L'autoportrait de la pensée elle-même.


Autoportrait de la pensée elle-même, polaroids, Paris, 1994, avec la précieuse collaboration de Daphna Blancherie.

Un mauvais jour de fin 1993, l'idée me prit d'installer une nouvelle étagère dans le laboratoire photo. Le lendemain, je m'enfermais dans le labo pour développer des films et dans l'obscurité totale et avec l'habituelle précipitation, j'oubliai tout à fait la présence de la nouvelle étagère désormais accrochée au mur du fond, et de fait, en m'avaçant imprudemment vite dans le labo, je me cognai la tête avec force sur l'angle de cette étagère, qui n'avait jamais été là jusqu'à présent et je m'assomai tout à fait. Je repris conscience, toujours dans l'obscurité complète, et j'eus de ce fait beaucoup de mal à m'extraire de la situation: où étais-je?, pourquoi faisait-il si noir? Qu'est-ce qui s'est passé?, en un mot comme en mille l'obscurité n'est pas la plus favorable des ambiances pour reprendre conscience __ la lumière aidant très probablement à y voir plus clair, pour ainsi parler __ de même qu'en pareille occasion une telle obscurité prête à confusion, et il ne faut pas être doué de beaucoup d'imagination pour envisager le pire ou même la fin, et si c'était ça le fameux trou noir, dans lequel, passant distrait, on vient de tomber comme dans une conduite d'égout béante, l'égouttier ayant oublié de rabattre la lourde plaque de fonte, estampillée Pont-à-Mousson, derrière lui, le tunnel sans fin, la ténèbre éternelle et toutes ces métaphores peu réjouissantes? Je crois que c'est l'odeur acre et persitante de l'hyposulfite de sodium qui me remit sur la voie, et j'eus même le sang-froid nécessaire pour m'assurer qu'aucun support photosensible n'était à l'air libre avant de ne rallumer dans le laboratoire. Plus tard, des maux de tête insidueux rendirent ma soirée difficile, de même que des vomissements achevèrent de gâcher ma nuit. Le lendemain je pris rapidement rendez-vous chez le médecin qui m'envoya dans la journée même faire un scanner. Allongé, tandis que mes veines et ma gorge me chauffaient de cette désagréable sensation du liquide de coloration, on m'engouffra dans le cylindre du scanner. Une fois, dans le cylindre, encouragé que je l'étais, par la radiologue, à me détendre, je laissais ma pensée vaganbonder et j'eus de fait l'idée ( que je mis à exécution dès le lendemain ) de rephotographier les images du scanner de mon cerveau qui étaient en train de se produire, puis, ( à l'image de ce que j'avais déjà fait avec les radios de mon dos ) de projeter les diapositives ainsi obtenues, sur mon visage. Je sortis presque hilare ( à la grande surprise de la radiologue ) du cylindre du scanner, parce que je venais de réaliser que les images qui avaient tout juste été capturées de mon cerveau, avaient précisèment été enregistrées tandis que je pensais à ces même images telles qu'elles seraient projetées sur mon visage. Si le scanner ( dont je n'ignorais pas qu'il fût cas capable d'enregistrer certaines activités du cerveau ) avait effectivement enregistré mon activité cérébrale produisant mentalement de telles images, il ne serait alors pas faux de dire que ces images étaient les autoportraits de la pensée elle-même.

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