#14

Je me souviens qu'à l'angle de deux artères du centre-ville à Chicago, sous les voies ferrées du métro aérien, trois sons se sont produits dans une séquence presque idéale, le passage très bruyant d'une rame de métro, le claquement d’un drapeau de très grande taille au vent venant du Lac Michigan et le grincement du frein à main d'un petit camion de livreur, et que je me suis rejoué de nombreuses fois cet air quasi-parfait, regrettant de ne pas être musicien pour n'avoir pas su le transcrire d'une façon ou d'une autre, j'étais tout à ma rêverie me passant et me repassant cette magnifique séquence quand je manquai de me faire écraser par un camion qui pila et klaxonna avec une stridence terrible, deux notes, toutes les deux fausses.

La musique d'Émile Belan me rend la séquence de l'angle de Jackson boulevard et State avenue à Chicago en janvier 1989, miracle musical qui ne s'était plus jamais reproduit à mes oreilles depuis.

Et si je devenais familier de la musique d'Émile Belan il n'est pas exclu de penser que certaines de ses phrases deviendraient des fétiches telle la phrase de Vinteuil pour le personnage de Swann dans Un amour de Swann de Proust.