Journaux en ligne (Weblogs)
Si je dois m'interroger sur les raisons qui me poussent à tenir mon journal
en ligne, je suis obligé de constater que ses motivations sont anciennes
puisqu'avant de tenir le bloc-notes du désordre, je tenais à jour mon
site (le Désordre __ ce qui explique
le titre de mon journal en ligne (blog) qui au départ se voulait
un aperçu des coulisses de la construction et des mises à jour du site)
et qu'avant le site j'avais tenté de nombreuses expériences de pratiques
quotidiennes. En 1992, je décidais de faire un autoportrait (type photo-maton)
tous les jours, c'est un projet que j'ai fini par abandonner en 1999,
un peu à bout de force de cette astreinte (morale et financière) impliquée
par devoir se tirer le portrait une fois par jour. En 1994, je faisais
une première tentative de chronique au polaroid d'une année, tentative
qui échoua pour des raisons de bris de l'appareil et qui ne put être retentée
que quatre ans plus tard en 1998 et qui s'intitule Pola Journal ( entièrement
consultable en ligne sur Désordre). En 1994 également j'entamais la rédaction
d'un roman (intitulé la Cible) et qui fonctionnait
sur le principe suivant: le roman était le journal d'un homme qui n'avait
plus que cinq mois à vivre et je rédigeais ce roman en suivant le rythme
quotidien de cette prise de notes (tenue de journal) supposée à mon personnage.
En 1990, je tentais pareillement de dicter tout au long d'une journée
les différentes actions qui composaient une journée, mais las, le projet
tourna court puisque je tombais dans la chausse-trappe prévisible qui
voulut que je commençais en énonçant à mon dictatophone que je venais
de l'allumer et de presser sur la touche d'enregistrement et que ce que
j'étais en train de faire était d'enregistrer mon action d'enregistrement,
laquelle se reprenait en charge, ce qui donnait quelque chose comme ceci:
"je suis en train de parler dans mon dictatophone décrivant avec force
détails mon action qui consiste à enregistrer le fait que je sois en train
de parler dans mon dictatophone décrivant avec force détails le fait que
je sois en train de dicter dans mon appareil de prise de notes audiophonique
etc..." En septembre 1992, j'ai subi
une intervention de réduction de hernie discale. L'hospitalisation qui
suivit, a duré deux semaines, pendant lesquelles les infimières m'ont
administré de fréquentes doses d'opiacées. Ces drogues furent à la fois
très efficaces pour ce qui est de contenir la douleur et aussi pour me
faire perdre toute notion du temps ou presque, rendant ma mémoire du court
terme quasi inopérante et très parcellaire. Des périodes étendues d'inconscience
étaient entrecoupées de périodes de demi-conscience brèves, pendant lesquelles
j'ai pris nombre de polaroids: il arrivait par exemple que, gagné par
le sommeil sans rêve, je ne vois pas se développer entièrement une image
faite dans un moment de demi-éveil, pour la retrouver sur ma tablette,
entièrement développée, en recouvrant conscience. En cela certaines de
ces images servaient de repères dans ce parcours d'ouate, pareils aux
cailloux du Petit Poucet. On, l'aura compris ce qui motive le chroniqueur en ligne (blogger)
comme celui qui tient son journal (Charles
Juliet dans son Journal publié chez P.O.L.) ou écrit des chroniques
quotidiennes (Pierre Georges dans le quotidien le Monde), celui qui (se)
photographie quotidiennement (Michael Salsmann), celle qui (se) filme
tous les jours (Miss Trash sur
son site éponyme), celui qui enregistre les sons qui ponctuent sa journée
(pas d'exemple en tête et pas très sur que cela ait déjà été fait), ou
que sais-je encore, c'est le frêle espoir, non de retenir un peu de ce
qui s'écoule, projet fantasque, mais de maintenir en pleine lumière, ce
qui justement reste et demeure dans l'ombre, une ombre qui s'épaissit
à mesure que s'entasse sur eux de nouveaux événements pareillement minuscules
et aussi peu aptes à émerger de la masse indifférenciée du temps qui englue
ce que justement on oublie, l'immémorable selon l'incipit implaccable
de Face à l'immémorable de Louis-René des Forêts: "Cette masse
indifférenciée comme perdue sur un fond de grisaille où la lumière n'a
accès que par intermittence et semble même de jour en jour se faire plus
rare, quel langage serait assez chargé de désir pour lui donner relief
et couleur, à moins de recourir aux artifices d'une transfiguration mensongère?"
