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La philosophie, les sciences
sociales, toutes les disciplines qui constituent l'autorité des interprétations
ou leurs représentations médiatiques, nous assènent le
sens d'une histoire qui nous interdit la pensée. Bien sûr nous
pensons et nous pouvons penser. Mais selon des critères de jugement qui
depuis longtemps ont arrêté les catégories dans lesquelles
il fallait penser. La manière de penser nous est bien souvent imposée
par les cadres qui l'autorisent. Peut-être même nous est-elle encore
étrangère. On se débarrasse de la pensée en la trouvant
par exemple transgressive ou irrationnelle, sans correspondance avec les signes
qui la contraignent au sens, et donc à une norme. Pourtant il est dans
la nature de la pensée d'être aussi transgressive ou mieux, d'être
inventive de son propre système de signification, comme c'est souvent
le cas pour l'uvre d'art. L'académisme moderne sait cependant s'accommoder
de nouveaux cadres pour promouvoir de nouvelles conformités. Ce qu'il
a fait, en intégrant les avant-gardes à une idéologie de
la représentation et, plus grave, en fixant des uvres passées
dans l'éternité de lectures patrimoniales, selon des principes
de confiscation programmatiques du sens et de la culture. L'académisme
moderne se fait constamment un visage dans l'effet esthétique et dans
la séduction, dans une réception uniforme des choses. L'image
stupéfie la pensée lorsqu'elle est coupée du discours et
qu'elle repose sur la parenté imaginaire de l'immanence du signe.
Nous pensons dans l'effet, qu'il s'agisse de l'effet de sens ou de l'effet de
style, dans la manière abstraite de l'apparition. On nous a appris à
gratter une surface, à combiner des signes, à ignorer quotidiennement
notre responsabilité devant les agissements d'une société,
qui pour notre bonheur, nous épargne cet effort. Car on ne remet pas
en cause les principes fondamentaux d'une société sans porter
atteinte, en même temps, à la légitimité du pouvoir
qu'elle a codifié idéologiquement et culturellement, dans les
uvres et les discours qu'elle a fait siens. L'imposture de la virtualité
du sujet est le fruit de son cryptage dans le nombre et l'image. La théorie
du signe suppose aujourd'hui une rhétorique de la domination du rationnel
et une coupure avec le sujet qui paralyse sa définition dans les déterminismes
du symptôme.
Je vais m'efforcer de montrer que dans les rapports entre sujet et langage,
ce qui est tranquillement sapé par les institutions, c'est avant tout
la critique. Car le fait que la critique soit continuellement canalisée
dans le signe la maintient dans un cadre de pensée, une socialité
idéologiquement forcée et du même coup ménage un
impensé, trop souvent considéré comme un impensable.
La critique est pensable à condition qu'elle ne se laisse pas berner
par les discours ambiants, ceux de la dissimulation derrière la confusion,
ceux du tout virtuel, ceux de la fausse générosité de l'éclectisme,
ceux du désabusement hédoniste, ceux de la légitimation,
ceux par trop territorialisés dans une tradition de la pensée
qui ne reconnaîtrait pas l'invention de la valeur dans la façon
dont elle excède les catégories, mais au contraire dans une identification
à un topos déterminé et presque toujours politiquement
douteux.
Il ne s'agit pas, cependant, de prôner une asocialité ou une raison
négative comme cela s'est déjà vu. Cela ne change en rien
les données du problème puisqu'une société s'accommode
encore sans état d'âme d'une éthique de l'exclusion. La
marginalisation sociologique permet de se débarrasser d'à peu
près tout ce qui peut être encombrant, puisqu'il y a aussi des
catégories pour ça, des catégories du reste, des périphéries
sociales de l'individu.
Ainsi une critique de la société passe par une critique du signe
et une redéfinition anthropologique de la place du langage. L'histoire,
à son tour, n'est possible que dans l'indissociation du sujet et du discours.
Sans doute est-elle constamment à refaire, au regard de notre présent
et à chaque nouvelle situation d'énonciation. Ce n'est que dans
le préliminaire de cette critique qu'on pourra, par la suite, questionner
les transformations éthiques, politiques, voire poétiques, qu'impliquerait
une théorie du sujet sur une théorie de la société.
Bon, on va évoquer les conséquences
d'une généralisation du signe
La prolifération des sémiotiques a jusque là pensé
pour nous toute une logique de la représentation sociale. Il y a là
une stratégie, une intentionnalité dont la naïveté
n'est qu'apparente. Le signe est devenu ce par quoi apparaît le monde.
L.L.D.M.: "Attends. Je pesne qu'il n'est pas complètement inutile de revenir, avant de voir ce qu'est devenu le signe, sur une clarification historique de ce qu'il a pu être, comment il a été défini, puisqu'apparemment, une espèce de flou régnait là-dessus dans le cadre théorique des deux précédents colloques; on finit par s'imaginer un entendement commun sur des termes qu'il faudrait en fait définir et redéfinir sans cesse. Si Jean-François fait son usage d'une des aventures du signe, ce serait pas mal que dès le début on sache précisément de quoi il parle Qu'en penses-tu?"
J.F.S : "Oui
Je
m'appuie essentiellement sur une critique du signe chez Pierce, qui assimilait
le sgine, étroitement, à la pensée. Il a considéré
que le signe et la pensée étaient intimement liés. Et partant
de ce principe, une généralisation du signe c'est
Comment
dire
s'est imposée pour penser la société. Pour l'imaginer
uniquement, principalement à travers le signe. Je pars de Pierce comme
exemple, parce que c'est le plus courant, et c'est celui qui s'est développé
communément. Je n'ai pas parlé, par exemple, de la sémiotique
chez Barthes, ou chez d'autres, je prends le signe comme une notion"
(il reprend son texte) "Les conséquences idéologiques
de son emprise supposent un impérialisme du signe. Il garantit une forme
d'autorité de la raison sur le savoir, et assimile les formes négatives
de la pensée dans la fermeture de son système. Les interprétations
engendrées par une généralisation du signe sont subordonnées
à une conception de la vérité. Même la multiplicité
des interprétations est consignée dans cette lecture métaphysique
du monde où ce qui prévaut, est l'universalité d'un sens
et sa lecture du monde derrière les signes.
En s'érigeant comme une science éclectique et abstraite, la sémiotique
organise la quantification d'un monde donné, et a priori déterminé.
Cela impose un sens du regard et de la pensée, un sens de l'avenir et
du passé. Une théorie de l'histoire. On a pu remarquer comment
les institutions se sont habituées à ce mode de fonctionnement,
comment elles y ont coulé leur devenir, et la sécurisation de
leur système. Le pouvoir et les institutions fondent désormais
leur légitimation dans cette reconnaissance du monde proposée
par la logique du signe. "
(il se coupe et commente) "Je voudrais insister sur ce point là,
car il ne s'agit pas d'une critique du signe véritablement générale,
il s'agit d'une critique de la logique du signe; c'est ce Pierce essaie de démontrer,
c'est que pour lui le signe devient une logique pour la pensée"
(il reprend) "Ainsi le signe se diffuse dans toute la société,
comme un moyen généralisé de déterrer son sens et
sa présence. Parallèlement, il enterre aussi l'histoire et la
subjectivité des discours qui la composent. Car pour la société,
la raison est objective. C'est le sujet plié à l'objectivité
des catégories déterminées par la société,
l'exégète patenté, qui définit les champs de la
critique dans un débat qui n'a lieu que dans les énoncés,
dans un déjà débattu, pourrait-on dire. Car l'universalisme
du savoir le rend apolitique. L'aberration du passé comme objet symbolique,
son statut révolu d'énoncé, la détermination que
les choses, les êtres et même le savoir sont déjà
dans la nature, manquent à tout coup une critique, qui excéderait
le signe et l'immanence qu'il implique. Le signe serait donc un état
naturel feint qui fait passer sa culture pour une nature.
Ce dualime entraîne une impossible critique du sujet puisque le signe
qui renvoie à l'immanence, vise l'objectif pour le collectif ; il construit
la rationalisation de l'objet dans ses modalités d'apparence et de réception.
L'objet viendrait à la lumière à travers le signe. Ce dernier
constituerait une balise du monde où langage et sujet n'auraient qu'un
rôle secondaire, celui d'une efficacité sans ancrage, tels des
instruments de la révélation. Le signe implique une ontologie
du sujet et une ontologie du langage, à savoir dans leur être hypothétique,
la liquidation de leur responsabilité dans l'opacité de leur existence.
