtrise de l'information est devenue aujourd'hui un enjeu 
    stratégique, c'est par le langage que peut s'opérer une critique 
    de la société, en passant en premier lieu par une critique du 
    signe, dans la mesure où " bien avant de communiquer, le langage 
    sert à vivre ". Si donc, le langage est à la fois du signe, 
    mais pas seulement, c'est parce que le sémantique est la condition 
    du sens dans sa relation au sujet. Le recours exclusif au sémiotique 
    implique plus une idéologie de la société, et la conservation 
    du sens dans sa fermeture signalétique ou symbolique, que son ouverture 
    au monde. La dimension sémantique du langage est réduite à 
    un contenu essentialisé. Dans cette coupure, la société 
    opte pour la prédictibilité des événements et 
    la fermeture du sens sur les signes de la mémoire, dans l'immédiateté 
    de leur présence.
    La sémantique est cependant la part imprévisible de l'aventure 
    du langage dans la société. C'est là sa spécificité, 
    et l'indétermination particulière de son sujet : il se construit 
    dans l'inconnu et il construit aussi l'inconnu que peut être le passé 
    pour lui. Son rapport au passé ne s'éteint pas avec la disparition 
    de l'événement dans le temps. Car l'événement 
    inscrit dans le langage n'est pas abstrait, il n'est pas coupé du continu 
    de son énonciation. " Benveniste critique l'idée qu'on 
    puisse fonder la sémiotique sur une idée abstraite du signe 
    ". Ce constat l'amène à reconsidérer le sémantique 
    comme étant indissociable du sémiotique suivant des modalités 
    spécifiques au langage : " Le sémiotique (le signe) doit 
    être RECONNU ; le sémantique (le discours) doit être COMPRIS. 
    La différence entre reconnaître et comprendre renvoie à 
    deux facultés distinctes de l'esprit : celle de percevoir l'identité 
    entre l'antérieur et l'actuel, d'une part, et celle de percevoir la 
    signification d'une énonciation nouvelle, de l'autre ". 
    
e travail 
    de la signification, dans l'articulation entre sémiotique et sémantique, 
    postule une dialectique étroite entre le sujet et le social. La société 
    n'est plus la valeur idéelle dans laquelle se croiseraient n'importe 
    comment les différents systèmes de relation et de signification. 
    En perdant sa valeur systématiquement abstraite à travers l'empiricité, 
    la subjectivité et l'historicité radicale du discours, le langage 
    ouvre la société à la critique à partir des individuations 
    qui la composent. Les systèmes de signification sont lestés 
    de leur caractère universel puisqu'ils sont territorialisés 
    dans le discours. La signification devient alors une signifiance dans l'historicité 
    des discours. 
    Le langage, vu sous l'angle de l'anthropologie de Benveniste suppose une théorie 
    de la société où le signe n'intervient plus avec la même 
    valeur dans l'élaboration du sens. L'espace de la sémiotique 
    est réduit à une convention, un ordre, un système fermé, 
    à partir duquel la sémantique ouvre le monde : " la langue 
    est le seul système dont la signifiance s'articule ainsi sur deux dimensions. 
    Les autres systèmes ont une signifiance unidimensionnelle : ou sémiotique 
    (geste de politesse) sans sémantique ; ou sémantique (expression 
    artistique), sans sémiotique. Le privilège de la langue est 
    de comporter à la fois la signifiance des signes et la signifiance 
    de l'énonciation. De là provient son pouvoir majeur, celui de 
    créer un deuxième niveau d'énonciation, où il 
    devient possible de tenir des propos signifiants sur la signifiance. C'est 
    dans cette faculté métalinguistique que nous trouvons l'origine 
    de la relation d'interprétance par laquelle la langue englobe les autres 
    systèmes. " Cette redéfinition du signe dans la langue 
    permet d'opérer un glissement, d'une théorie du langage qui 
    est une métaphysique, vers une anthropologie. 
    Cela induit pour le langage qu'il n'est un instrument de communication que 
    dans l'effet des relations qu'il tisse dans la visée d'une économie, 
    considérant que ce sont les individus qui communiquent, et que la performance 
    de cette communication est axée sur le contenu du message. L'efficacité 
    de la circulation des informations n'inclut le sujet que comme contenu lui-même. 
    Seule importe alors l'interception globale des messages et la vivacité 
    abstraite à les accumuler comme signe. 
