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Extrait
de l'Espace Littéraire de Maurice Blanchot.
« Noli me legere ».
La même situation peut encore se décrire ainsi l'écrivain ne lit jamais son oeuvre. Elle est, pour lui, l'illisible, un secret, en face de quoi il ne demeure pas. Un secret, parce qu'il en est séparé. Cette impossibilité de lire n'est pas cependant un mouvement purement négatif, elle est plutôt la seule approche réelle que l'auteur puisse avoir de ce que nous appelons oeuvre. L'abrupt Noli me legere fait surgir, là où il n'y a encore qu'un livre, déjà l'horizon d'une puissance autre. Expérience fuyante, quoique immédiate. Ce n'est pas la force d'un interdit, c'est, à travers le jeu et le sens des mots, l'affirmation insistante, rude et poignante que ce qui est là, dans la présence globale d'un texte définitif, se refuse cependant, est le vide rude et mordant du refus, ou bien exclut, avec l'autorité de l'indifférence, celui qui, l'ayant écrit, veut encore le ressaisir à neuf par la lecture. L'impossibilité de lire est cette découverte que maintenant, dans l'espace ouvert par la création, il n'y a plus de place pour la création __ et, pour l'écrivain, pas d'autre possibilité que d'écrire toujours cette oeuvre. Nul qui a écrit l'oeuvre, ne peut vivre, demeurer auprès d'elle. Celle-ci est la décision même qui le congédie, le retranche, qui fait de lui le survivant, le désoeuvré, l'inoccupé, l'inerte dont l'art ne dépend pas. L'écrivain ne peut pas séjourner auprès de l'oeuvre il ne peut que l'écrire, il peut, lorsqu'elle est écrite, seulement en discerner l'approche dans l'abrupt Noli me legere qui l'éloigne lui-même, qui l'écarte ou qui l'oblige à faire retour à cet « écart » où il est entré d'abord pour devenir l'entente de ce qu'il lui fallait écrire. De sorte que maintenant il se retrouve à nouveau comme au début de sa tâche et quil retrouve à nouveau le voisinage, lintimité errante du dehors dont il na pas pu faire un séjour. Cette
épreuve nous oriente peut être vers ce que nous
cherchons. La solitude de lécrivain, cette condition
qui est son risque, viendrait alors de ce quil appartient,
dans loeuvre, à ce qui est toujours avant loeuvre.
Par lui, loeure arrive, est la fermeté du
commencement, mais lui-même appartient à un temps où
règne lindécision du recommencement.
Lobsession qui le lie à un thème privilégié,
qui loblige à redire ce quil a déjà
dit, parfois avec la puissance dun talent enrichi, mais
parfois avec la prolixité dune redite
extraordinairement appauvrissante, avec toujours moins de force,
avec toujours plus de montonie, illustre cette nécessité
où il est apparemment de revenir au même point, de
repasser par les mêmes voies, de préserver en
recommençant ce qui pour lui ne commence jamais,
dappartenir à lombre des événements,
non à leur réalité, à limage,
non à lobjet, à ce qui fait que les mots
eux-mêmes peuvent devenir des images, apparences __ et non
pas signes, valeurs, pouvoir de vérité.
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