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Intervention d'Arlette Laguiller au meeting de Rennes (octobre 2001)
Travailleuses, travailleurs, camarades et amis,
     L'organisation patronale MEDEF avait réagi à la journée d'action syndicale de mardi en dénonçant le caractère "indécent" - c'est leur mot - des grèves et des manifestations, vu le contexte international. Et les commentateurs de relayer largement le point de vue patronal et de se demander si c'était bien le moment de revendiquer.
     Ces gens ne se demandent pas si c'est bien le moment, pour les grandes entreprises, d'annoncer des plans de licenciements à un rythme accéléré en prétextant, pour certaines, précisément la situation internationale !
     Et Seillère, le patron des patrons a fustigé - et je le cite - l'absence de "patriotisme social" des syndicats. Lui, Seillère, n'a pas poussé le patriotisme jusqu'à remettre dans la compagnie aérienne AOM-Air Liberté dont il était l'actionnaire majoritaire les capitaux qu'il en avait retiré. Pourtant, cela a entraîné la débâcle pour cette entreprise et surtout, pour ses travailleurs menacés de licenciements !
     Ces grands bourgeois arrogants considèrent qu'il est de leur droit de porter des coups aux travailleurs, mais il est "indécent" pour ces derniers de se défendre !
     Eh bien, ce que j'espère, ce que je souhaite, c'est qu'il y ait, dans la période à venir, bien d'autres réactions de la classe ouvrière, bien plus amples, bien plus massives ! C'est la seule façon de faire rentrer dans la gorge de ces gens-là leur arrogance anti-ouvrière.
     Car regardons avec quel mépris les patrons et leurs serviteurs politiques traitent le monde du travail !
     Regardons donc comment ils mènent en bateau ceux de Moulinex-Brandt, depuis plusieurs années, de repreneur en repreneur, pour se préparer à leur annoncer qu'il n'y a plus d'espoir pour eux et qu'ils seront tous mis à la porte, alors que nombre d'entre eux ont passé vingt, trente ans ou toute leur vie à travailler dans cette entreprise et à enrichir ses actionnaires !
     Pour Moulinex-Brandt, on nous dit qu'on n'y peut rien, c'est la concurrence, l'entreprise n'est plus rentable. Mais, pendant plusieurs dizaines d'années, rentable, elle l'a été, cette entreprise ! On l'avait même présentée alors comme le véritable fleuron des entreprises familiales en France. De petite entreprise, elle est devenue une multinationale, ses chiffres d'affaires ont été multipliés par dix, par cent, ses profits aussi.
     Les travailleurs de Moulinex-Brandt, eux, ne se sont pas enrichis pendant ce temps. Ils ont tout juste vécu en essayant de joindre les deux bouts avec leurs salaires, comme tous les travailleurs.
     Mais le propriétaire, mais les actionnaires, combien d'argent ont-ils donc encaissé ? Que sont devenus les milliards qu'ils se sont appropriés ? Dans quelle autre entreprise ont-ils été investis pour exploiter d'autres travailleurs ? Combien de propriétés ou de châteaux achetés avec cet argent ? Combien de bijoux, de tableaux de maître, de voitures de luxe ou d'avions privés ?
     Et les banques qui, aujourd'hui, cherchent à étrangler Moulinex en exigeant des remboursements de crédits, combien d'intérêts, combien d'agios ont-elles prélevé au cours des ans sur l'entreprise, c'est à dire, en dernier ressort, sur le travail de ses ouvriers ? Combien d'argent ont encaissé les actionnaires de ces banques ?
     La loi permet à ceux qui se sont approprié tout cela de le garder. Et ceux qui le leur ont fait gagner, devenus chômeurs, ne gardent que leurs yeux pour pleurer.
     Et bien oui, la justice serait que tout ce capital accumulé grâce au travail des Moulinex-Brandt, toutes ces fortunes privées amassées, soient réquisitionnés pour continuer à assurer un salaire à tous ceux qui les ont produits par leur travail.
     On enseigne dans les écoles que nous sommes tous égaux devant la loi ! Mais la loi protège les riches, protège les actionnaires, mais pas les travailleurs !
