Le bloc-notes du Désordre |
jeudi, septembre 26, 2002
![]() Et j'entre dans l'amphi de l'Université qui accueille le fameux colloque sur les écritures en ligne, les pensées monopolisées par ces vues déjà anciennes mais pourtant plus prégnantes ces deniers jours, à propos des récits récursifs. En voyant l'écran sur lequel nous allons pouvoir projeter ce qui se passe en ligne, je savoure déjà de me retrouver à la tribune tapant les lignes du jour du bloc-notes du désordre: nous y sommes, en somme, dans cet espace incertain, à la frontière poreuse des deux mondes qui ne font pas parfaitement corps. Et d'inscire là où je légende habituellement les images du bloc-notes: photographie de L.L. de Mars ( en enchassant "L.L. de Mars" dans une balise de lien qui renvoit naturellement au Terrier, L. est assis maintenant à mes côtés à la tribune.) mardi, septembre 24, 2002
Trouvé ça, c'est la préface de 20
Lines d'Harry Mathews
(traduction artisanale): Comme pour de nombreux écrivains, entammer
une journée de travail me décourage et exige de moi une grande dépénse
d'énergie pour éviter ce découragement. il y a quatre ans, on m'a rappelé
cette injonction que Stendhal s'était faite à lui-même au début de sa vie:
"écrire 20 lignes par jour, génie ou pas." A cette époque Stendhal avait
le projet d'écrire un livre. J'ai délibérement pris cette idée au mot et
j'en ai fait une méthode pour surmonter mon angoisse de la page blanche.
Même pour un écrivain douteux et de peu d'entrain, 20 lignes paraissaient
un objectif raisonnablement atteignable, tout particulièrement si ces
vingt lignes n'étaient pas motivées par un plus vaste dessein tel qu'un
roman ou un essai. L'année qui suivit j'ai commencé nombre de journées
d'écriture en m'acquittant d'au moins vingt lignes, écrites à partir de ce
qui voulait bien me passer par la tête, sur un bloc-notes réservé à cet
effet. Ca dit bien ce que c'est. En rentrant du travail après la
nuit, je me fais toujours l'effet d'être pris dans une tempête qui ne me
concerne en rien. Des flots et les flots de voitures, de camions et
d'estafettes se déversent en tous sens, pêle-mêle, ce ne serait pas
beaucoup exagérer et la hargne, la fatigue de même que le peu d'entrain
finalement sont perceptibles chez tous. Pour ma part j'ai le sentiment de
rouler à contre-courant, d'une part parce que fort heureusement, je suis
plutôt dans le bon sens, je ne suis pas sur que je survivrai très bien à
d'aussi opaques embouteillages (mon ami Rémy, fort dépité après être
arrivé en retard à un de nos rendez-vous à cause d'un bouchon, je l'avais
attendu assis sur le parapet du quai qui surplombe sa péniche et je
n'avais pas du tout trouvé cette attente pénible, Rémy donc m'avait dit
qu'il ne comprenait pas pourquoi il n'y avait pas de fréquents suicides
dans les embouteillages tant ces derniers lui paraissaient à la fois
déprimants et incongrus, je lui avais répondu que c'était surement une
sorte de honte du forcené prématurée qui s'exprimait a priori, et que
c'était là le degré ultime de la solidarité des conducteurs, de ne vouloir
en rien aggraver la situation pour plus inconfortable et plus aberrante
encore qu'elle ne l'était, nous avions passé une très belle après-midi à
deviser gaiement de la sorte). Et j'ai comparablement le sentiment d'être
à contre-courant tant j'ai davantage l'esprit libre de celui qui laisse
les soucis du travail derrière lui, tout à l'écoute du dernier Brad
Mehldau ("Largo", vous en recommande chaudement l'écoute, ici il passe en
boucle). Pour ne pas manquer à mon habitude, et aussi pour lutter
efficacement contre la fatigue qui m'assaille au volant, je m'arrête à la
station Esso de Cergy-Pontoise, et est-ce parce que j'ai amplement devisé
sur le sujet (
à l'appui notamment de cette phrase de Louis-René des forêts, "cette masse
indifférenciée... ), mais je suis entier accaparé, dans ce
no-man's-land d'une station service à Cergy-Pontoise, je regarde le décor
avec le désir d'en préserver le plus infime, ce que d'habitude, je ne vois
même pas, ou même ce que je lutte pour ne pas voir. Je monte sur une
butte, mon gobelet de café brûlant le bout de mes doigts, et je ragarde
passer les avions du matin au dessus d'un champ de maïs humide et boueux,
spectavle atharaxique s'il en est. Je n'ai aucune chance de me rappeler de
tout cela sans le noter. Et après l'avoir noté, je me demande bien ce que
j'y ai gagné, sans même parler de vous qui me lisez, cela aussi devient
une réelle préoccupation, écrire sous la
lecture d'Autrui. dimanche, septembre 22, 2002
![]() ![]() (Weblogs) Commençons par quelques définitions. WEBLOG: de web qui
signifie web (donc toile) et de log qui signifie "carnet de bord"
et par extension "journal". Le weblog (et par contraction
blog) est donc un journal qui se tient sur le réseau internet. Le
pauvre équivalent proposé en langue française, "joueb" (pour la
contraction équivalente de "journal" et de "web") est une
aberration tant on demande à la langue française de se plier aux habitudes
de contraction et d'hybridation de mots qui sont davantage l'apanage des
langues anglo-saxonnes. Par la suite nous essaierons de donner des
équivalents en langue française pour les termes génériques propres aux
journaux en ligne (weblogs ou blogs), ces équivalents sont des pis-allers,
les linguistes désertant notoirement le nouvel espace d'usage de la langue
qu'est Internet. D'autres définitions utiles:
