Si Blexbolex fait depuis quelques années partie des auteurs les plus respectés et les plus influents de l’illustration contemporaine, il n’en reste pas moins déterminé à préserver la dynamique d’expérimentation de ses premiers pas, qui le virent glisser d’ambitions picturales à la pratique artisanale de la sérigraphie, avant de se diriger vers une réflexion autour du livre conçu en tant que globalité. Il faut probablement aller chercher du côté de la modestie (d’artiste, d’écrivain, d’imprimeur, de typographe, de maquettiste, de façonnier) pour saisir à quel point chacune de ses lacunes supposées a su prendre corps comme élément d’un ensemble — le livre — remarquablement réfléchi.
Intentions, outils, supports et techniques comme paramètres inexcluables, un tout peut alors naître, intrinsèquement singulier, tenant sa cohorte d’admirateurs à jamais éloignés.

Auteur axial de l’underground graphique français, J.M. Bertoyas doit ce statut réducteur et discutable à un engagement sans faille en direction du Do It Yourself, du mail-art à l’affiche de concert punk et expérimental, en passant par la bande dessinée : cette dernière lui permet d’opérer le syncrétisme idéal entre ses amours populaires et ses exigences politiques et intellectuelles.

Alors qu’il autoédite depuis une quinzaine d’années une multitude de comix nourris à la bande dessinée de gare et au collage, ses audaces formelles autant que l’importante part de critique sociale qui sous-tend ses récits d’aventures déviants, le verraient plutôt se situer du côté des poètes graphiques activistes que des tenants d’un psychédélisme dans l’air du temps.

http://kobeblog-bertoyas.blogspot.fr/

Loïc Largier aime à dire que dans son travail, la bande dessinée ne constitue que le point de départ, qu’il s’agit pour lui, avant tout, de travailler sur le dessin, avec du dessin.

Ses œuvres s’apparentent à une cartographie mémorielle, usant de nos souvenirs de lecteurs par
l’apparition de motifs connus reproduits sur calques, faussement nostalgiques car incessamment noyés, surimposés et perturbés par une stratification à la profondeur fantôme, calque sur calque, noir sur noir, invitant à la perte dans une topographie pourtant balisée.

La bande dessinée y apparaît alors comme le moteur idéal à des expériences de projections : le texte émerge des motifs de l’image, l’image d’un répertoire sans fond engageant une multiplicité des montages, entre lignes de partage et trajectoires sans issues, ainsi ouverte à l’infini des lectures.

http://www.revue1-25.com/

De fanzine en fanzine, de livre en livre, Pascal Matthey élabore méticuleusement son œuvre polymorphe aux côtés de quelques-uns des meilleurs éditeurs belge du moment.
Il poursuit avec « We all go down » quelques-unes des plus stimulantes expériences de bande dessinée abstraite avant de réaliser « 978 » pour La 5e Couche. Ce grand brassage merz articule des milliers de bribes de bandes dessinées populaires dans un vortex qui déroule son continuum malade comme une ambitieuse tentative de cosmogonie de la bande dessinée moderne.
Les aller-retour entre figuration et abstraction y participent d’une dynamique du vertige laissant à contempler le ballet duel, éternellement recommencé, entre déconstruction et reconstruction.

http://weallgodown.tumblr.com/

Artiste marginal dans le champ de la bande dessinée, Robert Varlez est sans doute plus connu pour son travail d’éditeur avec
L’Atelier de l’agneau, maison créée en 1972 et dédiée à la promotion de jeunes créateurs belges et étrangers dans le domaine de la littérature, de la poésie et des arts visuels.

En tant qu’illustrateur, il collabore avec différents poètes et écrivains — Jacques Izoard, Tahar Ben Jelloun ou Michel Butor — et c’est grâce aux encouragements de Martin Vaughn-James qu’il se lance dans une série d’expérimentations en bande dessinée à partir des chronophotographies de Muybridge ; ces travaux, publiés dans le courant des années 1970 dans diverses revues telle Minuit ou « À Suivre...», restent dans la confidentialité.