Tout peut donc passer à la moulinette du signe puisque sa stratégie
est celle de la lumière contre l'opacité, de la vérité
universelle contre l'irrationalité individuelle. Tout peut être
lu par son principe, sans égard à la spécificité
des objets qu'il décline, car ils ont la même transparence devant
le signe. C'est là l'illusion dans laquelle le signe plonge le monde."
(il commente) "C'est
C'est une façon de théoriser le
monde par la sémiotique, et la sémiotique ne se réfléchissant
pas elle-même comme sujet de cette théorisation, mais comme étant
là immanente à toute réflexion sur le monde"
(il reprend) "Ses applications, à l'analyse d'objet ou de comportement,
sont souvent difficiles à distinguer des modes de fonctionnement qu'il
investit comme une discipline. Pour mémoire, " la sémiotique
en tant que discipline organisée, s'est constituée à partir
des travaux parallèles du philosophe Charles Sanders Pierce (1839-1914)
aux USA, qui avait élaboré une approche logique de la nature du
signe sous le nom emprunté à John Locke, de semiotics, et du linguiste
Ferdinand de Saussure (1857-1913) à Genève, qui appelait de ses
vux ''une science qui étudie la vie des signes au sein de la vie
sociale'' et qu'il nommait sémiologie ". Le terme de sémiotique
est aujourd'hui le plus généralement utilisé. En référence
à Pierce il introduit une logique. La sémiologie, à la
différence de la sémiotique, est essentiellement devenue une spécialité
médicale ; il y a aussi, cependant, des sémiologies de l'écriture,
de l'image, ou du théâtre, tout un fatras de la connaissance par
le signe."
L.L.D.M. "Hmmm; oui, juste pour l'anecdote, et pour rompre la couche
de scientificité dont se pare la sémiotique, on peut noter que
la définition de Saussure d'une science qui étudie la vie des
signes au sein de la vie sociale est un étrange écho d'une science
nettement plus ouvertement sacrée, celle que les indiens peaux rouges
appliquent à la connaissance des noms et de leur autonomie
Pour
les peaux rouges, un nom prononcé ne peut être effacé -
c'est d'un signe à part, hein, dont il s'agit; le nom c'est comme on
dit une sémiotique sans sémantique qui se balade - un nom prononcé
vivra sa vie de nom, rencontrera d'autre noms et dialoguera avec eux."
J.F.S : "Oui, enfin ,ça
ne réduit pas Saussure à ça.
(Il reprend) "L'approximation n'est pas innocente. "
(il commente) "L'approximation, la confusion entretenue entre sémiotique
et sémiologie, quant à la diversité des champs qu'abordent,
que théorisent la sémiotique et la sémiologie"
(il reprend) "Une dimension clinique émerge du signe. Elle répond
à un ordre supérieur, une cosmologie, un état naturel des
choses. Comme on identifie l'origine d'un mal ou d'une pathologie, on enquête
sur les causes de la présence ou de l'existence pour trouver sa raison.
Tournés vers le commencement comme vers un contenu hermétique,
nous postulons la vérité dans ses signes. Mais il s'agit d'une
certaine vérité, aux conséquences et aux initiatives théoriques
décelables dans l'analyse de ses représentations.
Le langage est l'outil de cette archéologie. Là encore, la pensée
est projetée comme une substance. Le signe impose le règne de
l'analogie et les raccourcis logiques. Le mot vaut pour le sens, et l'image
vaut pour la réalité. Le monde est réifié dans le
signe. C'est ainsi que nous travaillons la perte du sens et que nous fabriquons
du passé sur le mythe. C'est le maintien d'une mémoire-fossile
et des monuments de la commémoration. A travers le signe, l'homme consacre
la réparation de son conflit avec le divin. Débabelisé,
son langage s'est éparpillé dans le monde, il s'est dissout dans
le signe, il s'est confondu dans l'image. Cette mise en rupture du langage avec
le monde, son dessaisissement anthropologique au profit du sacré, détermine
pour lui une figure de l'au-delà : le langage dirait toujours autre chose
que ce qu'il dit, en supposant un être mystérieux du langage qui
ne serait pas le sujet qui le parle, ou peut-être un avatar virtuel.
C'est tel que l'imagine William Burroughs dans ses studios de réalité
: le langage est identifié à l'image du virus. Comme un vivre
du langage qui serait étranger à l'homme, tel un hôte, une
organicité culturelle, qui programmerait notre inconscient. Cependant,
qu'il s'agisse d'un ennemi invisible, d'un organe de contrôle dissimulé
dans notre cerveau, ou encore de dieu, notre adhésion à une quelconque
immédiateté nous rappelle à l'ordre du signe. Cette théorie
du langage est aussi une théorie de la société ; elle conforte
ainsi son emprise en verrouillant son contrôle sur les individus par l'éducation
et la programmation par le langage. Elle ignore la notion de sujet devant la
responsabilité de sa pensée et de son historicité. Elle
confond individu et sujet.
Tenues dans la rupture entre individu et société, contraintes
à une psychologie qui contribue à la circularité et à
la fermeture du langage dans son élargissement au signe, l'expression
et la communication sont devenues les maigres réduits du sujet. Le langage
associé à la généralisation du signe sert à
sortir du sujet et à l'effacer au lieu de l'inventer. Le sujet est lui-même
renvoyé à un contenu, à une opacité et à
une résistance au langage. Il est coupé du langage dans l'au-delà
d'une compréhension qui le dépasse. Il n'a ni les clés
de son exégèse ni celles de sa réalisation. Dans la sacralisation
de la présence et du sujet comme être, s'opère un dépassement
du langage. L'éventualité d'un innommable reste donc celle d'une
métaphysique.
L'éclectisme du signe révèle son ambition universelle.
Le consensus autour de cette notion marque l'emprise éthique et politique
d'un pouvoir ; il porte la légitimité aristocratique de sa transcendantalité.
Il n'est pas trop fort, symboliquement, de considérer cet héritage
de divin. Car son sujet est transcendantal. Cela suffit à justifier l'aspect
naturel de l'existence d'un pouvoir. Sur ce modèle, la société
transcende le sujet et évacue le langage comme moyen culturel. Le pouvoir
repose sur la légitimité naturelle de son principe. Lui-même
revendique le verrou sacré de la métaphysique comme un principe
de légitimation historique. Ainsi, la démocratie comme effet de
style maintient la fascination contre la critique. En établissant leur
autorité sur l'opposition nature/culture les institutions pérennisent
un espace sacré qui limite la critique à la reconnaissance de
fonctionnements, sans mettre en danger leurs principes fondamentaux. Elles ne
tolèrent l'inconnu que dans sa disparition dans le mythe et non dans
l'altérité à partir de laquelle s'invente toute historicité.
"
(il commente) "Bon, je vais préciser ce que j'entends par historicité,
puisque c'est vague et que ça a de nombreuses théories, et de
nombreux emplois
"
(il reprend) "J'entends par historicité, une historicité
radicale issue du rapport spécifique qu'entretiennent sujet et discours.
A la différence de l'historicisme " qui rapporte un fait ou un discours
à sa situation objective "(Dessons) l'historicité renvoie
à un point de vue strictement subjectif. C'est sur le modèle de
l'énonciation tel que le définit Benveniste comme événement
toujours singulier, comme modalité exclusive d'individuation, qu'une
historicité est possible. C'est parce que c'est un phénomène
anthropologique que le langage devient une condition de l'historicité
: " Ce n'est pas l'histoire qui fait vivre le langage, mais plutôt
l'inverse "(Benveniste II, p ; 32). Dessons rajoute p.47 de son Benveniste
: " Et c'est en cela que le langage est l'historicité par excellence.
Etant ce qui constitue tout individu en sujet, il est donc la condition même
de l'histoire, si l'histoire est la dimension par excellence de l'humain. Etant
l'historicité, le langage transcende l'histoire, dont il est en fait
la condition et le fondement ".
La sémiotique laisse croire, dans son recours au signe comme mathème,
qu'elle construit la scientificité de ses analyses contre le religieux,
l'irrationnel et la métaphysique. Négligeant par là même,
la sacralisation à laquelle elle est attachée dans une conception
du signe comme substitut des choses et du monde, comme substitut cosmique du
divin.