Si je dois m'interroger sur les raisons qui me poussent à tenir mon
journal en ligne, je suis obligé de constater que ses motivations sont
anciennes puisqu'avant de tenir le bloc-notes du désordre, je tenais à
jour mon site (le Désordre __ ce qui explique
le titre de mon journal en ligne (blog) qui au départ se voulait un
aperçu des coulisses de la construction et des mises à jour du site) et
qu'avant le site j'avais tenté de nombreuses expériences de pratiques
quotidiennes. En 1992, je décidais de faire un autoportrait (type
photo-maton) tous les jours, c'est un projet que j'ai fini par abandonner
en 1999, un peu à bout de force de cette astreinte (morale et financière)
impliquée par devoir se tirer le portrait une fois par jour. En 1994, je
faisais une première tentative de chronique au polaroid d'une année,
tentative qui échoua pour des raisons de bris de l'appareil et qui ne put
être retentée que quatre ans plus tard en 1998 et qui s'intitule Pola Journal (
entièrement consultable en ligne sur Désordre). En 1994 également
j'entamais la rédaction d'un roman (intitulé la Cible) et qui
fonctionnait sur le principe suivant: le roman était le journal d'un homme
qui n'avait plus que cinq mois à vivre et je rédigeais ce roman en suivant
le rythme quotidien de cette prise de notes (tenue de journal) supposée à
mon personnage. En 1990, je tentais pareillement de dicter tout au long
d'une journée les différentes actions qui composaient une journée, mais
las, le projet tourna court puisque je tombais dans la chausse-trappe
prévisible qui voulut que je commençais en énonçant à mon dictatophone que
je venais de l'allumer et de presser sur la touche d'enregistrement et que
ce que j'étais en train de faire était d'enregistrer mon action
d'enregistrement, laquelle se reprenait en charge, ce qui donnait quelque
chose comme ceci: "je suis en train de parler dans mon dictatophone
décrivant avec force détails mon action qui consiste à enregistrer le fait
que je sois en train de parler dans mon dictatophone décrivant avec force
détails le fait que je sois en train de dicter dans mon appareil de prise
de notes audiophonique etc..." En septembre 1992, j'ai subi
une intervention de réduction de hernie discale. L'hospitalisation qui
suivit, a duré deux semaines, pendant lesquelles les infimières m'ont
administré de fréquentes doses d'opiacées. Ces drogues furent à la fois
très efficaces pour ce qui est de contenir la douleur et aussi pour me
faire perdre toute notion du temps ou presque, rendant ma mémoire du court
terme quasi inopérante et très parcellaire. Des périodes étendues
d'inconscience étaient entrecoupées de périodes de demi-conscience brèves,
pendant lesquelles j'ai pris nombre de polaroids: il arrivait par exemple
que, gagné par le sommeil sans rêve, je ne vois pas se développer
entièrement une image faite dans un moment de demi-éveil, pour la
retrouver sur ma tablette, entièrement développée, en recouvrant
conscience. En cela certaines de ces images servaient de repères dans ce
parcours d'ouate, pareils aux cailloux du Petit Poucet. On, l'aura compris ce qui motive le chroniqueur en ligne
(blogger) comme celui qui tient son journal (Charles
Juliet dans son Journal publié chez P.O.L.) ou écrit des chroniques
quotidiennes (Pierre Georges dans le quotidien le Monde), celui qui (se)
photographie quotidiennement (Michael Salsmann), celle qui (se) filme tous
les jours (Miss Trash sur son site
éponyme), celui qui enregistre les sons qui ponctuent sa journée (pas
d'exemple en tête et pas très sur que cela ait déjà été fait), ou que
sais-je encore, c'est le frêle espoir, non de retenir un peu de ce qui
s'écoule, projet fantasque, mais de maintenir en pleine lumière, ce qui
justement reste et demeure dans l'ombre, une ombre qui s'épaissit à mesure
que s'entasse sur eux de nouveaux événements pareillement minuscules et
aussi peu aptes à émerger de la masse indifférenciée du temps qui englue
ce que justement on oublie, l'immémorable selon l'incipit implaccable de
Face à l'immémorable de Louis-René des Forêts: "Cette masse
indifférenciée comme perdue sur un fond de grisaille où la lumière n'a
accès que par intermittence et semble même de jour en jour se faire plus
rare, quel langage serait assez chargé de désir pour lui donner relief et
couleur, à moins de recourir aux artifices d'une transfiguration
mensongère?" En soi ce qui compte c'est l'enregistrement. De même en
revenant de marcher une heure ou deux, la marche comme moteur de
l'écriture (lire Mon année dans la Baie de personne de Peter
Handke), il m'arrive d'essayer de retracer toutes les rêveries ( et de ne
parvenir à n'en consigner que quelques unes ) qui peuplèrent ma
déambulation des pas sur laquelle s'est superposée celle plus vagabonde
encore de la pensée. Rien ne me dit alors que ce qui m'occupa l'esprit
chemin faisant n'est plus ou moins crucial que ce que je retiendrais
effectivement d'une journée qui s'est écoulée et qui elle même dans son
entier disparaîtra sous le poids des jours suivants, ce dont on se
souvient, somme toute c'est l'accident. Comment chroniquer alors une vie
sans accroc et a fortiori une existence sans reliefs notables?
Les rêveries d'un promeneur solitaire de Jean-Jacques Rousseau sont
une comparable tentative de retenir un peu de l'immémorable en le reliant
ou en le chargeant de considérations plus vastes et plus universelles.