    La société s'abstrait dans la gestion et la compréhension 
    des signes qui constituent la toile communicationnelle. C'est paradoxalement 
    dans l'ahistoricité de sa fermeture qu'elle va se constituer une substance. 
    Rendu à l'opacité, elle peut reprendre son travail d'exégèse 
    et d'hagiographie, en réifiant le passé dans la commémoration, 
    c'est-à-dire dans les signes sur lesquels elle construit ses interprétations, 
    en maintenant la totalité comme un objet (ou une numération 
    globulaire que le langage écorcherait à peine). 
    Cette autorité sur le sens n'est plus valable dans une anthropologie 
    qui désigne l'homme par le langage. L'interprétation n'a lieu 
    que dans la multiplicité des sujets et non dans le super-sujet que 
    se targue à être la société. C'est dans le langage 
    que se joue cette faculté critique, ouverte au monde et à la 
    transformation. Paradoxalement, en étant spécifiquement subordonnée 
    au signe, la société est subordonnée au langage. Le langage 
    n'est plus le produit instrumental de la société, mais il partage 
    avec elle, dans une relation réciproque, la construction du sens. Cette 
    réciprocité peut paraître évidente. Cependant, 
    si elle est possible, c'est grâce à " la nature herméneutique, 
    ou interprétative, du lien qui unit la langue et la société 
    ". C'est à ce titre que " la langue est l'interprétant 
    de la société ". 
    
a langue 
    n'est donc pas une partie de la société ou une représentation 
    parcellaire de sa structure. Elle n'est ni topologisée, ni spatialisée 
    dans un cadre où se rejouerait sa fermeture. La composante sémantique 
    de la langue est justement son ouverture à l'utopie. La logique du 
    signe qui fixe le sens comme un universel a priori, s'oppose à la primauté 
    de la langue et à sa spécificité comme interprétant 
    de la société : " Le sociologue, et probablement quiconque 
    envisage la question en termes dimensionnels, observera que la langue fonctionne 
    à l'intérieur de la société, qui l'englobe ; il 
    décidera donc que la société est le tout, et la langue, 
    la partie. Mais la considération sémiologique inverse ce rapport 
    car seule la langue permet la société. La langue constitue ce 
    qui tient ensemble les hommes, le fondement de tous les rapports qui à 
    leur tour fondent la société. On pourra dire alors que c'est 
    la langue qui englobe la société. Ainsi la relation d'interprétance, 
    qui est sémiotique, va à l'encontre de la relation d'emboîtement, 
    qui est sociologique ". La redéfinition de la place du signe dans 
    le langage, et par voie de conséquence dans la société, 
    résulte d'une part de l'indissociabilité du sujet et du discours, 
    c'est-à-dire du rôle empirique et historique qu'implique une 
    sémantique et, d'autre part, du statut particulier du langage comme 
    système à la fois sémiotique et sémantique. C'est 
    parce que l'omniprésence du signe dans la société est 
    de nature concrète dans le langage que la relation d'interprétance 
    et une historicité radicale sont possibles. Dans la mesure où 
    le sens s'organise dans le discours, la langue interprète la société 
    et en devient l'expression. Réciproquement, " la société 
    devient signifiante dans et par la langue ". C'est à ce titre 
    que la sémiotique est reconsidérée comme un système 
    fermé. 
    
     
  
Vers une poétique de l'art
étachée 
    du sujet la société garantit l'intemporalité de son pouvoir 
    et la supériorité de ses fondements illisibles sur le discours. 
    Sa mesure est dans le signe originel du calendrier des événements. 
    Elle se maintient dans une métaphysique de la présence. Et l'irrationnel 
    nourrit également ses représentations : " La sémiotique 
    contribue ainsi au confusionnisme présent. Elle prête sa déshistoricisation 
    à l'irrationnalisme millénariste. Elle lui laisse le champ, 
    offrant le spectacle d'une absence de critique qui est l'effet politique de 
    son épistémologie ". La folie implicite à laquelle 
    aboutit la logique du signe dans le domaine de la création, ne saurait 
    se départir des critères d'évaluation et de diagnostic, 
    par lesquels la société marginalise et constitue toute idée 
    du sujet dans l'exclusion. Le dualisme du rationnel et de l'irrationnel dessine 
    traditionnellement ce cadre de tension avec la force idéologique nécessaire 
    à l'affirmation du signe comme modèle. Et pour elle, l'art permet 
    d'ériger le mythe comme une catégorie exemplaire de la réalisation 
    de son pouvoir. 