Il peut sembler difficile de considérer ce double versant du signe où
se jouent à la fois scientificité et métaphysique. Pourtant
c'est sur un principe similaire, celui de substitution, que le sacré
et le signe se ressemblent. Le signe vaut pour la chose et comme absence de
la chose. A partir de ce fonctionnement du sens se dessine la théorie
du langage qui l'autorise. Henri Meschonnic élabore son anthropologie
historique du langage dans cette critique du signe : " Le schéma
du signe est le schéma même du sacré. [
] Le sacré
n'est pas un objet, mais, comme le signe, un ''mode idéel de relation''
à un objet. Le signe comme signe d'autre chose et le signe du Tout Autre
sont une relation identique ". A cette condition nous pouvons confondre
le signe avec l'objet. C'est ce qu'ont fait, par exemple, certains artistes
conceptuels qui ont utilisé le langage comme matériau. Je pense
à Joseph Kosuth ou à Lawrence Weiner, par exemple.
Plus largement, la relation qu'induit le signe dans la société
instrumentalise le langage comme un moyen du sens. Evacué selon le principe
qu'il est un système de signes, le langage est lui-même limité
comme substitut des êtres et des choses. Il devient exclusivement moyen
d'expression du sujet, instrument de communication, ce qu'il peut être
aussi, mais comme effet de langage. Cependant sa spécificité n'est
ni de se substituer au sujet, ni de signifier strictement un contenu."
(Il commente) "Bon, je vais développer cette idée là
à travers l'idée de subjectivation; mais je vais d'abord voir
ce qu'il en est du côté de l'objectivité"
(il reprend) "L'idée d'une objectivité du langage est
avant tout idéologique. Elle postule que l'autorité du sujet soit
celle de la société. On le constate déjà avec l'herméneutique
sacrée et le devoir d'autorité qu'elle s'accorde sur l'interprétation
des textes. Le sens est garanti par une autorité exégétique
et suppose que derrière les mots, une métaphysique de l'origine
puisse se conformer au langage comme signe. Mais postuler qu'il y aurait une
essence du texte est étroitement lié à une recherche de
la vérité par le signe. La reconnaissance et l'affirmation d'une
telle essence impliquent un relais idéologique qui s'organise dans les
rapports entre dominés et dominants. La vérité tombe sous
le coup du dogme de la même façon qu'une lecture modèle
fonde sa valeur dans l'autorité des institutions. De ce fait elle confond
lire et comprendre et oriente idéologiquement la valeur dans le signe.
La compétence du lecteur est ainsi programmée : à décoder
les signes selon une stratégie qui assujettit tout objet à sa
référence sémiotique. C'est la stratégie du cahier
des charges, une téléologie, qui viserait à anticiper la
critique dans une attente à combler. Les catégories sont distribuées
en genre et les uvres sont celles qui fondent leur valeur dans cette conformité.
Alors que l'histoire du signe reposait sur une linguistique chez Saussure, elle
est devenue une logique de la pensée avec Pierce, une métaphysique
de l'authenticité perdue et de l'objet absent. Le signe sacralise le
rapport au monde, en effet, parce qu'il oppose le figural au littéral,
parce qu'il transcende le sens à travers l'image. Sur le modèle
de l'herméneutique sacrée, l'interprétation fabrique du
sens à partir de la généralisation du signe dans notre
société. Le sens s'articule entre l'image et le langage, comme
écart rhétorique. Ce constat impose une domination pratiquement
théologique de l'image sur le langage. L'herméneutique actuelle
a fondé sa méthode de compréhension du monde dans un faux
athéisme du signe.
Cela nous informe sur le fait que le signe n'est pas qu'une affaire de langage.
En tout cas pas à ces conditions. Certes, c'est dans le signe que nous
avons construit culturellement notre pensée. Le structuralisme nous a
appris à construire le sens de notre culture sur ce modèle.
"
(il commente) "entre autres, il n'y a pas que le structuralisme
Mais
disons qu'il a sacrément orienté notre façon de penser
par rapport au signe"
(il reprend) "Avec le signe et la coupure qu'il implique entre sujet
et objet, l'altérité nous est devenue radicalement étrangère."
(il commente) "Et je dois bien préciser que c'est au sens où
le sujet est coupé de l'objet
Au sens ou la scission sujet/objet,
au fond, préfigure la conséquence de la coupure entre sujet et
discours
Je pense à une phrase de Meschonnic, d'ailleurs, qui est
intéressante à ce sujet là, qui dit "est sujet celui
par qui un autre est sujet". C'est dans ce sens là que j'entends
que l'altérité à travers le signe, le structuralisme, nous
est devenue radicalement étrangère."
(il reprend) "Parce que c'est l'autre sans concession. L'image nous
rend par le signe un substitut de l'altérité, un avatar virtuel
du sujet. Car le monde en tant qu'autre est régi par le signe, comme
un absolu qui nous transcende et qui transcende l'histoire dans laquelle, pourtant,
nous nous inscrivons par le langage. Ceci définit le champ du signe dans
le rapport d'une extériorité à une intériorité
et rend la coupure entre sujet et discours manifeste. À la condition
de reconnaître un impérialisme du signe il sera possible d'envisager
réintroduire du sujet dans le social, sans confondre ce rapport critique
avec son individuation dans la société.
L'ordre du signe est une fermeture du monde sur ses fondations. Du fait de son
universalisme, il s'impose comme un système déshistorisé,
hors de portée de la critique. La circularité de son fonctionnement
perpétue la viabilité de son modèle comme autorité
exégétique et institutionnelle. Sa largeur d'esprit a celle de
la synecdoque, elle se réalise dans la partie pour le tout, dans la disparition
des spécificités du sujet au profit des légitimations de
pouvoir. La rhétorique est son opérateur esthétique, la
figure de son supplément, l'illusion de sa valeur. La généralisation
de son système théorise une société abstraite, dans
la mesure où on a perdu le sujet dans l'origine et l'origine dans le
discours.
Nous avons donc perdu le sujet au moins deux fois. Car coupé du langage
le signe est anhistorique. "
(il commente) "Il n'a pas, enfin, oui: il n'a pas d'historicité;
on peut faire une historicité du signe, mais le signe en-soi n'a pas
de capacité, je dirais, temporelle. Sa capacité temporelle, pour
anticiper ce que je dirai plus tard, c'est le versant sémantique qui
le lui donne, dans le langage"
(il reprend) "Dans le langage distribué en unités discrètes
il est du discontinu qui se voudrait critique historiquement. Séparé
du sémantique, le signe n'a pas de dimension continue dans le langage.
Il est une abstraction, une insuffisance du sens".
(Il présente la suite, qui titrait :"Conditions d'une anthropologie
historique du langage")
"Bon, là je vais aborder plus précisément le travail
de Benveniste, dans le rapporchement du sujet et du discours, et donner plus
de précisions, essayer d'être un peu plus technique sur cette uvre;
je vous renvoie principalement aux "Problèmes de linguistique générale"
I et II. Et notamment à deux articles, l'un qui s'appelle "Sémiologie
de la langue", et l'autre
Je ne me souviens plus du titre exact
Sur la subjectivité
C'est peut-être "De la subjectivité".
(il reprend sa lecture) "La
mystification de la réalité passe par la mythification du sujet."
L.L.D.M. : "Oui, je voudrais préciser, parce que ça
risque de créer une confusion, là , dans le débit de l'oralité
Une petite précision: il s'agit vraiment de mythification du sujet dans
l'expression de sa virtualisation. C'est pas l'héroïsation grecque,
c'est plutôt une nouvelle tératogénèse, la monstruosité
virtuelle couplée au sujet.. Voilà"
J.F.S : "La notion de signe en est une clé essentielle.
Le signe postule la société comme une autorité objective
de cette réalité. Le sujet en est donc évacué. Il
est virtualisé par l'image, pixélisé dans la tradition
cybernétique de la programmation par le langage. Son rêve est celui
d'une interaction : un behaviourisme qui situerait le sujet dans une parfaite
adéquation avec la société. Le sujet est donc réduit
à de l'individu, à une quantité transparente comme le nombre.
Il est un réceptacle du sens. Le sens est élaboré pour
lui de façon performative, dans un rapport stimulus-réponse, qui
met en jeu la compréhension sous la tutelle d'un sens commun circonscrit
par le signe.
Parce que l'histoire s'écrit sous l'autorité interprétative
des institutions, la société défend l'objectivité
comme point de vue collectif et comme rationalisation des opinions. Elle légifère
parmi les signes qui la déterminent ce qui est conforme à son
éthique. Son énoncé est une entité abstraite puisqu'il
se réalise dans ses formes d'apparition et dans ses effets, dans le substitut
de ce qu'il est vraiment, à la fois comme symptôme et en marge
de la société.
