Écrit
Il suffit de commencer
  à écrire
  pour que quelque chose
  apparaisse,
  un texte 
  qui dise quelque chose.
  Au lecteur.
  Et pourtant, ce ne sera pas le premier
  texte
  que
  j'écris.
  Il y en aura eu 
  un certain nombre.
  Tous
  au panier
  à poubelle.
  Avortés tels quels.
Alors?
  Je m'y remets
  on se demande bien pourquoi
  et 
  ce que le lecteur peut bien 
  avoir à faire
  de lire
  ça.
  En guise d'introduction
  de carresse,
  faut que ça plaise
  d'une mannière ou d'une autre
  que le lecteur
  lise
  qu'il
  continue
  la lecture
  et que je n'écrive pas que pour rien,
  mes yeux.
Ca y est?
  Déjà fini?
  Euh...
  Je sèche,
  tout à l'heure, à l'instant,
  j'avais le pied dedans, fait trempette
  puis plongé,
  l'eau est bonne,
  je brasse, fait le tour de la piscine, 
  souffle, fait des bulles,
  et là, 
  maintenant, 
  je sors.
Je replonge.
Flotte.
  Je n'ai pas envie de raconter ma vie.
  Je n'ai pas envie de commenter la réalité.
  Je n'ai pas envie de passer ma vie à faire des formes
  visiblement qui s'imposent comme
  ce qu'on appelle art etc.
  Je n'ai pas envie.
  Je n'ai pas envie d'écrire
  pour passer le temps.
  Je n'ai pas envie d'écrire pour écrire.
  Je n'ai pas envie de procureurs
  de censeurs
  de vivre par procuration
  de me voir sanctionné
  par l'avis
  je n'ai pas envie de rendre des comptes.
  Je n'ai pas envie de rendre compte
  de la vie qui est là
  et qui échappe.
  Je n'ai pas envie de mourir de vivre sans mourir.
  Pas envie.
Bon, je continue.
  Ne sais pas si c'est bon ou mauvais.
  Ne sais pas où ça mène tout ça.
  Ca me mène.
  Je n'ai pas envie de faire d'effet.
  Je ne suis pas un activiste
  je ne suis pas un faiseur d'actions actives.
  Je fais c'est tout
  et j'ai déjà trop parlé de moi
  et dit déjà beaucoup de conneries.
  Mais je continue.
  La vie continue bien.
  Quand bien même serait-elle
  trop mortelle
  c'est à dire de moins en moins 
  vraiment mortelle
  mais de plus en plus déjà
  morte.
Continue
  pauvre con. 
  Vive la pauvreté de là
  d'où ça sort.
  Et puis faut s'en sortir tout le temps
  ensuite.
Evidemment je vais sauter du coq à l'âne
  il y aura beaucoup de déchets
  il n'y aura que ça.
  Trop de littérature
  trop d'art
  trop.
Trop
  de culture
  c'est sûr, cette culture
  qui nous cultive comme lopins de terre
  où se plantent des rendements intensifs et améliorés
  pour nourrir notre soif .
Bon,
  ça continue, ça continue
  c'est mal parti,
  mais c'est lancé
  une vraie gageur. 
  Pas envie de dévoiler quoique ce soit.
  Pas envie d'en dire plus.
  Pas envie d'écrire un roman.
  Pas envie d'en faire une tartine.
  Pas envie de dire quelque chose.
  Pas envie pas envie pas envie.
Alors?
  Voilà.
  C'est dit.
Je me suis coupé les ongles
  accompagné par la musique de Ligeti.
  J'ai fait ça lentement
  ça a pris une demie heure
  et je reviens
  je m'assois
  à mon bureau
  face à
  mon ordinateur
  qui affiche un 
  traitement de texte.
Je tape.
J'écris.
Voilà.
Je ne suis pas sûr d'avoir trouvé le fil conducteur.
  Pas sûr d'écrire encore vraiment.
  Mais qu'est-ce?
  Je me rend compte
  que c'est toujours un peu 
  la même chose que
  j'écris.
  Toujours la même rengaine.
  Faut que je rengaine.
  Me taise.
  Foutaises!
  Ce que j'en dis, moi!...
  Et toujours
  cette chose qui trace
  malgré moi
  tout de même
  est-ce si vital que ça?
  Qu'est-ce?
  A fond la caisse.
  Ah ah!...
  MDR.
  AMHA
  mauvais comme tout.
  restons abstrait.
Faisons abstraction
  de la réalité
  qui n'existe que pour la mort.
  Faison abstraction
  du fait divers
  qui fait la vie par accident
  comme on la fait
  par oisiveté.
  Faisons abstraction de tout ce qui prend allure
  de concret, de bien fondé, de naturel.
  A commencer par l'auteur lui-même.
  Qui est-il celui qui écrit et qui s'exprime
  à la première personne du singulier?
  Par exemple.
  Son récit est une abstraction
  une structure
  une construction vide
  que le lecteur
  rempli
  et
  vide
  comme il le fait
  lorsqu'il a soif et qu'il rempli
  son verre
  et
  le vide.
Je fais des verres irréalistes
  abstraits
  sans rapport
  avec ce qui fait
  le monde.
  Mes verres ne sont pas
  en verre
  ni transparents
  mais boire à travers
  modifie la vision.
  Fait voir.
Santé.
Ne sommes nous pas assaillis
  par les milles expressions
  de la culture
  des cultures
  du monde
  des mondes
  des sous-cultures
  des sur-cultures
  immondes
  en leur transparence
  en leur glue
  qui colle à la peau
  qui s'aglutinnent
  tel l'actualité
  les actualités
  du matin, midi et soir,
  toute la journée.
  Il n'y a plus de sainte journée possible
  les jours sont infernaux qui ne ferment pas
  leur gueulante.
  Les nouvelles du monde dégueulent
  à chaque seconde leurs
  faits.
  Plus rien à faire, c'est déjà fait,
  le fait est accompli.
  L'humanitaire ajoute son cri d'alarme
  à la gueule ouverte qui hurle
  sa mort diverse.
  Y'a urgence
  à dire l'injustice
  et le malheur
  qui prend le monde à la gorge
  et dont les actualités
  font les gorges chaudes.
  Alors, ils s'activent
  les activistes 
  bonnasses.
Le fait est.
  Et que faire?
  Pour ne pas refaire
  ce qui est 
  et
  ce qui est la mort amie
  qui nous anime la vie?
  Et si...
  Et s'il fallait
  que le fait soit?
  Et s'il était de notre liberté
  (ce serait
  en fait
  cela
  la
  liberté),
  de
  refaire.
  Refaire
  le fait
  défait
  et
  refait.
  Formuler
  que le fait
  n'est pas 
  accompli
  mais
  qu'il 
  demeure
  à
  ac-
  com-
  plir.
Ne t'en fait pas.
Fais le peut-être.
Ne le fais pas.
Mais peut-être
  oui.
  "Écrit", version 1.1
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  Libre. Vous trouverez un exemplaire de cette Licence sur le site Copyleft Attitude 
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  le Terrier, http://www.le-terrier.net.