    En cela, l'art ne déroge pas à la tentation du signe. La contrepartie 
    singulière de l'uvre, le signe de son orginisme, est par exemple 
    invoqué par les tendances conceptualisantes qui postulent le signe 
    de l'uvre, pour l'uvre. Porte ouverte à tous les mentalismes, 
    réduction du concept à l'abstraction, élévation 
    de la valeur dans l'objet absent : l'art est devenu un sacré culturel, 
    un poncif de la métaphysique. Les théologies de l'art contribuent 
    en fait à légitimer le musée comme un temple et à 
    caractériser l'art comme une valeur transcendantale de la société. 
    Les musées sont devenus des lieux de pèlerinage, des grand-messes 
    du signe et de l'exemplarité de l'uvre. La ritournelle de l'original 
    et du nouveau répète en continu les bienfaits de la rupture. 
    
    Même hors des structures physiques qui représentent le musée, 
    la critique des systèmes culturels entreprise par le Land art, reste 
    historiquement dans un rapport étroit aux institutions. En revendiquant 
    la rupture entre le naturel et le culturel, pour échapper à 
    une économie de l'art, il retombe finalement dans une métaphysique 
    de l'uvre comme expression archaïque d'une authenticité. 
    Ceci n'est pas sans conséquences, car la création archaïque 
    surdétermine la notion d'art en se donnant comme l'englobant de l'art. 
    La création devient alors à son tour l'interprétant de 
    l'art et en cela annule sa problématisation dans et par le langage. 
    C'est en cela que l'uvre est réduite à une métaphysique 
    et un psychologisme (Dessons). L'uvre devient donc une expérience 
    mystique des signes de la nature, " une recherche des signes universels 
    dans le cosmos ", voire la pensée d'une perception extra-sensorielle. 
    En rompant avec les institutions, le Land art ne rompt pas avec la généralisation 
    du signe et le rapport au monde qu'il implique. Il rompt au contraire avec 
    le langage en fondant sa valeur dans l'hermétisme du signe qui ferait 
    uvre. Il déplace la notion d'art sans véritablement la 
    reconceptualiser. 
    Car, que la mise en scène de l'art soit dans les musées ou dans 
    la nature ne fait que rappeler le signe à son universalisme. Nous passons 
    là du cabinet des curiosités à des monuments commémoratifs 
    du savoir et du déjà vu. Les conditions d'historicité 
    des uvres se referment sur l'institutionnalisation de leur valeur par 
    la société. D'une esthétique de l'objet particulier, 
    le Land art, mais aussi la performance et le happening aboutissent à 
    une esthétique du comportement, à une esthétique de la 
    mise en scène. Ces pratiques perpétuent la sacralisation de 
    l'uvre comme objet et non comme sujet. Plus largement, l'ouverture des 
    territoires de l'art à la vie, les vieux rêves d'un art total, 
    se sont transformés en une esthétisation de la société. 
    La notion de valeur retourne à une économie traditionnelle de 
    l'art sous la forme d'images, de photographies, de croquis, de documents ou 
    de catalogues. 
    (La performance considérée ratée par Pierre Pinoncelli 
    [
] tient par exemple à l'absence de témoignage photographique, 
    à l'absence de signe de son uvre, à l'absence d'une légitimation 
    visuelle de son action. Pinoncelli pense avoir raté sa performance 
    parce que l'AFP n'a dépéché aucun photographe au Carré 
    d'Art de Nîmes pour en témoigner. Si bien qu'elle a été 
    rapportée comme un acte de vandalisme . Cependant, la valeur de l'uvre 
    n'est-elle pas, au fond dans les débats et les critiques qu'elle a 
    pu susciter, jusque dans le texte (L'Art contemporain exposé aux rejets) 
    de Nathalie Heinich et jusqu'au moment où moi même j'en parle, 
    n'est-ce pas plus sa sémantisation qui lui donne un sens, plutôt 
    que les signes de sa logique qui ont consisté à pisser dans 
    l'urinoir et à l'ébrécher par la suite ?) 