En soi ce qui compte c'est l'enregistrement. De même en revenant de marcher
une heure ou deux, la marche comme moteur de l'écriture (lire Mon année
dans la Baie de personne de Peter Handke), il m'arrive d'essayer de
retracer toutes les rêveries ( et de ne parvenir à n'en consigner que
quelques unes ) qui peuplèrent ma déambulation des pas sur laquelle s'est
superposée celle plus vagabonde encore de la pensée. Rien ne me dit alors
que ce qui m'occupa l'esprit chemin faisant n'est plus ou moins crucial
que ce que je retiendrais effectivement d'une journée qui s'est écoulée
et qui elle même dans son entier disparaîtra sous le poids des jours suivants,
ce dont on se souvient, somme toute c'est l'accident. Comment chroniquer
alors une vie sans accroc et a fortiori une existence sans reliefs
notables? Les rêveries d'un promeneur solitaire de Jean-Jacques
Rousseau sont une comparable tentative de retenir un peu de l'immémorable
en le reliant ou en le chargeant de considérations plus vastes et plus
universelles. "La campagne, encore verte et riante, mais défeuillée
en partie et déjà presque déserte, offrait partout l'image de la solitude
et des approches de l'hiver. Il résultait de son aspect un mélange d'impression
douce et triste, trop analogue à mon âge et à mon sort que je ne m'en
fisse pas l'application." Relire certains livres, c'est un exemple, lus il y a des années, me permet
parfois de mesurer que les couches successives de l'oubli ne recouvrent
peut être pas tout entièrement. Un signet, en fait une carte postale (
ou de tout autre vestige comparable ) utilisée comme tel me donne à revoir
que ce livre fut lu en été, dans les Cévennes, ce dont je n'aurais pu
me souvenir de façon très exacte et carambolage de la mémoire, une phrase
ou un paragraphe ( remis dans l'éclairage de ce signet enfoui __ dans
ce qu'il signale désormais dans le texte une lecture passée et qui s'unit
aux conditions physiques de cette lecture, déformation par ailleurs suggérée
par Georges Perec dans Penser/classer: "Livre, journal ou prospectus,
je ne me suis pas intéressé tout au long de ces pages, à ce qui était
lu. Seulement au fait qu'on lisait, en divers lieux, en divers temps.
Le texte que devient-il qu'en reste-t-il? Comment est-ce perçu, un roman
qui s'étale entre Montgallet et Jacques-Bonsergent? Comment s'opère ce
hachage du texte, cette prise en charge interrompue par le corps, par
les autres, par le temps, par les grondements de la vie collective? Ce
sont des questions que je pose, et je ne pense pas qu'il soit inutile
à un écrivain de se les poser" ) me remet en mémoire les pensées qui
avaient pu être les miennes tandis que je lisais ce livre, il y a dix
ans, il s'agit toujours d'un exemple. Les chaos de cette pensée, qui peine
à retenir à elle un peu de cette promenade désordonnée, laissent cependant
en dépit (ou à la faveur) de leur désordre des interstices fulgurants:
la mémoire involontaire dont A la recherche du temps perdu fait
son sujet toujours plus fuyant, la madeleine trempée dans le thé, une
enfilade de peupliers en calèche et les pavés inégaux d'une cour d'hôtel
particulier donnent au narrateur de la Recherche un accès inattendu
et ô combien temporaire à des pans disparus de sa mémoire. Et bientôt
machinalement , accablé par la morne journée et la perspective d'un triste
lendemain, je portai à mes lèvres une cuillérée de thé où j'avais laissé
s'amollir un morceau de Madeleine. Mais à l'instant même où la gorgée
mêlée de miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif
à ce qu'il se passait d'extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m'avait
envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Tenir son journal en ligne
(blog) n'est-ce pas semer des cailloux dans ce qui s'amoncelle
en espérant que ces derniers n'auront pas été emportés entre temps par
quelque accident géologique et dans l'espoir également que retrouvant
ces cailloux on puisse en fait acquérir la certitude de touner en rond.
Cet égrénage de petites bornes de mémoire est le centre de l'entreprise
de Joe Brainard dans I remember : Le journal en ligne (blog) partage donc avec la chose écrite cet
enjeu de la mémoire, non seulement dans sa tentative de sauvegarde de
temps immémoriaux, enfouis dans la masse des jours qui se succèdent, mémoire
involontaire mais dont il faut enregistrer les moindres étincelles, mémoire
collective aussi ( in Je me souviens de Georges Perec déjà cité
) et aux chapitres les plus sombres de la mémoire collective, la littérature
finit par donner la parole à celui qui n'a pas de témoin ( au motif que
"nul ne témoigne pour le témoin" selon les mots de Peter Handke
), cet homme-là, fort heureusement oublié et épargné par le geste dernier
de l'abomination s'appele Robert Antelme, Primo Levi, Elie Wiesel ou encore
Henri Alleg: "Entre
deux secousses, je me tournai vers lui pour lui dire : « Vous avez tort,
vous vous en repentirez ! » Furieux, Charbonnier tourna à fond le rhéostat
de sa magnéto : « Chaque fois que tu me feras la morale, je t'enverrai
une giclée ! » et tandis que je continuais à crier, il dit à Jacquet :
« Bon Dieu, qu'il est gueulard ! Foutez-lui un bâillon ! » Roulant ma
chemise en boule, Jacquet me l'enfonça dans la bouche et le supplice recommença.