     La loi reconnaît au patron de Danone le droit de fermer les usines qu'il veut, de jeter leurs travailleurs à la rue, d'aggraver le chômage alors, pourtant, que l'entreprise ne peut même pas prétendre qu'elle est dans la difficulté. Et, pour ajouter le cynisme à l'inacceptable, le patron de cette entreprise a osé affirmer que c'est lorsque les affaires vont bien qu'il faut licencier !
     Oui, ces gens-là méprisent les travailleurs comme ils méprisent les intérêts de toute la société. Mais il n'y a pas qu'eux ! Leurs valets politiques, les ministres de ce gouvernement comme ceux des gouvernements qui l'ont précédé, affichent le même mépris et le même cynisme. Et le plus écoeurant, c'est que les responsables politiques se targuent de nos votes et se posent en représentants de tous !
     Ecoutons donc les ministres parler de la nouvelle aggravation du chômage. Jusqu'à cet été, le gouvernement se vantait d'avoir fait baisser d'un million le nombre des chômeurs en quatre ans. C'était déjà un double mensonge. Car ce chiffre de un million de chômeurs en moins devait bien plus aux manipulations statistiques qu'à une baisse réelle du nombre de chômeurs. Depuis 1995, on ne compte plus comme chômeurs ceux qui ont travaillé plus de 78 heures par mois. On a rayé des statistiques du chômage tous les précaires, tous les intérimaires qui n'ont que des emplois partiels, occasionnels, avec des salaires qui permettent à peine de survivre. Ce qu'ils ont osé appeler une "politique efficace contre le chômage" n'a été que la généralisation des emplois partiels, payés plus bas que le Smic. C'est grâce à la prétendue lutte contre le chômage, menée de cette façon que plus de quatre millions de personnes ont aujourd'hui un salaire annuel inférieur au SMIC.
Mais, malgré les manipulations statistiques, les chiffres officiels indiquent depuis quatre mois que le nombre des chômeurs s'accroît.
     Et voilà donc les ministres qui se succèdent pour parler de "plan de bataille pour l'emploi" ou, comme Jospin récemment, de "mobilisation exceptionnelle". Qu'y a-t-il derrière ces mots ? 30.000 emplois CES supplémentaires ! 20.000 stages d'insertion ! Eh bien, vraiment , ils se fichent de nous !
     Les grandes entreprises licencient les unes après les autres, y compris celles qui ne prétendent même pas être en faillite et qui, au contraire, affichent toujours des profits élevés : Michelin, Danone, Aventis, Philips, Alstom, Alcatel et bien d'autres. Et encore, les plans de licenciements annoncés ne concernent que les licenciements officiels, avoués, de travailleurs en contrat à durée indéterminée. Mais combien d'intérimaires sont mis à la porte, discrètement, dans toutes les grandes entreprises ? Les licenciements d'intérimaires, on ne les compte même pas comme licenciements, et pourtant le résultat est le même : des travailleurs qui se retrouvent du jour au lendemain sans travail et sans salaire.
     Devant ces licenciements, le gouvernement ne fait rien, ne lève pas le petit doigt, se refuse à faire la moindre pression même sur les entreprises qui ne s'enrichissent que grâce aux commandes d'Etat. Non, le gouvernement laisse faire. Et il ose exhiber quelques milliers d'emplois CES, à raison de 3.500 F par mois, des emplois qui de surcroît ne sont que provisoires et qui, s'ils font sortir les chômeurs des statistiques du chômage, ne leur assurent pas pour autant des emplois réels.
     Fabius, le ministre de l'Economie, vient d'annoncer une rallonge de la prime pour l'emploi qui sera versé en janvier au plus bas salaires. Le versement de cette prime représentera une dépense de 8 milliards pour l'Etat, à répartir entre 8 millions cent mille foyers concernés. Cela fait 946 francs en moyenne par ménages modestes.
     Au même moment, Fabius a annoncé, entre autres mesures en faveur des entreprises, une baisse de 24 milliards sur la facture des grandes sociétés pour le droit d'exploitation des téléphones mobiles de la troisième génération. Cette baisse ne concerne dans l'immédiat que France Télécom et Vivendi, ex-Générale des Eaux, et demain, Bouygues. Le cadeau de l'Etat représentera donc, en moyenne, pour chacun des trusts concernés, une somme de même ordre que pour plus de huit millions de foyers modestes. Et je vous rappelle qu'il ne s'agit même pas d'entreprises en difficulté, mais de trusts fleurissants. Et je ne parle pas des autres cadeaux aux patrons, décidés au même moment, sous prétexte d'aides aux investissements, d'aide à la biotechnologie, d'aides à l'aéronautique ou aux entreprises d'assurances. Ce n'est pas pour rien que Jean Marie Messier, patron de Vivendi, comme Martin Bouygues se sont félicités de la "sage décision" de Fabius, et que les actions en Bourse des trois entreprises concernées aient aussitôt augmenté. Il a beau se dire socialiste pour se faire élire par l'électorat de gauche, ce gouvernement est vraiment le conseil d'administration de la grande bourgeoisie et du patronat !