    Tous ces comportements qui appellent à la désacralisation de 
    l'art, ne font qu'entériner la valeur exemplaire qu'une uvre 
    est pour la société : c'est-à-dire à la fois une 
    sacralisation de l'image et de son commerce, la démesure et l'inflation 
    d'une valeur que seule une stratégie de la société peut 
    porter au pinacle du spectaculaire. Le signe de la bonne santé de l'art, 
    comme peuvent en parler d'éminents commissaires d'exposition, ne se 
    porte jamais aussi bien que quand la spéculation bat son plein. Cependant, 
    c'est la fête d'une valeur qui n'est pas celle de l'art. L'assimilation 
    des avant-gardes par les institutions culturelles, la revendication de la 
    modernité comme slogan publicitaire et sa dévalorisation en 
    poncif, montrent à quel point, sous le signe des apparences et des 
    effets de style, la société fonde sa légitimité 
    comme le modèle d'un vivre où le consensus, l'hédonisme 
    et l'éclectisme participent de la fermeture du sujet par le signe. 
    Pourtant le travail du sujet dans l'uvre d'art est une condition de 
    la modernité.
    
ous avons 
    vu dans l'analyse de Benveniste à propos des rapports entre sémiotique 
    et sémantique, qu'une anthropologie historique du langage impliquait 
    pour l'art une sémantique sans sémiotique. La spécificité 
    de l'uvre littéraire ou plastique, la littérarité 
    ou l'artisticité d'une uvre, dépend essentiellement du 
    continu historique dans lequel elle s'inscrit en prenant sens comme discours 
    dans la dimension sémantique. Car l'art a sa vocation dans l'invention 
    de son sujet et dans les discours qui fondent sa valeur. Plus exactement, 
    une uvre d'art doit être capable de déplacer les conditions 
    de discours qui rendent compte de sa valeur. 
    Avant même d'imaginer un sujet de l'art, l'uvre est d'abord un 
    processus de subjectivation de la valeur. L'uvre d'art, en effet, n'est 
    pas le signe d'une intériorité, ni la représentation 
    en surface d'une profondeur. Il n'y a pas de signe dans une uvre d'art. 
    Un tableau ne peut pas être constitué de signe car si le signe 
    est universel, il transcende la réalité empirique des choses. 
    
    L'uvre d'art ne vaut pas, dans le cadre d'une poétique, comme 
    objectivation d'une expression, mais comme subjectivation : " poser que 
    l'art pense est une façon d'en faire une réalité subjective 
    [
] un sujet à part entière, qui entretient des relations 
    de nécessité avec le savoir " (Dessons, colloque). La relation 
    entre la forme et le sens est donc continue. De même qu'entre pratique 
    et théorie il n'y a pas de rupture mais une historicité des 
    discours qui contribue à la réalisation du sujet comme uvre 
    et donc comme critique de la modernité.
    L'uvre ne peut prétendre receler sa propre interprétation 
    ou une essence de sa signification. La supposition de son autonomie comme 
    cryptage ou comme codification d'une langue qui lui serait propre, aurait 
    pour conséquence la fermeture de sa signifiance sur elle-même, 
    comme objet déshistoricisé. Conceptuellement l'uvre n'est 
    pas un objet mais un sujet. C'est le statut du langage comme interprétant 
    de la société qui permet de postuler que les significations 
    d'une uvre se réalisent dans l'historicité des discours 
    qui constitue son dire. Car l'uvre est particulièrement un dire 
    et non un dit, peut-être même, plus précisément 
    un pousse-à-dire. C'est pour cette raison qu'elle n'est pas un objet 
    et qu'en soi elle ne parle pas : " Ce qui, en réalité fait 
    croire à un ''langage de l'art'' c'est la réduction des uvres 
    à des ensembles de signes, dont le décodage ou l'interprétation 
    donne l'illusion qu'elles ''parlent''. Or les uvres ne disent rien " 
    (Dessons). L'interprétation, en instrumentalisant le langage, instaure 
    l'uvre dans le signe et perpétue la séparation entre sujet 
    et objet. Ainsi, l'uvre n'est pas considérée du point 
    de vue de sa capacité à transformer la société 
    par la pensée, la reconceptualisation et la critique, mais comme la 
    relique d'un sujet coupé de son discours. " La pensée n'est 
    pas dans les uvres, elle est par les uvres " (Dessons).