Je serrai de toutes mes forces le tissu entre mes dents et j'y trouvai
presque un soulagement." (in la Question d'Henri Alleg) Ces
journaux en ligne-là (blogs) n'existent peut être pas encore, ils
seraient sans doute les plus utiles d'entre tous: "Hier, je n'ai pas
été capable, indigente paresse obsène, de remplir cette obligation fictive
qu'est la rédaction de ce journal. Je suis sur en revanche que d'autres
en Israël et en Palestine, en dépit des vies assombries, ont encore cette
force, celle du témoin. Ces journaux-là, les leurs, il faudra les lire
absolument, les faire paraître, les inscrire dans leur histoire. Pour
ma part je n'ai rien dont il faudrait que je témoigne et puis je suis
un médiocre témoin." (un article du Bloc-notes du Désordre datant
du 21 juillet 2002 )
Il y a cependant des disparités qui différencient le simple journal de
bord, journal ou chronique, mémoire (blogs) et autres pratiques
écrites ou non. Lorsque l'on tient un journal en ligne (blog),
on le fait sous le regard et la lecture d'Autrui (en cela on rejoint les
chroniqueurs de journaux) qui de ce fait lisent les articles (posts) du
journal en ligne (blog) (pas nécessairement le jour même où ils
sont écrits mais disons dans un contexte temporel proche) au fur et à
mesure. Il y a la possibilité d'une relation resserrée entre celui qui
écrit et celui qui lit (ou regarde, car je veux toujours garder à l'esprit
que les premiers journaux ou chroniques en ligne (blogs diaries) que j'ai
rencontrés étaient des aventures visuelles, telle que la Chronique ordinaire
de Gisèle Didi). Celui
qui lit peut le faire facilement à l'aune de qui est vécu par lui, de
que les existences ont de commun (ce qui lie les êtres le plus fondamentalement:
l'humain) ou de ce qu'elles différent (la particularité des parcours et
des horizons). Cette relation possible qui a l'étroitesse de communion
connue de ceux qui se retrouvent, par exemple, dans l'exhaltation de sentiments
propres à la littérature romantique, pour ne citer que cet exemple, voisinage
et universalité des impressions qui vont par devers les siècles, le lecteur
d'aujourd'hui et l'auteur du XIXème siècle unis, notamment par le biais
de l'identification du lecteur aux protagonistes de sa lecture (avant
le mode des images existait la mythologie), cette proximité donc, se resserre
puisque par l'usage du courrier électronique (mail) il est donné à celui
qui lit d'écrire à celui qui écrit, à ce dernier, de ce fait, sera donnée
la possibilité de lire celui qui lit, l'immédiateté relative du courrier
électronique (mail) créant plus facilement ce pont fictif puisqu'il réduit
imperceptiblement la distance entre l'auteur et son lecteur (qui a, un
jour, essayé d'écrire une lettre à un auteur qu'il admirait par le truchement
de son éditeur, saura combien est impressionnante cette prise de contact
épistolaire par le verbe qui est justement l'outil même de l'artiste admiré).