S’il poursuit néanmoins son activité graphique, il se concentre sur le collage (importance de l’héritage de Dada) avant que The Hoochie Coochie ne réhabilite son œuvre d’auteur de bande dessinée en 2013, engageant un nouvel élan créateur dont « Suit(es) », à paraître prochainement aux éditions Adverse, marque à ce jour l’aboutissement.

Authentique stakhanoviste engageant toute son énergie dans des productions artistiques et intellectuelles — envisagées comme autant de parties d’un grand tout que l’on appellera la vie-même —, L.L. de Mars est un autodidacte insatiable qui fait voler en éclat les cases de l’appartenance à un champ donné.

Écrivain, théoricien, réalisateur, éditeur, activiste du copyleft, entremetteur et artiste plastique complet (du dessin à l’art numérique), il s’agite particulièrement sur les territoires de la bande dessinée depuis une quinzaine d’années ; il y
décline l’ouverture de ses approches en autant de livres aussi radicalement
différents que positivement indispensables.

Son amour immodéré pour un art aussi riche de possibles qu’encore confidentiel dans ses approches les plus audacieuses, le pousse à envisager autant d’attaques transversales nécessaires (créations, collaborations, critique, expositions) pour que soient révélées les œuvres les plus stimulantes à des publics trop éclatés.

www.le-terrier.net

Illustrateur et graphiste avec Xavier Robel dans « Elvis Studio », auteur de bandes dessinées sous son propre nom, Helge Reumann a largement contribué à initier, depuis la Suisse des années 1990, les troubles autour des questions d’appartenance autant que les transgressions dont l’art et le design contemporain font aujourd’hui leurs choux gras.

Hanté par les conséquences dégénérescentes d’une guerre globale attendue, il n’a de cesse de rejouer les élans vains du règlement de compte et de la reconquête, figurant par l’absurde les questions communautaires et l’ingéniosité humaine pour
infliger la douleur.

Fortes d’un rigorisme graphique implacable, découpant les espaces selon le rythme d’une mécanique inenrayable, ses bandes constituent une prison dorée pour nos rêves d’anéantissement
généralisé.

http://helgereumann.tumblr.com/

Précurseur de l’affirmation d’un univers d’auteur dans un pays alors écrasé par les productions populaires américaines, Matti Hagelberg reste aujourd’hui la figure de proue de la bande dessinée finlandaise, quand bien même ce pays nous révèle depuis une quinzaine d’années quelques-unes des expressions les plus stimulantes de la création contemporaine. Marqué au fer rouge par la revue « Raw » et notamment par le travail en carte à gratter de Pascal Doury, il développe depuis vingt-cinq ans une écriture rêche, complexe et précise autour de cette technique laborieuse et singulière qui opère par un dévoilement du blanc à partir d’une surface noire.
Son absence de complaisance dans ses portraits de la misère sociale et de la désespérance contemporaine n’éludent pas pour autant un humour certain — nécessairement froid —, tandis que son intérêt pour les questions du récit s’accompagnent de recherches formelles dont l’apparente simplicité cache mal une ambition peu commune en termes de narration.

http://mattihagelberg.blogspot.fr/

Duo quasi-inséparable fonctionnant comme une entité à deux têtes, les frères LeGlatin ont développé leur travail à deux mains en autodidactes par une approche du fragment et de la forme courte, d’abord au sein de leur cabane éditoriale Bicéphale (accueillant ponctuellement un auteur «tiers») puis en collaboration avec The Hoochie Coochie.
Creusant avec une détermination rare un corpus de motifs dont le resserrement témoigne déjà de l’importance de chacun d’entre-eux (la solitude duelle, les conséquences comportementales — inconscientes mais palpables — d’une guerre fantôme omniprésente, les transformations opérationnelles du langage, etc.), ils étendent patiemment les ramifications d’une œuvre pleine d’une joie mauvaise, avec l’effronterie de qui cherche à révéler que, peut-être, quelque chose peut germer dans le plus aride des déserts.

http://www.chezbicephale.com/