Partant de cette conception de la société, le langage est nécessairement
coupé de sa spécificité subjective. Restreint à
la sémiotique, il est postulé comme un instrument de la société,
ce qui octroie à cette dernière la possibilité de gérer
à la fois les systèmes de signification et leurs valeurs symboliques,
de contraindre les valeurs à une idéologie de la représentation.
Le sujet de l'histoire devient dans cette perspective l'aventure de l'Ego d'une
société, la mise en valeur de ses coups d'éclat, et une
thésaurisation sur l'événement comme légitimation
de ses choix et de son existence.
Il faut donc regagner la responsabilité théorique du sujet devant
l'histoire. Et c'est à travers le langage qu'il contribue à l'invention
de la valeur : car " L'historicité des valeurs est rejetée
à l'historicisme, à l'érudition, et par là implicitement
à une stratégie du signe, si elle n'est pas connue comme solidaire
de l'historicité du langage ". Pour que cela soit possible, le sujet
doit être inséparable du discours. A cette condition, il fait l'expérience
de la société et se situe dans l'histoire. Il travaille à
la reconnaissance de sa valeur et non à l'inventaire des justifications
de sa valeur ou à sa reconnaissance dans une catégorie.
La valeur concrète de l'événement est dans le discours.
Cela n'efface pas le signe mais lui fait prendre une autre valeur, dans le langage
et dans la société. Ce qui est ici mis à l'épreuve
c'est son caractère stratégique, sa portée idéologique
et les implications éthiques et politiques qui en découlent pour
la constitution d'une théorie de la société. C'est parce
qu'une sémiotique n'est possible, dans le cadre du langage, que comme
système sui-référentiel, qu'il est nécessaire de
repenser les effets d'une généralisation du signe."
(il commente) "Donc, il ne s'agit pas d'une condamnation définitive
de toute sémiotique; il s'agit de replacer la sémiotique là
où elle a commencé avec, entre autres, Saussure, c'est à
dire dans le langage."
( il reprend) "Comme l'analyse Benveniste, le sujet est intimement lié
au discours. Il remarque, dans les conditions d'une anthropologie, que le langage
est l'instance dans laquelle l'homme s'articule avec l'histoire. Tout discours
émane d'une subjectivité. Mais bien que le langage soit constitué
de signes, nous ne parlons pas en signes. Si le mot est l'unité de la
langue dans un système de signes, c'est la phrase qui nous projette dans
l'histoire. Cette différence est fondamentale dans l'uvre de Benveniste
et dans la reconnaissance du sujet qu'elle implique. Car elle ouvre le sujet
à l'aventure de la langue, au lieu qu'il la subisse comme un conditionnement
culturel. Gérard Dessons commente cette différence en ces termes
: " Signe et phrase représentent ''deux mondes distincts'', qui
''appellent des descriptions distinctes'' : le signe, unité de la langue
est placé du côté de l'énoncé ; la phrase,
''unité du discours'', se situe du côté de l'énonciation
du sujet ". La différenciation du signe et de la phrase a pour conséquence
d'impliquer pour le langage deux modes de réalisation distincts mais
inséparables dans leur fonctionnement."
(il commente) "Ce qui permet d'envisager cette différenciation,
c'est le primat pour Benveniste de la phrase sur le mot; c'est-à-dire
que pour Benveniste, c'est à partir des phraseq qu'on construit le langage,
et donc le lexique et les mots. Dans un poème y compris, il y a, avant
d'avoir des mots, des phrases."
(il reprend) "C'est à condition de voir les choses du point de
vue de l'énonciation et non de l'énoncé, qu'il est possible
d'envisager la capacité du langage à transformer la société,
c'est dans le dire lui-même. Le langage fonctionne comme expérience
et historicité, comme empiricité du monde là où
il est associé au sujet. Son origine se refait à chaque fois qu'en
tant que sujet il invente de nouvelles catégories ou de nouvelles valeurs
dans la société.
L'indissociabilité du sujet et du discours implique une altérité
déjà à l'uvre dans le langage. Benveniste construit
la notion d'intersubjectivité à partir de cette liaison nécessaire
entre sujet et discours, et à partir de la manière dont elle se
réalise dans l'énonciation comme instanciation du sujet. C'est
en observant les formes pronominales dans leur fonctionnement, qu'il postule
le statut particulier des catégories je et tu. Dans la mesure où
c'est " en s'identifiant comme personne unique prononçant je que
chacun des locuteurs se pose tour à tour comme sujet ". En cela
nous sommes loin de la confusion provoquée par le " je est un autre
" de Rimbaud, qui a entretenu l'hypothèse d'une séparation
radicale entre soi et la société et donc entre le sujet et son
discours.
(il commente) "Le problème n'est évidemment pas de faire
le procès de Rimbaud, mais celui de ceux qui ont interprété
son "Je est un autre dans le cadre d'une sémiotique
"
(Il reprend) "Si je implique de l'altérité ce n'est pas
comme objectif, mais comme un processus spécifique qui implique tu, de
façon complémentaire. C'est dans cette mesure que l'intersubjectivité
est possible, en se constituant dans le langage : " Je n'emploie je qu'en
m'adressant à quelqu'un, qui sera dans mon allocution un tu. C'est cette
condition de dialogue qui est constitutive de la personne, car elle implique
en réciprocité que je deviens tu dans l'allocution de celui qui
à son tour se désigne par je. [
] De ce fait, je pose une
autre personne, celle qui, tout extérieure qu'elle est à "
moi ", devient mon écho auquel je dis tu et qui me dit tu".
L'intersubjectivité issue de cette caractéristique du discours
implique que je est distinct de moi, dans la mesure où je, à travers
le langage implique toute la société langagière. Ainsi
l'opposition entre le moi et la société tombe. Le langage devient
le lieu même de la socialisation."
(il commente) Et c'est un autre point important sur lequel Benveniste a construit
sa théorie, cette distinction entre "je" et "moi",
car quand "moi" est confondu avec "je", ça implique
politiquement et éthiquement des choses, surtout quant à une théorie
de la psychologie qui pourrait envahir une théorie du langage
ça
entretient des confusions terribles. Pour revenir à Rimbaud, en disant
"Je est un autre", c'est aussi "Je est un autre que moi",
au fond, et de ce point de vue là, il n'avait pas tout-à fait
tort."
(il reprend) "En considérant le langage au centre des activités
humaines, non plus comme instrument de communication ou moyen d'expression mais
comme instanciation du sujet, c'est toute une théorie de la société
qui est problématisée et qui demande une redéfinition de
la place du signe. Benveniste propose particulièrement de respécifier
le signe en articulant sémiotique et sémantique. Le signe n'a
plus, dans ce rapprochement, la vocation qui consistait à systématiser
le monde et à le reconnaître dans des catégories établies,
en réduisant le langage au signe et le signe à la pensée,
comme l'envisageait Pierce. En effet, la dimension historique du langage ne
peut être portée par une sémiotique : "car il y a une
ahistoricité radicale de la sémiotique. Le signe est un universel
qui ne reconnaît ni historicité ni historicisation". Dans
une théorie de la société qui s'appuie sur le signe pour
fonder son objectivité et sa réalité, le sujet n'a donc
qu'une existence virtuelle. Il est ainsi attiré dans un système
qui le reconnaît en dehors de la valeur empirique, historique et subjective
qu'il réalise dans le discours.
C'est à ce titre qu'une théorie du sujet est livrée à
la marginalisation. Soit dans sa mise au ban comme sujet pathologique. Dans
ce cas, il est assigné par la psychanalyse à son intériorisation
dans l'inconscient. Intériorisation qui peut devenir l'enfermement psychiatrique
si le sujet réalise sa solitude au point de rompre le dialogue avec la
société. Soit le sujet est dans une extériorité
radicale sur laquelle il n'a pas de prise. Son existence est ainsi renvoyée
à une absolue transcendantalité, qui condamne le sujet à
la transparence et à l'impossible relais de sa responsabilité
dans les transformations sociales. Il est dans les deux cas démis de
l'autorité de sa parole puisqu'elle n'est pas conforme à la raison
que la société s'est construite dans le signe, le sens n'ayant
de valeur qu'en regard du collectif.
Dans ce système de pensée, la défection du sujet est structurellement
évidente puisque " Le signe a toujours et seulement valeur générique
et conceptuelle. Il n'admet pas de signifié particulier ou occasionnel
; tout ce qui est individuel est exclu". Il n'est donc pas surprenant que
la société ait théorisé le langage dans le signe.
C'est dans son élaboration en système de reconnaissance - et en
effet, de surveillance - qu'elle assigne le sujet au contrôle et à
la domination. C'est ainsi pourrait-on s'aventurer à dire qu'elle contrôle
devenir et historicité."