Extrapolons facilement que celui qui lit fasse également partie de ceux
qui écrivent, ce qui offre sans mal de nombreuses possibilités d'éclosions
de communautés désormais avouables au contraire de celle envisagée justement
par Maurice Blanchot dans la Communauté inavouable, et ce faisant,
cette propagation de cellules compatibles débouche logiquement sur des
rencontres-intersections entre chroniqueurs en ligne (bloggers). Pour
donner un exemple: "Surprenante communauté de pensée aussi entre Gisèle
et moi, et la soirée s'est écoulée avec un belle lenteur. Toutes les questions
que nous voulions sans doute poser à l'autre arrivaient pêle-mêle et n'obtenaient
pas toujours leurs réponses, mais nous n'en avions cure, avançant, sans
peur et sans heurt dans cette connaissance à la fois amicale et courtoise
de l'autre. Toute l'affection ( la tendresse presque, le fétichisme pour
la frange haute sur le front) qui s'était doucement faite jour à la lecture
de la Chronique ordinaire se portait enfin sur une personne, une véritable
personne, cette fois-ci habitée d'une voix, de gestes, de cigarettes fumées
et de grands gestes empressés pour m'épargner leurs volutes et d'un sourire
et de traits du visages très mobiles, sans cesse changeants." (Extrait
du Bloc-notes du Désordre, daté du 30 juin 2002) De son côté la Chronique
ordinaire de la même Gisèle Didi, affichait à la fois une image
de la frange haute sur le front, indiquant par là de la bienveillance
pour mon fétichisme sans conséquence et un sommaire
croquis dessiné pour mieux se faire comprendre, à même la nappe en
papier du restaurant où nous avions dîné. Par la suite les outils (notamment
les liens hypertextes) et les autres artifices offerts par les services
de tenue de journal en ligne (blogging service provider) comme
la possibilité de reprendre un article (post) pour l'enrichir ou
a cntraire en réduire la portée de même que le possibilité d'appliquer
des styles typographiques au texte, tel que le texte rayé laissant cependant
lisible ce qui est rayé, rendant ainsi visibles ce que la peinture appele
les remords, possibilités qui rendent la matière textuelle vivante et
certainement attrayante aux lecteurs de journaux en ligne (blog)
enclins à s'approcher davantage de l'univers de celui qui écrit, ou en
amont de cela par le réseau lui-même ( je pense aux listes de diffusion
et aux forums ), ces outils et ces menus artifices permettent de donner
aux lecteurs le loisir de fonder communauté, soit autour de celui qui
écrit, soit autour d'un intérêt commun, ou soit aussi une communauté de
gens qui écrivent. Ecrire cependant sous la lecture d'Autrui, du lecteur, impose surtout
affronter en plein la (sa) médiocrité. Stendhal s'exhortait fameusement
à écrire vingt lignes par jour, vingt lignes paraissent peu dans la main
d'un auteur d'une pareille amplitude que celle de Stendhal, cela dit assez
bien la difficulté à s'extraire des jours peu fastes, en cela c'est donner
à l'ordinaire une place plus voyante, rendant au quotidien sa masse, celle
constituée par le poids des jours, pour reprendre l'expression de Peter
Handke. L'exemple de Stendhal fut suivi à la lettre par Harry Mathews
qui écrivit 20 lines, une année au rythme d'une vingtaine de lignes
quotidiennes, qu'il pleuve, neige ou vente. Comme pour de nombreux
écrivains, entammer une journée de travail me décourage et exige de moi
une grande dépénse d'énergie pour éviter ce découragement. il y a quatre
ans, on m'a rappelé cette injonction que Stendhal s'était faite à lui-même
au début de sa vie: "écrire 20 lignes par jour, génie ou pas." A cette
époque Stendhal avait le projet d'écrire un livre. J'ai délibérement pris
cette idée au mot et j'en ai fait une méthode pour surmonter mon angoisse
de la page blanche. Même pour un écrivain douteux et de peu d'entrain,
20 lignes paraissaient un objectif raisonnablement atteignable, tout particulièrement
si ces vingt lignes n'étaient pas motivées par un plus vaste dessein tel
qu'un roman ou un essai. L'année qui suivit j'ai commencé nombre de journées
d'écriture en m'acquittant d'au moins vingt lignes, écrites à partir de
ce qui voulait bien me passer par la tête, sur un bloc-notes réservé à
cet effet (Péface à 20 Lines d'Harry Mathews. ) Ne pas hiérarchiser
le quotidien, faut-il être un écrivain aussi considérable que Saint-Simon
pour s'y mesurer sans risque de trébucher sur sa propre platitude, et
ne souffrir que d'une seule interruption légendaire, cette période sinistre
de quelques mois à l'heure du décès de son épouse et qui ménage dans le
texte homérique une très modeste faille sous la forme de larmes dessinées
sommairement en lieu et place des lignes qui ces jours-là se sont étranglées
de la douleur de la perte de l'être cher! Pas nécessairement scandées dans un rythme quotidien, citons tout de
même quelques unes des préoccupations que l'on prête habituellement au
Nouveau Roman, l'acharnement à décrire le vernaculaire et l'infime au
risque d'égarer son lecteur comme Alain Robbe-Grillet dans la minutie
de ses descriptions, celle, par exemple, de la lente progression verticale
d'une scutigère
le long d'un mur partiellement plongé dans l'ombre (in La Jalousie).
