Le bloc-notes du Désordre |
lundi, juin 17, 2002
Levé tard ce matin, luxe du travail de
nuit, je buvai mon thé dehors sur le banc, quand Madeleine a surgi, le
rouge aux joues, pressée. Je me suis dit qu'elle était contente de me
revoir ce qui aurait suffit à ma joie: précipitamment elle m'a donné ce
qu'elle avait dans la main,
c'est-pour-toi-bonne-fête-j'ai-fait-ça-à-l'école-c'est-pour-toi, une boîte
de camembert peinturlurée grossièrement de rouge, entourée d'un noeud
malhabile, dans les deux mains offertes de Madeleine qui sentait l'école.
J'ouvre? Elle opine, elle est très émue, comme bouleversée. Dans un écrin
de crépon vert ( quelle horreur! ) un "magnifique" porte-clef avec une
étoile jaune à cinq branches, peinte à grands coups de pinceaux empressés
( elle raconte qu'elle a du attendre que ce soit "chec" avant de me le
donner ) et un sourire représenté par un arc de cercle hésitant avec deux
petits yeux figurés pas des points, décidés au contraire, au marqueur,
sous cette figuration sommaire on voit l'esquisse de la maîtresse au
crayon à papier, de même que je n'avais pas fait attention que sur la
boîte sur laquelle Madeleine insiste désormais, un peu impatiente de mon
manque d'attention, il est marqué "Papa" en lettres très tremblées, une
écriture qui me rappele celle des petits mots de la vieille
parkinsonnienne du cinquième avenue Damesnil ( "Monsieur De Jonckherre,
vous ne voulez pas venir voir chez moi, je crois que ça sent le gaz", et
de découvrir, en 1994, un tuyau flexible sur lequel était imprimé en
toutes lettres "à changer avant juillet 1976", l'année de la canicule,
pensai-je ). J'ai lu je ne sais plus où, ni de qui, que d'être père (
approximative citation ) c'était de trouver qu'un cendrier en terre cuite
est une excellente idée de cadeau d'anniversaire! Madeleine me regardait, avec des yeux anxieux, très émue, je l'ai embrassée sur le front, elle m'a demandé qu'est-ce qu'on dit? J'ai dit merci, j'ai maintenant une belle étoile jaune avec un "smiley" à mon trousseau de clefs: une rareté. Image: Ray Martin, lithographie d'après image numérique, Chicago, 2000. dimanche, juin 16, 2002
Et puis ce matin, à l'aube, en rentrant très prudemment, luttant contre
l'invasion du sommeil au volant, je me suis arrêté de nombreuses fois sur
le côté, en marge de la route, une faible ondée mouillait les blés
blondissants en silence. Au travail cette nuit, j'étais le gardien du temple, la sentinelle que l'on a laissée derrière soi. Des écrans, des myriades d'écrans qui renvoient habituellement une multitude de lignes lumineuses, écritures absconses aux profanes mais vendues et achetées des fortunes par de puissantes sociétés, ces écrans étaient éteints, noirs comme ayant avalé d'une ultime bouchée leurs pixels. Au milieu de ces fenêtres sombres, tous les ventilateurs des processeurs tus, le moindre bruit, aussi ténu fut-il, aspiré par l'insonorisation plafonnaire en polystyrène, le silence de caveau donnait à la ruche coutumière une tournure grave, presque pitoyable, davantage celle de navire ou d'astronef laissés à l'abandon ( tout comme dans Solaris d'Andreï Tarkovski, le laisser-aller conquérant la station __ dans le même film, les occupants désoeuvrés et neurasthéniques découpant de petite guirlandes de papier pour les coller sur les rebords des bouches d'aération, dans l'illusion vaine de se donner à entendre le vent s'engouffrant dans les peupliers ). Etonnant comme une panne d'électricité est charmante dans la maison de Puiseux __ féérique presque en été dans les Cévennes __ synonyme de feu dans la cheminée pour se tenir chaud en hiver, ou de porte ouverte sur l'obscurité du jardin au printemps, buvant le thé sur les marches du perron, et comment la même privation de courrant rend la salle informatique lamentanblement inerte. ( Pour partager un peu de cette ambiance de fin de monde, toutes proportions gardées, cliquer ici ) samedi, juin 15, 2002
Debout encore tard ce soir, j'ai
soudain entendu l'air moite laisser sa place au vent. En fait par la
persienne entrebaillée j'ai entendu un chuintement, et je me suis dit:
"tiens il pleut". Je me suis approché de la fenêtre avec l'idée que j'en
recevrais la fraîcheur de l'air mouillé, et je me suis alors aperçu que ce
n'était que le vent qui se levait dans les feuilles de l'érable et dans le
fil électrique de la grand-rue. C'est curieux comme le vent ne me réveille
jamais la nuit au contraire de la pluie ( et même de la neige, en dépit du
silence pourtant caractéristique de la neige sur laquelle vient
s'accumuler davantage de neige ). Et puis le matin, par la même fenêtre,
je remarque les branches de l'érable chahutées par l'espiègle vent, et
