Photograph, Carlton Lake collection, Ranson University of Austin, Texas (en négatif)

Extrait de The invention of solitude de Paul Auster.




Dans un sac plein de clichés disparates: une photo truquée, prise dans un studio d'Atlantic City dans le courant des années quarante. Il s'y trouve en plusieurs exemplaires assis autour d'une table, chaque image saisie sous un angle particulier de sorte qu'on croit d'abord qu'il s'agit d'un groupe d'individus différents. L'obscurité qui les entoure, l'immobilité complète de leurs pose donnent l'impression qu'ils se sont réunis là pour une séance de spiritisme. Et puis si on regarde bien on s'aperçoit que ces hommes sont tous le même homme. La séance devient vraiment médiumnique, comme s'il ne s'y était rendu que pour s'évoquer lui-même, pour se rappeler d'entre les morts, comme si, en se multipliant, il s'était inconsidérément fait disparaître. Il est là cinq fois, mais la nature du trucage rend impossible tout échange de regards entre les personnages. Chacun est condamné à fixer le vide, comme sous les yeux des autres, mais sans rien voir, à jamais incapable de ne rien voir. C'est une représentation de la mort, le portrait d'un homme invisible.

The original text in English.

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