Voisinant cet l'enjeu de captation de l'infime se situe Tentative
d'épuisement d'un lieu parisien de Georges Perec dans laquelle
Perec se surprend à écrire (sans doute dans un moment de découragement
passager): "(Limites évidentes d'une telle entreprise: même en fixant
comme seul but de regarder, je ne vois pas ce qui se passe à quelques
mètres de moi: je ne remarque pas, par exemple, que des voitures se garent)",
puis plus loin après une longue énumération, par leurs numéros, des
différents autobus passant sur la place Saint-Sulpice: "(peut être
ai-je seulement aujourd'hui découvert ma vocation:contrôleur de lignes
à la R.A.T.P. )"; Il y a contenu dans la pratique du journal en ligne
(blog) l'enjeu du minuscule, d'une écriture du réel entièrement
diluée dans le devoir de quotidienneté; à force de dilution pourtant,
il est à craindre que le lecteur ne puise plus dans la lecture des journaux
en ligne (blog) ce qui fait habituellement son plaisir de lire,
puisqu'à la déroutante description de l'infime/intime, s'ajoute l'effet
nocif de l'accumulation à la fois des articles (posts) qui se succèdent
à laquelle s'ajoute celle de tous les journaux en ligne (blogs) dont la
prolifération peut devenir le frein comprimé à une réelle adhésion du
lecteur écrasé par le surnombre. En cela les journaux en ligne (blogs)
se comportent comparablement à la chose écrite quand elle s'exprime au
travers de politiques éditoriales: les avatars de gâchis de papier (et
d'encre) voué au pilon de chaque automne dans notre pays, par le désaveu
des lecteurs, imitent la saturation du réseau (moins onéreuse dans sa
gabegie de ressources naturelles) par les journaux en ligne (blogs).
Le chroniqueur en ligne (blogger) accumule. En effet les articles
(posts) de ce dernier s'entassent les uns sur les autres selon
le principe d'une pile sur laquelle les articles les plus récents sont
affichés les uns après les autres, les plus récents s'affichant à la place
des précédents, toutefois toutes les pierres qui ont contribué à la hauteur
du tas sont toutes accessibles par la consultation des archives aidée
même d'un moteur de recherche interne si le chroniqueur en ligne (blogger)
est allé assez loin dans son geste d'atteindre le lecteur et le dessein
de favoriser le lecteur dans sa lecture de cette accumulation. Les articles
(posts) s'accumulent pour tisser quotidiennement une lecture aux
ramifications toujours plus nombreuses, cette accumulation de soi, pour
peu qu'elle soit assidue devient l'objet d'une lecture protéiforme et
sans cesse mouvante. De fait à l'image des personnages principaux d'A
la Recherche du temps perdu, dont le vieillissement (tout particulièrement
comme il est perçu par le narrateur dans le Temps retrouvé) donne
à voir au delà des signes corporels de la morsure du temps, duchesses
et princesses perdant de leur superbe, plutôt les métamorphoses des caractères
et leurs traits aux multiples facettes distribués dans les différents
personnages qui ont survécu au temps étendu du récit. Pareillement dans
son auto-accumulation, c'est un fait enviable, le chroniqueur en ligne
(blogger) devra affronter ses contradictions propres héritées du passage
du temps à l'oeuvre sur ses certitudes. Cette érosion temporelle sera
un bel objet de lecture, s'il nous est cependant donné l'occasion d'en
être les spectateurs, rappelons en cela que la pratique du journal en
ligne (le blogging) est récente (que pour les plus anciens d'entre
eux la date de naissance de ces manifestations se situe aux environs de
1998, nous sommes en 2002) et que les critères de sélection pour le référencement
de ces journaux en ligne (blog) dans les officines de recensement
de ces entreprises (blog databases) en disent long sur l'éphémérité
de la pratique, puisqu'un délai d'un mois seulement d'activité continue
est la condition sine qua non pour figurer parmi les listes trouées aux
mites dans leurs liens par autant de journaux en ligne (blog) qui
disparaissent chaque jour: il ne faut pas se laisser berner par la tapageuse
réclame des services de tenue de journal en ligne (blogging service
providers) toujours promptes à insister sur le taux de natalité davantage
que sur celui de la mortalité. Le fait que je sois ici, dans le cadre
d'une commande presque, à deviser à propos de cette pratique que j'estime
récente pour moi-même, cinq mois d'exercice ne constituant pas à mes yeux
la preuve de grand-chose, cette invitation, faite à moi, donc, en soi
montre assez bien le vieillisement prématuré qu'il faille craindre pour
ces pratiques. Si un journal en ligne (blog) est en soi un projet d'accumulation