    L'uvre plastique est donc impliquée dans le langage, dans la 
    construction de sa signifiance à partir de son énonciation. 
    Elle ne possède pas sa langue dans la mesure où son énoncé 
    est dans le sujet qui la parle et par lequel s'invente de manière imprédictible 
    son historicité. Son ouverture au monde se fait dans le discours comme 
    travail sur le monde, dans la mesure où la société se 
    fait dans la langue et non l'inverse. C'est dans et par le langage que l'uvre 
    se réalise dans la société, par sa capacité à 
    transformer des manières de faire, de penser, ou de dire comme c'est 
    le cas en littérature. 
    Par l'uvre, la question de la valeur et de son invention est posée 
    comme subjectivation c'est-à-dire comme ouverture dialectique entre 
    le sujet et le social. Meschonnic signale l'importance de cette articulation 
    à partir de la propriété du langage d'être à 
    la fois du sémantique et du sémiotique : " Dans l'interaction 
    du sémantique et du sémiotique peut se théoriser la dialectique 
    du sujet et du social, dans l'ouvert, l'incertain, le non-ordre, où 
    se font et se défont les systèmes ". Une sémantique 
    de l'uvre d'art suppose la nécessaire relation de l'art et du 
    langage. Les rapports entre l'uvre et le signe ne sont possibles qu'à 
    travers la bidimensionnalité sémiotique et sémantique 
    de la langue. 
    Les éléments qui composent l'uvre répondent à 
    un système de signification qui lui est propre : " L'uvre 
    véritable est celle qui inscrit sa situation en elle-même. C'est 
    le sujet qui s'incorpore à l'uvre, dans le rythme, la prosodie 
    et c'est ce qui la constitue comme système, c'est-à-dire " 
    une forme fermée sur une vie ". C'est l'homogénéité 
    et la densité de cette parole qui la rend significative d'une intention, 
    d'un rapport au monde. L'uvre-système est une uvre vivante 
    capable d'engendrer en elle-même ses propres transformations. C'est 
    pourquoi elle s'ouvre à de nouvelles lectures, tout en conservant son 
    unité ". L'uvre-système est, et invente son propre 
    système de signification. Elle fait uvre lorsqu'elle déborde 
    les catégories établies et qu'elle constitue son propre genre. 
    Et c'est parce qu'une uvre est un dire et que souvent le voir et le 
    regarder sont un écrire - une individuation comme activité et 
    une subjectivation du sens - que la réalisation d'une uvre se 
    définit historiquement dans la relation du sujet et du social. Le sens 
    d'une uvre est donc par nature imprévisible puisqu'il n'est pas 
    donnée dans une singularité qui le renfermerait mais dans le 
    rapport conceptuel entre une subjectivation et son ouverture au général 
    et au collectif à travers les discours.
    La dialectique du sujet et du social, issue de cette interaction spécifique 
    au langage, suppose l'indissociabilité entre pratique et théorie, 
    dans un travail continu du sens. Car le discours n'est pas un discours sur, 
    un discours qui rendrait compte, mais devient lui-même constitutif de 
    l'uvre. Ce n'est pas le commentaire ou la description. L'émergence 
    du sujet dans le social et la possibilité de le transformer et de s'y 
    transformer, lie l'uvre à l'imprédictibilité de 
    sa réalisation collective dans la mesure où elle est à 
    la fois le produit d'une subjectivation, et à l'épreuve de l'altérité 
    quelle met en jeu, une intersubjectivité, voire dans une perspective 
    historique plus large, une trans-subjectivité. 
    La valeur qui découle de cette capacité de transformation et 
    de reconceptualisation pose l'uvre comme un système ouvert. En 
    cela elle possède une dimension inconsciente, une infinité : 
    " Il y a dans l'uvre une valeur au sens saussurien de réciprocité 
    interne infini, mais l'uvre est aussi valeur au sens de principe d'organisation 
    du monde " . Ce n'est pas le cas, par exemple, de l'art conceptuel qui, 
    en se satisfaisant de l'intention pour faire uvre, s'élabore 
    dans un projet définitionnel et rationalisant autour de l'absence d'uvre. 
    L'art conceptuel se place dans une extériorité radicale à 
    l'uvre. " Le conceptuel, mettant tout l'art dans l'intention, a 
    pour effet un développement de la théorie, par rapport à 
    l'objet réel. Objet en effet, puisque ce n'est plus une uvre. 