"La campagne, encore verte et riante, mais défeuillée en partie et déjà
presque déserte, offrait partout l'image de la solitude et des approches
de l'hiver. Il résultait de son aspect un mélange d'impression douce et
triste, trop analogue à mon âge et à mon sort que je ne m'en fisse pas
l'application." Relire certains livres, c'est un exemple, lus il y a des années, me
permet parfois de mesurer que les couches successives de l'oubli ne
recouvrent peut être pas tout entièrement. Un signet, en fait une carte
postale ( ou de tout autre vestige comparable ) utilisée comme tel me
donne à revoir que ce livre fut lu en été, dans les Cévennes, ce dont je
n'aurais pu me souvenir de façon très exacte et carambolage de la mémoire,
une phrase ou un paragraphe ( remis dans l'éclairage de ce signet enfoui
__ dans ce qu'il signale désormais dans le texte une lecture passée et qui
s'unit aux conditions physiques de cette lecture, déformation par ailleurs
suggérée par Georges Perec dans Penser/classer: "Livre, journal
ou prospectus, je ne me suis pas intéressé tout au long de ces pages, à ce
qui était lu. Seulement au fait qu'on lisait, en divers lieux, en divers
temps. Le texte que devient-il qu'en reste-t-il? Comment est-ce perçu, un
roman qui s'étale entre Montgallet et Jacques-Bonsergent? Comment s'opère
ce hachage du texte, cette prise en charge interrompue par le corps, par
les autres, par le temps, par les grondements de la vie collective? Ce
sont des questions que je pose, et je ne pense pas qu'il soit inutile à un
écrivain de se les poser" ) me remet en mémoire les pensées qui
avaient pu être les miennes tandis que je lisais ce livre, il y a dix ans,
il s'agit toujours d'un exemple. Les chaos de cette pensée, qui peine à
retenir à elle un peu de cette promenade désordonnée, laissent cependant
en dépit (ou à la faveur) de leur désordre des interstices fulgurants: la
mémoire involontaire dont A la recherche du temps perdu fait son
sujet toujours plus fuyant, la madeleine trempée dans le thé, une enfilade
de peupliers en calèche et les pavés inégaux d'une cour d'hôtel
particulier donnent au narrateur de la Recherche un accès inattendu
et ô combien temporaire à des pans disparus de sa mémoire. Et bientôt
machinalement , accablé par la morne journée et la perspective d'un triste
lendemain, je portai à mes lèvres une cuillérée de thé où j'avais laissé
s'amollir un morceau de Madeleine. Mais à l'instant même où la gorgée
mêlée de miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à
ce qu'il se passait d'extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m'avait
envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Tenir son journal en ligne
(blog) n'est-ce pas semer des cailloux dans ce qui s'amoncelle en
espérant que ces derniers n'auront pas été emportés entre temps par
quelque accident géologique et dans l'espoir également que retrouvant ces
cailloux on puisse en fait acquérir la certitude de touner en rond. Cet
égrénage de petites bornes de mémoire est le centre de l'entreprise de Joe
Brainard dans I remember : Le journal en ligne (blog) partage donc avec la chose écrite cet
enjeu de la mémoire, non seulement dans sa tentative de sauvegarde de
temps immémoriaux, enfouis dans la masse des jours qui se succèdent,
mémoire involontaire mais dont il faut enregistrer les moindres
étincelles, mémoire collective aussi ( in Je me souviens de Georges
Perec déjà cité ) et aux chapitres les plus sombres de la mémoire
collective, la littérature finit par donner la parole à celui qui n'a pas
de témoin ( au motif que "nul ne témoigne pour le témoin" selon les
mots de Peter Handke ), cet homme-là, fort heureusement oublié et épargné
par le geste dernier de l'abomination s'appele Robert Antelme, Primo Levi,
Elie Wiesel ou encore Henri
Alleg: "Entre deux secousses, je me tournai vers lui pour lui dire
: « Vous avez tort, vous vous en repentirez ! » Furieux, Charbonnier
tourna à fond le rhéostat de sa magnéto : « Chaque fois que tu me feras la
morale, je t'enverrai une giclée ! » et tandis que je continuais à crier,
il dit à Jacquet : « Bon Dieu, qu'il est gueulard ! Foutez-lui un bâillon
! » Roulant ma chemise en boule, Jacquet me l'enfonça dans la bouche et le
supplice recommença. Je serrai de toutes mes forces le tissu entre mes
dents et j'y trouvai presque un soulagement." (in la Question
d'Henri Alleg) Ces journaux en ligne-là (blogs) n'existent peut
être pas encore, ils seraient sans doute les plus utiles d'entre tous:
"Hier, je n'ai pas été capable, indigente paresse obsène, de remplir
cette obligation fictive qu'est la rédaction de ce journal. Je suis sur en
revanche que d'autres en Israël et en Palestine, en dépit des vies
assombries, ont encore cette force, celle du témoin. Ces journaux-là, les
leurs, il faudra les lire absolument, les faire paraître, les inscrire
dans leur histoire. Pour ma part je n'ai rien dont il faudrait que je
témoigne et puis je suis un médiocre témoin." (un article du
Bloc-notes du Désordre datant du 21 juillet 2002 )
Il y a cependant des disparités qui différencient le simple journal de
bord, journal ou chronique, mémoire (blogs) et autres pratiques
écrites ou non. Lorsque l'on tient un journal en ligne (blog), on
le fait sous le regard et la lecture d'Autrui (en cela on rejoint les
chroniqueurs de journaux) qui de ce fait lisent les articles (posts) du
journal en ligne (blog) (pas nécessairement le jour même où ils
sont écrits mais disons dans un contexte temporel proche) au fur et à
mesure. Il y a la possibilité d'une relation resserrée entre celui qui
écrit et celui qui lit (ou regarde, car je veux toujours garder à l'esprit
que les premiers journaux ou chroniques en ligne (blogs diaries) que j'ai
rencontrés étaient des aventures visuelles, telle que la Chronique ordinaire
de Gisèle Didi). Celui
qui lit peut le faire facilement à l'aune de qui est vécu par lui, de que
les existences ont de commun (ce qui lie les êtres le plus
fondamentalement: l'humain) ou de ce qu'elles différent (la particularité
des parcours et des horizons). Cette relation possible qui a l'étroitesse
de communion connue de ceux qui se retrouvent, par exemple, dans
l'exhaltation de sentiments propres à la littérature romantique, pour ne
citer que cet exemple, voisinage et universalité des impressions qui vont
par devers les siècles, le lecteur d'aujourd'hui et l'auteur du XIXème
siècle unis, notamment par le biais de l'identification du lecteur aux
protagonistes de sa lecture (avant le mode des images existait la
mythologie), cette proximité donc, se resserre puisque par l'usage du
courrier électronique (mail) il est donné à celui qui lit d'écrire à celui
qui écrit, à ce dernier, de ce fait, sera donnée la possibilité de lire
celui qui lit, l'immédiateté relative du courrier électronique (mail)
créant plus facilement ce pont fictif puisqu'il réduit imperceptiblement
la distance entre l'auteur et son lecteur (qui a, un jour, essayé d'écrire
une lettre à un auteur qu'il admirait par le truchement de son éditeur,