de soi, il convient deuxio de se poser la question des accumulations
de ces accumulations justement. Parmi les caractéristiques essentielles
du journal en ligne (blog), nous remarquons d'emblée que le texte
est truffé de liens hypertextes qui relient et interconnectent d'autres
journaux en ligne (blogs) principalement, mais aussi des sites
internet, dans une acceptation plus classique du terme. Dans ces bibliothèques
accumulatives, néanmoins fictives, on peut regretter l'absence de volonté
réelle de réunir lesdites chroniques et journaux en ligne (blogs)
selon des thématiques qui à défaut d'être originales auraient le mérite
de dresser des bibliothèques moins virtuelles qui si elles avaient la
qualité d'être dûment archivées, seraient de bonnes sources de témoignages
pour l'avenir, l'accumulation de ces bribes de temps s'écoulant ayant
alors la vertu de composer par touches successives des paysages autrement
voués à la disparition. Il existe somme toute peu d'initiatives de ce
genre, citons pour mémoire l'Adam
Project, base vivante crée par Timothée Rolin et dont le principe
consiste à collectionner des chroniques, à la fois visuelles et écrites,
d'une journée allant de minuit à minuit, quelques règles de base font
office de faibles contraintes dont de nombreux participants s'affranchissent
par ailleurs, ce qui ne semble pas mettre en péril la cohésion d'ensemble
qui réunit pour la plupart des chroniqueurs d'un jour et dont le talent,
par ailleurs, varie beaucoup d'un individu à l'autre, en cela on peut
facilement dire que cette denrée habituellement rare dans nos vies est
présente dans le projet dans une dilution comparable, c'est d'ailleurs
dans ces reflets involontaires de l'existence que l'Adam Project touche au plus
près cette notion d'exsitence à proprement parler et s'en fait une base
de données somme toute idoine. En revanche quelles sont les municipalités
ou même les départements, ce sont des exemples choisis dans la totalité
du tissu social, quelles sont les municipalités donc, qui se soucient
d'archiver ces journaux pourtant rendus publics? D'une manière plus générale,
nombreux furent les pionniers du réseau, qui, à raison, encourageaient
la participtation de tous pour l'archivage et l'enrichissement de données
(toutes connaissances confondues) sur le réseau à l'usage des mêmes tous
sur Internet et combien rares sont ceux aujourd'hui qui se préoccupent
de l'archivage pérènne et universel de ces données. Au chapitre des disparitions
incensées citons toutes les fiches de travail des différents documentaires
de la série Un siècle d'écrivains du site internet de la chaîne de télévision
France 3, pourtant une chaîne du service public! A l'heure actuelle le
chemin parcouru brûle derrière nos derniers pas, pensée d'autant plus
préoccupante qu'en matière d'archivage le tentation du tout-internet gagne
chaque jour du terrain. Cette fuite en avant peu soucieuse de nos arrières
justement, s'est comparablement déjà enclenchée à la naissance de la vidéographie,
le support magnétique au contraire du support argentique étant ré-enregistrable,
ouvrant la porte à l'écrasement d'archives, sans compter non plus que
le support argentique, aussi faillible soit-il, est intrinséquement plus
archival que le support magnétique tellement fragile. Où l'on ne s'étonnera
pas de contempler à l'oeuvre une logique économique compensant par la
profusion la lente disparition de la qualité, s'enfouissant toujours un
peu plus dans les plis du passés. Peureux à cette pensée problématique,
et je suis quasiment assuré de n'être pas le seul pareillement appeuré,
je me surprends moi-même en me résolvant à imprimer tous les mois les
pages de mon journal en ligne (blog): l'archivage de ce que nous
créons à l'aide de nos ordinateurs est de ces notions suffisamment souples
pour se mordre la queue.
Enfin pour le chroniqueur en ligne (blogger) qui rendrait fidèlement
compte de ses allées et venues mentales, se fait jour la contraignante
tentation de se chroniquer (to blog) soi-même chroniquant (blogging).
Force nous est de constater que nos vies se remplissent de tant d'heures
assidues devant l'écran, cotoyant un monde peu tangible mais qui cependant
imbibe celui du corps physique, un peu à la façon obsessive du jeu d'échecs
dont la matérialité en 64 cases noires et blanches se superpose violemment
à celle de tant de vies de joueurs d'échecs, qui n'ont pas tant d'éclat
que le jeu, objet de ce qui devient leur pathologie (lire et relire la
fin de la Défense Loujine de Nabokov pour s'en garder absolument).