(il commente) "C'est une vision qui peut paraître un peu, un petit
peu, paranoïaque, mais elle ne l'est pas en fait, parce que, dire d'un
côté que le signe a toujours valeur générique et
conceptuelle, c'est continuer à s'appuyer également sur une définition
du signe concue par la société contre le sujet. Parce que, sans
doute qu'il est possible d'imaginer avant la généralisation, enfin
le concept comme généralisation, la conceptualisation comme un
mode de subjectivation, d'imaginer, donc, les concepts qui naissent dans le
particulier. Mais ça impliquerait que les sujets puissent devenir des
autorités, avoir une autorité sur les concepts, ce qu'une société
n'est pas sûre d'être capable d'accepter."
(il reprend) "Comme la maîtrise de l'information est devenue aujourd'hui
un enjeu stratégique, c'est par le langage que peut s'opérer une
critique de la société, en passant en premier lieu par une critique
du signe, dans la mesure où " bien avant de communiquer, le langage
sert à vivre ". Si donc, le langage est bien du signe, mais pas
seulement, c'est parce que le sémantique est la condition du sens dans
sa relation au sujet. Le recours exclusif au sémiotique implique plus
une idéologie de la société, et la conservation du sens
dans sa fermeture signalétique ou symbolique, que son ouverture au monde.
La dimension sémantique du langage est réduite à un contenu
essentialisé."
(il commente) "C'est-à-dire, qu'avant Benveniste, il y avait déjà
de la sémantique, mais elle fonctionnait comme coupée du sémiotique;
et Benvéniste les associés."
(il reprend) "Dans cette coupure, la société opte pour
la prédictibilité des événements et la fermeture
du sens sur les signes de la mémoire, dans l'immédiateté
de leur présence.
La sémantique est cependant la part imprévisible de l'aventure
du langage dans la société. C'est là sa spécificité,
et l'indétermination particulière de son sujet : il se construit
dans l'inconnu et il construit aussi l'inconnu que peut être le passé
pour lui. Son rapport au passé ne s'éteint pas avec la disparition
de l'événement dans le temps. Car l'événement inscrit
dans le langage n'est pas abstrait, il n'est pas coupé du continu de
son énonciation. " Benveniste critique l'idée qu'on puisse
fonder la sémiotique sur une idée abstraite du signe". Ce
constat l'amène à reconsidérer le sémantique comme
étant indissociable du sémiotique suivant des modalités
spécifiques au langage : " Le sémiotique (le signe) doit
être RECONNU ; le sémantique (le discours) doit être COMPRIS.
La différence entre reconnaître et comprendre renvoie à
deux facultés distinctes de l'esprit : celle de percevoir l'identité
entre l'antérieur et l'actuel, d'une part, et celle de percevoir la signification
d'une énonciation nouvelle, de l'autre".
Le travail de la signification, dans l'articulation entre sémiotique
et sémantique, postule une dialectique étroite entre le sujet
et le social. La société n'est plus la valeur idéelle dans
laquelle se croiseraient n'importe comment les différents systèmes
de relation et de signification. En perdant sa valeur systématiquement
abstraite à travers l'empiricité, la subjectivité et l'historicité
radicale du discours, le langage ouvre la société à la
critique à partir des individuations qui la composent. Les systèmes
de signification sont lestés de leur caractère universel puisqu'ils
sont territorialisés dans le discours. La signification devient alors
une signifiance dans l'historicité des discours.
Le langage, vu sous l'angle de l'anthropologie de Benveniste suppose une théorie
de la société où le signe n'intervient plus avec la même
valeur dans l'élaboration du sens. L'espace de la sémiotique est
réduit à une convention, un ordre, un système fermé,
à partir duquel la sémantique ouvre le monde : " la langue
est le seul système dont la signifiance s'articule ainsi sur deux dimensions.
Les autres systèmes ont une signifiance unidimensionnelle : ou sémiotique
(geste de politesse) sans sémantique ; ou sémantique (expression
artistique), sans sémiotique. Le privilège de la langue est de
comporter à la fois la signifiance des signes et la signifiance de l'énonciation.
De là provient son pouvoir majeur, celui de créer un deuxième
niveau d'énonciation, où il devient possible de tenir des propos
signifiants sur la signifiance. C'est dans cette faculté métalinguistique
que nous trouvons l'origine de la relation d'interprétance par laquelle
la langue englobe les autres systèmes. "
(il commente) "Donc, c'est le primat de la langue qui permet de construire
le sujet, et ce sujet qui est réconcilié avec la langue peut réaccéder
à l'histoire sans que ce soit une histoire destinée par la société"
L.L.D.M.: "Hmmm
Je suis très embarrassé par
ce terme de métalinguistique, qui suppose une extraction du méta
de la langue, comme le regressus de l'esprit présenté par Schopenhauer
On voir mal le dehors et sa prétention à l'extra-lucidité
Il vaudrait mieux choisir une métaphore, comme la métaphore des
plis du temps, ici d'innombrables replis dans la langue, qu'une idée
assez saugrenue de métalinguistique, comme de métalangage. Une
linguistique ça cause. "
J.F.S : "Oui, je suis d'accord; d'autant plus qu'il s'agit
enfin c'est pas seulement une métalinguistique, c'est autant une métasémantique.
Or une linguistique même s'il y a du méta avec, même s'il
y a des répercussion extérieures, et des instruments sémantiques,
le méta au fond
enfin, je reprends, ça vaut mieux."
(il reprend) "Cette redéfinition du signe dans la langue permet
d'opérer un glissement, d'une théorie du langage qui est une métaphysique,
vers une anthropologie.
Cela induit pour le langage qu'il n'est un instrument de communication que dans
l'effet des relations qu'il tisse dans la visée d'une économie,
considérant que ce sont les individus qui communiquent, et que la performance
de cette communication est axée sur le contenu du message. L'efficacité
de la circulation des informations n'inclut le sujet que comme contenu lui-même.
Seule importe alors l'interception globale des messages et la vivacité
abstraite à les accumuler comme signe.
La société s'abstrait dans la gestion et la compréhension
des signes qui constituent la toile communicationnelle. C'est paradoxalement
dans l'ahistoricité de sa fermeture qu'elle va se constituer une substance.
Rendu à l'opacité, elle peut reprendre son travail d'exégèse
et d'hagiographie, en réifiant le passé dans la commémoration,
c'est-à-dire dans les signes sur lesquels elle construit ses interprétations,
en maintenant la totalité comme un objet (ou une numération globulaire
que le langage écorcherait à peine).
Cette autorité sur le sens n'est plus valable dans une anthropologie
qui désigne l'homme par le langage. L'interprétation n'a lieu
que dans la multiplicité des sujets et non dans le super-sujet que se
targue à être la société. C'est dans le langage que
se joue cette faculté critique, ouverte au monde et à la transformation.
Paradoxalement, en étant spécifiquement subordonnée au
signe, la société est subordonnée au langage. Le langage
n'est plus le produit instrumental de la société, mais il partage
avec elle, dans une relation réciproque, la construction du sens. Cette
réciprocité peut paraître évidente. Cependant, si
elle est possible, c'est grâce à " la nature herméneutique,
ou interprétative, du lien qui unit la langue et la société
". C'est à ce titre que " la langue est l'interprétant
de la société ".
(il commente) "C'est un lien naturel qui unit société et
sujet à travers l'interprétation. Finalement, c'est une remise
en cause également des interprétations dans leur ensemble, et
de l'autorité qu'elles confèrent beaucoup plus à leur auteur
qu'au sens lui-même."
(il reprend) "La langue n'est donc pas une partie de la société
ou une représentation parcellaire de sa structure. Elle n'est ni topologisée,
ni spatialisée dans un cadre où se rejouerait sa fermeture. La
composante sémantique de la langue est justement son ouverture à
l'utopie. La logique du signe qui fixe le sens comme un universel a priori,
s'oppose à la primauté de la langue et à sa spécificité
comme interprétant de la société : " Le sociologue,
et probablement quiconque envisage la question en termes dimensionnels, observera
que la langue fonctionne à l'intérieur de la société,
qui l'englobe ; il décidera donc que la société est le
tout, et la langue, la partie. Mais la considération sémiologique
inverse ce rapport car seule la langue permet la société. La langue
constitue ce qui tient ensemble les hommes, le fondement de tous les rapports
qui à leur tour fondent la société. On pourra dire alors
que c'est la langue qui englobe la société. Ainsi la relation
d'interprétance, qui est sémiotique, va à l'encontre de
la relation d'emboîtement, qui est sociologique ". La redéfinition
de la place du signe dans le langage, et par voie de conséquence dans
la société, résulte d'une part de l'indissociabilité
du sujet et du discours, c'est-à-dire du rôle empirique et historique
qu'implique une sémantique et, d'autre part, du statut particulier du
langage comme système à la fois sémiotique et sémantique.