     Et même les 35 heures, que le gouvernement considère comme sa grande réalisation sociale, a surtout donné au patronat des armes légales pour accroître la flexibilité, supprimer des pauses et aggraver les conditions de travail.
     Et puis, regardez leur attitude à Toulouse avant comme après l'accident qui a fait 29 morts parmi les travailleurs et dans le voisinage, où il y a eu plus de 2000 blessés et des milliers de logements détruits ou rendus inutilisables ! Le patron du trust TotalFinaElf, dont l'usine AZF fait partie, ose prétendre que toutes les précautions avaient été prises. Mais plus l'enquête avance, plus se révèle que, par mesure d'économie, la direction de l'entreprise stockait le nitrate d'ammonium sans précaution, sans contrôle, sans même un capteur de température. Et les patrons d'évoquer la fatalité car, n'est-ce pas, le risque zéro n'existe pas. Mais il est évident qu'il aurait pu exister si toutes les précautions, dont l'absence est dénoncée aujourd'hui par la commission d'enquête, avaient été prises dans le passé.
     Mais la préoccupation du trust TotalFinaElf n'est pas de tout faire pour réduire le risque à zéro. Elle est d'obtenir le maximum de profits et de dividendes pour les actionnaires. Et, quand on privilégie le profit, on sacrifie des vies.
     Il y a 1.249 sites à risque officiellement recensés dans le pays. Il ne suffit pas de les éloigner des villes, comme le préconisent un certain nombre de maires, bien sûr, après coup. Car, si les usines dangereuses peuvent être éloignées des zones habitées, elles ne peuvent pas être éloignées de leurs propres travailleurs. Il n'y aucune raison que ceux d'entre nous qui travaillent dans des usines chimiques, dans des raffineries, dans des poudreries, soient contraints de travailler la peur au ventre. Il faut imposer à toutes ces entreprises des contrôles draconiens et obliger leurs propriétaires à dépenser l'argent qu'il faut pour que la sécurité soit assurée.
     Et puis, à côté de ces sites considérés comme dangereux, combien d'autres où il n'y a ni matières explosives ni produits dangereux et ou des travailleurs meurent quand même d'accidents du travail parce qu'on fait des économies sur la sécurité, parce qu'on leur impose un rythme de travail trop élevé. 748 accidents du travail mortels l'année dernière, deux par jour !
     Regardons aussi, à Toulouse, le cynisme avec lequel le PDG de TotalFinaElf a jeté 20 millions de francs pour compenser des dommages qui sont évalués au bas mot à 8 milliards ! Il se considère quitte avec cette aumône. Pendant ce temps, combien d'habitants des quartiers populaires atteints par l'explosion sont condamnés au relogement dit provisoire ou de vivre dans des conditions précaires, dans leurs appartements endommagés ? Et pour combien de temps ?
Et les travailleurs d'AZF, qui ont déjà payé un lourd tribut pour l'irresponsabilité de leur patron, en sont, aujourd'hui, à craindre pour leurs emplois.
     La moindre des choses serait de prendre sur le revenu des actionnaires de quoi assurer l'emploi et le salaire de tous les travailleurs concernés et que TotalFinaElf paie l'intégralité des dégâts dont il est responsable !
     Cela ne mettrait même pas les actionnaires sur la paille car l'entreprise a fait 57 milliards de profits, les plus importants jamais réalisés en France !
     Mais, le gouvernement a préféré débloquer 1,5 milliard, c'est-à-dire une somme de toute façon largement insuffisante, plutôt que de contraindre TotalFinaElf à payer. La justice sait faire saisir, sur le salaire d'un père de famille, de quoi rembourser les dégâts causés par ses enfants. Mais cette justice-là n'est pas appliquée à ce trust, récidiviste pourtant, responsable déjà des dégâts causés par le naufrage du pétrolier Erika. Le gouvernement a pourtant les moyens de contraindre cette multinationale bien française, dont les sièges et une grande partie des biens sont ici. Ces biens devraient être mis sous séquestre comme garantie que TotalFinaElf fera face à ses obligations !