Comment alors écrire le récit d'une journée dont beaucoup de temps fut
dépensé au chevet de l'écran: L.L. de Mars dans le cadre du projet
Adam Project (déjà mentionné)
dit avec éloquence la mitoyenneté confuse et difficile de deux appréhensions
du réel qui ne font pas complétement corps, sans parler des difficultés
immédiatement inhérentes à l'utilisation de l'outil pour définir l'outil
(définir le langage relève de la même péripétie, comme pour le forgeron
de se forger de nouveaux outils de forge, et c'est pourtant en forgeant
que l'on devient forgeron): ["Qu'en est-il d'une vie pour celui-là
même qui la traverse? D'une journée et de sa relatation, de l'immense
trajet qui sépare un acte du moment où il sera confié, décrit?"] ["Plus
je travaille avec des machines, et plus la membrane qui sépare les notions
d'outillage virtuel et physique me semble poreuse."] ["Il s'agit de mettre
en ligne un album de photographies consacré à la fabrication d'un numéro
de ma revue littéraire, MMI. Pourquoi cette chronique? Sans doute le sentiment
que l'énorme quantité d'énergie et de temps passé sur ce boulot doit être
mis en évidence, et en premier lieu pour moi-même : quand un travail est
achevé, disparait avec lui de ma mémoire tout ce qui l'a précédé."] ["En
dehors de l'inévitable vanité qui conduit à rendre publique une image
largement orchestrée de sa vie (et peu importe la forme choisie pour la
faire miroiter), il y a tout de même quelques points d'importance qui,
je crois, rendent ceci plus crucial que le seul narcissisme: j'ai le sentiment
que ma vie est toute entière résumée à mon travail, ce qui temporellement
semble vrai (où sont les interstices?) et conceptuellement plus encore
(il n'y a pas d'intérim artistique, c'est le seul métier auquel chaque
seconde de celui qui s'y donne appartient) ; mais si une chronique est
possible sur ce travail, c'est que ma vie peut s'aménager une extériorité.
Et si une chronique est possible sur cette chronique? Etc..."]. Il
y a dans la chronique de L.L. de Mars pour l'Adam project le voeu patent
d'emmener son lecteur dans l'espace mal défini de la mise en abyme, comme
dans les foires certaines attractions qui emmènent le corps dans des postures
inhabituelles autant qu'improbables avec force vitesse et gravitation
nous soustrayant aux forces de frottements (notre corps est ainsi fait
que seulement dans la chute, il est enfin libéré du contact avec la contingence,
le retour à cette dernière, en fin de chute, étant le plus souvent brutal),
de même dans la lecture de ce qui fait écran, nous ne sommes plus exactement
certains de ce qui nous relie à nous mêmes lisant. De même que ce que j'écris là (et le temps que j'y passe) trouvent leur
écho dans mon journal en ligne (blog), qui s'acharne à décrire
les boucles des tergiversations qui sont les miennes tandis que je rédige,
péniblement, ces lignes: "Ecrire à propos des blogs (dans le cadre
du colloque de Rennes à propos des "écritures en ligne" auquel m'invite
L.L. de Mars à témoigner de ce qu'est
la pratique du journal en ligne (blog)) revient à chroniquer sur
les chroniques, prendre une photographie d'une photographie ou encore
tenter de définir le langage par le langage (comment le pourrions nous
autrement?), en soi c'est se servir d'outils pour se fabriquer de nouveaux
outils. Et on se prend rapidement les pieds dans le tapis à ce petit jeu.
En soi dans l'écriture du bloc-notes du désordre qui a parmi ses vocations
de montrer les coulisses de la fabrication et des transformations du "Désordre",
certains liens qui pointent vers le reste du "Désordre" ont
cette vertu récursive, presque, qui consiste à illustrer le propos de
son propre propos. Dans ces jointures quelques friches demeurent et attendent
encore leurs premiers visiteurs. Je pressens que mes tentatives aussi
inabouties qu'elles m'apparaissent se heurtent à une cloison derrière
laquelle se trouve un autre espace d'investigation dont j'ai cependant
l'intuition qu'il est lui aussi bordé de cloisons, elles sont cependant
un peu plus lointaines, aussi à l'image des êtres prisonniers du Dépeupleur
de Samuel Beckett, j'oscille sans cesse entre la volonté conquérante d'abattre
cette cloison et la résignation qui sait particulièrement bien que cette
brêche n'offrira qu'un réconfort passager et qui butera sur la prochaine
cloison. Et pourtant, dans les moments fastes, je lis dans l'introduction
des Mots croisés de Georges Perec: "on n'oubliera pas non plus ce que
l'on pourrait appeler des méta-définitions, c'est à dire, des défintions
trouvant leur référence dans le vocabulaire même des mots croisés. Ainsi,
si la définition du I horizontal est: Devrait passer de l'aure côté, la
réponse est sans doute: VERTICAL. Pour un 9 vertical défini par : Sont
à leur place, la réponse est VERTICAUX (à moins que ce ne soit NEUVIEMES)
...(...)... A partir de là, d'innombrables variations sont possibles,
y compris celles que l'on pourrait appeler homosyntaxiques, et qui rattachent
la définition à un élément même du mot défini: A déjà commencé... = EROSIO.
