Bon accueil - 14 avril 2002

Lucette pressa la carte postale contre sa bouche après s'être brûlée les yeux
sur la trame grossière et médiocrement colorée: «Ça y est, la Joconde, je la
possède enfin, je l'ai, elle est à moi, je suis tellement heureuse!»

Pour suivre ce qui reste de la défunte chronique relatant
la soirée de clôture de la résidence au Bon Accueil de
Franck Bragigand, cliquez sur la sommation clownesque ci-dessous
et pleurez avec nous la perte d'un monde où pratique de l'art et
finesse faisaient encore bon ménage (voir sous l'image
une série de brèves concernant la saint-Gui procédurière relative
aux droits à l'image (?) et aux droits de reproduction en particulier
(source: liste de diffusion escape_l@freescape.eu.org).
Quand je pense aux innombrables jeunes gens qui se lancent
dans la carrière artistique avec l'espoir de fuir toute la médiocrité
des autres sphères sociales...

photographies & infographies de l'ex-chronique Bragigand : L.L. de Mars

toute reproduction même partielle sera l'objet de poursuite, lâcher de chiens,
oenucléation et lecture du code pénal du Texas

Le nombre de procès au nom du «droit à l'image» explose. Gros plan sur une dérive.
*Il est interdit de montrer...*

Par Matthieu BONAMY et Catherine MALLAVAL
vendredi 26 mars 2004

Le monde est flou. Du moins vu par la presse qui multiplie les photos floutées, les bandeaux noirs sur les visages, les gros plans de pieds et de mains en guise d'humains. C'est que chaque cliché publié sent désormais le procès et/ou la pompe à fric... En cause : le sacro-saint «droit à l'image». Fichu terme générique au nom duquel fleurissent les actions en justice. En première ligne, les magazines qui alignent les photos d'«illustration». Ils ne peuvent invoquer devant les tribunaux la légitimité de l'actualité. Y a-t-il de l'abus ? Oui, répond l'Observatoire de l'image, union de représentants de la presse, de photographes, etc. (1). A tel point que, cinq ans après sa création, il réfléchit à une modification des deux socles du droit à l'image : le droit au respect de la vie privée prévu par le code civil et le code de propriété intellectuelle relative au droit d'auteur (lire ci-dessous). Légitime ? Gros plan sur une liste ­ non exhaustive ­ de photos que l'on ne saurait publier...

*Les tableaux des expos*

Sauf à avoir expressément demandé l'accord de l'artiste ou de ses ayants droit, pas question de montrer une oeuvre, même quand on fait sa pub : France 2 l'a appris à ses dépens l'an dernier. Récit : août 1997, la chaîne diffuse un reportage sur une expo, à Lodève (Hérault), consacrée à Maurice Utrillo. On y voit une douzaine de ses tableaux. Utrillo est mort en 1955. Ses oeuvres ne tomberont dans le domaine public qu'en 2025 (soixante-dix ans après sa mort). Son ayant droit, Jean-Roger Fabris, connaît la loi. Il attaque France 2. Bingo : la Cour de cassation rejette l'argument de la chaîne, qui invoque le droit du public à l'information et la condamne pour /«contrefaçon»/ au nom du code de la propriété intellectuelle. /«France 2 avait la possibilité d'informer les téléspectateurs de l'existence de l'exposition sans qu'il fût indispensable de représenter les oeuvres du peintre /(...)/»/, justifie la Cour. Cas vicieux : le magazine /Prima/ a été condamné à dédommager un certain François Million, dont le tableau occupait 3 % de la surface totale de la photo d'un appartement.

*Les manteaux de Sonia Delaunay*

En 1997, /Maison française/ publie une photo d'un manteau de Sonia Delaunay appartenant au musée de la Mode, censée illustrer la réouverture de ce musée. Carton rouge ! Les ayants droit de Delaunay montent au créneau. Bilan : 30 000 francs de dommages et intérêts infligés par la cour d'appel de Paris. L'affaire est entre les mains de la Cour de cassation.

*Les poignées de porte*

Qu'importe la taille d'une oeuvre, tant qu'on la distingue. 1996, /Elle déco/ publie un reportage sur l'intérieur d'un hôtel particulier conçu par l'architecte belge Victor Horta. Le magazine a l'autorisation du propriétaire des lieux. Las, il a omis de contacter la société belge qui gère les droits de reproduction d'Horta. Or, sur plusieurs photos, on distingue en arrière-plan une cage d'escalier et... une poignée de porte dessinées par Horta. Total : 7 500 euros en cour d'appel de Paris l'an dernier.

*Une femme nue sur une chaise d'auteur*

Prenez une femme nue en gros plan assise, hélas pour le magazine /Photo/, sur une chaise longue de Le Corbusier. Par ici les pépettes, ont illico demandé les ayants droit de l'architecte. Et aussi : il est interdit de photographier la pyramide du Louvre (sauf arrangement avec Pei) ou la tour Eiffel de nuit (à moins de verser son obole à l'éclairagiste)...

*Des flics hors flagrant délit*

Cette fois, rien à voir avec le code de propriété intellectuelle. C'est au nom du respect de la vie privée que le /Journal du dimanche/ a été condamné récemment à verser plus de 4 500 euros de dommages et intérêts à un commandant de police photographié alors qu'il venait constater le braquage d'un fourgon. Mais pas le jour même. Le lendemain du vol. Explication de la cour d'appel de Versailles : un jour après, le policier ne participait pas directement à l'événement. A croire que les reporters photos doivent assister aux délits (ou y participer) pour être sûrs d'être «dans l'événement». Dans le même genre, /le Parisien /s'est fait poursuivre par trois fonctionnaires de police photographiés lors de la reconstitution d'un braquage.

*Les prieuses à genoux*

Elles étaient deux à prier à genoux dans la rue lors d'un chemin de croix organisé en 1997 lors des JMJ parisiennes. Elles sont deux à avoir attaqué /l'Express/ qui a osé associer leur photo à un dossier consacré aux femmes et à la religion. Total : 3 000 euros de dommages et intérêts pour la séance de prière.

*Deux quidams dans un aquarium*

En 1999, /Ça m'intéresse/ illustre un article sur les aquariums géants avec un homme et un enfant regardant à travers un hublot. Mauvaise pioche. Le mensuel a dû verser 1 500 euros à l'homme représenté sur le cliché, 1 500 euros au père et à la mère du petit garçon en tant qu'/«administrateurs ad hoc de cet enfant»/, 1 000 euros au père de l'enfant (en tant que père cette fois), autant pour la mère et, cerise sur le jugement du tribunal de grande instance de Lille, 1 000 euros à la fiancée de l'homme montré sur la photo. Si c'est pas du respect de la vie privée, ça...

*(1) Le Syndicat de la presse magazine et d'information, le Syndicat des agences de presse photographiques d'information et de reportage, l'Union des photographes créateurs, le Syndicat national de l'édition...*