     Oui, cette organisation économique et sociale est aussi injuste que stupide et dangereuse. Une économie où la productivité croissante, au lieu d'améliorer la vie des travailleurs, la rend plus dangereuse ; où on fait crever de travail les uns pendant qu'on condamne les autres à l'inactivité ; où des minorités qui ne travaillent pas s'assurent des fortunes qui finissent par ne plus avoir de signification pendant que d'autres, même dans les pays dits riches comme la France, sont dans l'incertitude du lendemain.
     Et tout cela pour les mêmes raisons : parce que c'est une économie où seul compte la solvabilité, et pas les hommes ; où l'activité économique, c'est-à-dire le travail de la collectivité, n'est pas orienté pour satisfaire au mieux les besoins de tous, mais pour dégager toujours plus de profits pour quelques-uns.
     Oui, c'est une organisation économique et sociale qui conduit l'Humanité à la barbarie ; barbarie dont l'actualité nous offre l'illustration dramatique à l'échelle de la planète.
     A l'horreur des attentats de New-York et de Washington, exécutés par quelques hommes se revendiquant d'idées rétrogrades, répond l'horreur des villes afghanes détruites par les bombes et les missiles de la nation capitaliste la plus moderne.
     Les Etats-Unis présentent la guerre qu'ils mènent contre l'Afghanistan, avec l'aide et la complicité d'autres grandes puissances dont la France, comme un acte de "légitime défense". Mais, en quoi les attentats contre les tours du World Trade Center peuvent légitimer des bombardements contre une population déjà réduite à la misère et qui n'est pour rien dans les crimes de Ben Laden ? Et, pour quelques taliban tués, combien de femmes, voilées de force et privées de liberté par les taliban, devront mourir sous les bombes ?
     En s'en prenant à des édifices qui étaient des symboles de la puissance américaine, Ben Laden prétend venger les palestiniens opprimés et pourchassés dans leur propre pays par un appareil militaire israélien supérieurement armé et soutenu par les Etats-Unis. Il prétend venger plus généralement le monde musulman dont la majorité vit dans la pauvreté et est opprimée par des régimes à la dévotion des Etats-Unis.
     Toute cette démagogie est un mensonge car l'écroulement des tours du World Trade Center n'avance en rien le combat du peuple palestinien et parce que la mort des 6.000 victimes des attentats-suicide, pour la plupart des employés, n'affaiblit en rien l'impérialisme américain. Au contraire. Cela permet aux dirigeants impérialistes de jouer sur l'émotion légitime de leurs peuples pour faire approuver aujourd'hui la guerre contre l'Afghanistan et demain on ne sait quelles autres guerres de brigandage.
     Et puis, Ben Laden et ses semblables ne cherchent pas à libérer les peuples, pas même ceux qui se reconnaissent dans l'islamisme, mais, au contraire, à leur imposer des dictatures obscurantistes comme en témoigne précisément le régime des taliban.
     Oui, Ben Laden est un terroriste doublé d'une crapule réactionnaire. Mais Bush ne vaut pas mieux, lui qui, sous prétexte de venger les 5.000 tués du World Trade Center, envoie des bombes et des missiles sur l'Afghanistan. Mais ceux qui meurent sous les bombes en Afghanistan sont tout aussi innocents des crimes de leurs propres dirigeants que l'étaient les victimes de New-York des crimes des leurs.
     A l'horreur des bombardements, le gouvernement américain ajoute le cynisme qui consiste à faire jeter par les bombardiers américains quelques tonnes de vivres en plus de leurs bombes afin que Bush puisse prétendre faire de l'humanitaire !
     Les dirigeants américains recommencent la même politique criminelle qu'ils mènent depuis une décennie contre l'Irak. La guerre du Golfe, ils prétendaient la mener contre Saddam Hussein. Mais le dictateur est toujours là, son armée aussi, alors que les bombardements et le blocus économique ont fait plus d'un million de morts dans la population.