C'est parce que l'omniprésence du signe dans la société
est de nature concrète dans le langage que la relation d'interprétance
et une historicité radicale sont possibles. Dans la mesure où
le sens s'organise dans le discours, la langue interprète la société
et en devient l'expression. Réciproquement, " la société
devient signifiante dans et par la langue". C'est à ce titre que
la sémiotique est reconsidérée comme un système
fermé."
(Avant
d'aborder le dernier volet, L.L.De MARS suggère aux auditeurs de poser
dès maintenant des questions sur ce qui vient d'être dit)
Un intervenant anonyme : "Moi, ce que j'aimerais savoir
Comment
vous arrivez à articuler une critique des instituitions, du pouvoir,
par rapport à votre vision de la logique du signe? Ce lien là,
je n'arrive pas à le déterminer, ça a été
vu assez vite, j'ai trouvé que ça n'était pas assez étayé."
J.F.S.: "C'est-à-dire
que la sémiotique au départ implique la fermeture d'un système
sur lui-même, comme une institution au fond; et là où c'est
vrai que c'est compliqué, c'est que les institutions reprennent le signe
à leur compte parce que politiquement il permet de se préserver
de toute justification; il permet de considérer les structures comme
des données, et les individus au bout du compte fonctionnent avec ces
données et n'ont qu'à se conformer au signe pour être reconnus."
L.L.D.M.: "C'est-à-dire que le signe peut tout-à-fait
- quand il est à ce point serré, réduit - être au
cur d'une expérience collective, là où le discours,
avec tout ce que ça implique comme marge d'irréprésentabilité,
d'expérience unique, attaché au sujet, ne pourrait pas l'être.
Le signe institutionnel se donne pour le réel, pour le vrai aussi, tout
ça pour reléguer le discours dans le désordre des fantasmes
singuliers qui sont censés nuire à la stabilité sociale
qui sont censés nuire à la performance du langage lui-même,
puisqu'il n'est présenté que comme pôle de communication,
comme bourse d'échange des signes immuables. De ce côté-là,
les effets sur la théorie sont terribles: celui qui voudrait faire connaître
une solide discours sur la sémiotique se fera soupçonner de terroriser
la langue, et même pas pour ce qu'il dit : mais bien parce que les moyens
de dire qu'il emploie tombe directement sous le coup d'un condamnation anti-communicationnelle;
et s'il renonce à sa manière, qui lui est reprochée, alors
il renonce à la nature même de son projet, parce que, comme le
disait Raphaël la dernière fois, on ne parle pas de l'humour en
étant rabat-joie, ça n'a aucun sens. Il concèderait à
l'objet même de sa critique, il se ferait manipulateur de signes éteints
pour marcher dans la convention collective. De la même manière,
on ne peut pas s'opposer à l'extrême droite et à son discours
en cherchant la même efficacité, parce que le discours ne se sépare
jamais entre l'objet et les canaux du discours. Une structure qui tyrannise
la langue vise clairement à tyranniser, pas loin derrière, des
êtres humains. Croire dans la valeur impérieuse du signe, c'est
autant croire à sa souveraineté qu'au fait qu'il contiendrait
sa propre critique: Sid Vicious avec sa croix gammée sur la poitrine
tombe exactement là-dedans. On peut aussi parler de la confusion, quand
on voit apparaître sur les bouquin de Bernadac ou certaines revues d'histoire,
des signes SS et des svastikas partout."
J.F.S : "Je vais préciser quelque chose quand même
pour répondre plus précisément à ta question. Tu
me demandais en fait comment j'articulais le rapport entre le signe et la société,
et cette articulation elle se fait par exemple à travers le symptôme
la marginalisation; à savoir
la marginalisation sociologique permet
d'imaginer une structure avec une intériorité - on est soit dans
la structure, soit à l'extérieur, soit dans la société,
soit à l'extérieur - ça implique une théorie du
sujet qui serait essentiellement pathologique. Et donc son rapport à
l'institution serait un rapport toujours en défaut. Le sujet n'est reconnu
qu'à travers sa pathologisation, son enfermement, sa solitude, et la
société, elle, elle reconnaît ces signes pour pouvoir agir
et pour pouvoir institutionnellement mettre l'individu au rencart. Le signe,
dans la façon dont il se diffuse dans la société, n'est
pas seulement un mode de représentation, au sens qu'il avait au départ,
mais c'est aussi toute une façon dont la société s'est
structurée elle-même pour pouvoir se penser et pour pouvoir penser
non pas le sujet mais l'individu. il n'y a qu'à demander à un
sociologue quelle définition du sujet il peut avoir, il dira dans 80%
des cas qu'il n'a pas de théorie du sujet. Pour une bonne raison, c'est
que quand on envisage l'individu/sujet du point de vue de la société,
on envidage pas ses spécificités par rapport au langage, par rapport
à l'histoire, mais juste comme représentation au sein de cette
société."
L.L.D.M. : "Je renvoie à une chose que Jean-François
a dit à un certain moment, quand il a dit que s'il y a une sémiologie
encore aujourd'hui, c'est surtout une sémiologie médicale; c'est
pas une expression de Jean-François, c'est vraiment le titre d'un ouvrage
obligé pour l'étudiant en médecine. Et bien ça paraît
être superflu de dire aujourd'hui qu'une telle sémiologie est une
collection de signes malades, qu'elle n'a que des déviances, des accidents,
des symptômes, à montrer. Mais c'est tout sauf évident en
regard de l'histoire des représentations; il n'en a pas toujours été
ainsi, et c'est moins une idée quelconque de progrès ou une connerie
de ce genre, qui est à l'origine de tout ça, qu'une modification
radicale de la perception du sujet et de sa représentation
Jusqu'à
la fin du XVIIème, avant que le petit père Lebrun en décide
autrement pour l'académie, et bien il n'y avait aucune différence
entre les anatomies médicales et les anatomies artistiques. Les étudiants
observaient la statuaire, et une collaboration comme celle de Vesale avec ses
graveurs en dit long sur l'idée de l'homme qui les réunissaient.
C'est au XIXème, en plein délire positiviste, en plein scientisme,
qu'on commence à ne plus répertorier le corps que comme un ensemble
de pathologies en devenir, que, finalement, on suppose un secret du corps idéal
par défaut, alors qu'on a cessé de le représenter. On ne
représentera que des corps partiels, des corps partiellement malade.
Et c'est au même moment qu'on y ajoute une psychologisation perverse,
par la phrénologie, la physiognomonie, ou en cherchant la trace du crime
en disséquant les cervelles d'assassins. Le symptôme comme signe
de pistes physique sur le corps institutionnel en creux, si on y rajoute une
idée linguistique du corps institutionnel, on est plus très loin
d'une certaine psychanalyse
"
Simon Artignan : "C'est un peu en relation avec ce qui vient d'être
dit, le sujet, l'individu, et la manipulation des signes
Je reviendrai
juste sur une chose qui m'intéresse particulièrement dans mon
travail, qui est la place du signal. On voit une société qui a
essayé de normaliser, non pas le comportement, mais surtout les conduite.
Et à travers le signal routier, urbain, la signalisation, on a vu aussi
petit à petit une normalisation de l'objet signalétique. C'est-à-dire
que la flèche, ou le "attention!", ne renvoient même
plus au mot "attention" et à toutes ses possiblités
sémantiques, mais juste à une conduite donnéequi veut dire
en fait "stop", et il y a une double perte de sens qui s'opère
à la fois à travers la lecture du signal qui doit être immédiate
et performative
on a l'impression que c'est le même phénomène
qui touche le langage, à savoir que les mots, les signes ou certains
mots, peuvent
Je dirais qu'à certains moments, par analogie, la
performance de communication obligatoire aujourd'hui fait penser que le mot
n'est plus un signe mais un signal, enfin que le signe n'est plus un signe mais
un signal. Qu'il y a le même procédé, le même comportement."
J.F.S : "C'est Barthes qui disait qu'au départ il voulait
faire une signalétique, et que c'est un peu sous la pression des théoriciens
du signe alentour, sous la pression du structuralisme pur et dur, qu'il a constaté
que cette signalétique était en fait devenue une sémiologie.
