« Les différentes unités d’atmosphère et d’habitation, aujourd’hui, ne sont pas exactement tranchées, mais entourées de marges frontières plus ou moins étendues. Le changement le plus général que la dérive conduit à proposer, c’est la diminution constante de ces marges frontières, jusqu’à leur suppression complète

Debord, Théorie de la dérive

 

Devant un monde pressé d'en finir avec ses incartades, vite rangées dans la fausse territorialisation du statut, la pratique infographique est une balade impure, qui rappelle constitutivement qu'une image est un processus, une situation sans condition, une dérive factitive.

L'infographisme a le risque de ses clichés, celui d'enfermer les frayages qu'il rend possible dans la formalité pompière et kitsch d'une image trop troussée pour être honnête, flirtant avec le numérisme décoratif de l'imagerie culturelle devenu pure mouture technique, quand en fait d'organon en jeu c'est un médium comme tel qui s'expose et s'inventorie, à nu.

Le numérique offre moins la possibilité d'une invention au cordeau, filant droit vers l'image faite fin dans un maquis technique de médiations s'engrenant à l'infini, qu'il n'ouvre avant tout outre ces médiations au travail du goût pur -du goût comme faculté, comme sixième septième ou millième sens, comme sens + n de tous les sens.

Ce panneau donne accès à neufs séries d'images, notées de a) à i).
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dans une fenêtre.
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dans lequel votre souris, bouton enfoncé sur l'image,
vous permet de vous déplacer
(patience : les images de ces zooms sont lourdes)
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Ces infographies sont à mon sens une pratique de la rencontre -des syntagmes graphiques ; elles brassent dans cette cohérence là -la seule qui vaille- un disparate de matériaux qui s'agencent par le calque et tentent de se soustraire au régime toujours récognitif de la représentation. Qu'elle tourne à l'identification, au décalque, à l'analogie, à la répétition du même, je crois que la représentation comme milieu des images les reconduit au religieux, ou à l'histoire. Ces planches sont alors une tentative de plus de creuser l'écart entre la valeur d'usage (ce qui en elles fait devenir) et la valeur d'exposition (ce qu'il y a en elles d'assignateur et d'assigné) des images qui s'y débattent et y partouzent allègrement -photographies, archives, dessins, gravures, interventions à la palette graphique, tout ça ludionne dans une image-rencontre qui ne veut rien clore, et n'a pour tout foyer qu'une fragile fomentation d'inconnu.

Ces planches sont une manière, en quelque sorte, d'invaginer les cadres de visibilité dans le repli d'histoire et de regard qui les rend possible, de rendre tangible une expérience aussi pénible qu'inévitable: le parasitage de l'historicité par l'historicisme, de la durée par son fossile, de l'association libre par l'archive, du devenir par l'histoire, de l'horizon par le paysage. Elles sont ce parasitage, et sa possible dissolution. Les diverses séries ou affinités embryonnaires qu'elles entretiennent plus ou moins lâchement coulissent sur plusieurs axes : la cartographie dans ce qu'elle a de fossile, l'ennoiement de la balade par l'histoire, le jardin des motifs comme lieu du politique, mais leur enjeu, disons processuel, est de jouer le syntagme et ses rencontres contre le paradigme et ses assignations. Elles sont nées d'un montage immanent, d'une matériologie active. C'est une greffologie par le milieu.

Qu'elles travaillent dans cette épaisseur limite qu'est toute cartographie, qu'elles soient biopsies d'un flou, flottement de l'histoire dans la dérive ou qu'elles s'essaient à mettre la confusion debout, leur horizon limite est le délabrement du connu, dans le constructivisme anarchique d'un monde à la balade.

Aurélien Leif - automne 2013