     Eh bien, si la guerre actuelle s'éternise et s'étend, il n'est pas difficile de prévoir qu'elle ne fera qu'augmenter la haine dans le coeur de dizaines, de centaines de millions de femmes et d'hommes, et bien au-delà des pays bombardés.
     Elle ne fera que creuser encore plus le fossé de sang entre les grandes puissances impérialistes et la partie pauvre de la planète.
     Elle ne fera que pousser les peuples au désespoir, que les groupes terroristes comme celui de Ben Laden canaliseront au profit de leurs objectifs aussi réactionnaires que stériles.
     Ben Laden, ce milliardaire saoudien a beau se déguiser avec les vêtements traditionnels des pauvres, il a beau citer le Coran et appelé "sainte" la guerre qu'il mène, il est un sous-produit américain. Ce sont les Etats-Unis et leurs services secrets qui ont fabriqué ce personnage, à une époque où, pour contrer l'influence soviétique en Afghanistan, ils appuyaient les courants islamistes. Ce sont encore les Etats-Unis qui ont incité les rois réactionnaires d'Arabie saoudite et les dictateurs militaires du Pakistan à financer et armer les taliban et à les aider à s'emparer du pouvoir.
     Mais la responsabilité de l'impérialisme dans le développement du terrorisme islamiste est bien plus profonde encore. Parce que ce terrorisme et surtout la sympathie qu'il rencontre dans la partie sous-développée de la planète s'enracinent dans la pauvreté ; et parce que les masses pauvres sentent confusément ou savent d'expérience que le sort qui leur est imposé l'est en dernier ressort par ce système impérialiste dont les Etats-Unis constituent le principal pilier.
     Il aura fallu que l'attention de tous les médias du monde soit focalisée sur l'Afghanistan pour que l'opinion publique découvre qu'il y a la sécheresse là-bas depuis trois ans et que, dans ce pays de 21 millions d'habitants, au bas mot 8 millions vivent dans la misère, 3 millions sont menacés de famine et qu'ils sont plus de 2 millions à végéter dans les camps de réfugiés des pays voisins.
     Et Chirac a eu l'aplomb, lors de son discours destiné à justifier l'engagement de la France aux côtés des Etats-Unis, d'affirmer "tout sera fait pour l'aider et pour favoriser à l'avenir le développement de l'Afghanistan" ! Mais ils n'ont pas honte, ces gens-là ! Pourquoi ni lui ni Bush ni Tony Blair n'ont-ils favorisé, avant, le développement de l'Afghanistan ?
     Pourquoi la France ne le fait-elle pas, ne serait-ce que dans ses anciennes colonies d'Afrique ? Pourquoi donc Chirac n'a-t-il pas proposé de débloquer des crédits pour venir en aide à la population du Niger, par exemple, qui, il y a quelques mois, était frappée de famine ?
     Non, la présence de la France en Afrique ne sert pas à ça. Elle ne sert qu'à assurer à quelques grands trusts français du pétrole ou des travaux publics des sources de profit supplémentaire ; à quelques trafiquants d'armes, un pactole ; et des pourboires juteux aux margoulins politiques, ex-ministre de droite ou fils à papa de gauche, qui leur servent d'intermédiaires.
     Alors, qu'ils ne s'étonnent pas que la colère explose un jour !
     Le combat que mènent les puissances impérialistes coalisées n'est certainement pas le combat du camp de la liberté, de la démocratie contre le terrorisme et l'obscurantisme. Car, depuis toujours, pour assurer aux grands trusts le droit de piller la planète entière, les puissances impérialistes soutiennent des régimes oppressifs, des dictatures abjectes, s'appuient sur des forces réactionnaires, quand elles n'interviennent pas directement contre les peuples.
     Et s'il y a une différence entre les Etats-Unis et les puissances impérialistes de seconde zone, dont la France, cette différence ne tient qu'à la disproportion des moyens, pas à la nature de leurs politiques respectives.
     L'hypocrisie qui consiste à ne dénoncer, dans l'engagement de la France dans cette guerre, que le suivisme à l'égard des Etats-Unis est d'autant plus répugnante que, des bombardements de Sétif à la guerre d'Algérie, en passant par les bombardements de Madagascar et la guerre d'Indochine, une longue liste de méfaits montre que l'impérialisme français ne vaut pas mieux que l'impérialisme américain et que ses dirigeants, même ceux qui se prétendent socialistes, ne valent pas mieux que George Bush !