Il y a un glissement qui s'est opéré effectivement qui est bien
pratique: c'est-à-dire qu'on répond à un signal comm un
stimulus, et ça implique des comportements qui ont une importance assez
fondamentale sur la façon dont on peut lire le monde, et dont on peut
l'aborder; à savoir la programmation, et la programmation par le savoir,
la programmation par l'écriture par exemple. Ce qui est embêtant
là-dedans - ce que fait entre autres l'herméneutique - c'est qu'elle
imagine une sorte d'idiot moderne qui est en fait ce qu'appelle un type qui
s'appelle Yaos un lecteur naïf. Donc il y a des lecteurs qui savent, et
il y en a d'autres qui sont idiots. C'est quelque chose qui se perpétue
pour attester, légitimer les discours
obliger le lecteur à
se conformer à un écrit comme à un signal, et non à
exister dans cet écrit pour devenir à son tour un autre sujet.
C'est toute l'histoire de l'altérité qui est mise en jeu là,
et qui, je dirais, succombe sous un behaviorisme ambiant."
L.L.D.M. : "C'est la question du type perdu dans le désert,
aveuglé, "quel est LE sens?"
ça pour telle chose,
unidimensionnel, monosémique. On a pas mal parlé de Nietzsche
la dernière fois, et comment lui renvoyait au contraire - on avait dû
évoquer Ecce Homo, je crois - l'expérience de la confrontation
au signe comme une expérience du sujet par lui-même, hein, déduire
sa propre effectuation de l'usage qu'on allait faire, du sens qu'on lui accordait,
et avec ça produire des signes nouveaux, dont la nouveauté apparaît
comme inévitable et souhaitable. Il décrivait vraiment un rapport
expérimental et individuant au signe, duquel on sort grandi. Ce qui aujourd'hui,
par la bouche de l'idiot moderne, qui est son propre tyran volontaire, est plutôt
une expérience signalétique de cet ordre, le lieu d'entente des
morts trouvé dans le langage, une sorte de champ de bataille sans bataille,
linguistique, où chacun viendrait volontiers mourir pour trouve LE sens.
L'herméneutique sacrée travaille effectivement comme ça,
elle voudrait couper l'expérience individuelle de la langue d'une sorte
de vérité nouménale, pour canaliser et contraindre jusqu'à
la forme de la foi, du sens du mot Dieu etc. Le questionnement interminable
du livre est remplacé part des mots d'ordre, je l'invente pas, hein,
je lis ça régulièrement sur la news group israel.francophone,
c'est "Ah non, mon rav sait que" "dit que"
C'est la
contradiction même du travail midrashique. Le risque, l'aventure du sujet
dans l'expérience linguistique, hop! Coupure."
Un intervenant : "Vous parliez de lecteur naïf, en fait je
voudrais savoir si Hitler, dans sa façon de rédiger "Mein
Kampf", son discours par rapport à la lecture justement, peut être
placé dans cette catégorie? En sachant qu'il ne disait lire que
ce qu'il savait."
L.L.D.M. : "Lui croyait fermement dans la valeur éternelle
du signe. Il ignorait, et si on va par là, haïssait l'errance. Mais
en fait un lecteur naïf, tel qu'on l'évoquait tout-à l'heure,
c'est plutôt un bon lecteur. Hitler est un exécrable lecteur, on
s'en rend compte dans sa perception du Protocole des sages de Sion. Il est toujours
stupéfié devant le signe, on verra son appétit de signe
dans toute la structure du Reich. Il est non pas l'invention mais la réalisation
la plus accomplie de l'idiotie moderne."
J.F.S : "Et il y a autre chose aussi, je crois que la notion d'utopie
est nécessaire pour continuer à vivre, pour exister en tant que
sujet. Or le signe et la programmation d'un lecteur naïf tend à
topologiser au contraire le sujet. Au fond, on est pas vraiment sujet quand
on lit, enfin on peut l'être, mais, comprenez-moi bien : quand on lit
certaines théories, on voit bien qu'il s'agit ou de l'accepter ou de
la refuser, mais pas de la discuter. Il y a une annulation du débat dans
le fait de refuser qu'on puisse, déjà, en écrivant un texte,
être en dehors
enfin
"
L.L.D.M. : "Oui, l'herméneutique doit être un lieu
pour l'utopie aussi. La Loi aussi, c'est la chose à habiter, son côté
immanent, c'est juste pour diriger notre regard un moment sur Dieu, là
où justement nous ne sommes pas, et la question de l'emission est réglée.
L'immanence ,c'est pas un caractère linguistique, et d'une façon
générale, ça ne nous concerne pas : le travail d'utopie
est en route. La science de la Loi n'est pas là pour déléguer
le sens au signe."
Raphaël Edelman : "À un moment, tu as parlé du
concept de l'individu, et c'est vrai que là où on se trouve, à
l'heure actuelle, il n'y a pas de concept de l'individu. Notre critique est
une critique d'une évidence, aussi : c'est celle qu'on parle avec des
concepts qui sont ceux de tous, sinon on parlerait pas
et à partir
de là c'est "Comment on va penser l'altérité?".
Tu as dit tout-à l'heure, c'est vrai, du coup on place le sujet dans
une transcendance, c'est vrai, comme Meschonnic l'a vu, il y a un rapport à
l'Au-delà, donc le sujet n'est pas un au-delà, il n'est pas un
arrière-monde etc. Mais au moins, le sujet est pensé comme altérité
par rapport au signe. Toi, comment penses-tu l'au-delà du signe qu'est
l'individu
plutôt l'altérité de l'individu sans en
faire un au-delà? Parce que on revient au problème de l'immanence
de l'individu dans le signe.."
J.F.S : "Je crois justement que c'est à travers le langage
que cette altérité se dessine. L'exemple que donne Benveniste
dans le rapport entre "je" et "tu" fait que cette altérité
est déjà produite chez le sujet. Ce que je disais tout-à
l'heure c'est que est sujet celui par qui l'autre devient sujet, c'est ça
l'altérité, c'est pas dans l'opposition sujet-objet que les choses
se passent. Il n'y a pas d'altérité, ou cette altérité
est radicale. A savoir l'Autre, quand il devient autrui, il ne s'agit plus d'altérité.
Je pense que si cette altérité là se dessine, c'est dans
la possibilité pour le sujet d'être dans son disocurs et à
travers son discours de pouvoir constituer une histoire, sachant qu'il n'y a
pas de coupure possible. Quand cette coupure est envisagée, elle l'est
généralement à des fins idéologiques".
R.E. : "Idéologiquement c'est vrai : si on prend la coupure
théorique-pratique qui sert à dire "qu'on dit" ou "qu'on
fait", c'est des coupures qui sont nés dans la société
grecque, qui ont perduré sous forme théorique et qui sont réappliquées
maintenant selon des modèles sociaux : ceux qui font, et ceux qui disent
Tout ça est absurde, je veux bien l'entendre. Mais il n'empêche,
on ne peut pas dire uniquement que c'est une altérité exclusivement
construite en référence à la norme
Il ne faut pas
être complètement paranoïaque non plus, et dire que ce n'est
qu'une seule fabrication. C'est aussi une seule condition."
J.F.S : "Mais il n'y a pas qu'un seul sujet. En tant que sujet,
nous sommes une infinité de sujets. Je crois que l'altérité,
elle commence déjà par soi-même. L'exemple de "je"
et "tu" vaut dans le langage, mais comme des formes vides du sujet.
C'est pas des inscriptions du sujet dans le langage, lui il s'incrit dans le
langage à travers la phrase, à travers la façon dont il
s'instancie dans la phrase. Si une altérité se dessine à
partir de là, je dirais que c'est dans le présent de l'énonciation,
c'est véritablement dans l'instanciation."
R.E. : "Donc il n'y a pas d'histoire possible
"
J.F.S :" Il y a une histoire possible, c'est-à dire que là
on prend les choses du point de vue du sujet, mais il ya une relation entre
les sujets et la société évidemment. Cette relation est
également coupée: d'un côté on a la société,
de l'autre on a l'individu. Il n'y a qu'à voir par exemple la tradition
de la subversion, ou de la transgression, comment c'est devenu des modèles,
des conformismes. Alors que le sujet a vocation à être social;
je crois que son altérité ne prend sens - et il y a une altérité
dans le sujet - qu'à condition qu'il soit social, et cette socialité-là
elle ne se fait que s'il n'y a pas de coupure entre individu et société
Parce, en quelque sorte, l'opposition individu et société, elle
existe
pour faire une histoire. Il y a aussi un mode de subjectivation,
d'un autre côté qui est ce rapport entre sujet et social. C'est
vrai que là il s'agit d'autre chose. Mais bon, on n'est pas que des individus,
que des avatars de sujet, que des sujets-objets, des auto-affirmations de l'individu
passées pour des sujets. Je passe rapidement, c'est vrai, mais c'est
difficile de faire le tour du sujet."
