- I -

e sont les larmes de Séléné qui mordent la peau céleste jusqu'à la déchirer; ainsi, ces trouées, vois-tu, marquent notre ciel & dévoilent le feu qui pulse derrière lui, en champs jetés d'étoiles.
Mais si Séléné pleure, sache-le, ce n'est ni de douleur, ni de désespoir, non.

        Non; Séléné, comme toutes les lunes, ne peut pleurer qu'une fois au cours de sa longue vie, seulement pour illuminer le ciel qui doit accueillir son enfant. Car, comme toutes les lunes, Séléné ne peut avoir, au cours de sa longue vie, qu'un unique enfant...

Mais j'aurais pu te dire en vérité Séléné pleurait, ou Séléné ne pouvait avoir, car tout ceci se passait il y a si longtemps, qu'il n'était pas même question encore de compter des minutes, des siècles, ni même, car cela n'avait aucune importance à vrai dire, d'essayer de découper le temps en quelques morceaux égaux dans le sens de la longueur, car personne jusqu'alors n'avait jugé utile d'accorder au temps une longueur, ni même une direction.

        Il ne semblait à personne important non plus de savoir ce que la lune pouvait bien cacher derrière son dos...

        & pourtant, ce qu'elle pouvait bien y cacher t'aurait certainement intéressé, toi, ou du moins, beaucoup surpris: car elle n'était pas d'un rond-ballon, ou d'un rond-perle, comme tu pourrais le croire; elle était fendue de haut en bas, tout comme un abricot, avec des bords pareillement bombés.

        & surtout, à l'époque dont je te parle, Séléné était beaucoup plus grosse, disons dix fois plus grosse si tu veux des précisions, qu'elle ne l'est aujourd'hui, car, tu l'avais sans doute déjà compris, elle attendait un enfant.

        & cet enfant était sur le point de naître.

 

lors même qu'il se dégageait péniblement du corps de sa mère, on pouvait percevoir ses premiers silences s'insinuer en nappes jusqu'à l'autre bout de l'UNIVERS.
        Je sais bien que tu penses qu'on ne peux pas entendre des silences, mais il faut que je te dise qu'à cette époque, l'UNIVERS était constamment agité d'un vacarme épouvantable! Le silence y était si rare, car seuls les bébés de lunes étaient muets, qu'on les percevait de très loin, tant ils étaient remarquables.

        À peine la Lune eut-elle, dans un dernier effort, projeté brusquement son enfant hors de son gigantesque ventre, car c'est ainsi que font les lunes, que l'on vit l'immense ouverture qui barrait jusque là son ventre se mettre à diminuer, diminuer jusqu'à disparaître.

        & Séléné elle-même se mit à diminuer, diminuer jusqu'à devenir plus petite encore que son enfant.Celui-ci était d'un rond-ballon, ou d'un rond-perle, comme tu voudras, & surtout, il était entièrement bleu.

        Du plus beau bleu dont tu puisses rêver.