     Alors oui, même si les taliban semblent sortir directement du Moyen-Âge et si les missiles et les avions envoyés contre eux contiennent le dernier cri de la technologie, ce n'est pas le combat de l'avenir contre le passé, de la civilisation contre la barbarie. Car le terreau de la barbarie, c'est l'impérialisme lui-même. Voilà pourquoi des millions d'hommes dans la partie pauvre de la planète se reconnaissent en un Ben Laden simplement parce qu'il tient tête aux Etats-Unis.
     Alors oui, on ne peut que déplorer et s'attrister que certains jeunes des banlieues brandissent le portrait de ce milliardaire saoudien réactionnaire. Mais il ne s'agit pas seulement de déplorer. Pour convaincre les opprimés qui voient un espoir là où il n'y en a pas pour les classes populaires, il faudra que le mouvement ouvrier renaisse. Il faudra qu'il incarne de nouveau, aux yeux des opprimés du monde, l'espoir d'un changement social radical.
     Oui, tout se tient. Cette économie, où une classe minoritaire capitaliste monopolise toutes les richesses, tous les moyens de les produire, pour lui permettre d'accumuler des fortunes extravagantes, sécrète la pauvreté partout sur la planète. Elle la sécrète même à l'intérieur des pays riches, même aux Etats-Unis.
     Mais elle sécrète aussi l'inégalité entre pays. A côté de la douzaine de pays impérialistes et de quelques autres capables d'assurer à la majorité de leurs populations un niveau de vie acceptable, combien d'autres, une grande partie de la planète, où la simple survie quotidienne est un problème, où on ne dispose pas d'eau potable et où même un minimum de soins est un rêve inaccessible ? Ce n'est pas faute de moyens matériels ; le niveau de la science et des techniques et les progrès de la productivité sont tels qu'il est possible d'assurer à toute la population de la planète une existence digne du XXIe siècle.
     Deux maladies transmissibles, le paludisme et la tuberculose, qui sont faciles à guérir, tuent 5 millions de personnes par an dans le monde. La science médicale est capable, depuis un demi-siècle, de combattre victorieusement le bacille de Koch. Et il existe des médicaments efficaces contre le paludisme. Mais la société est désarmée devant quelques trusts pharmaceutiques qui monopolisent la fabrication des médicaments et dont la préoccupation n'est pas la santé publique mais le profit de leurs actionnaires. Et l'achat d'une simple tablette pour soigner le paludisme est hors de portée pour ceux qui sont contraints de vivre avec moins d'un dollar par jour , et ils sont 1,2 milliard sur les 6 milliards d'êtres humains de la planète !
     Mais qu'est-ce donc que cette organisation économique où il n'y a pas d'argent pour nourrir ceux qui meurent de faim, mais où il y en a, au centuple, pour les écraser sous les bombes ?
     Qu'est-ce que cette économie où les conditions d'existence et la vie même de milliards d'êtres humains dépendent des enthousiasmes, des emballements ou des terreurs de quelques milliers d'actionnaires et de leurs spéculations boursières ?
     Ceux qui nous gouvernent sont tous, pourtant, à plat ventre devant cette économie. Tous sont unanimes à proclamer que, hors l'économie de marché, il n'y a pas de salut pour l'Humanité. Mais le fait que cette économie soit organiquement incapable d'assurer la nourriture quotidienne à une partie importante de l'Humanité, la condamne irrémédiablement.
     Ceux qui nous gouvernent présentent la liberté d'entreprendre, c'est-à-dire la liberté d'exploiter autrui, comme la mère de toutes les libertés. Mais la liberté d'exploiter pour quelques-uns signifie les chaînes de l'exploitation pour tous les autres, la misère et l'oppression pour la majorité de la planète.
     Camarades et amis,
     Pour montrer sans doute que notre programme est purement contestataire et utopique, des journalistes m'ont posé la question : "Si vous étiez élue, quels seraient vos premiers gestes, qu'est-ce que vous pourriez faire ?".
     Au fond, la réponse est simple, à condition de faire un effort d'imagination et de se représenter le contexte politique où 50 % des électeurs, c'est-à-dire l'écrasante majorité de l'électorat ouvrier et une grande partie de l'électorat populaire, en votant pour ma candidature, feraient la démonstration qu'ils se retrouvent dans la politique que je défends. Cela signifierait une situation sociale où plus de la moitié de l'électorat serait convaincue que le rapport de force entre le monde du travail et celui du capital doit impérativement changer. Ce serait un bouleversement politique complet. Ce serait la démonstration du nombre important de ceux qui veulent changer la société et cette simple évidence, cette simple conviction donnerait les moyens pour la changer réellement !