saura combien est impressionnante cette prise de contact épistolaire par
le verbe qui est justement l'outil même de l'artiste admiré). Extrapolons
facilement que celui qui lit fasse également partie de ceux qui écrivent,
ce qui offre sans mal de nombreuses possibilités d'éclosions de
communautés désormais avouables au contraire de celle envisagée justement
par Maurice Blanchot dans la Communauté inavouable, et ce faisant,
cette propagation de cellules compatibles débouche logiquement sur des
rencontres-intersections entre chroniqueurs en ligne (bloggers). Pour
donner un exemple: "Surprenante communauté de pensée aussi entre Gisèle
et moi, et la soirée s'est écoulée avec un belle lenteur. Toutes les
questions que nous voulions sans doute poser à l'autre arrivaient
pêle-mêle et n'obtenaient pas toujours leurs réponses, mais nous n'en
avions cure, avançant, sans peur et sans heurt dans cette connaissance à
la fois amicale et courtoise de l'autre. Toute l'affection ( la tendresse
presque, le fétichisme pour la frange haute sur le front) qui s'était
doucement faite jour à la lecture de la Chronique ordinaire se portait
enfin sur une personne, une véritable personne, cette fois-ci habitée
d'une voix, de gestes, de cigarettes fumées et de grands gestes empressés
pour m'épargner leurs volutes et d'un sourire et de traits du visages très
mobiles, sans cesse changeants." (Extrait
du Bloc-notes du Désordre, daté du 30 juin 2002) De son côté la
Chronique ordinaire de la même Gisèle Didi, affichait à la fois une image
de la frange haute sur le front, indiquant par là de la bienveillance
pour mon fétichisme sans conséquence et un
sommaire croquis dessiné pour mieux se faire comprendre, à même la
nappe en papier du restaurant où nous avions dîné. Par la suite les outils
(notamment les liens hypertextes) et les autres artifices offerts par les
services de tenue de journal en ligne (blogging service provider)
comme la possibilité de reprendre un article (post) pour l'enrichir
ou a cntraire en réduire la portée de même que le possibilité d'appliquer
des styles typographiques au texte, tel que le texte rayé laissant
cependant lisible ce qui est rayé, rendant ainsi visibles ce que la
peinture appele les remords, possibilités qui rendent la matière textuelle
vivante et certainement attrayante aux lecteurs de journaux en ligne
(blog) enclins à s'approcher davantage de l'univers de celui qui
écrit, ou en amont de cela par le réseau lui-même ( je pense aux listes de
diffusion et aux forums ), ces outils et ces menus artifices permettent de
donner aux lecteurs le loisir de fonder communauté, soit autour de celui
qui écrit, soit autour d'un intérêt commun, ou soit aussi une communauté
de gens qui écrivent. Ecrire cependant sous la lecture d'Autrui, du lecteur, impose surtout
affronter en plein la (sa) médiocrité. Stendhal s'exhortait fameusement à
écrire vingt lignes par jour, vingt lignes paraissent peu dans la main
d'un auteur d'une pareille amplitude que celle de Stendhal, cela dit assez
bien la difficulté à s'extraire des jours peu fastes, en cela c'est donner
à l'ordinaire une place plus voyante, rendant au quotidien sa masse, celle
constituée par le poids des jours, pour reprendre l'expression de Peter
Handke. L'exemple de Stendhal fut suivi à la lettre par Harry Mathews qui
écrivit 20 lines, une année au rythme d'une vingtaine de lignes
quotidiennes, qu'il pleuve, neige ou vente. Comme pour de nombreux
écrivains, entammer une journée de travail me décourage et exige de moi
une grande dépénse d'énergie pour éviter ce découragement. il y a quatre
ans, on m'a rappelé cette injonction que Stendhal s'était faite à lui-même
au début de sa vie: "écrire 20 lignes par jour, génie ou pas." A cette
époque Stendhal avait le projet d'écrire un livre. J'ai délibérement pris
cette idée au mot et j'en ai fait une méthode pour surmonter mon angoisse
de la page blanche. Même pour un écrivain douteux et de peu d'entrain, 20
lignes paraissaient un objectif raisonnablement atteignable, tout
particulièrement si ces vingt lignes n'étaient pas motivées par un plus
vaste dessein tel qu'un roman ou un essai. L'année qui suivit j'ai
commencé nombre de journées d'écriture en m'acquittant d'au moins vingt
lignes, écrites à partir de ce qui voulait bien me passer par la tête, sur
un bloc-notes réservé à cet effet (Péface à 20 Lines d'Harry
Mathews. ) Ne pas hiérarchiser le quotidien, faut-il être un écrivain
aussi considérable que Saint-Simon pour s'y mesurer sans risque de
trébucher sur sa propre platitude, et ne souffrir que d'une seule
interruption légendaire, cette période sinistre de quelques mois à l'heure
du décès de son épouse et qui ménage dans le texte homérique une très
modeste faille sous la forme de larmes dessinées sommairement en lieu et
place des lignes qui ces jours-là se sont étranglées de la douleur de la
perte de l'être cher! Pas nécessairement scandées dans un rythme quotidien, citons tout de
même quelques unes des préoccupations que l'on prête habituellement au
Nouveau Roman, l'acharnement à décrire le vernaculaire et l'infime au
risque d'égarer son lecteur comme Alain Robbe-Grillet dans la minutie de
ses descriptions, celle, par exemple, de la lente progression verticale
d'une scutigère
le long d'un mur partiellement plongé dans l'ombre (in La
Jalousie). Voisinant cet l'enjeu de captation de l'infime se situe
Tentative
d'épuisement d'un lieu parisien de Georges Perec dans laquelle
Perec se surprend à écrire (sans doute dans un moment de découragement
passager): "(Limites évidentes d'une telle entreprise: même en fixant
comme seul but de regarder, je ne vois pas ce qui se passe à quelques
mètres de moi: je ne remarque pas, par exemple, que des voitures se
garent)", puis plus loin après une longue énumération, par leurs
numéros, des différents autobus passant sur la place Saint-Sulpice:
"(peut être ai-je seulement aujourd'hui découvert ma
vocation:contrôleur de lignes à la R.A.T.P. )"; Il y a contenu dans la
pratique du journal en ligne (blog) l'enjeu du minuscule, d'une
écriture du réel entièrement diluée dans le devoir de quotidienneté; à
force de dilution pourtant, il est à craindre que le lecteur ne puise plus
dans la lecture des journaux en ligne (blog) ce qui fait
habituellement son plaisir de lire, puisqu'à la déroutante description de
l'infime/intime, s'ajoute l'effet nocif de l'accumulation à la fois des
articles (posts) qui se succèdent à laquelle s'ajoute celle de tous
les journaux en ligne (blogs) dont la prolifération peut devenir le frein
comprimé à une réelle adhésion du lecteur écrasé par le surnombre. En cela
les journaux en ligne (blogs) se comportent comparablement à la
chose écrite quand elle s'exprime au travers de politiques éditoriales:
les avatars de gâchis de papier (et d'encre) voué au pilon de chaque
automne dans notre pays, par le désaveu des lecteurs, imitent la
saturation du réseau (moins onéreuse dans sa gabegie de ressources
naturelles) par les journaux en ligne (blogs).
