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Lorsque l’on photographie un tel concert, il n'est pas évident de savoir exactement ce que l'on photographie. Photographie-t-on les musiciens dans leurs gestes en espérant donner à entendre par là comment les choses peuvent sonner. En cela des photographies de l'ensemble Ryôan-Ji donnent des indications très parcellaires, on voit deux violoncelles et une contrebasse, on est tenté d'imaginer des instants de trio à cordes, on est en fait loin du compte, tant aucune vraie note ne sort de ces instrument dont les cordes sont essentiellement frottées. Au royaume des photographes de concert de musique contemporaines les aveugles ont autant de chance que les borgnes d'être rois.

Si, tout de même, on s'essaye à quelques abstractions photographiques et on s'aperçoit rapidement qu'on fait fausse route, cette musique n'est pas aussi abstraite a priori que des toiles de Franz Kline, et on finira par produire les mêmes approximations si fréquentes en matière de pochette de disque de musique classique, pour le baroque, des reproductions de peintres de la Renaissance, pour la Symphonie héroïque de Beethoven, un tableau de David, pour Schubert des peintres symbolistes, Ingres aussi pour la Jeune femme et la Mort, pour l'école de Vienne du Egon Schiele (qu'on m'explique un jour les relations entre les mièvreries de Klimt et la démence de certaines pièces de d'Alban Berg), pour Bartòk, j'ai déjà vu de ces toiles débiles du Douanier Rousseau,et dès qu'on arrive en terrain contemporain, photos floues et toiles de Cy Twombly et autres expressionnistes abstraits américains.

Sans doute faut-il l'admettre une mauvaise fois pour toutes : on ne peut pas représenter la musique. Et certainement pas la photographier.

Je continue de faire quelques photographies, je m'en tiens à faire quelques clichés des gestes des musiciens.