     Même élue présidente de la République, je ne pourrai rien sans le soutien politique actif, sans la participation physique et matérielle de millions de travailleurs. Ce sont eux, leurs actions collectives qui permettront de créer un rapport de force capable de contrebalancer le poids du patronat et de son argent, le poids d'un appareil d'Etat bâti pour défendre les intérêts des riches. Ce n'est pas moi, ce sont ces centaines de milliers de travailleurs qui pourront imposer un contrôle réel sur la production. Ce sont les travailleurs des banques, des assurances, des groupes financiers, des grandes entreprises industrielles qui pourront contrôler les comptes des entreprises, vérifier le montant des profits, contrôler à qui va l'argent et faire en sorte qu'il soit utilisé en premier lieu, non pas à accroître la fortune des actionnaires, mais à assurer l'emploi à tous avec un salaire convenable, quitte à partager le travail en diminuant fortement les horaires.
     Ce ne sera pas un petit corps d'inspecteurs, mais les travailleurs des entreprises concernées eux-mêmes qui auront la charge de vérifier si leur patron a pris toutes les mesures de sécurité qui s'imposent.
     Ce sera les travailleurs démocratiquement organisés qui discuteront si la production de telle ou telle entreprise est utile du point de vue social ou si, avec les mêmes capacités productives, il ne vaudrait pas mieux produire autre chose, moins profitable pour une poignée d'actionnaires, mais plus utile à l'ensemble de la société.
     Ce sera les mal-logés qui, avec la population, feront le recensement de tous ceux qui sont logés dans des conditions inacceptables ou qui ne sont pas logés du tout, et qui recenseront aussi les logements inoccupés ou sous-occupés dans les quartiers riches, afin de les attribuer à ceux qui en ont besoin pour que chacun puisse avoir un toit au-dessus de sa tête.
     Aujourd'hui, on se prétend en démocratie parce qu'il y a des élections et parce qu'on organise, de temps en temps, un référendum sur une question sans intérêt comme la durée du mandat présidentiel. Mais, regardez comment, lorsque la population d'une région, comme celle de Chamonix, organise un référendum sur une question qu'elle considère comme importante pour elle-même, la réouverture ou non du tunnel du Mont-Blanc, et lorsque ce référendum entraîne une participation plus élevée que d'habitude et que le "non" l'emporte de très loin, un ministre soi-disant communiste donne raison au préfet qui déclare que ce n'est pas légal et que le tunnel ouvrira quand même !
     Eh bien, sur toutes les questions qui concernent directement la population, ce sera à elle de se prononcer.
     Eh bien oui, même élue, je ne serai rien et je ne pourrai rien sans cette collaboration active, volontaire, consciente, de centaines de milliers de travailleurs, démocratiquement organisés dans leurs entreprises, dans leurs quartiers. Mais c'est dire aussi que, si cette mobilisation, cette conscience existent, tout est possible, quel que soit le président de la République.
     La gauche réformiste, Parti socialiste en tête, promet des changements dans le cadre des institutions existantes et en respectant la domination du grand capital sur l'économie. Nous avons pu vérifier et revérifier ce qu'il en est. Une fois au gouvernement, le Parti socialiste non seulement ne change rien mais il sert platement, obséquieusement, le grand patronat et mène, à l'intérieur du pays comme dans sa politique internationale, la politique de la grande bourgeoisie.
     Alors, les travailleurs n'ont rien mais vraiment rien à attendre du Parti socialiste qui, même s'il fait un peu de démagogie de gauche au moment des élections, une fois au pouvoir est rigoureusement semblable aux partis de droite, aussi hostile aux intérêts des classes populaires, valet servile qu'il est des intérêts patronaux.
     Et le malheur pour le Parti communiste ou, du moins, pour ses militants qui se situent sincèrement dans le camp des travailleurs, c'est qu'en participant au gouvernement socialiste, en cautionnant sa politique pro-patronale, leur direction les oblige à s'identifier à cette politique.