Le chroniqueur en ligne (blogger) accumule. En effet les
articles (posts) de ce dernier s'entassent les uns sur les autres
selon le principe d'une pile sur laquelle les articles les plus récents
sont affichés les uns après les autres, les plus récents s'affichant à la
place des précédents, toutefois toutes les pierres qui ont contribué à la
hauteur du tas sont toutes accessibles par la consultation des archives
aidée même d'un moteur de recherche interne si le chroniqueur en ligne
(blogger) est allé assez loin dans son geste d'atteindre le lecteur
et le dessein de favoriser le lecteur dans sa lecture de cette
accumulation. Les articles (posts) s'accumulent pour tisser
quotidiennement une lecture aux ramifications toujours plus nombreuses,
cette accumulation de soi, pour peu qu'elle soit assidue devient l'objet
d'une lecture protéiforme et sans cesse mouvante. De fait à l'image des
personnages principaux d'A la Recherche du temps perdu, dont le
vieillissement (tout particulièrement comme il est perçu par le narrateur
dans le Temps retrouvé) donne à voir au delà des signes corporels
de la morsure du temps, duchesses et princesses perdant de leur superbe,
plutôt les métamorphoses des caractères et leurs traits aux multiples
facettes distribués dans les différents personnages qui ont survécu au
temps étendu du récit. Pareillement dans son auto-accumulation, c'est un
fait enviable, le chroniqueur en ligne (blogger) devra affronter ses
contradictions propres héritées du passage du temps à l'oeuvre sur ses
certitudes. Cette érosion temporelle sera un bel objet de lecture, s'il
nous est cependant donné l'occasion d'en être les spectateurs, rappelons
en cela que la pratique du journal en ligne (le blogging) est
récente (que pour les plus anciens d'entre eux la date de naissance de ces
manifestations se situe aux environs de 1998, nous sommes en 2002) et que
les critères de sélection pour le référencement de ces journaux en ligne
(blog) dans les officines de recensement de ces entreprises
(blog databases) en disent long sur l'éphémérité de la pratique,
puisqu'un délai d'un mois seulement d'activité continue est la condition
sine qua non pour figurer parmi les listes trouées aux mites dans leurs
liens par autant de journaux en ligne (blog) qui disparaissent
chaque jour: il ne faut pas se laisser berner par la tapageuse réclame des
services de tenue de journal en ligne (blogging service providers)
toujours promptes à insister sur le taux de natalité davantage que sur
celui de la mortalité. Le fait que je sois ici, dans le cadre d'une
commande presque, à deviser à propos de cette pratique que j'estime
récente pour moi-même, cinq mois d'exercice ne constituant pas à mes yeux
la preuve de grand-chose, cette invitation, faite à moi, donc, en soi
montre assez bien le vieillisement prématuré qu'il faille craindre pour
ces pratiques. Si un journal en ligne (blog) est en soi un projet
d'accumulation de soi, il convient deuxio de se poser la question
des accumulations de ces accumulations justement. Parmi les
caractéristiques essentielles du journal en ligne (blog), nous
remarquons d'emblée que le texte est truffé de liens hypertextes qui
relient et interconnectent d'autres journaux en ligne (blogs)
principalement, mais aussi des sites internet, dans une acceptation plus
classique du terme. Dans ces bibliothèques accumulatives, néanmoins
fictives, on peut regretter l'absence de volonté réelle de réunir lesdites
chroniques et journaux en ligne (blogs) selon des thématiques qui à
défaut d'être originales auraient le mérite de dresser des bibliothèques
moins virtuelles qui si elles avaient la qualité d'être dûment archivées,
seraient de bonnes sources de témoignages pour l'avenir, l'accumulation de
ces bribes de temps s'écoulant ayant alors la vertu de composer par
touches successives des paysages autrement voués à la disparition. Il
existe somme toute peu d'initiatives de ce genre, citons pour mémoire
l'Adam Project, base
vivante crée par Timothée Rolin et dont le principe consiste à
collectionner des chroniques, à la fois visuelles et écrites, d'une
journée allant de minuit à minuit, quelques règles de base font office de
faibles contraintes dont de nombreux participants s'affranchissent par
ailleurs, ce qui ne semble pas mettre en péril la cohésion d'ensemble qui
réunit pour la plupart des chroniqueurs d'un jour et dont le talent, par
ailleurs, varie beaucoup d'un individu à l'autre, en cela on peut
facilement dire que cette denrée habituellement rare dans nos vies est
présente dans le projet dans une dilution comparable, c'est d'ailleurs
dans ces reflets involontaires de l'existence que l'Adam Project touche au plus
près cette notion d'exsitence à proprement parler et s'en fait une base de
données somme toute idoine. En revanche quelles sont les municipalités ou
même les départements, ce sont des exemples choisis dans la totalité du
tissu social, quelles sont les municipalités donc, qui se soucient
d'archiver ces journaux pourtant rendus publics? D'une manière plus
générale, nombreux furent les pionniers du réseau, qui, à raison,
encourageaient la participtation de tous pour l'archivage et
l'enrichissement de données (toutes connaissances confondues) sur le
réseau à l'usage des mêmes tous sur Internet et combien rares sont ceux
aujourd'hui qui se préoccupent de l'archivage pérènne et universel de ces
données. Au chapitre des disparitions incensées citons toutes les fiches
de travail des différents documentaires de la série Un siècle d'écrivains
du site internet de la chaîne de télévision France 3, pourtant une chaîne
du service public! A l'heure actuelle le chemin parcouru brûle derrière
nos derniers pas, pensée d'autant plus préoccupante qu'en matière
d'archivage le tentation du tout-internet gagne chaque jour du terrain.