    La théorie est devenue valeur ". Dans l'absolutisation d'un art 
    qui fixe le langage comme une norme, comme une objectivation strictement sociale, 
    l'art conceptuel rompt la relation entre théorie et pratique et remise 
    ainsi le sujet au subjectivisme. Il éteint en même temps la capacité 
    critique de l'uvre en fermant son discours dans l'intention de l'uvre. 
    C'est à ce titre que le conceptualisme a pu être analysé 
    comme l'exemple d'une sémiotique de l'art. 
    Benveniste, en s'appuyant sur une sémiotique réduite au système 
    de la langue, bloque le rapport de l'uvre à une analyse par des 
    données qui lui sont extérieures. Par exemple, en se posant 
    la question d'un sujet de la perception ou de l'émotion, en postulant 
    un sujet psychologique du rapport entre uvre et sensibilité, 
    l'esthétique s'intéresse plus à une théorie du 
    sujet qu'à une théorie de l'art. 
    
a valeur 
    de l'uvre ne doit pas être confondue avec sa valorisation sociologique 
    et sa détermination a priori. Une uvre n'est pas d'avance artistique. 
    Car cela conduirait à réinvestir la rupture entre sujet et social, 
    à postuler une valeur objective, un nombre, une logique évaluative 
    en fonction de signes extérieurs à l'uvre. Et à 
    la rendre ainsi inoffensive éthiquement et politiquement, en réduisant 
    sa capacité de transformation à un sujet transcendantal, coupé 
    de toute historicisation par le discours. La valeur n'est pas donnée 
    par avance, comme objet, aux catégories qui dessinent sa lecture. C'est 
    dans sa confrontation, en tant que sujet porteur de ses catégories 
    et de son genre, avec les genres et les catégories déjà 
    existantes, que l'uvre est appelée à son historicité 
    en tant qu'uvre particulière, en tant qu'événement, 
    de la même façon que tout énonciation fait événement. 
    Véronique Fabbri insiste sur l'articulation qu'il y a entre valeur 
    et système en postulant une stabilité des valeurs dans la langue 
    alors que " la valeur d'une uvre est définie par son conflit 
    avec le code ". Elle renvoie les uvres à la langue, en établissant 
    qu'en tant que systèmes, elles obéissent à un fonctionnement 
    propre. C'est dans cette relation étroite au langage, dans l'utopie 
    de sa dimension d'uvre que l'art déborde du langage et crée 
    de la valeur dans la société. 
    Je voudrais conclure en rappelant que c'est le travail de la modernité 
    qui est en jeu dans une critique du signe. Critique qui n'est possible qu'à 
    condition qu'elle se fasse par l'instanciation d'un sujet dans le discours. 
    C'est dans l'historicité des discours que se refait à chaque 
    fois la modernité, lorsqu'elle déborde ses propres cadres de 
    pensées, lorsqu'elle devient critique d'elle-même. Les uvres 
    d'art ne sont pas, à cet égard, les témoins exemplaires 
    d'une structure ou d'un ordre, mais les modèles éthiques et 
    politique à partir desquels les valeurs s'inventent dans la société. 
    Elles sont le continu critique de la pensée, dans l'imprédictibilité 
    historique que leur réservent les discours à venir. En construisant 
    sa poétique sur une anthropologie historique du langage, Henri Meschonnic 
    rappelle que l'invention de la valeur dans la société, ne peut 
    se faire, en dehors de l'invention du sujet dans le social. C'est à 
    ce titre qu'il définit " la critique comme la recherche de l'implication 
    réciproque et de l'interaction entre toutes les activités qui 
    mettent en jeu le langage. Cela comme rappel, par rapport à la polémique, 
    comme ensemble des procédés rhétoriques de domination, 
    dont le premier est l'absence de débat ". La poétique n'est 
    donc pas une méthode ou une grille de lecture des activités 
    humaines, mais une éthique et une politique du vivre dans la langue, 
    tel qu'il se conceptualise dans les rapports entre le particulier et le général, 
    entre une uvre d'art et l'invention d'une valeur collective. En cela 
    une poétique ne peut s'accomplir qu'à travers les uvres, 
    dans le contexte social qui les définit comme un dire et qui dessine 
    pour le sujet un inconnu du devenir par la critique, un inconscient devant 
    lui toujours présent.