     Travailleuses, travailleurs, camarades et amis
     Le monde du travail subit une offensive incessante de la part du patronat, aidé par le gouvernement. Mais nous avons la force d'arrêter l'offensive patronale et de les faire reculer.
     L'ensemble des travailleurs de ce pays, quels que soient leurs corporations, leurs branches d'activité, leurs métiers ; qu'ils travaillent dans le privé ou dans le public, ont les mêmes intérêts politiques fondamentaux. Et tous ensemble, travailleurs de nationalité française, travailleurs immigrés avec ou sans papiers, nous constituons une seule et même classe ouvrière !
     Ceux qui sont dans le camp du patronat véhiculent dans nos rangs bien des préjugés destinés à mettre l'accent sur ce qui divise les travailleurs pour faire oublier ce qui les unit. Et, malheureusement, bien souvent, les confédérations syndicales elles-mêmes propagent des préjugés corporatistes dont le résultat est que les travailleurs d'une branche, d'une profession ou d'une entreprise considèrent que leurs problèmes sont particuliers alors qu'ils ne sont que l'expression de problèmes qui concernent l'ensemble du monde du travail.
     Divisés entre corporations ou entre ceux du public et ceux du privés, se jalousant les uns les autres, nous continuerons à subir les coups que nous assènent le grand patronat et le gouvernement. Notre combativité, serait condamnée à se dissiper sans résultat si elle restait sur le terrain du corporatisme. Mais tous ensemble, unis autour d'une politique qui correspond à nos intérêts de classe, nous pourrons tout.
     Il faut que le gouvernement en place, quelle que soit son étiquette politique, soit en permanence sous la surveillance et sous la pression des travailleurs.
     La pression de la bourgeoisie est, elle, permanente. Le moindre projet du gouvernement, comme d'ailleurs des institutions étatiques, au niveau de la région, du département, de la municipalité, est passé au crible par la bourgeoisie. Et elle sait se faire entendre à tous ces niveaux-là pour obtenir des subventions, des avantages, des passe-droits, pour éliminer les rares mesures projetées qui lui déplaisent, pour en imposer d'autres qui sont à son avantage.
     Eh bien, les travailleurs doivent exercer une pression dans l'autre sens, non seulement par leurs armes de classe, par des grèves et par des manifestations politiques, mais aussi, directement, en vérifiant eux-mêmes les comptes des entreprises, de leurs patrons et de leurs principaux actionnaires ! La détermination du grand nombre à faire fonctionner autrement la société donnera les moyens d'abord d'outrepasser les lois, pour ensuite les changer ! Au pouvoir de l'argent, les travailleurs doivent opposer leur nombre et leur rôle irremplaçable dans la vie économique.
     Ce que je souhaite, c'est que les travailleurs n'attendent rien d'autre des élections à venir que l'occasion d'affirmer qu'ils refusent la politique de la bourgeoisie, qu'elle soit présentée avec une sauce de droite ou avec une sauce de gauche.
     Ce que je souhaite, ce que j'espère, c'est que, pendant les mois à venir, il y ait des grèves, des luttes, des réactions contre l'arrogance patronale et la politique du gouvernement. Nous ne sommes certainement pas de ceux qui prêchent la trêve électorale.
     Mais les élections constituent une occasion de se
prononcer sur des objectifs qui pourront devenir ceux des luttes de demain.
Lors de l'élection présidentielle précédente, en 1995, nous étions les seuls à dire que, pour combattre le chômage, il faut interdire les licenciements sous peine de réquisition des entreprises qui s'en rendent coupables. Nous étions les seuls à propager l'idée qu'il est nécessaire, indispensable, de l'intérêt des travailleurs comme de l'intérêt de toute la société, de contrôler les entreprises, de contrôler les capitaux et leur fonctionnement.
     Certaines de ces idées commencent à faire leur chemin. Eh bien, je suis confiante dans la capacité de réagir de la classe ouvrière. Ce sont les patrons par leur avidité et par leur cynisme, et c'est peut-être les dirigeants politiques à leur service, qui feront la provocation de trop, celle qui fera exploser la colère du monde du travail.
     Eh bien, quand cela arrivera, les idées propagées aujourd'hui deviendront une force. Et, alors, travailleuses, travailleurs, tous ensemble, nous imposerons des objectifs qui changeront le rapport des forces entre le monde du travail et le monde patronal !