Cette fuite en avant peu soucieuse de nos arrières justement, s'est
comparablement déjà enclenchée à la naissance de la vidéographie, le
support magnétique au contraire du support argentique étant
ré-enregistrable, ouvrant la porte à l'écrasement d'archives, sans compter
non plus que le support argentique, aussi faillible soit-il, est
intrinséquement plus archival que le support magnétique tellement fragile.
Où l'on ne s'étonnera pas de contempler à l'oeuvre une logique économique
compensant par la profusion la lente disparition de la qualité,
s'enfouissant toujours un peu plus dans les plis du passés. Peureux à
cette pensée problématique, et je suis quasiment assuré de n'être pas le
seul pareillement appeuré, je me surprends moi-même en me résolvant à
imprimer tous les mois les pages de mon journal en ligne (blog):
l'archivage de ce que nous créons à l'aide de nos ordinateurs est de ces
notions suffisamment souples pour se mordre la queue.
Enfin pour le chroniqueur en ligne (blogger) qui rendrait
fidèlement compte de ses allées et venues mentales, se fait jour la
contraignante tentation de se chroniquer (to blog) soi-même
chroniquant (blogging). Force nous est de constater que nos vies se
remplissent de tant d'heures assidues devant l'écran, cotoyant un monde
peu tangible mais qui cependant imbibe celui du corps physique, un peu à
la façon obsessive du jeu d'échecs dont la matérialité en 64 cases noires
et blanches se superpose violemment à celle de tant de vies de joueurs
d'échecs, qui n'ont pas tant d'éclat que le jeu, objet de ce qui devient
leur pathologie (lire et relire la fin de la Défense Loujine de
Nabokov pour s'en garder absolument). Comment alors écrire le récit d'une
journée dont beaucoup de temps fut dépensé au chevet de l'écran: L.L. de Mars dans le cadre du projet
Adam Project (déjà
mentionné) dit avec éloquence la mitoyenneté confuse et difficile de deux
appréhensions du réel qui ne font pas complétement corps, sans parler des
difficultés immédiatement inhérentes à l'utilisation de l'outil pour
définir l'outil (définir le langage relève de la même péripétie, comme
pour le forgeron de se forger de nouveaux outils de forge, et c'est
pourtant en forgeant que l'on devient forgeron): ["Qu'en est-il d'une
vie pour celui-là même qui la traverse? D'une journée et de sa relatation,
de l'immense trajet qui sépare un acte du moment où il sera confié,
décrit?"] ["Plus je travaille avec des machines, et plus la membrane qui
sépare les notions d'outillage virtuel et physique me semble poreuse."]
["Il s'agit de mettre en ligne un album de photographies consacré à la
fabrication d'un numéro de ma revue littéraire, MMI. Pourquoi cette
chronique? Sans doute le sentiment que l'énorme quantité d'énergie et de
temps passé sur ce boulot doit être mis en évidence, et en premier lieu
pour moi-même : quand un travail est achevé, disparait avec lui de ma
mémoire tout ce qui l'a précédé."] ["En dehors de l'inévitable vanité qui
conduit à rendre publique une image largement orchestrée de sa vie (et peu
importe la forme choisie pour la faire miroiter), il y a tout de même
quelques points d'importance qui, je crois, rendent ceci plus crucial que
le seul narcissisme: j'ai le sentiment que ma vie est toute entière
résumée à mon travail, ce qui temporellement semble vrai (où sont les
interstices?) et conceptuellement plus encore (il n'y a pas d'intérim
artistique, c'est le seul métier auquel chaque seconde de celui qui s'y
donne appartient) ; mais si une chronique est possible sur ce travail,
c'est que ma vie peut s'aménager une extériorité. Et si une chronique est
possible sur cette chronique? Etc..."]. Il y a dans la chronique de L.L. de Mars pour l'Adam project le voeu patent
d'emmener son lecteur dans l'espace mal défini de la mise en abyme, comme
dans les foires certaines attractions qui emmènent le corps dans des
postures inhabituelles autant qu'improbables avec force vitesse et
gravitation nous soustrayant aux forces de frottements (notre corps est
ainsi fait que seulement dans la chute, il est enfin libéré du contact
avec la contingence, le retour à cette dernière, en fin de chute, étant le
plus souvent brutal), de même dans la lecture de ce qui fait écran, nous
ne sommes plus exactement certains de ce qui nous relie à nous mêmes
lisant. De même que ce que j'écris là (et le temps que j'y passe) trouvent leur
écho dans mon journal en ligne (blog), qui s'acharne à décrire les
boucles des tergiversations qui sont les miennes tandis que je rédige,
péniblement, ces lignes: "Ecrire à propos des blogs (dans le cadre du
colloque de Rennes à propos des "écritures en ligne" auquel m'invite L.L. de Mars à témoigner de ce
qu'est la pratique du journal en ligne (blog)) revient à chroniquer
sur les chroniques, prendre une photographie d'une photographie ou encore
tenter de définir le langage par le langage (comment le pourrions nous
autrement?), en soi c'est se servir d'outils pour se fabriquer de nouveaux
outils. Et on se prend rapidement les pieds dans le tapis à ce petit jeu.