toujours je fais remarquer à Anne: "tu as vu comme il y a du vent ce
matin". Je sais maintenant que le vent se lève au milieu de la nuit, sans
fracas. vendredi, juin 14, 2002
Aujourd'hui, petite coupure dans le
travail devant la fenêtre lumineuse, non pas qu'il était si urgent de me
reposer les yeux, je me les fatigue bien plus vite en coupant des
marie-louises pour l'exposition de cet été dans le petit village de
Termes, mais l'envie de profiter de la bonne humeur des enfants en cette
fin de printemps incertaine: la berline familiale fut sommée de nous
emporter dare-dare au Parc Saint-Paul sur la route de Beauvais. Là, on
peut dire que nous avons nos habitudes, Pablo le clown à l'entrée est
toujours enchanté de claquer bruyamment un peu de son céruse sur les joues
ravies de Madeleine, et celles plus circonspectes de Nathan qui se demande
toujours bien qui est ce bonhomme facétieux et volubile. Un auvent a été
installé au dessus des trampolines, ce qui apparait judicieux en ces fins
d'après-midi lourdes. Sous l'auvent, la lumière s'en trouve altérée, elle
aussi davantage dans le sens de la gravité. Et puis les trampolines sont
du coup entourés de trembles sans faites, la pente douce du toit du auvent
les coupant à mi-bois au regard. Comme le ciel, lui aussi, s'accentuait de
façon très sombre, le moment était bien choisi de trouver asile sur les
trampolines, sous le nouvel auvent. Plaisir sans mélange des enfants s'en
donnant à coeur-joie, et comble de mon plaisir d'entrendre la pluie forte,
enfin, libérant du poids de cet après-midi moite. Sur la charpente
métallique, la pluie faisait résonner comme le tonnerre, et plus
exactement l'imitation fidèle que l'on fait du bruit du tonnerre lointain
en faisant trembler une feuille de métal souple, cette toiture
providentielle, tandis que les trampolines redoublaient d'ardeur pour
faire rebondir les corps élastiques d'enfants un peu éberlués de la
concurrence en matière de vacarme. Et dans ce tintamarre, la lumière et la
pluie inondant les feuillages alentours, me donnèrent à entendre,
paradoxalement, le bruit feutré d'une pluie d'été dans un parc, celle du
début de "la Chair de l'Orchidée" de Patrice Chéreau. Qui pense à
Patrice Chéreau au parc Saint-Paul a l'esprit vagabond. jeudi, juin 13, 2002
Anne, à qui j'ai fait visiter
les dernières pages de la Chronique
ordinaire de Gisèle Didi, m'a donné cette image: ce sont les miens.
mercredi, juin 12, 2002
Hier soir remise de prix à la SGDL.
Je vous joins le texte d'introduction de Sylvain Jouty et celui que je n'ai pas eu
le courage de lire jusqu'au bout. " Et tout s'enhevêtra dans un
désordre impeccable " : cette phrase de Pierre Dac mise en exergue
définit parfaitement Désordre, le site de Philippe de Jonckheere, mais
n'en rend guère plus aisée la description. Remerciements Par ordre d'apparition à l'image dans le désordre, je veux remercier
Pierre Caron qui eut la patience malgré son très jeune âge de passer une
soirée entière de m'expliquer les rudiments de la construction d'un site
Internet. Après ses explications cela devenait vraiment à la portée du
premier venu. Pierre merci du fond du coeur. Ensuite je voudrais remercier ma compagne Anne qui elle eut la
patience, pendant presque une année de constater qu'à des heures indues de
la nuit je n'étais toujours pas couché ( malgré les explications
éclairantes de Pierre, la technique continuait parfois de résister, ici et
là ) et plus méritoire encore de supporter des humeurs matinales
instables. Anne, merci du fond du coeur. Enfin ( oui ce n'est pas une liste exhaustive ), je voudrais remercier
François Bon pour son support
systématique depuis que le site est publié, m'ouvrant si souvent l'accès à
sa pléthorique liste de distribution qu'il ne m'est pas permis de douter
que sans sa fréquente et enthousiaste publicité, je ne serai pas devant
vous ce soir et le désordre serait toujours dans l'obscurité et la
confidentialité. François, merci du fond du coeur. Et pour finir, je ne peux m'empêcher de diriger mes pensées vers un
disparu, pour lequel j'ai écrit un texte dont je vous lis un court
extrait. Le texte est intitulé "Solo". Tu aurais été là. Je ne cesse de penser aux choses que nous aurions pu faire ensemble, si
tu avais été là. Si j'avais su que tu n'aurais pas été là, maintenant, tandis qu'alors
je n'aurais pu savoir ce qu'est maintenant, alors sans doute je me serais
arrangé pour faire, alors, en ta présence, ce que maintenant je voudrais
faire avec toi. Alors eut été l'occasion de réaliser ces petites envies de
maintenant, du futur d'alors : les choses deviennent ici, maintenant,
impossibles. Lorsque j'écris, tu aurais été là, il s'agit bien du présent.