Il lui manque effectivement une jambe = ANPUTEE." C'est décidement vers
cet espace incertain et intangible que j'aimerai tendre, pour le moment
sans succès, conscient que c'est dans cet interstice que se situent les
nouvelles connaissances, c'est à dire ce que je ne connais pas encore
et que je peine donc tant à définir, les mots étant aussi gauches à décire
l'inconnu que le peintre Memlinc peignant le lion de Saint-Jérome sans
jamais n'avoir vu de ses yeux vu un véritable lion." Récemment traduite en français, la Maison des feuilles de Mark
Danielewski a longtemps été un site internet, fermé depuis (dommage que
les auteurs qui atteignent la publication graphique ferment derrière eux
la porte sur des espaces très particuliers qu'ils ont su créer dans le
domaine de l'auto-publication sur le réseau) qui s'enrichissait au fur
et à mesure des péripéties du narrateur en proie à la retranscription
alembiquée d'un manuscrit fleuve, qui était lui-même le compte-rendu et
la critique mêlés d'un film documentaire dont tout porte à croire qu'il
ne fut jamais réalisé et dont le sujet est lui aussi un labyrinthe. Par
une accumulation compulsive de notes de bas de page, mais aussi d'effets
typographiques et de mise en page, plusieurs niveaux de lecture et de
réalité coexistent dans cette oeuvre aux nombreux méandres justement soulignés
par la lecture à la fois cahotique et errante du livre. Une telle structure,
dont la mise en oeuvre aussi brillante soit-elle, aura sans doute donné
beaucoup de fil à retordre à son maquettiste, existerait sans difficultés
majeures à l'aide de l'hypertextualité permise par le journal en ligne
(blog) et aurait justement permis de cacher toutes les coutures
encore apparentes par endroits dans la version grapique du livre.
Pourtant l'outil, le journal en ligne (blog) porte en lui des ouvertures béantes de création. Le retour d'affection contemporain pour le feuilleton (Légendes et Plumes d'Ange de Martin Winckler sont parmi les plaisirs récents de la lecture en ligne) montre assez que le journal en ligne pourrait fort bien être le vecteur d'oeuvres de fiction, qui justement à la façon d'un feuilleton, égrénerait par épisodes les satisfactions de la lecture, sans parler de l'amibiguité accrue inhérente au fait que le feuilleton se présenterait sous la forme d'un journal en ligne (blog), lui conférant une véracité, certes mensongère, mais tellement efficace pour faire adhérer le lecteur à la fiction. Que penseriez vous en effet si vous veniez à lire dans un journal en ligne (blog) une entrée (post) comme celle qui suit et à laquelle feraient suite, d'autres entrées (posts) du même tonneau?: "J'ai pris la décision de quitter ce monde dans cinq mois, pour des raisons personnelles qui seraient trop longues à expliquer et énumérer ici. De même que le délai de cinq mois pourra, en tout état de cause, paraître arbitraire, les raisons qui m'ont conduit à le déterminer seraient également fastidieuses et soporifiques à éclaircir. Réalisant pleinement qu'il s'agissait là d'une décision capitale, pour ainsi parler, à ne pas prendre à la légère, et bien qu'elle fût assez facile à prendre, je me suis appliqué à résoudre le respect impérieux du délai d'une manière que d'aucuns jugeront alambiquée, je lui trouve cependant l'indéniable avantage d'être efficace. En effet je me suis arrangé, par l'entremise d'un ancien collègue de travail, avec lequel je garde de bonnes relations, bien qu'épisodiques, pour contacter ce que l'on appelle communément un tueur à gage. A l'occasion de ma rencontre avec cette personne, et ce pour éviter toute confusion dans son esprit qui aurait pu mettre en péril l'exactitude et l'efficacité que j'attendais de lui, lors de notre entrevue donc, je m'étais travesti, de sorte que lorsque je lui fournis, entre autres détails logistiques tels que mon adresse, mon numéro de téléphone et une énumération générale de mes habitudes, ma photographie, donc, il l'empocha sommairement sans même la regarder. La transaction financière avait été pré-arrangée ce qui permit à notre entrevue de garder son caractère discret sobre et, pour mon agréable surprise, détendu. Ainsi, c'est discrètement que je lui remis, sous la table, littéralement, la rondelette somme de , en liquide. Cette somme ne m'avait paru ni trop élevée ni trop basse. Bien sur mon tueur à gage pensait qu'une seconde moitié, égale à celle qui venait de passer des mains un peu moites de la victime à celles irréprochablement calmes et sèches du tueur, aurait lieu après la réalisation du contrat. Je ne pouvais réprimer une sorte d'exaltation intérieure à l'idée que j'avais réussi à m'arroger les services de mon tueur avec une importante remise de cinquante pour cents, eût égard au fait qu'il ne pourrait y avoir de deuxième versement puisque le commanditaire de ce meurtre périrait en même temps que la victime ...(...)... |