En soi dans l'écriture du bloc-notes du désordre qui a parmi ses vocations
de montrer les coulisses de la fabrication et des transformations du
"Désordre", certains liens qui pointent vers le reste du
"Désordre" ont cette vertu récursive, presque, qui consiste à
illustrer le propos de son propre propos. Dans ces jointures quelques
friches demeurent et attendent encore leurs premiers visiteurs. Je
pressens que mes tentatives aussi inabouties qu'elles m'apparaissent se
heurtent à une cloison derrière laquelle se trouve un autre espace
d'investigation dont j'ai cependant l'intuition qu'il est lui aussi bordé
de cloisons, elles sont cependant un peu plus lointaines, aussi à l'image
des êtres prisonniers du Dépeupleur
de Samuel Beckett, j'oscille sans cesse entre la volonté conquérante
d'abattre cette cloison et la résignation qui sait particulièrement bien
que cette brêche n'offrira qu'un réconfort passager et qui butera sur la
prochaine cloison. Et pourtant, dans les moments fastes, je lis dans
l'introduction des Mots croisés de Georges Perec: "on n'oubliera pas non
plus ce que l'on pourrait appeler des méta-définitions, c'est à dire, des
défintions trouvant leur référence dans le vocabulaire même des mots
croisés. Ainsi, si la définition du I horizontal est: Devrait passer de
l'aure côté, la réponse est sans doute: VERTICAL. Pour un 9 vertical
défini par : Sont à leur place, la réponse est VERTICAUX (à moins que ce
ne soit NEUVIEMES) ...(...)... A partir de là, d'innombrables variations
sont possibles, y compris celles que l'on pourrait appeler
homosyntaxiques, et qui rattachent la définition à un élément même du mot
défini: A déjà commencé... = EROSIO. Il lui manque effectivement une jambe
= ANPUTEE." C'est décidement vers cet espace incertain et intangible que
j'aimerai tendre, pour le moment sans succès, conscient que c'est dans cet
interstice que se situent les nouvelles connaissances, c'est à dire ce que
je ne connais pas encore et que je peine donc tant à définir, les mots
étant aussi gauches à décire l'inconnu que le peintre Memlinc peignant le
lion de Saint-Jérome sans jamais n'avoir vu de ses yeux vu un véritable
lion." Récemment traduite en français, la Maison des feuilles de Mark
Danielewski a longtemps été un site internet, fermé depuis (dommage que
les auteurs qui atteignent la publication graphique ferment derrière eux
la porte sur des espaces très particuliers qu'ils ont su créer dans le
domaine de l'auto-publication sur le réseau) qui s'enrichissait au fur et
à mesure des péripéties du narrateur en proie à la retranscription
alembiquée d'un manuscrit fleuve, qui était lui-même le compte-rendu et la
critique mêlés d'un film documentaire dont tout porte à croire qu'il ne
fut jamais réalisé et dont le sujet est lui aussi un labyrinthe. Par une
accumulation compulsive de notes de bas de page, mais aussi d'effets
typographiques et de mise en page, plusieurs niveaux de lecture et de
réalité coexistent dans cette oeuvre aux nombreux méandres justement
soulignés par la lecture à la fois cahotique et errante du livre. Une
telle structure, dont la mise en oeuvre aussi brillante soit-elle, aura
sans doute donné beaucoup de fil à retordre à son maquettiste, existerait
sans difficultés majeures à l'aide de l'hypertextualité permise par le
journal en ligne (blog) et aurait justement permis de cacher toutes
les coutures encore apparentes par endroits dans la version grapique du
livre.
Pourtant l'outil, le journal en ligne (blog) porte en lui des
ouvertures béantes de création. Le retour d'affection contemporain pour le
feuilleton (Légendes et Plumes d'Ange de Martin Winckler
sont parmi les plaisirs récents de la lecture en ligne) montre assez que
le journal en ligne pourrait fort bien être le vecteur d'oeuvres de
fiction, qui justement à la façon d'un feuilleton, égrénerait par épisodes
les satisfactions de la lecture, sans parler de l'amibiguité accrue
inhérente au fait que le feuilleton se présenterait sous la forme d'un
journal en ligne (blog), lui conférant une véracité, certes
mensongère, mais tellement efficace pour faire adhérer le lecteur à la
fiction. Que penseriez vous en effet si vous veniez à lire dans un journal
en ligne (blog) une entrée (post) comme celle qui suit et à
laquelle feraient suite, d'autres entrées (posts) du même tonneau?:
"J'ai pris la décision de quitter ce monde dans cinq mois, pour des
raisons personnelles qui seraient trop longues à expliquer et énumérer
ici. De même que le délai de cinq mois pourra, en tout état de cause,
paraître arbitraire, les raisons qui m'ont conduit à le déterminer
seraient également fastidieuses et soporifiques à éclaircir. Réalisant
pleinement qu'il s'agissait là d'une décision capitale, pour ainsi parler,
à ne pas prendre à la légère, et bien qu'elle fût assez facile à prendre,
je me suis appliqué à résoudre le respect impérieux du délai d'une manière
que d'aucuns jugeront alambiquée, je lui trouve cependant l'indéniable
avantage d'être efficace. En effet je me suis arrangé, par l'entremise
d'un ancien collègue de travail, avec lequel je garde de bonnes relations,
bien qu'épisodiques, pour contacter ce que l'on appelle communément un
tueur à gage. A l'occasion de ma rencontre avec cette personne, et ce pour
éviter toute confusion dans son esprit qui aurait pu mettre en péril
l'exactitude et l'efficacité que j'attendais de lui, lors de notre
entrevue donc, je m'étais travesti, de sorte que lorsque je lui fournis,
entre autres détails logistiques tels que mon adresse, mon numéro de
téléphone et une énumération générale de mes habitudes, ma photographie,
donc, il l'empocha sommairement sans même la regarder. La transaction
financière avait été pré-arrangée ce qui permit à notre entrevue de garder
son caractère discret sobre et, pour mon agréable surprise, détendu.