R.E. : "Je voulais surtout pointer les apories dans lesquelles nous
met notre travail
"
J.F.S. : "Bien sûr, il y a tout un travail à faire,
ne serait-ce que de reconnaissance du sujet, quelle place il peut occuper dans
une société. Tout ça met en évidence un inconnu
du sujet, le sujet comme ouverture à travers la sémantisation,
enfin, le langage avec ses composantes sémiotiques et sémantiques,
pour qu'un sujet puisse s'en dégager, avoir la possibilité d'une
aventure."
(ici, Jean-François, Raphaël et L.L.D.M. évoquent toutes les difficultés auxquelles nous conduisent la nature même de ce colloque. Puis Jean-François reprend son texte)
"Détachée
du sujet, la société garantit l'intemporalité de son pouvoir
et la supériorité de ses fondements illisibles sur le discours.
Sa mesure est dans le signe originel du calendrier des événements.
Elle se maintient dans une métaphysique de la présence. Et l'irrationnel
nourrit également ses représentations : " La sémiotique
contribue ainsi au confusionnisme présent. Elle prête sa déshistoricisation
à l'irrationnalisme millénariste. Elle lui laisse le champ, offrant
le spectacle d'une absence de critique qui est l'effet politique de son épistémologie
". La folie implicite à laquelle aboutit la logique du signe dans
le domaine de la création, ne saurait se départir des critères
d'évaluation et de diagnostic, par lesquels la société
marginalise et constitue toute idée du sujet dans l'exclusion. Le dualisme
du rationnel et de l'irrationnel dessine traditionnellement ce cadre de tension
avec la force idéologique nécessaire à l'affirmation du
signe comme modèle. Et pour elle, l'art permet d'ériger le mythe
comme une catégorie exemplaire de la réalisation de son pouvoir.
En cela, l'art ne déroge pas à la tentation du signe. La contrepartie
singulière de l'uvre, le signe de son orginisme, est par exemple
invoqué par les tendances conceptualisantes qui postulent le signe de
l'uvre, pour l'uvre. Porte ouverte à tous les mentalismes,
réduction du concept à l'abstraction, élévation
de la valeur dans l'objet absent : l'art est devenu un sacré culturel,
un poncif de la métaphysique. Les théologies de l'art contribuent
en fait à légitimer le musée comme un temple et à
caractériser l'art comme une valeur transcendantale de la société.
Les musées sont devenus des lieux de pèlerinage, des grand-messes
du signe et de l'exemplarité de l'uvre. La ritournelle de l'original
et du nouveau répète en continu les bienfaits de la rupture.
Même hors des structures physiques qui représentent le musée,
la critique des systèmes culturels entreprise par le Land art, reste
historiquement dans un rapport étroit aux institutions. En revendiquant
la rupture entre le naturel et le culturel, pour échapper à une
économie de l'art, il retombe finalement dans une métaphysique
de l'uvre comme expression archaïque d'une authenticité. Ceci
n'est pas sans conséquences, car la création archaïque surdétermine
la notion d'art en se donnant comme l'englobant de l'art. La création
devient alors à son tour l'interprétant de l'art et en cela annule
sa problématisation dans et par le langage. C'est en cela que l'uvre
est réduite à une métaphysique et un psychologisme. L'uvre
devient donc une expérience mystique des signes de la nature, "
une recherche des signes universels dans le cosmos ", voire la pensée
d'une perception extra-sensorielle. En rompant avec les institutions, le Land
art ne rompt pas avec la généralisation du signe et le rapport
au monde qu'il implique. Il rompt au contraire avec le langage en fondant sa
valeur dans l'hermétisme du signe qui ferait uvre. Il déplace
la notion d'art sans véritablement la reconceptualiser.
Car, que la mise en scène de l'art soit dans les musées ou dans
la nature ne fait que rappeler le signe à son universalisme. Nous passons
là du cabinet des curiosités à des monuments commémoratifs
du savoir et du déjà vu. Les conditions d'historicité des
uvres se referment sur l'institutionnalisation de leur valeur par la société.
D'une esthétique de l'objet particulier, le Land art, mais aussi la performance
et le happening aboutissent à une esthétique du comportement,
à une esthétique de la mise en scène. Ces pratiques perpétuent
la sacralisation de l'uvre comme objet et non comme sujet."
L.L.D.M.: "C'est vrai qu'on ne mesure pas à quel point
la performance faire du corps un porte-sujet, ou plutôt le sujet un porte-signe;
la farouche croyance dans la puissance du signe résume le corps à
cet état, et ça avec d'autant plus d'acharnement que sa mobilité
physique dans le tissu groupal, le fait valoir comme monnaie d'échange
à valeur maximum; il y a une double assimilation
Le corps révèle
le social à ses propres tribulations, et il accepte dans cette parodie
de communication la domination du corps institutionnel qui le singe. Et, pire,
qui lui distribue sa valeur. C'est dans une espèce d'euphorie tactile
qu'on se donne l'impression qu'on a fait coup double, en rendant l'uvre
collective et signifiante. Comme si être collective, ou être signifiante,
c'était de nature à rehausser une uvre d'art. Comme si c'était
une problématique artistique d'être collectif ou signifiant
"
J.F.S (reprend) "Plus largement, l'ouverture des territoires
de l'art à la vie, les vieux rêves d'un art total, se sont transformés
en une esthétisation de la société. La notion de valeur
retourne à une économie traditionnelle de l'art sous la forme
d'images, de photographies, de croquis, de documents ou de catalogues. "
(il commente) "De ce point de vue là, il y a un exemple que je trouve
assez rigolo, qui est celui de Pierre Pinoncelli; c'est au Carré d'art
de Nîmes, il a décidé de pisser dans un urinoir de Duchamp
qui était exposé, et ensuite de l'ébrécher. En fait,
sa performance a raté, parce que quand il a averti l'A.F.P. pour couvrir
l'événement, l'A.F.P. n'a pas suivi, donc il n'y a pas eu de photographes
de dépêchés sur place pour, je dirais, restituer l'événement.
Comme quoi, au fond, si il n'y a pas de réinvestissement à travers
le document, à travers, l'image, il n'y a pas de valeur de performance
Ce qui est intéressant dans cette histoire, c'est que pour lui la performance
est loupée parce qu'il n'y a pas de preuve".
L.L.D.M.: "Il semble bien que pour cet idolâtre du signe qui
se contente d'antiphraser Duchamp, finalement, il n'y croit pas lui-même
à la valeur de ses propres signes; il ne s'est pas contenté de
pisser dedans, mais il l'a aussi ébrêché... C'est d'un pathétique,
de se sentir aussi faible finalement. Si en plus il s'imagine que la seule valeur
du travail de Duchamp est d'avoir souligné que tout ce qui pénètre
un musée devient l'objet de ce musée, n'importe quelle toile exposée
le révélait déjà. L'analyse de Pinoncelli est aussi
étriquée que sa subversion. C'est intéressant de voir qu'à
cette uvre là même, finalement, il n'avait pas cru; dans
quelle ambiguïté se trouvait-il pour n'avoir pas lacéré
un Vermeer, par exemple? Le statut qu'il prétend déboulonner,
et bien il apparaît qu'il ne l'avait pas statuer lui-même
Quelle était la nature de son regard sur la valeur artistique du travail
de Duchamp? Parce que c'est quand même pas de la désapprobation
pure, j'imagine... C'est pas un punk?"
J.F.S: (il reprend) "Tous ces comportements qui appellent à
la désacralisation de l'art, ne font qu'entériner la valeur exemplaire
qu'une uvre est pour la société : c'est-à-dire à
la fois une sacralisation de l'image et de son commerce, la démesure
et l'inflation d'une valeur que seule une stratégie de la société
peut porter au pinacle du spectaculaire. Le signe de la bonne santé de
l'art, comme peuvent en parler d'éminents commissaires d'exposition,
ne se porte jamais aussi bien que quand la spéculation bat son plein.
Cependant, c'est la fête d'une valeur qui n'est pas celle de l'art. L'assimilation
des avant-gardes par les institutions culturelles, la revendication de la modernité
comme slogan publicitaire et sa dévalorisation en poncif, montrent à
quel point, sous le signe des apparences et (la bande s'arrête)