Ton absence est une entité éminemment du présent. Je pourrais même, pour
la bonne forme, écrire, si tu étais là nous aurions pu ... et là,
compléter par une action dont je n'aurai acquis l'envie que très
récemment, c'est-à-dire bien après le début de ton absence. Tu aurais été là et nous nous serions amusés de découvrir que le père
de Joan Mitchell, la peintre, fut médecin, self made man, très
travailleur, il était aussi peintre amateur __ et cela toi et moi nous
savions exactement ce que cela voulait dire. Devenu dermatologue de renom,
il aura à soigner la syphilis d'Al Capone. Tu aurais été là, nous serions rentrés, noirs, bras dessus-dessous,
peut-être en chantant, faux sans doute. Tu aurais été là et nous nous serions disputé la dernière cigarette
d'un paquet mouillé. Tu aurais été là, nous nous serions délectés de constater que l'Eve de
l'Agneau mystique de Van Eyck a un oeil qui dit merde à l'autre. Ça n'est
pas flagrant, mais nous l'aurions remarqué sans mot dire. Tu aurais été là et nous aurions bu, à n'importe quelle heure,
n'importe où, n'importe quand et n'importe comment, mais pas n'importe
quoi. Tu aurais été là et nous aurions fait sauter M sur tes genoux. Car, maintenant, à la liste des absents tu réponds présent. Pour finir
et pour éviter d'oublier, tu aurais été là et nous aurions nagé le
papillon, côte à côte, dans l'eau calme, et dans le sens du courant, du
canal de Bourgogne entre Tanlay et l'écluse numéro quatre-vingt neuf, un
peu avant Saint Vinnemer, sur le Canal de Bourgogne. Nous aurions ainsi
fait le tour de l'île de Wight à bicyclette. Quels athlètes nous étions!
Voilà, je crois que tout est dit, que rien ne manque, je n'émets aucune
certitude mais c'est déjà cela. Je me résous cependant mal à laisser ces
pages tranquilles, j'en ajoute encore une autre, deci delà. Point
final. Merci à vous tous. lundi, juin 10, 2002
Ai travaillé toute la journée sur une version contradictoire du désordre qui devrait être accueillie par LL de Mars ( Le Terrier ): une version rangée du "désordre", se fader les écuries d'Augias, à côté, c'est de la petite bière! Je n'ai pas arrêté de me prendre les pieds dans le tapis, à force de copies d'écran, confondant régulièrement la copie de l'original, et ne pas toujours comprendre pourquoi les clics, doubles-clics, clics droits et autres triples clics gauches ( et donc un peu maladroits ) sur les images ne produisaient pas les effets escomptés. Ainsi essayez de cliquer sur l'image ci contre, vous verrez comme elle reste sourde à toutes vos invectives. Et maintenant imaginez un écran constellé de ces imitations: le mulot perd la tête. Et moi avec lui. Et tout se corse assez lamentablement quand Nathan commet une épouvantable crise de nerfs dans sa chambre, ce qui nuit gravement à ma concentration, tout concourt alors à la débacle. J'ai passé aussi beaucoup de temps ce matin à numériser le début de Ubu
Roi d'Alfred Jarry, et tandis que je pouffais aux "Bougre de Merdre" et
autres érucations, je remarquai en passant la ressemblance chaque jour
plus aigüe entre le Père Ubu et Jean-Marie Le Pen: PÈRE UBU MÈRE UBU PÈRE UBU MÈRE UBU PÈRE UBU MÈRE UBU PÈRE UBU MÈRE UBU PÈRE UBU |