Ainsi, c'est discrètement que je lui remis, sous la table, littéralement,
la rondelette somme de , en liquide. Cette somme ne m'avait paru ni trop
élevée ni trop basse. Bien sur mon tueur à gage pensait qu'une seconde
moitié, égale à celle qui venait de passer des mains un peu moites de la
victime à celles irréprochablement calmes et sèches du tueur, aurait lieu
après la réalisation du contrat. Je ne pouvais réprimer une sorte
d'exaltation intérieure à l'idée que j'avais réussi à m'arroger les
services de mon tueur avec une importante remise de cinquante pour cents,
eût égard au fait qu'il ne pourrait y avoir de deuxième versement puisque
le commanditaire de ce meurtre périrait en même temps que la victime
...(...)... samedi, septembre 21, 2002
![]() J'y suis presque, encore un petit effort, quelques corrections et vous
pourrez lire tout cela, non pas que je présume que vous y trouviez un
intérêt immodéré, mais c'est tout de même ce texte qui aura mobilisé
toutes mes énergies de la semaine: à toutes choses malheur est bon,
Madeleine consciente qu'elle n'obtiendrait que des miettes de mon
attention, sait désormais faire son grand puzzle des "trois petits
cochons" toute seul. Elle le fait, le redéfait ( elle a finalement compris
que ce n'était pas faire une injure irrémédiable à cette image, qu'elle
trouve très "jolie", selon ses propres mots, pour ma plus complète
exaspération, j'ai beau afficher des lithographies de mon ami
Ray Martin sur les murs de leur chambre pour vacciner mes enfants
contre l'imagerie totalitaire de Walt Disney, rien n'y fait, en matière de
puzzle Madeleine préférera toujours une image de Mickey à un vase de
fleurs peintes par Van Gogh, ma fille tu me fais honte ), puis le refait,
fait durer le plaisir, ne va pas trop vite, fait semblant d'hésiter,
Minuit et demie, Anne dort depuis longtemps, mais j'entends toujours les
chuchotements de satisfaction de Madeleine dans mon dos, mes enfants
m'épuisent. jeudi, septembre 19, 2002
mercredi, septembre 18, 2002
![]() Seau de cendre sur la tête, Maurice Papon est libéré. Des sentiments de
colère et leur manifestations adolescentes dont je ne me pensais plus
capable (je parle des manifestations, la colère j'en ai bien peur __
faut-il avoir peur d'aileurs? __ n'est pas un sentiment dont je saurai un
jour me libérer) comme de jeter mes espadrilles contre le téléviseur
abject me redonnent à voir une époque enfouie, tandis que je vivais
toujours à Chicago et que je pestais comparablement contre l'omniprésente
image du sourrire niais de Bush père très satisfait de ses petites actions
en Irak. Je me souviens en avoir eu assez de ces nausées à répétition et
d'avoir fini par descendre le téléviseur dans la rue avec une pancarte sur
laquelle on pouvait lire:"yes it works fine, yes you can have it
however there's only one image available on that screen: your fucking
president(1)". Le soir mon ancienne femme qui n'était pas encore mon
ancienne femme puisqu'à l'époque nous n'avions pas encore franchi les
étapes du divorce et du mariage dans cet ordre rétrospectif, ma future
ex-femme donc, échevelée et essoufflée d'avoir remonter, toute seule,
comme elle me le fit remarquer, notre bien, encore que je n'y voyais aucun
bien justement, me gratifia d'une de ses colères homériques, se plaignant,
en dehors du fait qu'elle ne comptait pas se passer de téléviseur, que si
elle s'écoutait c'est moi qu'elle débarquerait sur le bord du trottoir
avec la même pancarte ("yes it works fine, yes you can have it").
Bref. Je ne regarderai plus cette télévision aux heures cathodiques tant
que nous n'aurons pas changé dans ce pays de Premier Ministre et de
Ministre de l'Intérieur et tant que Bush sera là avec ces façons de
pétrolier mal raffiné. Ils sont mon trio de la nausée. mardi, septembre 17, 2002
![]() Cliquer ici pour accèder aux copies d'écran qui illustrent mon propos ( écran 1, écran2, écran 3 ) Ecrire à propos des blogs (dans le cadre du colloque de Rennes à propos
des "écritures en ligne" auquel m'invite L.L. de Mars à témoigner de ce
qu'est la pratique du blog) revient à chroniquer sur les chroniques,
prendre une photographie d'une photographie ou encore tenter de définir le
langage par le langage (comment le pourrions nous autrement?), en soi
c'est se servir d'outils pour se fabriquer de nouveaux outils. Et on se
prend rapidement les pieds dans le tapis à ce petit jeu. Comparablement
j'avais une fois essayé de faire une série de photographies qui montraient
la fabrication des images se fabricant, les images ainsi fabriquées se
mêlant à celles qui étaient déjà fabriquées, ce ne fut pas un succès, si
tant est que le succès existe en photographie. Le site "Désordre" comporte quelques
tentatives analogues (en soi dans l'écriture du bloc-notes du désordre
qui a parmi ses vocations de montrer les coulisses de la fabrication et
des transformations du désordre, certains liens qui pointent vers le reste
du Désordre ont cette vertu récusive presque qui consiste à illustrer le
propos de son propre propos), pas toutes très
abouties, il faut bien reconnaître ce qui est. Je crois qu'en la
matière, la
relecture du site dans sa version refondue proposée par L.L. de Mars a davantage de chances
de succès dans la clarté de sa mise en abyme, et dans sa participation
(ce qui fait écran) à l'Adam
project, relue ce jour, il touche exactement au point névralgique de
ces recherches. Dans le cas de la chronique "ce qui fait écran"
cela a aussi le mérite de montrer la porosité (je crois que c'est
le mot choisi par lui) entre des univers et leurs appréhensions qui ne
font pas nécessairement corps et dans les jointures desquelles quelques
friches attendent encore leurs premiers visiteurs. Je pressens que mes
tentatives aussi inabouties qu'elles m'apparaissent se heurtent à une
cloison derrière laquelle se trouve un autre espace d'investigation dont
j'ai cependant l'intuition qu'il est lui aussi bordé de cloisons, elles
sont cependant un peu plus lointaines, aussi à l'image des êtres
prisonniers de la construction du
dépeupleur de Samuel Beckett, j'oscille sans cesse entre la volonté
conquérante d'abattre cette cloison et la résignation qui sait
particulièrement bien que cette brêche n'offrira qu'un réconfort passager
et qui butera sur la prochaine cloison. Et pourtant, dans les moments
fastes, je lis dans l'introduction des Mots croisés de Georges Perec: "on
n'oubliera pas non plus ce que l'on pourrait appeler des méta-définitions,
c'est à dire, des défintions trouvant leur référence dans le vocabulaire
même des mots croisés. Ainsi, si la définition du I horizontal
est:devrait passer de l'aure côté, la réponse est sans doute:
VERTICAL. Pour un 9 vertical défini par : Sont à leur place, la
réponse est VERTICAUX (à moins que ce ne soit NEUVIEMES) ...(...)... A
partir de là, d'innombrables variations sont possibles, y compris celles
que l'on pourrait appeler homosyntaxiques, et qui rattachent la définition
à un élément même du mot défini: A déjà commencé... = EROSIO. Il
lui manque effectivement une jambe = ANPUTEE." C'est décidement vers
cet espace incertain et intangible que j'aimerai tendre, pour le moment
sans succès, conscient que c'est dans cet interstice que se situent les
nouvelles connaissances, c'est à dire ce que je ne connais pas encore et
que je peine donc tant à définir, les mots étant aussi gauches à décire
l'inconnu que le peintre Memlinc peignant le lion de Saint-Jérome sans
jamais n'avoir vu de ses yeux vu un véritable lion. |